Les limites des nouveaux médias en plein essor
L’objectif de cet article est d’approfondir la réflexion introduite par le premier article du même nom, afin d’essayer d’imaginer le devenir du développement de ces nouveaux médias, en plein essor.

Pierre Vitali

Lucas Perriat
La résistance des médias traditionnels face aux médias digitaux
Les données contenues dans le “Baromètre du numérique” (2019) diffusé par le Conseil Général de l’économie, L’Arcep et l’Agence du Numérique font état d’une omniprésence des terminaux numériques dans nos vies : 95% de la population nationale âgée de plus de 12 ans est en possession d’un smartphone et 94% d’entre-eux l’utilisent quotidiennement.
Face à ces chiffres écrasants, les médias traditionnels devraient prendre peur. Cependant, il semble que la méfiance prédomine chez l’utilisateur. La qualité de l’information des nouveaux médias diffusée majoritairement sur les réseaux sociaux est globalement mise en doute par le public. Le “Baromètre du numérique” de 2019 nous apprend en ce sens que les médias traditionnels conservent une crédibilité solide face aux nouveaux venus : Internet et les réseaux sociaux ne bénéficient respectivement que de 25% et de 8% de taux de confiance là où la presse écrite et la radio atteignent des taux de 42% et de 37%.
Ce premier constat montre à quel point les médias digitaux ne sont pas prêts à remplacer les médias traditionnels. Solidement ancrés dans l’espace démocratique et ayant fait preuve de crédibilité et de rigueur, les médias traditionnels ne semblent même pas comparables aux nouveaux médias aux yeux des Français.
Tout n’est pas rose pour autant. Les médias traditionnels ont du souci à se faire face à la vague digitale. Alors qu’en 2015 “L’Express” réduisait drastiquement ses effectifs face à un déficit inquiétant, les médias digitaux “Huffington Post” et “Business Insider” étaient achetés aux sommes respectives de 315 millions de dollars et de 442 millions de dollars.
Alors, si l’invasion digitale n’est sûrement pas aussi agressive que ce que l’on pourrait croire, il est évident qu’elle menace l’information traditionnelle qui s’emploie, elle, à développer des moyens de lutte pour assurer sa pérennité. Les moyens de lutte sont extrêmement variés. Si l’on a pu observer des stratégies de diversification du contenu avec des nouvelles publications à l’image du journal “Les Echos” qui a sorti en 2015 un magazine orienté sur l’art de vivre, certains médias traditionnels sont même allés jusqu’à investir dans les produits dérivés ou initier des levées de fonds.
Mais, vous en conviendrez, la solution la plus évidente et la plus efficiente reste la transition au numérique. Les investissements massifs dans les réseaux sociaux ne se sont pas fait attendre pour contrer les nouveaux médias digitaux. Les médias traditionnels ont su innover pour s’adapter. “Le Monde” a fait son entrée sur Snapchat dès septembre 2016, ce fut aussi le cas du “Figaro” mais également du “Point” et de bien d’autres. Les médias traditionnels vont donc faire de la résistance sur le terrain des nouveaux médias. Cela n’est pourtant pas chose aisée, la présence des grands médias sur les réseaux sociaux n’est pas nécessairement avantageuse : la majorité des revenus publicitaires sont distribués aux plateformes sociales et l’utilisation importante des bloqueurs publicitaires réduit aussi les revenus perçus. Si les médias traditionnels se conforment au format des jeunes médias digitaux, cela peut-être considéré comme une capitulation mais c’est sans compter sur une stratégie essentielle : l’application mobile.
La presse papier ne s’avoue pas vaincue, l’exportation du contenu papier au sein de nouvelles applications mobiles alliant contenu gratuit et payant attire de nouveaux lecteurs tout en permettant une maîtrise totale du contenu publicitaire et des revenus engendrés. Le journal papier fait alors la promotion de l’application qui reprend les mêmes articles tout en ajoutant du contenu interactif : vidéos…etc.
Ces solutions sont un espoir de survie pour les médias traditionnels, gardiens du traitement de l’information face à des médias exclusivement digitaux tournés vers l’instantanéité au mépris de l’analyse et de la pertinence du contenu.
De la disparition de l’analyse, à la polarisation de l’information
Comme évoqué au sein du premier article consacré aux médias digitaux, les réseaux sociaux sont régis par des algorithmes qui dictent la forme et le fond de l’information qui y est diffusée. Ainsi, ces nouveaux médias cherchent à élargir leur public en optimisant leur contenu par rapport aux algorithmes. Le fond laisse donc place à la forme, le temps de lecture est drastiquement réduit car le temps d’attention disponible est extrêmement faible.
Les médias digitaux se contentent de reprendre les informations majeures qu’ils résument en général en une poignée de phrases dénuée de toute analyse ou pire, d’une analyse orpheline de tout argument solide. Une esthétique soignée, des titres accrocheurs couplés à des photos choquantes ou provocantes, voilà les ingrédients de la nouvelle recette de l’information digitale. Si tant est que l’on puisse appeler cela de l’information.
Le développement du nombre de médias digitaux les transforment souvent en médias de niches, centrés sur certaines thématiques ou en médias de groupes, s’adressant à un public cible. Si au départ, il s’agissait de quelques grands médias digitaux généralistes et reconnus de tous comme “Brut”, beaucoup ont compris l’intérêt politique de ces derniers et on voit alors progresser leur nombre, pour essayer d’influencer le débat public.
Cette nécessité du buzz et du clic rend les sujets clivants ou étonnants essentiels pour les médias digitaux qui sont les éléments accrocheurs, nécessaires pour leur développement. S’ajoutant à l’orientation des ces derniers et aux ciblages algorithmiques, l’information sur Internet tend à se polariser. L’internaute vivant alors dans son archipel médiatique, encore plus puissant qu’avec les médias traditionnels. Le choix de l’information étant en lui-même une façon de la traiter, les médias digitaux deviennent des lieux de politisation et d’influence. On n’est alors plus étonné de leur développement croissant, car ils permettent de faire passer des messages sans directement apparaître comme sérieux.
L’Intelligence Artificielle : vers la fin du journalisme ?
John McCarthy (1927-2011), l’un des pionniers de l’Intelligence Artificielle (IA), affirme que « toute activité intellectuelle peut être décrite avec suffisamment de précision pour être simulée par une machine ». C’est à partir des années 1950, que le développement de l’informatique laisse apercevoir l’ambition de créer des « machines à penser », ressemblant à l’esprit humain. L’Intelligence Artificielle vise donc à reproduire au mieux, à l’aide des outils technologiques, des activités mentales, pour la compréhension, la perception, ou la décision. Face à ce phénomène qui bouleverse et va continuer de bouleverser les activités économiques, le journalisme ne sera pas une exception.
On constate déjà le développement de l’IA dans une partie du journalisme. Lorsqu’il s’agit de traiter un grand nombre de données, comme les résultats aux élections locales, l’IA vient aider à la conception d’articles simples, de description des résultats sans analyse. Francesco Marconi, qui a récemment publié Newsmakers, Artificial Intelligence and the Future of Journalism, estime que seulement 8 à 12 % des tâches actuelles des reporters seront assumés par l’IA dans les années à venir. Il y voit alors une opportunité d’un outil qui ne remplace pas le journaliste mais qui vient le recentrer vers le contenu à valeur ajoutée, comme les longs formats, grandes entrevues, analyses, journalisme de données, journalisme d’enquête…
Même s’il est vraisemblable que les grands acteurs du journalisme resteront et ne seront pas remplacés par l’IA, les médias digitaux et leur modèle d’articles simples et ciblés seront eux en revanche bouleversés. Pour rédiger le top 10 des restaurants de tel quartier ou les nouveaux commerces dans telle ville, il est certain que l’IA prendra toute sa place. Pour marketer un article, cibler sa diffusion et récupérer des datas, l’IA prendra évidemment toute sa place. Elle sera alors un outil essentiel des médias digitaux. Plus largement, quel que soit le média, l’IA et ses algorithmes seront utilisés afin de trouver les sujets de reportage pertinents pour les lecteurs, auditeurs, téléspectateurs et internautes ciblés.
Enfin, l’IA pourrait même être le salut du journalisme, dans la lutte contre les fakenews et les deep fakes notamment, pour perfectionner le fact-checking (vérification des faits), ou en venant apporter une grande capacité de traitement de données et donc de perfectionner le travail. Il ne faudra d’ailleurs jamais oublier que derrière tous les algorithmes se cache un humain, avec des biais éventuels et des objectifs certains. La vérification humaine restera mais devra éviter de tomber dans la confiance aveugle.