Ou comment la République est devenue une formule creuse…
Le mot de « République » est omniprésent dans le débat public, d’autant plus en temps de campagne électorale. Il suffit d’écouter un meeting, un débat, ou quelque intervention d’un politique pour être sûr que ce terme revienne en boucle. Il est en effet de bon ton de s’affirmer « républicain » (et il faut montrer qu’on l’est plus que les autres) mais le fait que cette notion soit brandie en permanence et par tout le monde devrait pousser à s’interroger sur l’usage qui en est fait. On se rend alors compte que ce noble concept est devenu vide et fourre-tout…

Emilien Pouchin
Qu’est-ce que la République ?
Commençons, avant de constater à quel point ce mot a perdu son sens, par tenter de le définir. Selon le Larousse, la république est « une forme d’organisation politique dans laquelle les détenteurs du pouvoir l’exercent en vertu d’un mandat conféré par le corps social ». Etymologiquement, ce mot vient de la Res Publica (la chose publique) romaine, c’est-à-dire le fait de mettre au cœur de la décision politique un peuple qui décide et un gouvernement qui se préoccupe de l’intérêt de tous. Il s’agit de ce fait d’une organisation du pouvoir dans la Cité qui est aux antipodes de la monarchie absolue héréditaire, où le royaume est le domaine d’un Roi qui acquiert le pouvoir par un droit de naissance et peut gouverner seul.
Dans l’inconscient collectif français, la République renvoie à un imaginaire plus fort que la démocratie
Montesquieu décrivait la République comme étant une construction politique où « le peuple, ou seulement une partie du peuple, y a la puissance souveraine » et la couplait avec le principe de séparation des pouvoirs. Dans son acceptation contemporaine, et surtout en France, elle est donc étroitement liée à la notion de démocratie. S’il n’est donc pas nécessaire d’entrer dans les détails pour séparer ces deux termes, on peut toutefois insister sur le fait que dans l’inconscient collectif français, la République renvoie à un imaginaire plus fort que la démocratie. La fameuse formule de Régis Debray « La République, c’est la liberté plus la raison. L’Etat de droit, plus la justice. La tolérance, plus la volonté. La démocratie, c’est ce qui reste de la République quand on éteint les lumières » en atteste et montre qu’un certain nombre de valeurs et de principes sont accolés à cette notion.
Ainsi, si la République est en théorie un simple mode d’organisation du pouvoir politique dans la Cité, il est clair qu’elle a pris une dimension supérieure et s’est enrichie d’un certain nombre de valeurs et de symboles. On pourrait notamment citer dès la Première République le drapeau tricolore, Marianne, la devise, ou l’idée de la nation, puis plus tard, avec la Troisième, les principes d’universalisme et de laïcité. Une certaine idée de la République qui est rappelée dès l’article premier de la Constitution de la Cinquième : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».
Une notion noble progressivement vidée de sa substance
En théorie, la République est donc une notion chargée d’histoire et de philosophie politique que chaque nation s’approprie à sa manière, l’enrichissant à mesure que le temps passe, de certains attributs. Aussi, il est incorrect de prétendre qu’en France, la République n’est rien d’autre qu’un mode d’organisation des pouvoirs. Or, il est également contre-productif de vouloir lui accoler trop de principes et de lui faire infiltrer toutes les sphères de la vie politique. C’est pourtant ce qu’il se passe dans le débat public depuis plusieurs années. Il en résulte qu’à force d’être utilisée à tort et à travers et brandie en toutes circonstances, la République a perdu son sens noble et s’est peu à peu vidée de son sens.
Cette tendance a peut-être émergé au début des années 2000 avec la constitution, en 2002 du « front républicain » contre Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle. Depuis, cette idée est restée sous-jacente et est régulièrement brandie contre les candidats du Rassemblement National (voire, plus récemment contre des candidats de gauche radicale, nous y reviendrons). Mais, en s’y penchant davantage, on se rend compte qu’elle n’a plus aucun sens. Il s’agit au mieux d’une ignorance de ce qu’est la République, au pire d’une rhétorique politique malhonnête de front contre le RN. En quoi Marine Le Pen est-elle anti-républicaine ? L’honnêteté intellectuelle pousse à dire qu’il est clair qu’elle n’a pas pour ambition de renverser le régime, d’instaurer une dictature et que, si elle arrivait au pouvoir, la République ne serait pas en danger. Sans doute que cette rhétorique du « front républicain » est une astuce des élites politiques installées au pouvoir pour vouer aux gémonies un parti et une candidate « populiste » qui les effraie.
Il existe pléthore d’exemples de manifestations absurdes d’autoglorification républicaine pour qui suit un tant soit peu l’actualité et les débats politiques. L’exemple le plus parlant et le plus drôle est sans doute celui de Jean-Michel Blanquer, qui avait déclaré, suite à une polémique sur les tenues des filles à l’école, qu’il fallait venir « habillé de façon républicaine ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Rien, évidemment. Blanquer ne savait sans doute pas quoi répondre et, ayant peur de passer pour un réac’, a utilisé cette formule fourre-tout pour s’en sortir. Dommage… Cette fois-ci c’était trop gros et à peu près tout le monde a relevé que cette phrase n’avait aucun sens.
Là, l’ultimatum est très clair : Valérie Pécresse incarne la République et ne pas voter pour elle, c’est être du côté des fossoyeurs de la République.
Dans cette campagne présidentielle, marquée par un niveau des débats plus bas que jamais, nous sommes abondamment servis en termes de formules creuses. Par exemple, Yannick Jadot affirme que s’il était élu, le ministère de l’Intérieur deviendrait le « ministère de la protection républicaine ». Quelle différence ? Aucune. Quel est le sens ? Dans le fond, aucun, mais dans la forme, cela lui permet de rappeler à qui ne le saurait pas qu’il est un fervent défenseur de la République et que lui maintiendra « l’ordre républicain », selon une formule très usitée et chère à Darmanin. Prenons un second exemple. Interviewé à la suite du scandale récent des maisons de retraites Orpea, Fabien Roussel répond : « Il n’est pas question que dans notre pays, en France, en République, il y ait des profits, de l’argent fait sur le dos de nos aînés ». Pourquoi « en République » ? Est-ce que cela voudrait dire que le fait d’avoir des maisons de retraites privées est fondamentalement incompatible avec un régime républicain ? Cela n’aurait pas tellement de sens… La vérité est qu’il est tellement devenu un mot creux qu’il a été ajouté aux éléments de langage des politiques et qu’il peut être prononcé à n’importe quel moment, dans n’importe quel contexte, sans que personne ne s’interroge.
Les deux exemples sont tirés de déclarations de candidats de gauche mais, évidemment, la droite n’est pas exempte de reproches. Au-delà de Blanquer, les macronistes utilisent cette notion très régulièrement (Darmanin, Schiappa, Attal, etc.). Cette formule leur sert sans doute à camoufler le vide idéologique qui se cache derrière le « en même temps ». Après tout, même si on n’y comprend rien, on peut être sûr qu’ils sont les plus républicains… Prenons enfin un dernier exemple, cette fois-ci tiré de la campagne des régionales de 2021. Au second tour des régionales de 2021, Pécresse s’est retrouvée face à une coalition PS-EELV-LFI. Au micro de France Inter, elle lançait alors un appel à « la mobilisation de tous les républicains sincères » derrière elle et présentait le vote de la manière suivante : « est-ce que vous voulez la République ou est-ce que vous votez contre la République ? ». Là, l’ultimatum est très clair : Valérie Pécresse incarne la République et ne pas voter pour elle, c’est être du côté des fossoyeurs de la République. On pourra noter au passage que cette fois-ci, l’appel au front républicain se mobilise contre la gauche.
Vers une fusion de la France dans la République ?
A cause de la centralité que prend le mot « République » dans les discours politiques, on remarque peu à peu qu’il tend à se confondre avec le mot « France ». Curieux, car comme le rappelle l’essayiste et journaliste François Bousquet, « La République n’est que la forme qu’a prise la France pendant une période de son histoire […] donc il y a une antériorité de la France ». Il poursuit en ajoutant que les soldats de la première guerre mondiale ne se sont pas battus pour défendre la République mais bien leur patrie, la France. Peut-être est-ce désuet de parler de France, ou trop conservateur, mais il me semble que tous ces hommes participent à la vie politique, qui se font élire, s’engagent pour la France ? Les candidats à la présidence de la république française veulent gouverner et représenter la France avant la République ? Sinon, pourquoi n’iraient-ils pas se présenter avec la même ferveur dans les innombrables autres républiques qui existent ?
Dans cette campagne présidentielle médiocre, ce débat est survenu car Zemmour a pris l’habitude de ponctuer ses discours par la formule « Vive la République, et surtout vive la France ! ». Mais quel genre de réactionnaire infréquentable est-il pour oser affirmer qu’il aime la France avant d’aimer la République ? Dans une discussion avec Alexis Corbière à ce propos, le 16 décembre, ce dernier a montré que France et République étaient pour lui la même chose. « Moi j’aime la République », affirmait-il. « Moi j’aime la France », lui répond Zemmour. Corbière poursuit en criant « Moi la France, je l’aime notamment parce que c’est une République, parce que la France de Vichy je ne l’aime pas, la France de 700 ans de monarchie je ne l’aime pas ». Dommage pour un professeur d’histoire… Alors peut-être faudrait-il enseigner l’histoire de la République à la place de l’histoire de France ? Le programme serait assurément plus léger ; il commencerait à partir de 1789 et prendrait soin d’ôter toutes les périodes non républicaines.
Quand l’invective remplace le dialogue et le désaccord construit, la liberté d’expression est mal en point…
Finalement, il est clair que le mot « République » est un mot creux, à la mode, brandi à tort et à travers dans un débat public où pour assurer sa survie il faut réussir prouver qu’on est républicain, même un peu plus que les autres. Pour être accepté, pour être un adversaire respectable, il faut montrer patte blanche et le but de la lutte politique revient à exclure les autres du cadre de la respectabilité en les accablant de la pire accusation qui soit : « Vous n’êtes pas républicain ! ». Il semblerait que la notion se vide de son sens en même temps que le niveau intellectuel de nos politiques décroît.
Il est d’ailleurs intéressant de tracer un parallèle avec les notions de « populisme » et de « fascisme » (ou « facho ») qui ont, de la même manière, été vidées de toute leur substance politique et de toute leur historicité. Elles ne sont désormais uniquement utilisées dans le cadre de l’invective pour, une fois encore, exclure certains adversaires du cadre du débat public respectable. Tout ceci est déplorable puisque la base de la démocratie est de constituer un espace de liberté d’expression où se confrontent les opinions politiques divergentes. Être démocrate, c’est accepter le désaccord et surtout, accepter qu’autrui puisse avoir l’intelligence et la rationalité nécessaire pour défendre une opinion différente. Quand l’invective remplace le dialogue et le désaccord construit, la liberté d’expression est mal en point…