
Maxime Feyssac
Introduction : quelques éléments de contexte
Avant de rentrer dans le vif du sujet, mieux vaut vous donner quelques infos sur le nucléaire, tant c’est un secteur d’activité qui fait l’objet de confusion, d’incompréhension et de manque d’informations.
Derrière l’aéronautique et l’automobile, le nucléaire est la troisième filière industrielle française : elle fait aujourd’hui vivre 220 000 personnes en France, et près de 3 000 entreprises. D’après la dernière étude des think-tanks Agora Energiewende et Ember, en 2020 le nucléaire était à l’origine de 67 % de la production électrique française. Le parc nucléaire actuel, géré par EDF, compte 56 réacteurs répartis sur 18 sites.
La totalité de l’uranium nécessaire au fonctionnement de ce parc est importée. EDF achète le combustible final auprès d’Orano (ex-Areva), qui exploite de l’uranium naturel en provenance du Niger, du Canada, de l’Australie et du Kazakhstan. En France, les recherches pour trouver de l’uranium sur le territoire national se concentrent dans les massifs Central et Armoricain, ainsi que dans le nord du Bassin d’Aquitaine
La stratégie française : le « en même temps » macronien
En décembre dernier, notre président Emmanuel Macron affirmait que notre avenir énergétique et écologique passait par le nucléaire ; pourtant, 6 mois plus tôt, c’est lui aussi qui décidait de fermer définitivement la centrale de Fessenheim. Peut-être en avez-vous entendu parler, d’une oreille discrète et distante ; mais savez-vous l’impact que cette fermeture a eu sur le mix énergétique français ?
Après plus de 400 jours de fermeture, la centrale aurait pu produire 11,401,500 MWh en émettant 79,810 tonnes de CO₂. « C’est pas grave, me direz-vous, on a qu’à construire plus d’éoliennes et de panneaux solaires ! ». Bonne remarque, cher lecteur ; qu’aurait été le bilan carbone de 11,401,500 MWh produites à l’aide d’énergies « renouvelables » ? Sachez que la même énergie fournie par de l’éolien terrestre aurait émis 125,416 tonnes de CO₂ ; ou pire, 510,097 tonnes de CO₂ avec du solaire photovoltaïque. « Mais, et les éoliennes en haute mer ? » Ok, pourquoi pas : la même énergie fournie par de l’éolien offshore aurait émis 135,234 tonnes de CO₂. Et ne parlons même pas du gaz naturel qui aurait émis 5,570,565 tonnes de CO₂.
De là à parler du tout premier « écocide » pour qualifier la fermeture de cette centrale nucléaire, il n’y a qu’un pas. Alors, que recherche vraiment notre gouvernement en termes d’énergie ? Comme d’habitude, La République En Marche fait du « en même temps » : en voulant faire plaisir à tout le monde, elle ne satisfait personne.
« Loi climat » : un texte à côté de la plaque
Pour ceux qui suivent l’actualité politique de plus près, vous me rétorquerez que l’objectif de la prochaine loi Climat et Résilience, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, est justement de lutter contre le dérèglement climatique. Il est vrai qu’officiellement, le but de cette loi est de « décarboner » l’économie française, en baissant de 40% nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, et en atteignant la neutralité carbone en 2050. Mais voilà le hic : il n’y a littéralement AUCUNE mention d’optimisation de la stratégie nucléaire dans ce texte de loi. Pire : le gouvernement envisage de réduire la consommation d’énergies fossiles de 40 % jusqu’en 2030, tout en diminuant la part du nucléaire dans la production électrique à 50 % d’ici à 2035.
Les partisans d’une écologie décroissante vous diront que c’est normal, que le nucléaire est l’ennemi numéro 1 de l’environnement. Pourtant, sans le nucléaire, toutes les prévisions de la loi climat seront impossibles à tenir. Avec la fermeture de centrales nucléaires comme celle de Fessenheim, la France se voit obligée d’acheter à l’Allemagne de l’électricité produite au charbon. « Le nucléaire est aujourd’hui le meilleur allié du climat » ; vous pensez qu’il n’y a que moi qui le dit ? Raté, c’est le rapport officiel du GIEC.
Mais alors, que font les politiques ? Il y a bien eu quelques initiatives timides. Le groupe Les Républicains du Sénat a par exemple voté en mars une proposition de résolution invitant le gouvernement à inclure dans sa transition écologique une stratégie liée au nucléaire. En gros, une « proposition de résolution » c’est un texte qui n’a pas de valeur contraignante pour le gouvernement, mais qui exprime une préoccupation de la part des sénateurs et qui invite pressement le gouvernement à réfléchir à un problème.
Alors qu’il faudrait investir dans la recherche et dans le nucléaire, terminer le réacteur à eau pressurisée de Flamanville, et réfléchir à des solutions de traitement des déchets nucléaires, on ferme des centrales nucléaires.
Le nucléaire : instrument d’une souveraineté économique et énergétique
Or, réduire la part du nucléaire dans le mix énergétique français revient inévitablement à produire plus de CO². Par exemple, pour satisfaire la demande en énergie cet hiver, la centrale à charbon de Saint-Avold a été mise à contribution plus souvent que les années précédentes ; et comme je le disais plus haut, de l’électricité a aussi été importée d’Allemagne (issue à 40 % d’énergies fossiles).
Dès ses débuts, le but du nucléaire en France était pourtant de ne pas avoir à dépendre d’énergies étrangères. Le développement du nucléaire décolle réellement en France à partir de 1974, au lendemain du 1er choc pétrolier ; la France cherchait en effet une solution pour ne plus dépendre exclusivement des hydrocarbures.
En septembre 2020, le gouvernement nous a présenté son fameux « plan de relance » de compétitivité industrielle à hauteur de 34 milliards d’euros, avec notamment 600 millions d’euros pour financer la relocalisation de l’industrie. Mais sans nucléaire, alimenter cette industrie en électricité va s’avérer très coûteux et polluant. La filière nucléaire est l’outil le plus adapté à une réindustrialisation des territoires, puisqu’elle permet une production massive d’électricité décarbonée, bon marché, favorisant ainsi l’attractivité internationale. En clair : sans nucléaire, l’industrie française ne sera jamais relancée ; sauf si l’on est prêt à brûler de l’argent (et du charbon) pour faire avancer la machine. Pour rappel, ce sont environ 650 sites industriels électro-intensifs qui sont aujourd’hui raccordés directement au réseau de transport d’électricité.
Dans le camp d’en face, on aime pointer du doigt le nucléaire comme une filière coûteuse en investissement ; elle n’en reste pas moins la plus rentable. Avec moins d’un milliard d’euros d’achat d’uranium, on peut économiser environ 25 milliards d’euros par an d’importation de gaz. De plus, le prix de l’uranium reste relativement stable, contrairement à la plupart des autres combustibles. Aujourd’hui, EDF dispose d’un stock d’uranium permettant 2 ans de production d’électricité (sans compter 8 ans de réserve en enrichissant le stock d’uranium appauvri d’Orano). En comparaison, nos réserves d’hydrocarbures représentent seulement 6 mois de la consommation annuelle française.
Pourquoi vouloir culpabiliser la France sur sa production énergétique et son bilan carbone, alors que l’électricité est 8 fois plus carbonée en Allemagne qu’en France (50 gCO2/kWh contre 400 gCO2/kWh). Contrairement aux idées reçues, la France n’est en rien une mauvaise élève du climat. C’est bien sa faible empreinte carbone qui permet d’attirer des investisseurs étrangers, comme par exemple le fabricant chinois de batteries Envision ; l’électricité nucléaire décarbonée française permet de produire une tonne d’aluminium pour 2 tonnes de CO2, contre 15 tonnes de CO2 en Chine.
Qu’il est naïf de plébisciter la diminution des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle nationale, alors que celles issues des importations augmentent constamment. Ainsi, le déclin de l’industrie française a non seulement causé la disparition de 130.000 emplois entre 1995 et 2015, mais elle est également à l’origine d’une augmentation de 50% de l’empreinte carbone française par les importations.
Le nucléaire est une énergie qui fonctionne en continu, et qui est « pilotable », contrairement à l’énergie solaire ou éolienne qui nécessite vent et soleil pour fonctionner. Cet hiver, alors que le soleil ne brillait pas et que les éoliennes étaient à l’arrêt, la consommation d’énergie a augmenté, et c’est en partie pour cela qu’il a fallu acheter de l’énergie à notre cher voisin européen.
Bien sûr, le nucléaire n’est pas une énergie sans défauts : le risque d’accidents (même si extrêmement faible) constitue un facteur important à prendre en compte, et la question du traitement des déchets pose encore quelques problèmes (mais là encore, la dangerosité et l’impact des déchets nucléaires sur l’environnement sont largement exagérés ; ce sujet nécessite d’ailleurs un article à lui seul, qui fera suite à celui-ci.) Mais c’est là qu’intervient l’investissement dans la recherche et le développement. La Chine, décidément en avance sur bien des terrains, a investi massivement dans la recherche sur l’énergie nucléaire issue du Thorium, tout comme la Fondation de Bill Gates, ce qui permettrait d’augmenter la rentabilité de l’énergie tout en baissant la production de déchets nucléaires. Pendant ce temps là, la France repousse au-delà de 2050 son projet de réacteur 4ème génération ASTRID.
Par ailleurs, il ne s’agit pas non plus d’opposer bêtement énergies renouvelables et énergie nucléaire. La recherche doit se faire dans ces deux champs, afin d’arriver à une production d’énergie renouvelable plus stable et plus rentable. Mais il ne faut pas désinvestir dans le nucléaire.
Une étude de cas : les JO 2024 à Paris
Un bon exemple de dilemme environnemental et énergétique est celui des prochains Jeux Olympiques qui auront lieu à Paris en 2024. Selon le journal Les Échos du 19 novembre 2019, EDF s’engagerait à respecter un objectif « zéro carbone » émis et à « fournir 100 % » de ses sites en électricité renouvelable afin que les Jeux Olympiques Paris 2024 soient « les plus responsables de l’histoire ». Mais il y a une différence claire entre « électricité renouvelable » et « électricité zéro carbone » (qui inclut, elle, le nucléaire). Ainsi, ce n’est pas car des énergies renouvelables fourniront les JO que ces énergies ne produiront pas de CO².
Concrètement, comment ça fonctionne ? La production d’électricité issue d’énergies renouvelables (EnR) est par nature intermittente, et n’est toujours pas stockable à grande échelle pour un coût acceptable par la collectivité (par exemple, le 20 octobre 2016, les éoliennes irlandaises ont absorbé de l’électricité du réseau en consommant davantage pour leur fonctionnement que pour leur production totale). Pour contourner cette difficulté et pouvoir prétendre être alimenté en permanence par des EnR, il suffit d’acheter des « garanties d’origine » (GO), une sorte de « certificat vert ». Ces GO, destinées à tracer l’origine de l’électricité produite, sont commercialisables par n’importe quel fournisseur d’électricité, indépendamment de l’électricité physique réellement produite. La conséquence : les GO peuvent conférer l’appellation « énergie renouvelable » à n’importe quelle source de production. Elles peuvent être achetées à l’étranger et sont transférables d’un compte à l’autre. N’importe qui peut donc vendre de « l’énergie verte » en achetant des garanties d’origine (GO) qui « verdissent » toutes les productions ; c’est notamment le cas d’ENGIE, Total, mais aussi EDF. Sans tomber dans le complot, il est intéressant de relever que le meilleur outil de décarbonation de notre économie qu’est l’énergie nucléaire se trouve être le concurrent direct du gaz de Total. Une piste de solution pourrait être de remplacer le terme « énergie renouvelable » par « énergie propre » comme l’ont déjà fait les États-Unis, la Russie, l’Inde ou encore la Chine.
Une réflexion sur “Chroniques atomiques- Partie 1 : Pourquoi le nucléaire est le meilleur allié du climat”