Pour une vision juste et une (re)légitimation de l’impôt, contre les exilés fiscaux
Souvent décrié, parfois défendu, jugé à la fois comme trop lourd par certains ou comme trop faible (envers les très riches) par d’autres, l’impôt s’invite fréquemment dans le débat politique. Il représente même la « ligne de fracture » la plus symbolique qui sépare idéologiquement ceux qui se réclament de droite et ceux qui s’identifient de gauche. Pour ceux qui défient l’autorité politique, l’impôt constitue même une forme d’avatar de l’Etat auquel il convient de résister au quotidien. Dans ce cadre, le propos développé au fil de cet article sera de ceux, trop rares, qui aiment et défendent la fiscalité française.
Rappels sur la définition de l’impôt et de la politique fiscale…
La fiscalité constitue l’une des principales prérogatives de la puissance publique. Si l’on s’oppose au principe de l’impôt, c’est le concept même de l’Etat qui ne peut être légitimé. Selon la définition reconnue du juriste français Gaston Jèze, l’impôt se caractérise comme un prélèvement pécuniaire qui se fait par voie d’autorité ; il est opéré sur des catégories déterminées de contribuables d’après leurs facultés contributives en vue de la couverture des dépenses publiques et de l’intervention économique et sociale des pouvoirs publics, sans comporter nécessairement de contrepartie apparente pour le contribuable. Ainsi, l’impôt bénéficie d’abord à l’Etat, aux collectivités territoriales, aux institutions européennes… Bien entendu, ce n’est pas de l’argent distribué afin d’enrichir les grandes entités de la puissance publique, il sert à financer le bon fonctionnement des services publics ainsi que des politiques à court ou moyen terme pour servir l’intérêt général.
Ce qui mène souvent à une vision négative de l’impôt, c’est qu’il ne permet pas nécessairement au citoyen un retour (financier ou matériel) direct. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il ne bénéficie pas des effets de l’impôt. D’abord, il faut souligner que de nombreux services rendus par les pouvoirs publics n’ont aucune valeur estimable d’un point de vue financier, notamment la sécurité assurée par les forces de l’ordre, la défense du territoire national par les armées, les évènements culturels permettant d’émanciper le citoyen, la justice rendue par les tribunaux, l’éducation de nos enfants… Puis, en définitive, l’action de l’Etat n’est aucunement liée à l’intérêt individuel de chacun ; l’impôt ne saurait être un retour financier direct vis-à-vis du contributeur. Il participe pleinement à la vie de la nation, et dans cette vie il y a inévitablement une dimension collective, des intérêts généraux et des fins communes à tous…
On le perçoit aisément et fréquemment, il faut légitimer l’impôt en permanence à cause d’une mauvaise perception qui consiste à dire qu’il représente un appauvrissement personnel mais pas un enrichissement global. Dans ce cadre, la fiscalité doit être introduite devant les citoyens comme juste pour qu’elle soit acceptée, c’est le principe du consentement à l’impôt qui nécessite avant tout une légitimation du pouvoir politique. La fiscalité est indispensable pour assurer le fonctionnement des institutions, l’approche première des impôts repose sur la présentation d’un instrument financier visant à remplir la caisse publique afin de financer les institutions régaliennes. Enfin, l’on évoque aussi le principe de neutralité fiscale en ce sens que la fiscalité est étrangère à la vie économique.
Deux grandes doctrines sur l’impôt qui s’affrontent
De prime abord, aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est la théorie libérale qui fut prépondérante dans la justification du concept de l’impôt. En effet, les penseurs libéraux classiques tels que Hobbes, Locke ou Smith, construisent l’idée d’un contrat fiscal qui sous-tend le raisonnement du contrat social. Ainsi, la doctrine libérale classique ne contredit jamais la nécessité de l’impôt mais pour autant, elle cherche à réduire son champ d’application : chaque membre de la communauté se verra protégé par des financements justes et nécessaires. Cela recoupe la théorie de l’Etat gendarme, c’est-à-dire une puissance publique qui limite son intervention à des fonctions strictement limitées (les fonctions régaliennes) afin de garantir avant tout la sécurité. Dans cette vision, même s’il est légitimé, l’effort fiscal doit donc être limité. Cette théorie s’impose très nettement jusqu’au XXe siècle.
Par la suite, c’est la théorie solidariste qui prend le relais à partir de la fin du XIXe siècle. D’inspiration chrétienne, elle pose la question du devoir inhérent au consentement à l’impôt en ce sens qu’il permet de servir la solidarité sociale. Dans cette doctrine, la qualité de citoyen requiert une responsabilité et une forme active ; de ce fait, le citoyen doit nécessairement s’avouer favorable au prélèvement fiscal car il constitue un juste moyen de redistribution des richesses. In fine, l’impôt doit permettre d’éviter l’établissement d’une économie rentière qui serait une économie figée. Cette théorie attribue à l’impôt une sphère plus large que dans la doctrine libérale classique ; elle crée le principe de l’imposition variable selon les capacités contributives des citoyens. Enfin, il convient de souligner que cette théorie solidariste – tout en s’inspirant de la conception socialiste – emprunte une large part de ses principes à la théorie libérale (au « libéralisme social »). Cette vision solidariste s’est mise en œuvre tout au long du XXe siècle en France, dès 1914 avec la mise en place du très symbolique impôt sur le revenu (proportionnel aux gains de chacun), et a fait les beaux jours de l’Etat-providence au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Les exilés fiscaux : la trahison de l’Etat et de la nation…
A la suite de ces prérequis théoriques et doctrinaux au sujet de l’impôt, son rôle essentiel pour la nation devient évident : vouloir y échapper reviendrait à rejeter le pays qui nous a vu naître et grandir et à renier sa propre communauté nationale. Pourtant, c’est le choix de nombreux exilés fiscaux qui placent au sommet de leurs priorités la conservation de leur fortune individuelle au détriment de la contribution à la richesse nationale. En effet, l’exil fiscal – terme faussé en ce sens que l’exil constitue une forme de bannissement, une expulsion hors de la patrie avec la défense d’y revenir (l’exil fiscal repose sur l’exact inverse puisque c’est le citoyen lui-même qui décide de renoncer à sa nation) – ou l’expatriation fiscale consiste pour un citoyen ou une entreprise à changer de résidence fiscale afin de bénéficier d’une situation fiscale plus bénéfique.
Souverainement, individuellement, égoïstement, l’expatrié fiscal fait le choix de s’évader à l’étranger dans la seule fin de payer moins d’impôts que dans son pays natal. Ces citoyens (les célébrités en premier lieu, nous y reviendrons) doivent souvent tout ou partie de leur « succès », toute ou partie de leur « réussite », toute ou partie de leur fortune à : leur pays qui les a éduqués, leur nation qui les a formés, l’Etat qui leur a offert des infrastructures et des aides publiques, leurs concitoyens qui les ont soutenus et à qui ils doivent leur réussite sociale et financière… C’est le paroxysme du mythe du « self-made man », de l’« homme qui s’est fait lui-même », provenant de la culture individualiste anglo-américaine. Eh bien non, sans la France, sans le soutien des Français et l’achat de leurs disques, sans la couverture médiatique française, Johnny Hallyday et Florent Pagny seraient certainement des chanteurs de bistrot ayant du mal à boucler leurs fins de mois.
Sans même parler d’évasion fiscale (cf. dans les fameux paradis fiscaux), voire de fraude fiscale, qui sont des pratiques tout à fait illégales ; l’expatriation fiscale, même si elle est autorisée par la loi, coûte énormément à l’Etat chaque année … L’on compte notamment l’exil fiscal de près de 4 000 contribuables français déclarant plus de 100 000€ de revenus annuels rien qu’en 2016 et le départ de plus de 500 ménages déclarant plus de 300 000€ de revenus par an. Ce phénomène reste heureusement très minoritaire, preuve que la plupart des riches font encore le choix du patriotisme, mais il reste significatif et important pour les finances publiques. Notons par exemple que, si l’on fait les comptes sur 10 ans (jusqu’en 2016), en prenant en compte les départs et les retours, la France a perdu plus de 4 500 redevables de l’impôt sur la fortune (ISF) et donc in fine près de 24 milliards d’euros nets…
Si l’on prend maintenant en considération le phénomène plus grave de l’évasion fiscale, les chiffres se révèlent encore plus vertigineux. En effet, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) soulignait, dans un document portant sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), que nous sommes en mesures d’estimer 100 à 240 milliards de recettes fiscales annuelles perdues par les Etats à cause des méthodes d’optimisation fiscale (). En ce qui concerne notre France, des rapports et études chiffrent entre 30 et 50 milliards d’euros de pertes à cause de l’évasion fiscale et entre 60 et 80 milliards d’euros de pertes à cause de la fraude fiscale chaque année pour l’Etat français. A titre de comparaison, afin de se représenter ces chiffres astronomiques, donnons certains budgets clés annuels de l’Etat français en 2020 : 7,5 milliards d’euros pour la Justice, 37,5 milliards d’euros pour la Défense, 73,2 milliards d’euros pour l’Education nationale…
Aucun patriotisme sans impôt : les célébrités françaises, pas si françaises que cela…
Combien sont-elles ? Ces « stars » françaises, brandissant le drapeau français lors des grands évènements sportifs, chantant leur attachement à la France tout en lui mettant un coup de poignard dans le dos, mettant en scène un semblant de patriotisme, donnant de belles leçons de morales au peuple français tout en ne lui montrant aucune reconnaissance dans leurs actes… Ces célébrités françaises qui ne sont justement populaires qu’en France et qui ne rencontreraient sans doute aucun succès à l’extérieur de leur nation. Comment peut-on à ce point répudier la terre qui est à l’origine de sa « réussite » ? Comment peut-on honnêtement connaître la « gloire » grâce à un peuple tout en le désertant par avarice ? Vous l’aurez compris, il s’agit ici d’un virulent plaidoyer contre les célébrités idolâtrées par le peuple français : les grands pourfendeurs de l’impôt, de la solidarité sociale et de la cohésion nationale…
Souvent présentés (à tort) comme la fierté de la France, comme les modèles à suivre vers la réussite, comme les porteurs idéaux du drapeau tricolore à travers le monde, de nombreuses célébrités françaises n’ont de français que leur carte d’identité, quand bien même elles ne cherchent pas à changer de nationalité ! Eh bien non, vous ne rêvez pas, certaines stars françaises cherchent à aller jusqu’au bout de leur logique antipatriotique en demandant de ne plus être Français, dans le but bien entendu de payer moins d’impôts. Ce fut le cas notamment de Johnny Hallyday (encore lui) qui fit la demande de nationalité belge en 2006 : il évoquait une volonté de « retour à une partie de ses racines » alors qu’il est né et vécut son enfance à Paris… La raison se trouvait sans doute autre part puisque par le plus grand des hasards, il n’existait pas d’ISF en Belgique ni de taxation sur les plus-values ; de plus, cette autre nationalité lui aurait permis de s’installer dans le paradis fiscal de Monaco. Du reste, Johnny passa l’ensemble de sa carrière à vouloir déserter la France, tout en y retournant pour faire ses concerts et vendre ses disques. Cela lui permit au moins de bien voyager tout en faisant de belles économies, en choisissant soigneusement ses destinations : la Belgique, les Etats-Unis, la Suisse (et même le Luxembourg pour les dividendes d’une société qui gérait les droits de ses chansons).
Les sportifs français ne sont pas en reste à ce sujet, pourtant présentés comme des modèles à nos enfants. La liste est notamment interminable chez nos tennismen ; Yannick Noah ayant montré l’exemple dans les années 1990, les exilés fiscaux ont fleuri en Suisse : Gilles Simon, Richard Gasquet, Jo-Wilfried Tsonga, Marion Bartoli, Gaël Monfils… Drôle de façon de remercier le pays et les supporteurs français qui les ont soutenus tout au long de leur carrière sportive. Même chose pour de grands acteurs français, trop nombreux pour être cités, s’imaginant peut-être réaliser le « rêve américain » en allant s’installer aux Etats-Unis tels que Dany Boon ou Omar Sy mais qui doivent toujours compter sur les Français pour rentabiliser leurs films et accroître leur richesse.
Ils sont encore beaucoup, les Florent Pagny (bien qu’il l’assume), les Charles Aznavour, les Alain Delon, les Sébastien Loeb, les Gérard Depardieu, les Christian Clavier… Ceux qui sont mis en valeur, glorifiés, présentés comme les porte-étendards de la nation française, ne paraissent éprouver absolument aucun remord à l’idée de tourner le dos à leur pays dès que bon leur semble. Ils placent au sommet de leurs intérêts la sauvegarde de leur fortune, agissent égoïstement, s’effacent et disparaissent dès qu’il s’agit de participer à l’effort national mais reviennent et monopolisent le temps médiatique dès qu’il s’agit de contribuer à leur gloire personnelle.
En conclusion, il est certain qu’il n’existe aucun véritable patriotisme, aucune défense de la nation, aucune participation à la richesse française, dès lors que la fiscalité est boudée et l’impôt évité. S’il faut l’illustrer par ses actes quotidiens, l’amour de son pays passe avant tout par la juste contribution à sa prospérité et à ses ressources financières. L’impôt est absolument essentiel, s’y soustraire est un acte de trahison par excellence, le payer sans rechigner est le meilleur acte de reconnaissance envers une nation à laquelle on doit tant…
Nota Bene : la fiscalité constitue sans doute le meilleur vecteur d’égalité, si chère à notre République française. En effet, les impôts et prestations sociales sont absolument essentiels en ce sens qu’ils permettent de réduire les inégalités de richesse entre les citoyens. Selon le Ministère des Solidarités et de la Santé, dans un rapport datant de 2017 , le taux de pauvreté en France s’établissait à 14,1% de la population et l’intensité de la pauvreté à 20,1% en 2014 ; ces deux indicateurs (déjà trop élevés) s’élèveraient respectivement à 22% et à 37,3% de la population sans les transferts sociaux et fiscaux. Sans cette redistribution, plus d’un Français sur cinq vivrait sous le seuil de pauvreté. Aussi, selon l’Observatoire des inégalités : “Avant impôts et prestations sociales, le revenu moyen des 20 % les plus aisés est de 4 566 euros par mois selon l’Insee (données 2015 pour une personne seule), huit fois le revenu des 20 % les plus modestes (553 euros par mois en moyenne). À l’extrémité de l’échelle, les 10 % les plus aisés (5 939 euros par mois) touchent 21 fois plus que les 10 % les plus modestes (281 euros). Une fois les impôts retirés de ces revenus et les prestations sociales versées, les écarts se réduisent très nettement : le rapport entre les niveaux de vie des 20 % les plus riches et des 20 % les plus modestes tombe à quatre. Entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres, il se réduit de 21 à six. Dans le premier cas, les inégalités de niveau de vie sont divisées par deux. Dans le second, par près de quatre.”. Enfin, pour mieux comprendre la provenance et les effets de la fiscalité française, ce site : est d’utilité publique, d’où viennent les ressources publiques et vers quoi sont-elles dépensées… Tout y est.
L’auteur

Lucas Da Silva
Je n’ai rien à ajouter tellement cet article me semble exhaustif. Je tiens juste à en féliciter l’auteur.
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