Le militantisme dans la recherche

Science, militantisme, ou les deux ?

Chers lecteurs, nous devons examiner une tendance actuelle. Nous allons évoquer le militantisme dans la recherche en sciences humaines. Pourquoi ce sujet si précis ? Parce que la science donne le ton de la société, parce qu’elle l’infiltre, parce qu’elle forme les pensées de nos enfants, a forgé les nôtres. Elle doit donc permettre aux enfants de construire leur personnalité et non l’inverse. Je veux dire que l’école doit former les cerveaux et donner des bornes à ne pas dépasser à nos enfants. Sauf qu’en réalité l’institution scolaire est construite ou déconstruite par la science. Si elle inculque sa déconstruction à nos enfants, ils ne seront plus construits eux-mêmes, seront perdus car l’horizon des possibles leur sera infini, sans borne, sans limite (ce qui est incompatible avec la vie en société). La science est donc la base d’une société. Pour qu’elle fonctionne convenablement, il faut que la recherche scientifique soit. Nous allons voir qu’en réalité… ce n’est malheureusement pas toujours le cas.

Une recherche militante

La sociologie intersectionnelle. Ou devrait-on dire la recherche en sciences humaines intersectionnelle tant ce courant est répandu. Cela n’a peut-être pas de signification particulière pour certains d’entre vous. Il s’agit d’un courant de recherche qui devient petit à petit hégémonique. Il affirme que toutes les parties minoritaires de la société sont dominées, en pointant du doigt particulièrement « l’homme blanc hétérosexuel cisgenre » dans une novlangue habituelle, parlant je l’imagine à tout un chacun bien entendu. Néanmoins, nous devons préciser que cela veut dire l’homme blanc (critère racial inscrit donc) hétérosexuel (stigmatisation de l’orientation sexuelle) et se définissant comme homme. Que ce soit en histoire, en géographie, en économie, en sociologie, en psychologie etc… le mal de l’histoire, des temps modernes, de l’espace social, des constructions psychologiques viendrait donc de l’homme blanc. Cette sociologie se veut « déconstructrice » des valeurs portées par les sociétés en définissant le patriarcat, le racisme systémique, le privilège blanc également. Malheureusement, ce courant brandit le bouclier « je suis la science, il ne faut donc pas me remettre en question ». Pourtant tout scientifique qui se respecte vous répondra « il n’y a pas de vérité absolue ». J’entendais un professeur d’histoire qui expliquait durant ses cours de travaux dirigés qu’il n’y avait pas de « vérité historique »… le problème est que ces mêmes scientifiques relativistes n’appliquent pas leur doxa à leur propre recherche. Notre angle d’attaque se trouve exactement ici. En effet, la science doit être remise en question pour avancer vers l’infini et au-delà. Tout le problème des sciences humaines actuelles réside ici. Elle refuse d’être remise en question. Tout devient agression lorsque la contradiction arrive. 

Regardons ce qu’explique Eugénie Bastié dans un ouvrage particulièrement important d’après moi, s’intitulant La guerre des idées. Cela va dans notre sens. « Cette hégémonie sans partage est propice au sectarisme. L’incroyable arrogance du professeur au Collège de France (parlant de Pierre Nora ici, professeur d’Histoire au collège de France, la crème de la recherche française) se retrouve chez ses héritiers, toujours prompts à mépriser leurs adversaires à qui ils dénient toute scientificité. Car là est bien toute l’habileté des tenants de la pensée critique : tout en étant ouvertement militants (reprenant le mot d’ordre de Bourdieu « la sociologie est un sport de combat »), ils s’arrogent le monopole de la science, tout en soumettant leur discipline à un objectif idéologique, ils dénient toute légitimité à une autre vision du monde que la leur. ». Ici, elle parlait du fait que les chercheurs en sciences humaines faisant partie de ce courant hégémonique sont méprisants envers ceux qui pensent différemment. Ceci est une constante dans le milieu universitaire. 

Parlons d’une scène du vécu pure et simple. Une autre professeur d’histoire de la Sorbonne nous avait expliqué durant les heures de travaux dirigés que le journalisme était à prendre avec des pincettes pour la simple raison qu’il ne s’agit pas de travaux scientifiques. Il faut avant tout expliquer que dans le cadre d’un travail de recherche au sein d’une université, le travail journalistique n’est pas le mieux placé pour servir de référence bibliographique. Néanmoins cette doctorante ne parlait pas de cela dans une optique scientifique, elle critiquait et effaçait la légitimité du journalisme. Pourtant, cela nécessite un important travail soit de terrain, soit de documentation ou les deux en même temps. Le snobisme de l’intelligentsia scientifique est donc palpable et ne date pas d’aujourd’hui, certes. Mais lorsque cette dernière fait de la science une entreprise militante, cela devient problématique pour la société.

Comme nous le verrons après, les recherches en sciences humaines sont actuellement des mines militantes plus que scientifiques. Le problème est qu’en décrédibilisant les journalistes, ils affirment qu’il ne faut considérer que le propos des chercheurs, ce qui s’avère problématique lorsque ces derniers militent et politisent les recherches (sans parler de la tendance totalitaire clairement exprimée ici). En effet, en invitant à éviter le propos des journalistes, les chercheurs mettent en place une forme de dictature de l’idée. Il faut craindre qu’à terme cette hermétisation de la parole scientifique puisse la mener tout simplement à sa propre perte, puisque sans critique la science n’est plus…

Un manque de remise en question du fait de la mise en place d’une idéologie

Pour revenir aux propos de Madame Bastié, elle avance également ceci : « Pour les intellectuels de la pensée critique, je suis un “essayiste”, dit Marcel Gauchet d’un air rieur, ils croient ainsi me délégitimer. Tout ça vient de Bourdieu qui a créé le vocabulaire de cet univers académique totalement refermé sur lui-même. Bourdieu a été le personnage le plus toxique de la vie intellectuelle en France depuis 1945. Lui-même n’était qu’un militant qui mettait la science au service de ses passions. Il a donné un alibi au repli de l’université sur elle-même dans son ultra spécialisation. ». Je trouve que ceci est la base du problème de la recherche en sciences humaines en France : on met la science au service d’une idéologie. Elle devient biaisée par des tenants extérieurs à la scientificité. Elle est donc fausse puisqu’elle est touchée par des aversions sentimentales. 

Nathalie Heinich, sociologue largement remise en question aujourd’hui par la plupart de ses pairs, vous comprendrez pourquoi, a parfaitement décrit ce phénomène dans son essai Ce que le militantisme fait à la recherche. La philosophe décrit le monde universitaire devenant de plus en plus militant dans ce court ouvrage. Le souci est que ce dernier est censé rester ouvert, car la science ne doit pas servir le militantisme mais doit aider à élargir la connaissance. Lorsqu’on entre dans le militantisme, il ne s’agit pas de la vérité qui est défendue. Si elle devient militante, la science humaine ne construit donc plus de connaissances mais met sur pied des armes politiques, menant donc à la mort de la science. 

Des revues scientifiques comme Philo magazine tirent la sonnette d’alarme sur ce phénomène. Olivier Beaud a accepté une interview dans un numéro de ce titre de presse en novembre 2021. Il y parle de son récent ouvrage dans lequel il développe le concept de liberté académique. Le juriste informe ici d’un premier biais qui consiste en la mainmise de l’administration universitaire sur ses chercheurs. Elle contrôle toutes leurs interventions médiatiques, les interdit si elles « mettent à mal l’image de l’université » par exemple. Dans un autre article, Philosophie Magazine examine l’épineuse question de « l’islamo-gauchisme » que Frédérique Vidal avait remise au goût du jour début 2021. En examinant les cinq piliers de la recherche scientifique, la parution pose un constat que nous devrions faire. La recherche, comme nous l’avons expliqué, doit poser une cloison entre elle-même et le militantisme. Sauf qu’un grand nombre de chercheurs ont pris des positions politiques et cela depuis un grand nombre d’années. Citons Pierre Bourdieu, Michel Foucault, Judith Butler et j’en passe. 

Bien entendu, les chercheurs restent des humains ayant des convictions. S’ils respectent la démarche scientifique et la critique de leurs confrères et consœurs, alors leur militantisme ne pose a priori pas de problème. En revanche, récemment, une tribune publiée dans le Figaro magazine par un collège de scientifiques explique que même cette barrière n’est plus respectée. Du moins, pour eux, une critique dans la recherche d’un pair qui serait du courant majoritaire pourrait s’apparenter à un suicide professionnel. Enfin, ce qui paraît plus problématique pour notre futur concerne les étudiants en master de recherche que ce même article n’épargne pas. En effet, pour Olivier Beaud, le même professeur de Sciences Po Paris interviewé dans cet article, le plus inquiétant résiderait dans le futur. Il déplore qu’il a de plus en plus de mal à faire remarquer la différence entre recherche et militantisme à ses étudiants. Il écrit cela : « Et quand un malheureux prof demande à un étudiant de s’en tenir à l’objectivité scientifique et à la neutralité idéologique dans son travail de fin d’année, n’est-ce pas parce que l’enseignant est un allié de la bourgeoisie dominante et qu’il veut fermer la voie à toute pensée contestataire ? ». Les élèves dénoncent ce que le professeur met lui-même en avant dans ses propres recherches à la seule différence que ce dernier enseigne une « bonne » manière de chercher. Il n’essaie pas de les dominer socialement. Ces futurs chercheurs nous annoncent donc une vérité certaine dans les prochaines années. De plus, l’actualité donne raison à ces constats…

Un milieu décrié par une partie du corps professoral

Tout ceci fait directement écho à l’actualité, quelques semaines après la suspension de Klaus Kinzler de sa fonction de professeur d’allemand à l’IEP de Grenoble. Rappelons rapidement l’affaire. En mars 2021, il avait refusé que dans le nom d’une journée organisée par l’IEP « l’islamophobie » soit inscrite aux côtés des termes « racisme » et « antisémitisme », puisqu’à raison l’islamophobie est une discrimination envers une religion, pas contre des « races » comme le titre l’avançait. A la suite de cela, son nom ainsi que celui d’un de ses collègues avaient été placardés sur les murs de l’école et cela par des étudiants dont nous venons d’expliquer le profil. Quelques mois après l’attentat islamiste contre Samuel Paty, ces placardages étaient mal venus… Il faut savoir également que peu de professeurs de l’école ont soutenu leur collègue. Ils ont préféré dire que M. Kinzler avait tenu des propos « limites », légitimant donc les actes immondes des étudiants. Le principal intéressé explique finalement que ceci est peu déroutant car pour lui la recherche a perdu de son aspect scientifique. Lui, le chercheur de gauche relevant d’un profil type que l’on reconnaît aujourd’hui dans nos universités, accepte d’expliquer que son métier n’a pas la valeur qui lui est attribuée. Le simple fait que ses acolytes habituels ne l’aient pas soutenu donne raison à cet enseignant.

Pour finir sur ce thème épineux, il faut avouer qu’elle ressort des vérités sur notre société. Ce qui est plus problématique, c’est son aspect hégémonique et le fait que ce courant porte des idéologies. Elle tend vers une science militante qui ne met en avant que ce qui l’arrange. Cependant, rien ne sert de dramatiser. Ce phénomène ne concerne absolument pas tous les scientifiques mais plutôt un mouvement. Toutes les disciplines universitaires ne sont pas touchées par le militantisme et il ne faut pas perdre la confiance que nous accordons habituellement à la science. Nonobstant, mettre en lumière ces phénomènes peut permettre d’avancer, tandis que tout passer sous silence ne sert personne.

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