Election présidentielle 2022 : J-6 mois

Etat des lieux des forces en vigueur

Moment crucial dans la vie politique de la Vème République, l’élection présidentielle est toujours celle qui déchaîne les passions. C’est le moment des calculs politiques pour savoir quand se lancer, qui représentera le parti, sur quels thèmes axer la campagne et comment se donner une bonne image aux yeux des Français. Six mois avant le soir décisif, quand tout le monde aura les yeux rivés sur le 20H pour savoir qui sera celui ou celle qui tiendra les rênes du pays pendant 5 ans, la campagne est déjà pleinement lancée…

Domitille Viel

Emilien Pouchin

En cette fin de mois d’octobre, de très nombreuses candidatures ont été annoncées et certaines autres sont encore attendues. Ici, nous allons vous faire un bref état des lieux de la structuration de l’espace politique en vue de l’élection présidentielle de 2022. Pardonnez-nous, il ne sera pas possible d’aborder exhaustivement toutes les personnes qui se sont déclarées candidates car elles sont bien trop nombreuses et certaines d’entre elles, si elles arrivent à passer le seuil des 500 parrainages de grands électeurs, ne feront sans doute pas un score si élevé qu’il pourrait avoir un impact décisif sur le vote. Ainsi, les cas du syndicaliste Anasse Kazib, du député Joachim Son-Forget, de la représentante du parti animaliste Hélène Thouy, des Gilets Jaunes Eric Drouet ou Jacline Mouraud ou de tant d’autres ne seront pas traités. Skopeo suivra de près cette campagne et vous fera savoir si, poussés pas une dynamique inattendue, ils en venaient à figurer parmi les forces politiques non négligeables. Une fois ceci évacué, qu’en est-il de la composition de l’espace politique, à seulement quelques mois de l’élection-mère de la Vème ?

Une gauche en lambeaux

En 2017, la gauche n’avait pas été présente au second tour et le PS avait réalisé un score ridiculement faible, culminant à 6% des suffrages. Elle avait alors un quinquennat pour se remettre de cette débâcle historique, surmonter ses divisions et se reconstruire afin de faire bonne figure en 2022. Quel est le bilan ? Elle semble encore davantage divisée qu’auparavant.

Pour le moment, Nathalie Arthaud (LO) et Philippe Poutou (NPA) ont été reconduits pour représenter leur parti. Le PCF, qui faisait alliance avec Mélenchon et n’avait plus présenté de candidat depuis 2007, a quant à lui désigné Fabien Roussel en tant que candidat. Celui-ci présente une ligne plutôt novatrice puisqu’il aborde un certain nombre de sujets qu’il juge délaissés ou mal défendus par la gauche : la sécurité, la laïcité, le souverainisme, le nucléaire, etc. Il refuse d’ores et déjà une alliance avec Mélenchon, estimant que les communistes ont par le passé été floués. Ces trois candidats devraient se présenter séparément et sont pour le moment crédités entre 0,5 et 1%.

Quel est le bilan ? Elle semble encore davantage divisée qu’auparavant.

Jean-Luc Mélenchon ne voit pas d’un bon œil ce changement de stratégie de son ancien allié communiste. Fort de son investiture populaire, il se déclare être le candidat de la question écologique et sociale. En réalité, son programme est, dans les grandes lignes, assez similaire à celui de 2017 : VIè République, planification écologique, partage des richesses, sortie de l’OTAN, etc. Il avait à ce moment-là réalisé un score historique de 19,5%. Si les sondages le situent aujourd’hui aux alentours de 10%, il pourrait à nouveau créer une dynamique de campagne favorable et siphonner quelques voix à ses concurrents. Il est peu probable qu’il réunisse autant qu’en 2017, mais il est vraisemblable qu’il soit le premier candidat de la gauche en termes de suffrages.

Le PS a décidé de présenter sa candidate sans en passer par une primaire. Si Anne Hidalgo arrive à maintenir le PS autour des 6-8%, elle aura au moins sauvé les meubles mais ce but paraît pourtant difficile à atteindre. Cette ancienne force majeure de la gauche semble aujourd’hui vouée à faire de la figuration. Le premier défi à relever pour Hidalgo est de sortir de son image de parisienne-bobo. C’est pourquoi elle a décidé d’axer sa campagne sur la décentralisation, les élus locaux et une politique au plus proche des citoyens. Aujourd’hui, son score est estimé autour de 4-5%. Elle se retrouve d’ailleurs confrontée à un ancien du PS, en la personne d’Arnaud Montebourg. Celui-ci a déjà écarté toute possibilité de rapprochement avec Anne Hidalgo. Candidat pour la troisième fois, il entend présenter un programme transpartisan et place sa campagne sous le signe de la « Remontada », dans tous les domaines (industriel, scolaire, territorial, écologique, salarial, etc.). Ce projet ne semble pas, pour le moment, avoir largement séduit, puisque les sondages le situent à environ 3%.

c’est bien cette guerre des égos qui risque, comme en 2002, d’annihiler toute chance de la gauche d’accéder ne serait-ce qu’au second tour de l’élection présidentielle.  

Pour terminer, le candidat du parti écologiste a été désigné le 28 septembre dernier. Au terme d’une primaire, c’est le candidat Yannick Jadot qui s’est imposé de peu (51%) face à Sandrine Rousseau. Cette dernière, se revendiquant de l’écologie radicale et de l’écoféminisme, aura réussi à créer la surprise mais n’aura pas su s’imposer face au candidat prônant l’écologie de gouvernement. Oscillant entre 8 et 9% dans les sondages, Jadot espère confirmer la dynamique favorable aux Verts depuis les élections européennes de 2019. Il est très clair qu’une gauche si divisée n’arrivera pas à gagner. Pourtant, en ce début de campagne, les candidats, ayant été légitimés d’une manière ou d’une autre (primaire, investiture du parti, investiture populaire), refusent toute possibilité d’alliance. Chacun espère créer une dynamique dans les sondages pour forcer les autres candidats à le soutenir. Mais au final, c’est bien cette guerre des égos qui risque, comme en 2002, d’annihiler toute chance de la gauche d’accéder ne serait-ce qu’au second tour de l’élection présidentielle.  

50 nuances de droite

Malgré sa campagne de 2017 basée sur le « en même temps » et le dépassement du clivage gauche-droite, Emmanuel Macron a manifestement perdu, du fait de sa politique, une très large partie de son électorat de gauche. Peut-être essayera-t-il à nouveau de jouer la carte « ni de gauche, ni de droite » pour 2022, mais nous choisissons, pour cet article, de le classer à droite. Pour le moment, l’actuel Président ne s’est pas officiellement déclaré candidat. Il est toutefois très probable qu’il le soit puisque, mis à part son prédécesseur, tous les Présidents de la Vè se sont présentés pour leur propre succession. Par ailleurs, malgré un quinquennat rythmé par les grèves, les manifestations, les polémiques et marqué par la crise sanitaire, il garde un socle de soutiens assez conséquent (entre 23 et 25% d’intentions de vote). Même si ses soutiens dans le monde politique ne sont plus très nombreux, son ancien Premier Ministre Edouard Philippe, qui vient de créer son parti « Horizons », a affirmé soutenir le Président pour sa réélection. En tous cas, Emmanuel Macron profite déjà de son pouvoir pour lancer indirectement sa campagne. Il devient, comme ses prédécesseurs, un « Président-candidat » qui multiplie les annonces et les déplacements (agriculteurs, policiers, harkis, étudiants, etc.) pour affirmer et séduire son électorat. Pour lui, tout l’enjeu est d’accéder au second tour puisque sa position “centriste” devrait le faire gagner contre Zemmour ou Le Pen, qui sont, pour le moment, ses deux principaux opposants. 

A droite, le problème est le même depuis le printemps : beaucoup d’intéressés, aucun candidat naturel. Après des mois de flottement, de rumeurs, de paris hésitants et de vagues lignes exprimées, l’été est d’une grande productivité : les candidatures tombent. 

A droite, le problème est le même depuis le printemps : beaucoup d’intéressés, aucun candidat naturel.

Alors que Xavier Bertrand avait fait une queue de poisson au parti en annonçant sa candidature à la présidentielle en mars, les autres candidats se sont montrés plus prudents. Fin juillet, une réunion des candidats potentiels de la droite a acté la volonté d’une candidature unique. Elle a réuni Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez, forts de leur récente réélection à la tête de leurs régions respectives, mais aussi Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, Michel Barnier, négociateur du Brexit, et Philippe Juvin, dont l’expérience de terrain à l’hôpital a fait la notoriété pendant la crise du Covid.

Valérie Pécresse, alors même qu’elle ne fait plus partie des Républicains, devance les autres compétiteurs en se portant candidate à une potentielle primaire LR fin juillet. Philippe Juvin la suit de quelques jours. Michel Barnier, qui a fait plus tard son arrivée dans les sondages, s’engage en août. Suivent ensuite Eric Ciotti à la droite de la droite, puis une surprise finale : l’entrepreneur Denis Payre, à la fin de l’été. 

Au même moment, les cartes sont rebattues : deux figures dont beaucoup faisaient leurs favoris se retirent le même jour : Bruneau Retailleau et Laurent Wauquiez. Les deux personnalités annoncent qu’elles ne seront pas candidates pour éviter une fragmentation excessive au sein de leur famille politique. 

A la rentrée, nous avons donc 5 candidats républicains, mais nous ne savons pas à quoi. Un congrès ? Une primaire ? Un autre mode de désignation? Pendant ce temps-là, Xavier Bertrand fait cavalier seul en s’affichant partout en France sur les réseaux sociaux, se montrant déterminé et proche des Français… sans convaincre grand monde.

Le 25 septembre, enfin une décision claire : les adhérents LR ont tranché lors d’un vote. Ce seront eux qui désigneront leur candidat lors d’un congrès fermé du 1er au 4 décembre 2021. Pour voter, il faudra donc détenir une précieuse carte d’adhérent. Une décision peu surprenante après les rancoeurs internes dues à la victoire de François Fillon lors de la primaire ouverte en 2017.

Alors que les candidats et adhérents républicains s’organisent pour éviter les divisions, Xavier Bertrand est forcé d’observer que le peu d’enthousiasme qu’il suscite ne lui permettra pas de gagner sans le parti qu’il a quitté depuis plusieurs années. Il ravale sa fierté et ses ambitions de candidat naturel et rejoint finalement sa famille politique en annonçant, 6 semaines après les autres, sa candidature au congrès.

Une famille politique, trois partis, et 50 nuances de droite : voilà ce que les compétiteurs ont à offrir aux Républicains qui défendent le parti qu’on croyait mort.

Une proposition qui, selon les sondages successifs, ne semble pas convaincre les Français, qui sont rarement plus de 10% à exprimer une intention de vote pour un candidat au congrès : seul Xavier Bertrand a côtoyé les 13-14%. Cependant, avec une image de traître à la patrie chez nombre d’adhérents LR, rien ne lui garantit d’être élu lors du congrès.

Pourtant, les Français n’ont jamais autant été à droite. Les candidats LR représentent donc les idées majoritaires en France, et rencontrent les citoyens sur de nombreuses questions. Le mal des Républicains est donc un problème d’incarnation et de fragmentation davantage qu’un problème d’idées. Pour preuve, les adhésions au parti se multiplient cette année et les Jeunes Républicains ont fait du bruit dans les médias lors de leur rentrée au Parc Floral. Le parti n’a donc plus qu’à entraîner une Remontada digne des espoirs de Montebourg pour convaincre les Français de prendre leur carte et de voter pour leur candidat favori.

Eric Zemmour est donc le (potentiel) candidat qui marque un renouveau, sort du cadre des partis, et n’a jamais exercé de mandat politique

S’il y a une figure de droite qui cavale sans parti ni congrès, c’est bien Eric Zemmour. Véritable cavalier seul, il se place même en seconde position derrière Emmanuel Macron selon les derniers sondages (17-18%). Le célèbre polémiste peine à cacher ses ambitions de candidat lors de ses nombreuses apparitions partout en France, pour présenter son dernier livre. Alors que les séances de dédicace prennent des allures de meetings politiques, l’auteur déclare encore dans les médias “prendre le temps de la réflexion” avant de décider de sa candidature ou non. Il a tout de même lâché le 26 septembre dernier “Si je n’y allais pas, je décevrais beaucoup de gens​”, ce qui laisse peu de place au doute sur ses intentions. Il est effectivement difficile de croire qu’il n’est pour rien dans les mobilisations organisées, le mouvement des jeunes Zemmouristes “génération Z”, et les passages média incessants malgré les mesures du CSA. Eric Zemmour est donc le (potentiel) candidat qui marque un renouveau, sort du cadre des partis, et n’a jamais exercé de mandat politique. L’idéal pour séduire dans un climat de grave crise de la démocratie. Ses militants sont déjà sur les starting-blocks et recherchent des signatures pour leur candidat espéré, certains élus ayant déjà promis de lui donner la leur. Il pourrait donc atteindre les 500 sans trop de difficulté avant la date limite du 30 janvier.

Il reste une candidate que tous ont pour objectif de battre : “faire barrage au RN” semble devenir l’obsession des candidats traditionnels. Présidente du Rassemblement National, Marine Le Pen se présente pour la troisième fois après le succès historique du FN en 2017 : l’accession au second tour. Le parti étant pourtant l’incarnation de l’extrême droite depuis les années 80, elle se fait doubler par la droite par Eric Zemmour à vive allure, qui a gagné 5 points dans les sondages en quelques mois, alors que Marine Le Pen stagne entre 15 et 17%. Il faut dire que son entreprise de dédiabolisation du RN depuis sa présidence du parti en 2008 ne joue plus en sa faveur : les polémistes d’extrême droite ont cassé la langue de bois dans les médias. Il est aujourd’hui possible de prononcer les mots maudits du “grand remplacement” et des “quartiers islamisés”, ce qui n’a pas toujours été le cas lors des dernières campagnes de Marine Le Pen. Elle qui adoptait une stratégie visant à faire moins peur pour crever le plafond de verre du RN, se retrouve presque trop conciliante dans le jeu politique actuel. Traitée de “molle” par Gérald Darmanin et dépossédée de ses sujets favoris par Zemmour, elle pourrait se retrouver délaissée par une partie de son électorat qui trouvait en elle une candidate hors-système. Une situation qui pourrait devenir un point de rupture pour le Rassemblement National. Alors que certains militants souhaitent voir quelqu’un d’autre à sa tête, Marine Le Pen saura-t-elle les reconquérir pendant la campagne ? 

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Zemmour contre Mélenchon : un duel d’idéologues

Le danger premier de la France se situe-t-il dans la guerre civile ou dans le changement climatique ?

Le jeudi 23 septembre dernier, l’une des principales chaînes d’information en continu a diffusé un débat entre deux personnalités aussi clivantes que bruyantes : Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon. L’un ne cesse de gagner en popularité dans les sondages pour la présidentielle de 2022, alors même qu’il n’a pas officialisé sa candidature, l’autre ne peut s’empêcher de répéter qu’il est candidat à la présidence de la République, en bon cavalier seul. Il y aurait de nombreux éléments à relever de ce débat animé entre des hommes si opposés, mais un point profond de désaccord ressort particulièrement de ce dialogue : celui du premier danger qui menace la France.

Lucas Da Silva

Dans les dernières minutes de ce long débat, Eric Zemmour résume parfaitement la profonde différence qui le sépare de Jean-Luc Mélenchon, toujours avec sa tranchante touche de sarcasme : « En vérité, nous avons un désaccord de fond sur ce qu’est le danger. Lui, il veut sauver la planète. Moi, je suis beaucoup plus modeste que lui, je veux uniquement sauver la France, et c’est déjà beaucoup. ».

Ce à quoi le chef de la France insoumise s’accorde : « Il a résumé notre différend. Moi, mon but, mon orientation philosophique, tout le monde la connaît, je suis un républicain issu des Lumières et mon objectif – conformément à cette vision du monde – est l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature. »

Tentons maintenant d’y voir plus clair, de chercher à comprendre si ces deux dangers à tendance apocalyptique agités par les deux hommes reposent sur le réel, et d’estimer la part de scientificité de ces deux théories reprises à des fins politiques.

La menace de la guerre civile en France : rêve ou réalité ?

Comme on l’entend, particulièrement chez la gauche – à commencer par Mélenchon qui a désigné Zemmour lors du débat comme « un danger pour notre pays » – ce serait l’extrême-droite qui attiserait la haine contre la population d’origine étrangère et/ou de confession musulmane, et qui provoquerait donc le risque de guerre civile en France. On peut citer de la même façon Arnaud Montebourg qui, très récemment, affirmait que le discours de Zemmour envers les musulmans était « facteur de guerre civile », tout en faisant le parallèle historique (et douteux) avec les juifs à qui on faisait porter l’étoile jaune. Enfin, on peut relever cette tribune de Frédéric Salat-Baroux, ancien secrétaire général de la présidence de la République, dans les colonnes du Monde, qui dépeint Zemmour comme un simple raciste et qui fait une nouvelle fois le rapprochement entre le musulman et le juif d’autrefois, tout en expliquant que ce serait le polémiste d’extrême-droite qui « crée(rait) » le risque de guerre civile.

On en revient donc à l’éternel paradoxe de l’œuf et de la poule ; qui est apparu en premier : le risque de guerre civile en France, sur lequel Zemmour ne serait qu’un lanceur d’alerte ? Ou bien le discours empli d’idéologie de Zemmour, qui créerait les conditions d’une guerre civile dans notre pays ?

Qui est apparu en premier : le risque de guerre civile en France, sur lequel Zemmour ne serait qu’un lanceur d’alerte ? Ou bien le discours empli d’idéologie de Zemmour, qui créerait les conditions d’une guerre civile dans notre pays ?

Commençons donc par examiner l’idéologie, le discours et la véritable obsession d’Eric Zemmour. Pour l’essayiste français, notre nation française serait en grave danger – voire en voie de disparition – à cause de l’immigration arabo-musulmane qui provient d’une civilisation « hostile » à la civilisation chrétienne (dont la France est issue selon lui). 

Aussi, il convient de comprendre pourquoi Zemmour estime que l’islam représente un si grand danger pour la cohésion de notre pays. Au cours du débat, quand Mélenchon soutient que la religion relève de la sphère privée, le polémiste lui rétorque que cette vision est en accord avec les valeurs de la République française mais que c’est exactement la logique inverse qui présiderait au sein de la religion musulmane. Selon lui, « l’islam est une religion politique par essence », c’est « une religion qui est un Code civil » qui entrerait en concurrence avec celui de la France, elle ne s’occuperait pas uniquement de l’intériorité des fidèles mais aussi des normes sociales et politiques du pays. Zemmour résume sa pensée en ces termes : « l’islam est tout à fait aux antipodes de la France ».

Enfin, quand Mélenchon l’accuse de pousser à la guerre civile, Zemmour se défend en prenant comme preuves de son discours les assassinats islamistes du professeur Samuel Paty ou d’une fonctionnaire de police qui ont eu lieu récemment en France. Il explique ainsi que ces faits montrent la menace de la guerre civile qui prendrait forme progressivement, et qu’il faudrait donc adopter des mesures drastiques pour l’éviter.

Alors, qu’en est-il réellement ? De quelle façon le réel s’accorde-t-il avec l’idéologie d’Eric Zemmour ? D’abord, même si certains sont bien plus prompts à dénoncer les discours « d’extrême-droite » que les faits qui ont lieu dans notre pays, il convient de rappeler que ce risque de guerre civile n’est pas uniquement brandi par des personnalités qui souhaiteraient « attiser la haine ». Souvenons-nous ici des terribles paroles de Gérard Collomb (longtemps cadre du Parti socialiste), au moment où il s’est retiré de ses fonctions de ministre de l’Intérieur : « Aujourd’hui, on vit côte à côte, et je crains que demain on vive face à face. ». Quelques jours plus tard, l’ancien premier flic de France dévoilait à nouveau ses inquiétudes sur l’état de la France chez Valeurs Actuelles, insistant sur le fait que « les gens ne veulent pas vivre ensemble », pointant du doigt l’ « énorme » part de responsabilité de l’immigration et se montrant plus pessimiste que jamais : « C’est difficile à estimer, mais je dirais que, d’ici à cinq ans, la situation pourrait devenir irréversible. Oui, on a cinq, six ans, pour éviter le pire. ». Même l’ancien président de la République socialiste, François Hollande, tenait des propos similaires sur les risques de sécession de certains territoires dans Un président ne devrait pas dire ça (2016) : « Comment peut-on éviter la partition ? Car c’est quand même ça qui est en train de se produire : la partition. »

L’ensemble de notre classe politique et médiatique aurait tort de stigmatiser ces discours d’alerte en les catégorisant simplement de propos de haine et d’extrême-droite.

Nous le voyons bien, ni Zemmour, ni l’extrême-droite n’ont le monopole de ce discours et le risque de « guerre civile » (ou, du moins, de cohabitation impossible entre différentes communautés au sein du territoire) n’est effectivement pas à prendre à la légère, d’autant plus lorsque des personnalités ayant tenu de grandes responsabilités politiques s’en inquiètent également. Pensons enfin à ces tribunes de militaires français et de soldats en service (courant avril/mai 2021) qui avaient pour objectif d’alerter sur la violence croissante dans notre pays, sur le « communautarisme (qui) s’installe dans l’espace public », sur « la haine de la France » et sur les risques d’effondrement, d’insurrection et une nouvelle fois de « guerre civile ».

Enfin, à moins d’être devin, il est impossible de prédire qu’une guerre civile surviendra bel et bien en France. Pour autant, l’ensemble de notre classe politique et médiatique aurait tort de stigmatiser ces discours d’alerte en les catégorisant simplement de propos de haine et d’extrême-droite. Il y a des réalités et des faits à prendre en considération, il y a des signaux d’alarme effectivement préoccupants concernant la cohésion nationale de notre pays, il y a une violence islamiste toujours plus barbare à l’égard de la population française… Personne ne pourra le nier en toute franchise. 

Le changement climatique : la mère des batailles ?

Désormais, passons à la première préoccupation de Jean-Luc Mélenchon : celle du dérèglement climatique, qu’il intègre à sa chère thématique de la justice sociale. Reconnaissons avant tout que c’est un danger sur lequel (presque) tout le monde s’accorde, qui n’est plus sujet à débat chez les gens de bonne foi et qu’il apparaît donc moins risqué d’en faire la base de son programme politique. Depuis quelques années, Mélenchon semble vouloir tirer profit de ce thème de plus en plus en vogue et, même s’il ne s’agit pas ici de remettre en cause son honnêteté, il est évident que faire de cet enjeu l’une de ses priorités politiques ne peut lui être que bénéfique d’un point de vue électoral.

Lorsque que le chef de la France insoumise dévoile ses objectifs politiques, il prône une vision d’ensemble notamment par la mise en oeuvre d’un « protectionnisme écologique, c’est-à-dire : tout ce qui est produit dans des conditions inacceptables par la France – par exemple des produits pourris au glyphosate – ça ne rentre plus en France. », d’une « souveraineté alimentaire » pour la production de nos biens agricoles, et d’un modèle de « planification écologique »… Ainsi, en reprenant les termes connotés de protectionnisme, de souveraineté ou de planification, l’on réalise que Jean-Luc Mélenchon intègre très largement sa volonté de lutte contre le changement climatique dans une vision économique proche des idéologies classiques de gauche. Cela lui permet de s’attaquer par la même occasion à la vision contre laquelle il se bat depuis toujours : celle du libéralisme économique et celle de la « croissance sans fin » qui ne tiendrait pas compte des ressources de la planète…

De l’autre côté, Eric Zemmour assume sans sourciller que sa priorité est loin d’être celle de la réduction de nos gaz à effet de serre, tout en remarquant qu’il existerait encore des « débats » parmi la communauté scientifique sur le sujet du réchauffement climatique. Sur ce point, Mélenchon a raison de rappeler qu’il y a 15 000 scientifiques qui ont alerté la population mondiale sur l’état de l’environnement il y a quelques années, sans parler des fréquents rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), dont le dernier en date a été publié en août dernier, qui ne cessent de nous mettre en garde sur la réalité du réchauffement climatique. 

Ainsi, si Zemmour ne parle pas de ses fameux sujets de prédilection, son logiciel idéologique tourne court et il ne semble pas disposé à prendre à bras le corps cet urgentissime défi qui est celui du dérèglement climatique. De son côté, Mélenchon a au moins le mérite d’en faire l’une de ses grandes priorités, mais de quelle manière ?

Vouloir lutter contre la dégradation du climat, c’est bien, le faire efficacement en sortant des peurs irrationnelles, c’est mieux.

On arrive désormais à l’un des grands angles morts de la France insoumise, et même d’une bonne partie de la gauche radicale d’aujourd’hui. Vouloir lutter contre la dégradation du climat, c’est bien, le faire efficacement en sortant des peurs irrationnelles, c’est mieux. Comme le rappelle parfaitement Zemmour au cours du débat, le fait que notre énergie électrique provienne majoritairement du nucléaire nous octroie une place de prestige parmi les meilleurs élèves d’Europe en ce qui concerne l’émission de CO2. Cela ne semble pas suffire à Mélenchon et à sa famille politique pour soutenir l’énergie nucléaire, il souhaite en sortir le plus vite possible et agite les pires peurs (de la même façon que Zemmour sur le sujet de l’immigration) en citant fréquemment les catastrophes de Tchernobyl ou de Fukushima. Il va jusqu’à prendre l’exemple de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine à proximité de Paris en évoquant la terrible hypothèse d’un accident qui obligerait le déplacement de millions d’habitants de la région parisienne… Drôle de façon de lutter contre le réchauffement climatique et de vouloir se ranger du côté de la science, au moment même où toutes les grandes puissances investissent massivement dans le nucléaire. 

Alors oui, la transition écologique et énergétique est l’un (voire le) plus grand défi de la France et de l’humanité au XXIe siècle. Mélenchon a tout à fait raison de s’en préoccuper autant, c’est indéniable. Mais encore faut-il s’y attaquer de la bonne façon et ses craintes irraisonnées sur le nucléaire, parmi d’autres angles morts, font parfois de lui un candidat peu crédible à la lutte nécessaire contre le changement climatique.

Conclusion

Chacun aura eu son propre cheval de bataille lors de ce long débat. Lors de leurs derniers échanges, les deux hommes campent sur leur position : Zemmour répète qu’il craint la « libanisation » de la France avec plus de désordre et plus de violence, ainsi que le « remplacement du peuple français par un autre peuple » ; Mélenchon réitère sa préoccupation par rapport au « défi absolument immense » du dérèglement climatique : « en 2050, si on ne fait rien, la Camargue, le Marais poitevin, Dunkerque et Bordeaux seront sous l’eau ». En définitive, chacun insiste sur ses propres obsessions, chacun fait preuve d’une bonne dose d’œillères dans la résolution des défis qui les inquiètent, chacun tire son discours d’une certaine réalité (scientifique ou non). Mais, au sortir de ce débat, il est aisé de remarquer que le point commun entre Zemmour et Mélenchon réside dans la tenue d’un discours apocalyptique empli d’idéologie.

Sexe et politique

Faut-il coucher avec ses opposants politiques?

Alors, je vous rassure tout de suite, cet article n’a pas (seulement) pour but de déterminer si cela est une bonne idée de pratiquer le coït avec vos adversaires politiques. Le terme « coucher » est, certes, plus accrocheur, mais d’une manière générale j’aurais pu vous poser la question : faut-il tomber amoureux de vos adversaires politiques ? Ou plus simplement : faut-il sortir avec les gens qui ne pensent pas comme vous ? A une époque où Tinder est devenu l’appli de rencontre la plus utilisée, et où chacun croit bon d’indiquer dans sa bio ses orientations politiques, on est en droit de se demander s’il s’agit là d’un critère de sélection pertinent afin d’assurer votre descendance. Suivez-moi, et apprêtez-vous à découvrir un début de réponse à une question aussi vieille que l’humanité : faut-il pactiser avec l’ennemi ?

Maxime Feyssac

Les temps changent

Il faut dire que nos parents, et surtout nos grands parents ne se posaient pas forcément cette question. Déjà car la reproduction sociale s’en chargeait pour eux. La reproduction sociale, cela veut tout simplement dire qu’à une époque votre statut, celui de vos parents, vos biens, vous amenait inexorablement à aller flirter avec des gens de la même classe sociale que vous. En effet, c’était bien plus simple pour le fils du cordonnier d’aller courtiser la fille de la boulangère, que la fille du Préfet ou du Maire. Ça n’a pas disparu, loin de là, mais on a quand même bien avancé. De facto, vous finissiez donc par draguer des gens qui avaient de fortes chances de penser comme vous.

Il faut aussi prendre en compte le fait que l’espace public qu’est la rue était plus “cloisonné” à une époque, de telle sorte que des individus issus de classes sociales différentes avaient moins de chances de se côtoyer quotidiennement. Aujourd’hui, même si certains quartiers sont plus riches que d’autres, plus ou moins tout le monde se retrouve dans les centres-villes. Vous pouvez y croiser un sans-abris, une mère bourgeoise qui fait ses courses, un jeune militant marxiste qui distribue des tracts, un immigré qui livre des repas à vélo, etc. Pourtant, à une époque, ce même espace public était beaucoup plus cloisonné. Alors oui, les ultra-riches restent toujours entre eux, et les gens les plus démunis n’ont pas toujours la chance de côtoyer les centres-villes, mais reste que l’émergence d’une grande classe moyenne a énormément fait évoluer notre rapport à l’autre ainsi que la configuration de notre espace public.  Et internet peut-être vu comme un prolongement de cet espace public.

  Pourtant, de nos jours, le positionnement politique reste un facteur important dans le choix de notre partenaire, et ce malgré le fait que ayons plus de “choix” que nos aînés dans la sélection de notre partenaire. Que ce soit parce que nous préférons être avec quelqu’un qui partage nos valeurs, ou car les structures sociales dans lesquelles nous évoluons nous poussent à côtoyer des gens qui nous ressemblent, nous tendons en effet à préférer draguer des gens qui pensent comme nous politiquement, y compris sur les sites de rencontres. Et ce car les jeunes ne se politisent pas de la même manière aujourd’hui qu’il y a 70 ans. De manière générale, cette nouvelle politisation passe par une implication dans des formes non-conventionnelles d’expression politique, ainsi que dans une défiance du système politique actuel; ce qui explique pourquoi l’abstention bat aujourd’hui des records

Nous tendons en effet à préférer draguer des gens qui pensent comme nous politiquement.

Pour rappel, la politisation est le processus de socialisation qui conduit un individu à s’intéresser à la politique, à penser et agir selon des critères politiques. Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que certaines personnes vont trouver plus utile de revendiquer une appartenance et des opinions politiques ouvertement, plutôt que d’aller voter. Ce constat est encore plus frappant sur internet, où les gens adorent étaler dans leurs bio twitter ou instagram leurs orientations politiques. Pensez aussi à vos amies qui partagent des stories de comptes féministes sur instagram, ou à votre pote écolo qui ne fait que de partager des posts de Green Peace France, ou même à votre cousin de droite qui adore les compilations youtube d’Eric Zemmour et du Raptor Dissident. Au bout du compte, le positionnement politique semble se voir de plus en plus, partout, y compris dans nos interactions sociales avec les autres ; et oui, cela veut aussi dire dans nos interactions sexuelles et amoureuses.

« Dis-moi pour qui tu votes, je te dirai avec qui tu couches. »

On pourrait continuer à disserter longtemps sur la théorie, mais en pratique ça veut dire quoi ? Et bien, jeune lecteur lambda, ça veut dire que tu risques peut-être de te prendre un gros râteau à ta prochaine soirée étudiante si tu cites un peu trop Marine Le Pen ou Sandrine Rousseau.

Pour les afficionados de Tinder (dont je ne fais évidemment pas partie), vous avez sûrement déjà lu des bio (si vous prenez la peine de lire les bio) qui indiquent : « Mec de droite s’asbtenir » ou bien « Si t’es feministe c’est déjà mort ». Si vous êtes concernés par ce type de « disclaimer », deux solutions s’offrent à vous : passer votre chemin car vous n’avez pas envie de débattre politique lors de votre premier date ; ou bien tenter le coup quand même à vos risques et périls car vous n’avez peur de rien.

Il faut aussi garder en tête que la plupart du temps, les préférences politiques d’une personne ne sont pas évidentes. Déjà, parce que Tinder ce n’est pas la vraie vie, mais aussi car la politique n’est pas forcément le premier sujet de conversation que l’on aborde lorsqu’on se tourne autour.

Mais supposons. Supposons que vous avez rencontré quelqu’un qui vous plaît vraiment. Vous avez rencontré une personne que vous trouvez belle, intéressante, attentionnée et avec qui vous aimeriez concrétiser. Mais là, malheur, vous vous rendez compte que politiquement vous n’êtes pas d’accord. Mais alors, pas d’accord du tout. Que faire ?

Briser les tabous

On va commencer par balayer les mythes : non, il n’y a pas un bord politique qui offrirait de meilleures relations (sexuelles) que les autres. En 1974, Valery Giscard d’Estaing avait dit à François Mitterand « Vous n’avez pas le monopole du cœur » ; et bien là c’est pareil, il n’y a pas de camp politique qui a le monopole du cœur, ou du sexe. Tous les journaux et articles qui clament haut et fort que vous devriez sortir avec quelqu’un de droite car ça vous rendrait soi-disant plus heureux, ou avec quelqu’un de gauche car vous on vous traiterait mieux, sont des conneries absolues, et je pèse mes mots.

Que ce soit bien clair pour TOUT le monde, une bonne fois pour toutes : aucun camp politique ne peut se prévaloir de mieux traiter ses partenaires. Il y a des cons de gauche, et des cons de droite ; et malheureusement, il y a des mauvais coups de droite, et des mauvais coups de gauche. Si vous pensez que sortir avec quelqu’un qui pense comme vous allait subitement rendre votre vie sexuelle et amoureuse formidable, vous allez droit dans le mur. 

Coup d’un soir ou vraie relation, telle est la question

Cependant, il va bien falloir répondre à la question : est-ce une bonne idée de coucher avec des gens du camp « d’en face ». Cela dépend en fait de ce que vous recherchez : si vous êtes du type coup d’un soir, et bien, ça ne devrait pas changer grand-chose. Si vous n’allez passer que 15 heures maximum avec la personne (ça dépend de l’heure à laquelle vous repartez le lendemain), alors après tout c’est entre vous et votre conscience. Si vous pensez que coucher avec quelqu’un est un acte militant, et qu’il ne faut surtout pas « pactiser avec l’ennemi » alors c’est votre corps, votre choix. Vous louperez sûrement de belles aventures et quelques expériences, mais tant pis (ou tant mieux, ça dépend votre point de vue sur le sexe) pour vous.

Vous n’avez pas envie de vous retrouver à une soirée où toutes les personnes présentes auraient envie de vous jeter par la fenêtre s’ils connaissaient vos véritables opinions politiques.

La question est plus tendue quand il s’agit de construire une vraie relation. Cela dépend en premier lieu de l’importance que vous accordez à la politique dans votre vie. Si c’est un passe temps, ou simplement quelque chose qui guide votre comportement personnel et vos opinions, alors il ne devrait pas y avoir de soucis. En revanche, s’il s’agit pour vous d’une croyance profonde, telle une religion, qui dicte le moindre de vos faits et gestes et toutes vos interactions, alors ça va être compliqué. Surtout qu’il y a de fortes chances pour que les amis et la famille de cette personne pensent la même chose qu’elle ; en effet, certains militants ont tendance à également trier leurs amitiés en fonction de leurs opinions politiques. Croyez-moi, vous n’avez pas envie de vous retrouver à une soirée où toutes les personnes présentes auraient envie de vous jeter par la fenêtre s’ils connaissaient vos véritables opinions politiques.

C’est d’ailleurs pour cela que les croyants tendent à se reproduire avec des gens de la même religion qu’eux ; c’est plus facile. Sauf si vous vous dites que vous pouvez « convertir » cette personne, c’est-à-dire lui faire adopter la même opinion politique que vous. Ce n’est pas impossible, mais c’est rarement une bonne idée ; un couple n’est pas censé être un débat d’idées perpétuel, où vous allez passer votre temps à vouloir convaincre la personne en face. La plupart du temps, vous réussirez simplement à vous fatiguer vous et votre partenaire. Surtout que, aussi profondes soient vos convictions, vous ne savez pas que vous avez raison (vous en êtes persuadé, et c’est tout naturel, mais vous ne pouvez pas le savoir). Si on pouvait déterminer qui a raison en politique et qui a tort, cela ferait longtemps que la plupart de nos problèmes seraient résolus. La politique fait partie des sciences humaines, qu’on appelle aussi parfois sciences inexactes, car deux points de vue différents peuvent tous les deux être valides à leur façon ; il n’y a pas de solution unique. Partez toujours du principe que la personne en face de vous sait quelque chose que vous ne savez pas. Mais croyez-moi, vous avez beaucoup à apprendre des gens qui ne pensent pas comme vous, ne serait-ce que pour renforcer votre esprit critique. Vous avez vraiment envie de passer votre vie à côtoyer des gens qui penseront comme vous ? Qui vous diront  “oui” à tout ?

Enfin, se pose la question du projet sur le long terme, mais en général cette question ne se pose pas avant plusieurs mois de relations, moment auquel vous aurez sûrement déjà une bonne idée des opinions politiques de votre partenaire. Si votre projet est de fonder une famille, alors oui, vous devrez trouver quelqu’un qui a la même conception du bien commun et du mal, au risque de rendre votre enfant schizophrène. Mais avoir des bases morales communes n’empêche pas d’avoir des désaccords politiques. Même s’il sera compliqué pour un « antifa » mélenchoniste de filer le parfait idylle avec un « facho » lepéniste, vous auriez tort de balayer d’un revers de main quelqu’un sous prétexte qu’il ne vote pas comme vous. J’en veux pour preuve : la personne la plus intéressante que j’ai rencontrée de toute ma vie n’avait absolument pas les mêmes opinions que moi.

A bon entendeur.

P.S : et que vous soyez de gauche ou de droite, protégez-vous svp.

Une Armée sans moyens – Partie II

Un modèle d’Armée fortement dégradé par les coupes budgétaires 

Dans la partie précédente, nous avons vu que les dépenses pour l’Armée ont servi, pendant plus de vingt ans, de réserve de fonds pour financer d’autres politiques publiques. En dépit d’une montée de la conflictualité, les dépenses militaires étaient sans cesse revues à la baisse. Dans cette seconde partie, nous allons observer les effets concrets de ce renoncement sur nos capacités militaires et comment le désintérêt pour cette mission régalienne de défense a transformé notre modèle d’Armée.

Emilien Pouchin

Les coupes budgétaires, quelle réalité ?

En raison des baisses drastiques de budgets, nos capacités d’engagement lourd, à la fois humain et matériel, ont considérablement décru depuis la fin de la Guerre froide. Afin d’illustrer ceci, regardons les estimations des Livres blancs quant à la mobilisation de nos forces, dans l’hypothèse d’un conflit régional de haute intensité. Le Livre blanc de 1994 estimait que nous étions à l’époque en mesure d’engager environ 50000 hommes et une centaine d’avions de combat pour répondre à une telle menace. Celui de 2008 ne pouvait déjà plus en dire autant. Le volume des forces mobilisables dans un tel scénario était réduit à 30000 hommes et environ 70 avions. En 2013, l’estimation frôle le ridicule pour une puissance telle que la France : 15000 hommes et 45 avions. En pratique, ces chiffres n’auraient sans doute jamais pu être atteints puisque les Armées sont en permanence engagées dans des opérations (extérieures et intérieures) qui requièrent une grande mobilisation. En revanche, ils permettent de se rendre compte à quel point et à quelle vitesse les capacités d’engagement de masse se sont détériorées.

La fondation iFRAP (Fondation pour la Recherche sur les Administrations et les Politiques publiques) a par ailleurs dressé un tableau comparatif du volume des forces aéroterrestres lourdes dont notre Armée disposait entre 1989 et 2017. Le nombre de régiments est passé de 129 à 68 ; le nombre de chars de bataille de 1340 à 200 ; le nombre de pièces d’artillerie de 941 à 274 ; le nombre d’hélicoptères de 651 à 286 et le nombre d’avions de combat de 535 à 232. Le constat est plus qu’alarmant. Il l’est d’autant plus quand l’on sait qu’environ la moitié des avions, des chars et des hélicoptères sont immobilisés pour des raisons de maintenance. Trop vieux, trop utilisés, pas assez de pièces de rechange…

A cela, il pourrait être rétorqué que cette fonte des armements est due à une forte technologisation des équipements, qui les rend par conséquent plus onéreux (et qui est d’ailleurs nécessaire pour limiter au maximum les pertes humaines). Ainsi, selon ce raisonnement, la baisse quantitative serait compensée par un bond qualitatif. Cette théorie n’est pas entièrement fausse, mais deux éléments pourraient y être opposés. Premièrement, si les armements sont de plus en plus chers, pourquoi baisser ainsi les dépenses allouées à la défense ? Le cumul d’une baisse des moyens et d’une hausse des coûts n’est pas tenable. Deuxièmement, il n’est pas vrai dans toutes les circonstances que la qualité peut remplacer la quantité. Le combat urbain par exemple, nécessite que l’assaillant mobilise un effet de masse considérable, à la fois humain et matériel. A titre d’illustration, la bataille de Mossoul (2016-2017) a nécessité entre 80000 et 100000 assaillants pour venir à bout de moins de 10000 soldats de Daesh. Il existe donc des situations où il est nécessaire de mobiliser une masse conséquente et où il est préférable d’avoir une bonne quantité d’armements rustiques plutôt que peu d’armements technologiques.

Ainsi, si la qualité tactique et technologique de notre Armée est remarquable (l’opération Barkhane peut en attester), elle sera confrontée à de réelles limites si elle doit s’engager dans une guerre longue et fortement mobilisatrice.

Quid de la dissuasion nucléaire ?

Afin que notre Armée soit efficace et à même de répondre à tous les défis qu’elle aura à relever, elle doit être capable d’agir sur tout le spectre de la conflictualité : opérations de stabilisation, contre-guérilla, engagement massif en haute intensité, arme nucléaire, etc. L’Armée française a un véritable savoir-faire, depuis les conflits de décolonisation, en guerre de contre-guérilla et contre-terrorisme. Elle possède également un arsenal nucléaire conséquent et dissuasif. Or, au vu du constat exposé précédemment, elle pourrait avoir de grosses lacunes si elle était amenée à entrer dans une guerre de haute intensité requérant une mobilisation en grand nombre et un effort poursuivi sur le long terme.

Pour masquer cette déficience inquiétante, tout en continuant de demander des baisses de budgets, le personnel politique a sacralisé l’arme nucléaire ; comme si le fait de la posséder dissuaderait n’importe quel ennemi de s’en prendre à nous. Il a toutefois été oublié que la conflictualité est en perpétuelle évolution et que les guerres clausewitziennes ne sont plus la seule réalité. Il existe ainsi pléthore de menaces infra-étatiques et diffuses contre lesquelles l’arme atomique n’est ni dissuasive, ni efficace. On pourrait également dénombrer un certain nombre de dangers qui pourraient s’avérer très sérieux et exiger une réponse conséquente, mais qui se situeraient tout de même sous le seuil de déclenchement du feu nucléaire. Ainsi, la dissuasion nucléaire se révèle parfois être un leurre politicien pour dissimuler l’étendue des dégâts que les coupes budgétaires ont fait subir à l’Armée française.

A l’inverse, d’aucuns pensent que la contre-guérilla et la guerre asymétrique – opposant un Etat à un adversaire infra-étatique sortant des canaux conventionnels de la guerre – sont désormais les nouvelles formes de la conflictualité. L’arme atomique est, dans une telle situation, d’aucun recours. A ce titre, il ne serait d’aucun intérêt d’entretenir une dissuasion nucléaire, coûtant par ailleurs la bagatelle de trois milliards d’euros par an. Ce raisonnement est cependant trompeur puisque s’il est vrai que ces nouvelles guerres se multiplient, les conflits interétatiques et symétriques ne sont pour autant pas terminés. Ils pourraient être amenés à se multiplier. Peut-être sous une forme renouvelée.

Ainsi, l’arme atomique est nécessaire pour garantir l’indépendance stratégique de la France et permettre à son Armée d’être opérationnelle au plus haut niveau de la conflictualité. Pour autant, elle n’est pas une fin et elle n’est pas suffisante. Elle se doit d’être accompagnée d’une Armée complète et entraînée, capable de répondre à tous types de menaces.

Une Armée surexploitée

Aujourd’hui, l’Armée française est l’une des armées occidentales les plus mobilisées. En permanence, nos soldats sont déployés dans des opérations extérieures (Barkhane, Chammal, Atalante, etc.) ou intérieures (Sentinelle ou Harpie, qui lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane). Au total, pas moins de 30000 militaires sont déployés en continu, soit la plus forte mobilisation depuis la fin de la guerre d’Algérie.

Il va sans dire qu’un tel dispositif requiert un grand nombre de moyens humains pour pouvoir assurer les rotations nécessaires au repos et à l’entraînement des troupes. Nicolas Sarkozy, visionnaire, avait pourtant, au cours de son mandat, supprimé 54000 postes sur les 320000 employés par le ministère. Son successeur, habité par la même envie de se servir du ministère de la Défense pour rééquilibrer les comptes publics, avait prévu d’en supprimer environ 34000. Il avait d’ailleurs largement débuté avant que les attentats de 2015 le forcent à repenser cette question. S’il avait été au bout de sa volonté, sans doute aurait-il été compliqué, voire impossible, de déclencher l’opération Sentinelle, dont l’effectif était en novembre 2015 de 13000 militaires. Cette opération est d’ailleurs toujours en cours 6 ans après et pèse énormément sur la gestion du personnel militaire.

Le résultat de cette dichotomie entre d’un côté, une Armée à qui on en demande toujours davantage (avec l’opération Résilience et son soutien pour la vaccination, elle a également apporté son aide dans la lutte contre le virus du Covid) et de l’autre, des moyens et des effectifs sans cesses réduits, entraîne une surexploitation des soldats. Ainsi, ils ne peuvent plus avoir suffisamment de repos, ne voient plus assez leur famille, n’ont pas assez d’entraînement – les pilotes d’hélicoptère et d’avion n’ont pas toujours le nombre d’heures de préparation requis avant d’aller en OPEX ! – et se retrouvent sur le terrain dans des conditions assez dégradées. Par exemple, en opération, beaucoup de véhicules sont en maintenance car ils sont trop vieux, trop utilisés et tombent souvent en panne. Le véhicule d’infanterie VAB, l’avion Transall ou l’hélicoptère Gazelle sont de bons exemples de véhicules en service depuis les années 60-70 et qui se révèlent être désormais assez limités. Certes nos soldats ont la qualité d’être rustiques, de se contenter de peu, mais peut-être que certains efforts pourraient être faits pour améliorer leurs conditions opérationnelles.

« Une Armée, ça se prépare dans le long terme et ça se détruit dans le court terme », dit le Général Desportes. Voilà une phrase qui semble bien conclure ces deux articles sur les effets délétères des coupes budgétaires dans l’Armée. Et encore, nous aurions pu aborder les retards industriels dans les secteurs industriels stratégiques des drones ou de l’IA, les stocks de munitions et de pièces détachées trop peu conséquents, ou quantité d’autres questions. 

La France est, dans l’Histoire, la nation qui a remporté le plus de victoires militaires. Nous sommes depuis toujours une puissance militaire. Ne sortons pas de l’Histoire pour de petites économies ou pour une gestion budgétaire en flux tendus. Assumons notre volonté de puissance et d’indépendance stratégique, notre capacité à influer sur les événements et mettons les moyens nécessaires pour la réaliser. 

Oui, la France est une terrible dictature

(la preuve : je peux l’écrire sur Internet)

Depuis quelques temps, les discours accablant le régime politique français font rage au sein de notre pays. Il suffisait d’une généralisation du désormais fameux « Passe sanitaire » pour entendre un déchaînement d’accusations politiques plus virulentes les unes que les autres. Celles-ci n’avaient jamais autant fleuri depuis de nombreuses décennies, et à en croire les plus radicales : la France se serait muée en ennemie des libertés publiques, voire en dictature, voire même en régime totalitaire ou pis encore, elle serait devenue la sœur de l’Allemagne nazie ! Tentons d’y voir plus clair dans ce flot de condamnations impitoyables.

Lucas Da Silva

En guise d’avant-propos, il apparaît toujours étonnant de constater que des citoyens français, ou même certaines personnalités politiques (qui trouvent ici une occasion d’exister), se plaisent à crier à la dictature à la moindre occasion. Absolument toute décision politique, toute parole gouvernementale, tout propos présidentiel deviennent un prétexte pour cela. On pourrait presque croire que ces mêmes personnes regrettent de ne pas vivre effectivement au sein d’un régime vraiment autoritaire ou dictatorial. Ces individus se rêvent en résistants des temps modernes, ils se révèlent pourtant comme des ennemis de la raison et de la paix civile. Vous les connaissez, ils sont sans cesse à l’affût du moindre délire complotiste ou de la moindre information qui irait dans leur sens pour ainsi rencontrer de l’écho chez les personnes les plus vulnérables. C’est de cette manière que les Philippot, les Dupont-Aignan et les Lalanne connaissent le succès médiatique dont ils n’auraient jamais bénéficié par leur simple talent. Ils le savent, ils exploitent les peurs et les faiblesses de chacun, mais peu importe les moyens dont ils usent, leur seule fin est de voir leur visage diffusé dans les grands médias ou réseaux sociaux (dont ils connaissent parfaitement les codes). Si le prix à payer se compte en vies humaines – en encourageant les citoyens peu informés à ne pas se faire vacciner -, ils semblent aveugles face à ces conséquences dramatiques, leur unique objectif étant de pouvoir haranguer les foules perméables à leur discours ; et ils y parviennent…

Ces individus se rêvent en résistants des temps modernes, ils se révèlent pourtant comme des ennemis de la raison et de la paix civile

Nous ne discuterons pas ici des raisons qui poussent des milliers de manifestants à se rassembler partout en France depuis deux samedis consécutifs, nous ne débattrons pas non plus de la légitimité du « Passe sanitaire », nous ne parlerons même pas de santé publique qui est pourtant le véritable enjeu qui sous-tend cette crise politique importante. Non, nous nous concentrerons uniquement sur les accusations et les mots, sur leur utilisation florissante ainsi que sur les raccourcis sémantiques et historiques que l’on voit de plus en plus apparaître au sein de notre Nation, et ce n’est déjà pas mince à faire.

Sommes-nous dans un régime autoritaire et/ou dans une dictature ?

Quand on use d’un mot au quotidien, d’autant plus lorsque cela se fait à tort et à travers, la règle d’or est de maîtriser la définition de celui-ci. Alors, tâchons d’éclaircir la signification des termes que l’on retrouve le plus souvent dans la bouche et sous la plume des grands dissidents politiques français de notre temps : l’autoritarisme et la dictature. Ceux-ci désignent peu ou prou le même régime, c’est-à-dire un système politique arbitraire dans lequel le pouvoir est absolument accaparé et détenu par une personne ou par un groupe de personnes qui l’exercent sans contrôle et de façon autoritaire. Dans ce régime, le pouvoir n’est aucunement limité, ni partagé (absence d’une séparation des pouvoirs), ni contrôlé (absence d’élections libres et régulières, et de constitution).

Maintenant que nous avons une définition claire et précise du phénomène que l’on étudie, il est également intéressant de citer des exemples auxquels nous pouvons nous référer afin d’observer comment la théorie se pratique dans le réel. Il y en a pléthore, en voici quelques-uns (historiques ou contemporains) : l’Espagne franquiste, la Biélorussie de Loukachenko, la République populaire de Chine, l’Italie de Mussolini, la République islamique d’Iran, le Chili de Pinochet, le royaume d’Arabie Saoudite, la République démocratique du Congo, la Syrie de Bachar el-Assad…etc. 

Est-ce sérieusement une accusation que l’on peut faire à Emmanuel Macron? Peut-on raisonnablement le mettre dans la même catégorie de dirigeants que Franco, XI Jinping ou l’ayatollah Khamenei?

Sans aller dans le détail de chaque régime politique mentionné précédemment, vous remarquerez aisément que la particularité commune de tous ces exemples est l’existence d’un terrible dictateur répressif et meurtrier, bien aidé par un pouvoir militaire et une justice à ses bottes. Est-ce sérieusement une accusation que l’on peut faire à Emmanuel Macron ? Peut-on raisonnablement le mettre dans la même catégorie de dirigeants que Franco, Xi Jinping ou l’ayatollah Khamenei ? 

Peu importe les désaccords d’ordres philosophique, éthique ou politique sur le sujet du « Passe sanitaire », ressentez-vous honnêtement le sentiment de vivre sous une affreuse dictature ? Ne voyez-vous donc pas les débats qui durent des heures et des heures au sein du Parlement ? Ne vous intéressez-vous pas aux réserves juridiques émises par le Conseil d’Etat sur certaines dispositions de ce même « Passe sanitaire » ? Ignorez-vous qu’il existe de véritables garde-fous pour nos libertés, avec le Conseil Constitutionnel en premier lieu, qui veillent au bon respect de nos droits et de notre Constitution ? Avez-vous l’impression d’être sévèrement réprimés et détenus arbitrairement lorsque vous allez manifester tous les samedis dans les rues ? Risquez-vous la torture ou même la peine de mort pour votre “courageuse” résistance politique ?

Alors non, que ce soit bien clair, la France n’est pas une dictature. Notre liberté d’expression ou de rassemblement est (bien) loin d’être menacée et bafouée, comme en Arabie Saoudite ou en Biélorussie. Nous ne pouvons être victimes d’une peine de mort ou d’une exécution arbitraire par le simple fait d’avoir résisté au pouvoir politique, comme en Egypte ou en Iran. Nous ne sommes jamais torturés par la puissance publique, comme au Nigéria ou en Ouzbékistan. Nous ne subissons pas non plus de graves discriminations publiques et nous ne sommes pas privés de droits fondamentaux en raison de notre identité : nous ne risquons pas la peine de mort si nous sommes homosexuels, comme au Soudan ou au Yémen ; nous ne sommes pas contraintes à porter un vêtement qui nous sépare du reste de la population (le voile) ou à subir des mariages forcés si nous sommes des femmes, comme en Iran. Nos opposants politiques ne sont jamais arrêtés et détenus arbitrairement par l’Etat, comme en Turquie ou en Chine.

Ainsi, par simple respect envers toutes ces populations à travers le monde qui subissent et souffrent de la réalité d’une véritable dictature, et pour tous les hommes qui ont péri au sein d’une dictature dans l’histoire, ayons la dignité de ne pas utiliser ce terme pour qualifier la France d’aujourd’hui. 

Sommes-nous dans un régime totalitaire ?

Si nous ne nous trouvons effectivement pas au sein d’un régime autoritaire et/ou d’une dictature, il semble encore plus difficile d’imaginer l’avènement d’un régime totalitaire en France. Pour autant, certains manifestants ne reculent devant rien et ont été les auteurs de parallèles historiques extrêmement douteux. Prenons une nouvelle fois le temps de la définition du terme étudié. Plus que la dictature, le totalitarisme renvoie à un système politique dans lequel l’Etat – gouverné par un parti unique – s’appuie une puissante idéologie (la seule tolérée au sein du régime) et cherche à exercer une mainmise sur tous les aspects de la vie et toutes les activités humaines. Par essence, le régime totalitaire n’admet strictement aucune opposition politique (passible des pires sanctions), dirige et planifie l’économie, détient tous les moyens de communication et de propagande, et veut prendre le contrôle à la fois de la vie publique et privée des individus du pays. 

Certains manifestants ne reculent devant rien et ont été les auteurs de parallèles historiques extrêmement douteux.

Reprenons le même schéma que précédemment : après la définition, penchons-nous sur les exemples concrets. Puisque le totalitarisme représente la forme la plus extrême de la dictature, nous disposons (heureusement) de relativement peu de cas historiques. Ils sont essentiellement apparus au XXe siècle, l’on cite traditionnellement l’Italie fasciste, l’URSS sous Lénine puis Staline, l’Allemagne nazie, la Chine sous Mao Zedong, la Corée du Nord, le Cambodge des Khmers rouges, Cuba sous Castro ou encore l’Iran sous Khomeini…

En plus du dictateur charismatique tout-puissant qui use du « culte du chef », ces régimes sont tristement connus pour être extrêmement meurtriers. Il s’avère donc, une nouvelle fois, impossible de faire ce procès à la République française. A titre d’exemples, l’on estime que l’URSS serait responsable de 15 à 20 millions de morts, que la Chine de Mao compterait entre 45 et 72 millions de morts et que les Khmers rouges du Cambodge auraient éliminé entre 1,3 et 2,3 millions de personnes sur une population de 7,5 millions à l’époque

Ces terribles faits historiques n’empêchent pas nos “résistants” politiques français à établir les analogies les plus ignobles. Pour certains, on l’a vu, le « Passe sanitaire » est assimilable à l’Apartheid, ou pire encore, à la Shoah. Nous recherchons encore aujourd’hui la décence de ces manifestants français qui n’ont eu aucune honte pour cracher sur la mémoire des millions de juifs victimes de l’Holocauste. En arborant une étoile jaune pour comparer le signe distinctif des juifs victimes de l’Allemagne nazie à un simple document qui atteste que la personne est vaccinée ou négative à un virus, ces manifestants sont allés toujours plus loin dans l’infamie et ont littéralement sali la mémoire d’un génocide. Une entreprise d’extermination qui a conduit, rappelons-le, au meurtre de 5 à 6 millions de juifs, soit les deux tiers des juifs d’Europe. 

Mais cessons de nous concentrer sur ces actes immondes et déviants, cette définition et ces éléments historiques présentés plus haut suffisent à comprendre pourquoi la France contemporaine est à des années lumières d’un régime totalitaire. 

Alors oui, fort heureusement, nous vivons bel et bien dans un régime démocratique et nous pouvons débattre respectueusement, correctement et raisonnablement des décisions politiques prises pour le présent et l’avenir de notre pays. C’est l’essence même et la raison d’être de notre République de discuter ensemble des affaires publiques et de trouver des compromis politiques. Il est même sain de faire usage de notre esprit critique et de s’inquiéter notamment (toujours de la façon la plus rationnelle qui soit) des états d’urgence à répétition qui entravent l’exercice de certaines de nos libertés, du rôle toujours plus secondaire du Parlement français face à la prééminence du pouvoir exécutif ou encore de certaines mesures sanitaires dans le contexte d’une pandémie qui limitent significativement la jouissance de nos droits fondamentaux. Pour autant, ne nous laissons pas tenter par la démesure et ce terrible manque de nuance, ne nous prenons pas pour le nombril du monde et ne perdons jamais de vue la tragique réalité des régimes autoritaires et dictatoriaux qui subsistent partout dans le monde. Ne perdons pas le sens des mots, par honnêteté intellectuelle mais aussi et surtout par décence.

Les recommandations lecture #2

Les recommandations de Pierre Vitali

L’extinction de l’Homme. Le projet fou des antispécistes

Auteur : Paul Sugy

Prix : 17,90€

Nombre de pages : 208

Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure et diplômé de Sciences Po Paris, Paul Sugy est journaliste au Figaro et déconstruit dans son livre, les ressorts d’une dérive inquiétante des mouvements antispécistes, qui bouleversent notre rapport à l’humanité. 

Prenant au sérieux l’ensemble des projets des activistes antispécistes, passés du stade de la réflexion au stade de la politique, l’auteur nous alerte sur un véritable sujet de société. Ce livre parle avec justesse d’une révolution politique en cours, qu’il convient de comprendre, car plus qu’une affaire de steak ou de bien-être animal, il s’agit d’une véritable question anthropologique.

Pourquoi Viktor Orban joue et gagne. Résurgence de l’Europe centrale

Auteur : Thibaud Gibelin

Prix : 20€

Nombre de pages : 243

Diplômé d’histoire et de science politique, Thibaud Gibelin prépare sa thèse entre Paris et Budapest. Dans cet essai percutant, l’auteur présente le sulfureux personnage Viktor Orban pour tenter de mieux comprendre notre époque. En décrivant la pensée politique du chef d’État hongrois, en la resituant dans les bouleversements géopolitiques et civilisationnels en cours dans l’Europe de Visegrad, l’auteur présente sans reproche les changements de notre temps. 

Face au retour des réalités et aux nombreux défis qui menacent nos démocraties libérales, se pencher sur ceux qui pensent un modèle illibéral en Europe est intéressant et même fondamental pour comprendre les mouvements contemporains. Celui qui considérait en 2018 avoir reçu “un nouveau mandat pour bâtir une nouvelle époque” après le plébiscite électoral du Fidesz, aura nul doute influé sur l’Europe. Reste désormais à savoir s’il s’agit d’une micro réaction alternative ou d’un mouvement plus global de retour aux Nations.

Les recommandations d’Emilien Pouchin

La fabrique du crétin digital. Les dangers des écrans pour nos enfants

Auteur : Michel Desmurget

Prix : 8,90€

Nombre de pages : 576

Nous nous en rendons tous compte, le temps passé devant les écrans, surtout par la jeune génération, est astronomique. Docteur en neurosciences, Michel Desmurget compile des centaines d’études scientifiques pour en observer les effets. Le constat est alarmant. Dans un premier temps, il met en avant le poids des lobbys (de la télévision, des jeux vidéos, etc.) qui, à rebours de toutes les études sérieuses, minimisent ou nient les effets des écrans pour inciter à une surconsommation. Puis, dans la seconde partie, l’auteur expose avec clarté tous les effets que ces nouvelles technologies ont sur notre cerveau et notre corps, qui n’a, au cours de son évolution, jamais été confronté à ce genre de menace. Troubles du comportement, du sommeil, obésité, perte de concentration, appauvrissement du langage et de l’imagination, etc. Les effets sont destructeurs et ce, au moment où certains promeuvent l’idée d’intégrer davantage les écrans à l’école… 

Ce que nous faisons subir à nos enfants est inexcusable. Jamais sans doute, dans l’histoire de l’humanité, une telle expérience de décérébration n’avait été conduite à aussi grande échelle”

Le déclin du courage

Auteur : Alexandre Soljenitsyne

Prix : 9,90€

Nombre de pages : 72

Ce livre est le texte du discours prononcé par Soljenitsyne à Harvard en 1978. Alors que tout son auditoire s’attendait à ce qu’il vienne raconter les horreurs qu’il a vécues au sein d’une société communiste, Soljenitsyne a en fait adressé de sévères critiques sur le modèle américain et occidental, qu’il savait voué à se répandre dans le monde. Evidemment, il ne promeut pas le communisme, mais il fustige toutefois la société libérale, qu’il tient en contre-modèle. Celle-ci empêche l’émergence des grands hommes, délaisse la morale, regarde sa population s’endormir dans l’opulence et le bien-être matériel le plus total, érige la liberté de la presse comme liberté fondamentale, au point de mettre en danger l’Etat et la population… Tant et tant de constats qui en font selon lui une société contraire à l’émancipation et à l’anthropologie humaine. Quarante ans après, il semblerait que ces critiques soient plus que jamais d’actualité.

“Quand la vie est tout entière tissée de relations légalistes, il s’en dégage une atmosphère de médiocrité spirituelle qui paralyse les élans les plus nobles de l’homme.”

Les recommandations de Lucas Da Silva

Voyage au bout de la nuit

Auteur : Louis-Ferdinand Céline

Prix : 10,30€

Nombre de pages : 606

Un incontournable de la littérature française qui vaut assurément le temps de s’y plonger. Si le style si particulier de Céline parvient à vous toucher au plus profond de vous, et si vous entrez entièrement dans l’esprit du narrateur Ferdinand Bardamu (qui est en fait le double de Céline), vous ne ressortirez pas indemne de cette lecture si bouleversante.

Avec ce chef-d’œuvre littéraire, nous nous introduisons intimement dans la vie d’un personnage qui fait face à toutes les horreurs et tous les évènements les plus tragiques de la première partie du XXe siècle : à commencer par la « boucherie » de la Première Guerre mondiale et l’inhumanité de la colonisation européenne en Afrique. Le narrateur erre ensuite dans la société consumériste américaine où il souffre de désillusions et de travail à la chaîne, et finit par retourner en France où il cherchera à trouver un sens à sa vie pleine de désespoir. 

Lisez Céline pour connaître un aperçu de ce que pouvait être la vie d’un homme il y a seulement un siècle. Lisez Céline pour baigner dans l’argot et la langue française parlée du début du XXe siècle. Lisez Céline pour bousculer votre vision de l’humanité. 

L’art d’être français

Auteur : Michel Onfray

Prix : 22€

Nombre de pages : 389

Il est difficile de suivre le rythme effréné de parutions littéraires de Michel Onfray et pourtant la quantité n’empêche pas la qualité avec lui, bien au contraire. L’art d’être français en est une nouvelle preuve.

Le philosophe français, en sortant d’une conférence où il fut interpellé par plusieurs jeunes gens qui lui ont témoigné leur soif de savoir et lui ont demandé des conseils de lecture, a eu le désir ici de transmettre des valeurs, des vertus et des connaissances à la nouvelle génération pour qu’elle puisse trouver sa place dans « ce monde qui part à la dérive ». 

Il débute son livre par une explication passionnante sur ce qui constitue selon lui l’esprit français, et sélectionne quelques grands noms de l’histoire de la pensée française qui ont tous, chacun à leur façon, contribué à l’affirmation de notre particularité nationale : Montaigne, Rabelais, René Descartes, Voltaire, Marivaux et Victor Hugo. Il réalise ensuite un état des lieux de notre époque troublée en jetant un regard très critique envers – entre autres – le néo-féminisme, le décolonialisme, l’antifascisme ou encore l’infantilisation et la déresponsabilisation des citoyens.

Un ouvrage à lire absolument pour mieux comprendre le déclin de notre civilisation. 

Les recommandations de Lucas Perriat

Les identités meurtrières

Auteur : Amin Maalouf

Prix : 6,70€

Nombre de pages : 189

L’écrivain fanco-libanais Amin Maalouf, lauréat du prix Goncourt et membre de l’Académie française, questionne la notion d’identité tout au long de cet essai qui lui a valu le prix européen de l’essai Charles Veillon en 1999.

Si ce sujet de fond est, certes, complexe et présente de multiples facettes dont il est difficile de définir avec justesse les contours, cet auteur exceptionnel nous propose 189 pages tout à fait abordables, à la portée de chacun.

Se refusant à la définition classique, simpliste de l’identité, Amin Maalouf se lance dans un large questionnement. Cherchant à saisir la multiplicité de la notion d’identité et son impact, il s’attèle à force d’exemples et d’explications brillantes par leur clarté, à afficher l’identité comme une somme d’appartenances constituant une richesse pour chaque individu.

Loin de se cantonner à cette première tâche, l’essayiste aborde la notion d’influence et d’appartenance qui en découle directement mais aussi les impacts, les effets qu’ont les identités lorsqu’elles entrent en interaction.

La notion d’identité est, et sera toujours un pilier central de l’Histoire de l’humanité. Il est, par conséquent, indispensable de saisir la complexité et les enjeux qu’elle implique afin de s’éloigner des définitions classiques, floues et simplistes et d’aborder notre Histoire et notre actualité avec un regard éclairé.

Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie

Auteur : Edward Bernays

Prix : 12€

Nombre de pages :141

Et si je vous disais que la propagande politique au XXème siècle n’est pas fille des régimes totalitaires mais née au sein de la grande Amérique démocratique et libérale ?

C’est ce que démontre en 1928, Edward Bernays, l’un des principaux fondateurs et théoriciens du marketing, neveu de Sigmund Freud. 

Bernays vous fait découvrir, dans Propaganda, en détail et à force d’exemples historiques comment les quelques hommes à la tête des sociétés démocratiques ont amené et amènent l’ensemble de la masse à partager leurs vues en s’inspirant des méthodes de la publicité et du divertissement pour ériger une véritable “fabrique du consentement”.

Cet ouvrage déconcerte par le cynisme et la franchise dont il fait preuve en exposant clairement l’émergence et le développement des grands principes de manipulation mentale des masses. 

Comprenez bien qu’il ne s’agit en aucun cas d’une critique des méthodes d’influence dirigées vers le peuple mais bien d’un guide cherchant même à améliorer et systématiser ces méthodes.

Les recommandations d’Etienne Le Reun

« Il faut s’adapter », sur un nouvel impératif politique

Auteur : Barbara Stiegler

Prix : 22€

Nombre de pages : 284

Dans cet essai très riche et dense, Barbara Stiegler se penche sur les liens qui unissent la construction du mouvement “néolibéral” et la doctrine évolutionniste post-darwinienne. 

En plongeant au cœur des débats idéologiques qui, dès 1930, ont secoué le paysage intellectuel et politique occidental en partant des Etats-Unis, l’auteur met en lumière le caractère de ce “nouveau” libéralisme qui, ayant appris de ses erreurs, accepte de muter vers une nouvelle matrice idéologique ; matrice qui aujourd’hui – à bien des égards – gouverne l’économie et la vie politique occidentale. 

S’adapter, toujours, changer plus vite, et si cela n’est pas possible, orienter toute l’action publique vers l’adaptation des populations, faire de la politique un moyen d’action sur l’homme pour le réadapter à un environnement toujours plus changeant, voilà en quelques mots ce que vous trouverez dans cet essai qui retrace la généalogie et met à plat ce fameux « néolibéralisme ». 

Les recommandations de Domitille Viel

« Histoire secrète de la droite française »

Auteurs : Gérard Davet et Fabrice Lhomme

Prix : 15 €

Nombre de pages : 784

Pour changer des essais théoriques, je vous propose une plongée dans la crasse du bassement politique avec Gérard Davet, Fabrice Lhomme, et leur guide Jérôme Lavrieux.

Si leurs noms ont une telle importance, c’est qu’il faut les garder en mémoire tout au long de la lecture. Ce ne sont pas les noms les plus connus du bouquin, mais c’est par leur prisme que l’on observe les affaires politiques ; et il serait malvenu de ne pas prendre le recul nécessaire face à tant d’histoires croustillantes.

Si les crasses politiques, attaques personnelles, perverses magouilles et autres détournements de fonds font s’agiter les médias à chaque affaire, on a souvent du mal à les lier entre elles, à comprendre les rôles de chacun et les implications subtiles. Mettre les mains dans le cambouillis de la politique, c’est mieux comprendre le pourquoi des désillusions, le comment des actuelles fractures. Alors même si la lecture ne développe pas l’esprit de la noble politique, elle peut s’avérer très fructueuse ; parce que pour comprendre la politique, il faut connaître l’histoire, mais surtout les histoires personnelles.

« L’égalité, un fantasme français »

Auteur : Michel de Rosen

Prix : 18,90 €

Nombre de pages : 288

« Egalité » ; le mot est dans toutes les bouches, déclaré comme objectif de chaque mesure , affiché sur tous les frontons de nos mairies. Alors que les mots « liberté » et « fraternité » reviennent régulièrement dans les devises nationales, la France est le seul pays au monde à y inscrire « égalité ».

Pourtant, les Français se plaignent davantage des inégalités que les citoyens américains par exemple. En fait, les Français ont une peur bleue des inégalités, qui va souvent jusqu’à déformer leur vision des réalités économiques. D’où vient ce paradoxe ? L’égalité peut-elle être réalisée ? La recette française est-elle la bonne pour l’atteindre ? Comment redonner un nouveau souffle à la recherche de la justice sociale ? Comment expliquer que les Français ont un tel sentiment d’injustice ? Cet ouvrage apporte des réponses passionnantes à ces questions, parfois dérangeantes, souvent intrigantes.

Une chose est sûre, c’est que malgré le titre, l’auteur, même si très loin du socialisme, ne rejette pas l’égalité : il apporte une perspective plus libérale à sa recherche. Une perspective enrichissante, qui nous rappelle que la gauche n’a pas toujours le monopole de la justice sociale.

Une Armée sans moyens – Partie I

Vers une sortie de l’Histoire ?

La France possède désormais, au sein de l’UE, la seule Armée crédible, puissante et largement engagée. Les partenaires européens ne semblent pas se préoccuper du développement de leur appareil militaire et se dirigent vers une sortie de l’Histoire ; ils ne pèseront plus dans la géopolitique mondiale. La France résiste et doit s’y opposer mais cela requiert une volonté politique forte et claire pour investir massivement dans les forces armées.

Emilien Pouchin

Rapide contexte géopolitique

En premier lieu, il convient de rappeler que les Livres blancs de la défense et de la sécurité nationale ont pour but de définir la stratégie et les priorités de la politique de défense pour faire face aux menaces actuelles et futures. Les deux derniers à avoir été publiés datent de 2008 et de 2013. Déjà, ils décrivaient un emballement de l’ordre international, un changement des menaces, une montée de l’incertitude et un certain durcissement des opérations. En 2017, la Revue stratégique commandée par Emmanuel Macron a permis d’actualiser le constat. Qu’en est-il ? Le monde s’est-il calmé ou davantage déstabilisé ? Dans sa préface, le nouveau Président estime que « sur la scène internationale, la menace d’une déflagration majeure redevient possible. Les affirmations de puissance et les régimes autoritaires émergent ou reviennent, tandis que le multilatéralisme semble s’effacer devant la loi du plus fort ». Ces propos sont aussitôt confirmés par Florence Parly, qui ajoute que « les cadres internationaux sont remis en cause et affaiblis, tandis que des armements avancés se diffusent de plus en plus largement, au profit des Etats comme des groupes non étatiques. ». Ainsi, la Revue stratégique de 2017 confirme et accentue la tendance déjà exposée par les Livres blancs précédents. Du point de vue des relations internationales, la coopération par le multilatéralisme semble s’essouffler au profit du retour des Etats-puissances ; d’un point de vue plus militaire, les menaces se diversifient, se multiplient et se durcissent. Faites un tour de l’environnement stratégique européen, de l’Ukraine au Sahel, en passant par le Caucase et le Proche-Orient, et vous verrez que la dernière décennie a accentué le chaos plutôt que l’inverse.

Face à ce constat lucide, il semble logique, si l’on veut continuer à se faire entendre et défendre nos intérêts, d’augmenter le budget alloué aux forces de défense et de sécurité. Il serait alors possible de rétorquer que telle est la volonté du Président et qu’elle se manifeste au travers de la Loi de Programmation Militaire 2019-2025. Cette loi prévoit en effet une augmentation annuelle du budget de la défense d’environ 24 à 29,5 milliards d’euros, soit un effort total d’environ 280 milliards sur la période 2019-2025. Or, nous verrons que cet effort, au lieu de réellement augmenter les capacités et les effectifs des forces armées, sera tout juste utile à combler les trous et les économies faites sur le dos des militaires depuis environ 30 ans.

Le mythe de la Fin de l’Histoire

A la fin de la Guerre froide, les Européens ont été bercés par le mythe de la fin de l’Histoire défendu par Francis Fukuyama, selon lequel le monde sera inexorablement pacifié grâce à la propagation de la démocratie et de l’économie libérale. Les guerres entre Etats seraient dès lors révolues et les armées ne serviraient que comme des petits corps expéditionnaires utilisés pour des missions d’interposition ou de stabilisation, dans des régions du monde où les conflits mettraient un peu plus longtemps à s’éteindre. Il n’est alors plus nécessaire d’entretenir une armée massive, d’autant plus que la technologisation des équipements est de plus en plus coûteuse. Dans les années 1990, l’idée, notamment soutenue par Laurent Fabius, est donc « d’engranger les dividendes de la paix ». Autrement dit, étant donné que l’Armée française coûte cher et qu’elle sera de moins en moins utile, il est souhaitable de réduire son budget pour le réallouer à d’autres programmes de dépenses publiques.

En réalité, cette volonté d’engranger les dividendes de la paix a mené notre défense vers le mur. Les militaires n’ayant (heureusement) pas le droit d’être syndiqués et étant soumis à un devoir de réserve, il leur était assez difficile de s’exprimer publiquement et de se faire entendre sur le délitement qu’ils vivaient de l’intérieur. C’est ainsi que l’Armée a servi pendant 25 ans de variable d’ajustement pour d’autres politiques publiques, sans se soucier de l’inadéquation entre le mythe de la fin de la guerre et les apparentes évolutions internationales.

Plus précisément, le budget de la défense était, hors pensions de retraites, de 3% du PIB en 1982. Il a chuté à 1,7% en 2011 et jusqu’à 1,44% en 2015. Entre 1982 et 2014, le PIB a certes crû d’environ 1,8% par an mais la baisse de l’effort de défense est manifeste. D’autant plus qu’entre-temps, les équipements se sont technologisés et leur coût a été démultiplié. Il s’agit d’un arbitrage politique au détriment de l’Armée, au préjudice d’un pouvoir régalien et aux dépens de la possibilité de la France de protéger ses intérêts et d’agir sur le cours du monde. Si cette volonté était peut-être compréhensible au début des années 1990, elle n’en n’est pas moins très rapidement devenue anachronique.

2015 : un brutal retour au réel

François Hollande est parfois présenté comme le Président qui a inversé la tendance. Ceci n’est en réalité vrai qu’à partir de 2015. Auparavant, il avait poursuivi la politique de coupes budgétaires drastiques et de rationalisation des dépenses de ses prédécesseurs. Pourquoi l’année 2015 est-elle le tournant ? Les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan ont été un retour brutal à la réalité ; un rappel que les guerres ne sont pas terminées et qu’elles peuvent nous toucher directement, sur notre territoire, même si elles paraissent lointaines.

L’OTAN a peut-être une responsabilité dans l’aveuglement des Européens. En se reposant sur la pacification du continent européen, nous avons cru que les guerres en Afrique et au Levant étaient loin de nous, alors qu’elles peuvent désormais nous toucher directement. En comptant sur la meilleure Armée du monde pour nous protéger, nous nous sommes pensés hors de portée de toute menace. Or, pouvons-nous réellement compter sur la défense américaine ? Le centre du monde est désormais l’Asie, les intérêts économiques sont moindres et les liens du sang avec les Américains se distendent. Finalement, l’OTAN apparaît comme une bonne excuse pour les Européens préférant faire des économies plutôt que de participer à l’effort collectif de défense. Et malgré tout, la France fait partie des bons élèves…

Quoi qu’il en soit, 2015 a été une année où le pouvoir politique s’est rendu compte des dégâts profonds causés par plus de deux décennies de coupes. Le Chef d’État-major, le Général de Villiers, estimait déjà que toutes les pistes d’optimisation avaient été explorées et qu’aucune marge de manœuvre n’était désormais possible. Il faut croire qu’il n’a pas été écouté puisqu’en juillet 2017, Gérald Darmanin, alors ministre des Finances, a réclamé des économies supplémentaires. C’est là le point de départ de désaccords qui opposeront Emmanuel Macron et le Général de Villiers, ce dernier plaidant que la différence entre les objectifs assignés aux Armées et les budgets alloués pour les réaliser n’était plus tenable. Ne s’estimant plus capable de défendre le modèle d’Armée auquel il croit, il finira par donner sa démission.

Préparation à la guerre de haute intensité

Nous avons « besoin d’une Armée de terre durcie pour faire face à des chocs plus durs », signale le Général Burkhard, Chef d’Etat-major de l’Armée de terre (et futur Chef d’Etat-major des Armées). Le constat de l’emballement du monde semble aujourd’hui majoritairement repris. Selon le SIPRI Yearbook 2020 (Stockolm International Peace Research Institute), l’année 2019 était une année record en termes de dépenses militaires mondiales et vient chapeauter quasiment une décennie de hausse continuelle. Face à ce réarmement généralisé, deux postures sont possibles. La première est de croire que le désarmement va conduire à la paix et que la France doit montrer l’exemple en initiant un mouvement d’ampleur mondiale. Or, si les pays de l’Union européenne se feront une joie de la suivre, il est peu probable que la Turquie, la Russie ou l’Inde en fassent de même. La deuxième est de renforcer l’appareil militaire afin de demeurer crédible, dissuasif et capable de défendre ses intérêts. 

Depuis quelques années, toute la réflexion doctrinale des Armées est tournée vers la préparation à la guerre de haute intensité. Pour simplifier, il faut que nos forces militaires soient à nouveau capables de s’engager dans une guerre longue, dure, létale et contre un adversaire technologisé, qu’il soit étatique ou non. Le général Vincent Desportes estime que pour que notre Armée soit capable de répondre à ce genre de défi, tout en restant interventionniste et en entretenant son arsenal nucléaire, il faudrait monter l’effort de défense à au moins 3% du PIB. Et vu à quel point il paraît difficile d’atteindre le seuil de 2%, nous en sommes encore loin…

Or, nous verrons dans la seconde partie de cet article que la réduction drastique des moyens alloués à la défense entre 1990 et 2015 ont transformé l’Armée française d’une armée de masse en une force échantillonaire et expéditionnaire. Elle est certes extrêmement performante et impressionnante sur les plans tactiques et techniques, mais incapable de s’engager dans un combat de haute intensité, qui requiert la mobilisation d’une masse critique (tant humaine que matérielle) sur le temps long.

Chroniques Atomiques – Partie 2 : Qui a tué la petite Astrid ?

Maxime Feyssac

Qui a tué la petite Astrid ?

Bonjour à tous et à toutes, et bienvenue dans cette nouvelle chronique atomique. Vous vous souvenez la dernière fois lorsque je vous disais que la France avait décidé d’abandonner ses programmes de recherches novateurs ? Eh bien aujourd’hui on va se pencher là-dessus. Soyez attentifs, aujourd’hui on va parler atomes et mots compliqués (mais promis on va rendre ça intéressant).

Août 2019 : mort de la petite Astrid

Le 30 août 2019, le CEA (Commissariat à l’Energie Atomique ; soit les gros bonnets du nucléaire en France), nous révélait le report à 2050 du projet de réacteur de quatrième génération ASTRID. Pour faire simple, ASTRID c’est un peu le projet qui devait nous remettre dans la course à l’énergie : un projet ambitieux, porté par une ribambelle de gens ultra compétents, qui allaient mettre leurs compétences au service d’un modèle de réacteur propre dernière génération. Ce projet représentait l’aboutissement de (très) longues années de recherche prévues par les lois sur la gestion des déchets radioactifs de 1991 à 2006. Pourtant, et conformément aux habitudes de notre gouvernement actuel, ni l’Assemblée Nationale ni le Sénat n’ont été consultés à ce propos.

L’enquête de l’OPECST

Heureusement, l’OPECST (l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques : un groupe de députés et de sénateurs en charge d’évaluer la stratégie française en matière d’énergie) a été saisi par le Bureau de l’Assemblée Nationale pour réaliser une enquête sur l’arrêt de ce projet, et « ses conséquences au regard des enjeux climatiques, énergétiques et industriels de notre pays ». Car le report de ce projet est un véritable crachat à la face de 30 années de recherche et de développement sur la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue (rien que ça). Ce domaine de recherche constitue en effet un des 3 axes de recherche majeurs initiés par la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs (la fameuse loi « Bataille »). C’est grâce à ces recherches que nous avons pu franchir la première étape qu’est la question de la séparation des éléments radioactifs, et porté notre choix sur la filière des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium.

Le projet ASTRID devait être quasi-révolutionnaire, et mener à la construction de prototypes destinés à réaliser la transmutation des éléments radioactifs à vie longue. Vous n’êtes pas sûrs de comprendre ? Ce n’est pas grave, retenez simplement ceci : dans les années 2010, « ASTRID » était synonyme d’espoir. Un espoir pour la recherche française, et pour toute la filière nucléaire française.

Mais alors que s’est-il passé ? Pourquoi avoir fait un croche-patte à la recherche française ? Cette décision s’inscrit en réalité dans le programme politique d’un gouvernement qui ne fait pas du nucléaire sa priorité. La programmation pluriannuelle de l’énergie de 2019-2028 n’évoquait pas spécifiquement le nucléaire dans le domaine de la recherche, tout comme la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030.

Au-delà de ces observations, il est intéressant de se pencher sur les constats de l’OPECST, qui a auditionné près d’une centaine d’acteurs de la filière nucléaire française pour apporter une réponse claire à la question : Qui a tué la petite Astrid, et pourquoi ?

Le mobile du meurtre

Tout d’abord, vous devez garder quelque chose à l’esprit : à l’échelle internationale, la France est considérée comme un acteur majeur du nucléaire, et jouit d’une avance incroyable en termes de recherche sur les réacteurs avancés à neutrons rapide, ainsi que sur le recyclage des combustibles usés. On ne s’en rend pas réellement compte en tant que Français, car les centrales nucléaires font partie de notre quotidien aujourd’hui (quand elles n’ont pas tout simplement mauvaise presse), mais les autres pays nous envient : la France est le boss final du nucléaire en Europe, et tout le monde le sait. Autant vous dire que les autres pays se réjouissent de nous voir abandonner cette filière, alors qu’eux se préparent à nous voler le devant de la scène. La Chine, la Russie et les Etats-Unis sont autant de rivaux qui intensifient leurs efforts de recherche sur le nucléaire du futur. Le nucléaire est aussi (et peut-être surtout) un enjeu de géopolitique. Et le fait que la France risque bientôt d’être dépassée en la matière envoie un message négatif aux jeunes chercheurs et scientifiques œuvrant dans ce domaine, et ces derniers risquent bientôt d’alimenter une fuite des cerveaux qui n’en finit pas.

Le coupable

Dans ses observations, l’OPECST a été clair : le CEA n’est pas l’initiateur de ce report, et essaie tant bien que mal de maintenir les acquis français dans le domaine. Mais même ce dernier avoue que d’ici une dizaine années, faute d’une trajectoire claire, ces acquis seront dépassés. Une recherche de pointe est ainsi indispensable si l’on veut à la fois rester dans la course du nucléaire, et maintenir le haut niveau de compétences des chercheurs et ingénieurs français.

Or, et nous le rappelions dans notre première partie : le nucléaire est l’outil indispensable de la transition énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique. Et ça, la plupart des pays en développement l’ont déjà compris ; alors pourquoi pas nous ?

Il se trouve que le domaine de l’énergie en France fait l’objet d’une guerre d’arrache-pied entre les promoteurs de différentes sources d’énergies. C’est un peu une sorte de battle royale entre les partisans du nucléaire, de l’hydrogène, du solaire, de l’éolien, du charbon, etc. Et certains en Europe (coucou l’Allemagne) voient d’un mauvais œil l’indépendance de la filière nucléaire française et aimeraient bien nous faire dépendre d’autres sources d’énergies. D’ailleurs, l’Allemagne cherche à tout prix à ce que le nucléaire ne soit pas qualifié « d’énergie verte » en raison de son faible bilan carbone. Car sinon, les Allemands devront reconnaître l’impensable, l’horreur, quasiment le nazisme : qu’ils sont tout simplement parmi les pires élèves de l’Europe en matière de climat. Ajoutez à tout cela un gouvernement de lâches qui suit bêtement les recommandations de François Hollande (elles aussi dictées par l’Allemagne) en fermant Fessenheim, et vous vous retrouvez avec un homicide volontaire commis en réunion sur la petite Astrid.

Conclusion : que dire, que faire ?

N’allez pas me faire dire ce que je n’ai pas dit : il n’y a pas de grand complot secret allemand qui voudrait détruire la filière nucléaire française. En revanche, il est indéniable que le nucléaire est un enjeu de géopolitique européenne qui suscite à la fois la convoitise et la méfiance. Il est normal que notre souveraineté énergétique (et donc économique) soit vue d’un mauvais œil, et si les rôles étaient inversés la France devrait se comporter de la même manière. Il est surtout de notre devoir de juger sévèrement nos responsables politiques qui n’osent pas défendre ce secteur clef de la souveraineté nationale, et de se mobiliser pour que le nucléaire continue de bénéficier d’un soutien de poids par nos institutions. Vous pouvez aussi écrire des articles dessus sur votre petit think-tank estudiantin pour diffuser un maximum ces infos auprès des jeunes et du grand public.

Le système représentatif français – partie 2

état des lieux des différentes compétences et organisations politico-administratives

Pour donner suite à la première partie de cette série d’articles portant sur le système représentatif français, qui proposait un état des lieux des différents modes de scrutin, il convient désormais de comprendre et de détailler les compétences de ces différents élus et organes politiques de manière synthétique. Nous tentons donc ici un nouveau choc de simplification dans le mille feuille politique français.

Pierre Vitali

Lucas Da Silva

Emilien Pouchin

La présidence de la République et le gouvernement

Compétences propres : garant de la Constitution, chef du pouvoir exécutif, chef des Armées, nomination du Premier Ministre, dirige le Conseil des Ministres, etc.

Compétences partagées : pouvoir réglementaire, composition du gouvernement, ratification des traités, nomination de hauts fonctionnaires, organisation de référendums, révision constitutionnelle, etc.

Le Président de la République dispose, conformément à la Constitution de 1958, de larges pouvoirs. Sur le plan symbolique, il est la clef de voûte des institutions, incarne l’autorité de l’Etat, veille à sa continuité et est garant de l’indépendance nationale.

Élu pour un mandat de 5 ans, il pourra impulser la politique pour laquelle il a été élu si les électeurs lui accordent une majorité à l’Assemblée nationale, lors des élections législatives. Dans le cas contraire, il se retrouve dans une situation de cohabitation et doit composer avec un gouvernement et une majorité n’ayant pas les mêmes priorités. Le Président de la République conserve cependant en temps de cohabitation ses pouvoirs propres et garde un rôle prépondérant dans son « domaine réservé », qui regroupe les affaires militaires et la diplomatie.

La répartition des pouvoirs entre le Président de la République et le Premier Ministre oscille selon les présidences. Selon la Constitution, le rôle du Premier Ministre est de conduire la politique voulue par le Président, de coordonner l’action gouvernementale et d’en être responsable. Ainsi, une fois élu, le Président se détache de ses électeurs et devient le chef de l’Etat et de tous les Français. Il incarne l’Etat sur le plan intérieur et extérieur et délègue la mise en œuvre de la politique pour laquelle il a été élu à son Premier Ministre et son gouvernement.

Le corps législatif national

Compétences : pouvoir législatif, contrôle de l’action gouvernementale, vote du budget

Le Parlement français est composé d’une chambre haute, le Sénat, et d’une chambre basse, l’Assemblée nationale. Contrairement aux IIIè et IVè Républiques, la Constitution de la Vè République a entériné une prédominance du pouvoir exécutif sur le législatif grâce à des processus de « rationalisation du parlementarisme ».

Le principal rôle du Parlement est de voter les lois. En premier lieu, le texte de loi est analysé et amendé dans la commission compétente, avant d’être adopté par celle-ci. Puis, le texte est examiné et voté par l’Assemblée dans laquelle il a été déposé, avant d’être discuté dans la seconde. S’ensuit alors une phase de va-et-vient entre le Sénat et l’Assemblée nationale, qui s’appelle la navette parlementaire, jusqu’à ce que les deux chambres tombent d’accord sur le même texte. En cas de désaccord, une commission mixte paritaire, composée de 7 parlementaires des deux chambres, est créée. Si cette commission échoue à trouver un texte consensuel, ce sont les députés de l’Assemblée nationale, jouissant de l’élection au suffrage universel direct, qui ont le dernier mot.

Le Parlement a également un rôle de contrôle de l’action gouvernementale. Ceci peut se faire par le biais des questions au gouvernement, de commissions d’enquêtes, du contrôle des dépenses publiques, etc. Les députés ont par ailleurs la possibilité de mettre en jeu la responsabilité du gouvernement, qui peut être forcé à la démission si une majorité d’entre eux vote la motion de censure.

Les parlementaires sont également compétents sur les questions budgétaires puisqu’ils doivent procéder annuellement au vote du budget, à travers la loi de finances initiale et les lois de finances rectificatives. Leur compétence ne se limite pas uniquement au vote puisqu’ils ont la possibilité de modifier la répartition des crédits selon les programmes budgétaires.

Enfin, le Parlement doit être consulté pour de nombreuses autres occasions, telles que la prolongation des opérations militaires, de l’état d’urgence ou de l’état de siège, l’approbation des traités internationaux, l’autorisation au gouvernement d’adopter des ordonnances, etc.

Le corps législatif européen

Compétences : législative, budgétaire et contrôle du pouvoir exécutif européen

Premier détail important au sujet du Parlement européen : c’est la seule institution de l’Union européenne (UE) élue au suffrage universel par les citoyens. Comme tout parlement, il a donc une première fonction de représentation du peuple souverain. Les sièges des eurodéputés sont répartis proportionnellement entre les Etats membres, et pour la France ils sont au nombre de 79 parlementaires. 

Concernant sa compétence législative, le Parlement européen s’inscrit dans la procédure de codécision : il se prononce sur les textes législatifs de l’UE en première lecture, avant de les soumettre au Conseil de l’Union européenne en deuxième lecture. Si les deux institutions s’accordent sur l’acte juridique, il est adopté. De nombreux textes législatifs européens sont conclus grâce à cette procédure et ce, dans des domaines essentiels qui vont de l’économie, de la sécurité et la justice, en passant par l’environnement ou l’agriculture… A savoir, les députés européens disposent aussi d’un droit d’initiative législative : ils peuvent demander à la Commission européenne de soumettre des propositions de textes.

S’agissant de sa compétence budgétaire, le Parlement européen se retrouve une nouvelle fois en étroite collaboration avec le Conseil de l’UE puisqu’ils établissent conjointement le budget annuel de l’Union et établissent les priorités budgétaires. Par ailleurs, concernant le budget pluriannuel (fixé tous les sept ans), celui-ci est adopté à l’unanimité du Conseil de l’UE après l’approbation du Parlement européen.

Enfin, sur son rôle de contrôle du pouvoir exécutif, il est chargé notamment :

  • de l’investiture de la Commission européenne : son ou sa président(e) est élu(e) par le Parlement européen à la majorité absolue (sur proposition du Conseil européen). Ensuite, les eurodéputés votent l’approbation ou non de chaque commissaire européen qui passe une audition afin d’être investi. 
  • du contrôle de l’action de la Commission européenne : il peut notamment adopter des motions de censure à son encontre et la contraindre à démissionner collégialement (ou à destituer un seul commissaire).

La région

Compétences : développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique, transports, lycées, formation professionnelle, aménagement du territoire.

Une fois que le conseil régional est élu, on lui donne la responsabilité de promouvoir le développement à tous les niveaux de son territoire, il doit également soutenir l’accès au logement et l’amélioration des habitats dans sa région, aider les villes à mettre en œuvre des politiques locales et à favoriser la rénovation urbaine…

S’agissant des transports, la région est chargée d’organiser la mobilité interurbaine mais aussi de la gestion des ports et des aéroports, des transports routiers interurbains et scolaires, des Trains Express Régionaux (TER), de la voirie…

Le conseil régional partage avec le conseil départemental la compétence du soutien aux politiques d’éducation. Il dispose en ce sens de la prérogative exclusive concernant la construction, l’entretien et le fonctionnement des lycées en France.

A propos de l’emploi, le conseil régional décide de l’octroi d’aides aux entreprises de la région, d’aides à l’innovation et à l’investissement, mais surtout il définit (en collaboration avec le préfet) des stratégies pour l’orientation des jeunes et les formations professionnelles pour les demandeurs d’emploi.

Enfin, la région est compétente pour l’aménagement du territoire et la protection de l’environnement en étant en charge : 

  • du développement durable et de l’égalité des territoires, 
  • de la gestion des déchets et de son recyclage,  
  • de la gestion de l’eau et de la qualité de l’air…

Le département

Compétences : action sociale, collèges, aménagement et transports.

Comme pour la région, le département est depuis 1982 une collectivité décentralisée aux compétences précises, même si on constate une perte d’influence de cette collectivité, notamment depuis la loi NOTRe de 2015. La clause de compétence générale souligne la vocation de promotion des solidarités et de la cohésion territoriale, via l’action sociale, pour l’enfance (Aide Sociale à l’Enfance, Protection Maternelle et Infantile), pour les personnes handicapées (maisons départementales des personnes handicapées), pour les personnes âgées (gestion de maisons de retraite) et pour les prestations légales d’aide sociale (Revenu de Solidarité active). Le département est également chargé d’un volet éducation, via la construction, l’entretien et l’équipement des collèges. Il est aussi en charge d’un volet aménagement et transport, avec l’équipement rural, le remembrement rural, l’aménagement foncier, la gestion de l’eau et de la voirie rurale, la gestion de la voirie départementale et le Service Départemental d’Incendie et de Secours. Enfin, le département a également des compétences culturelles, sportives et touristiques partagées avec les communes, les régions et les collectivités à statut particulier. 

La communes et l’intercommunalité

Compétences : urbanisme, logement, environnement, écoles.

La commune bénéficie de la clause de compétence générale, lui permettant de régler par délibération toutes les affaires relevant de son niveau. La commune est un organe exécutif de la “commune-collectivité décentralisée”, mais le maire est aussi le représentant de l’État dans la “commune-circonscription déconcentrée”. Cette double casquette fait de cet échelon un organe administratif et politique unique. La commune s’occupe ainsi de l’urbanisme et de la maîtrise des sols (plan local d’urbanisme, délivrance des permis de construire), de logement, de l’aide sociale (centres communaux d’action sociale), de la gestion des écoles élémentaires et maternelles, de la culture, du patrimoine, du tourisme et du sport. Cependant, les différentes lois, dont la loi NOTRe, ont renforcé les compétences optionnelles et obligatoires transférées de la commune à l’intercommunalité, développant ainsi le périmètre et les compétences des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Il peut s’agir d’une forme de coopération intercommunale relativement souple dite « associative », pour profiter d’économies d’échelle, comme le ramassage des ordures ménagères ou les transports urbains par exemple. Il peut aussi s’agir d’une forme de coopération plus intégrée dite « fédérative », d’une intercommunalité de projet, disposant alors d’un régime de fiscalité propre. 

Le système représentatif français – partie 1

état des lieux des différents modes de scrutin

Avec plus de 600 000 élus, plus de 7 modes de scrutin et autant de règles et fonctionnements différents, la démocratie française peut sembler complexe et il convient ici d’en dresser un portrait pour mieux comprendre notre République. 

Pierre Vitali

« Le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple » ne semble pouvoir s’organiser correctement dans un pays de 67 millions d’habitants que dans le cadre d’un système représentatif. C’est-à-dire une démocratie dans laquelle les citoyens expriment leur volonté par l’intermédiaire de représentants élus à qui ils délèguent leurs pouvoirs. Pour que cette délégation de pouvoir soit pleinement démocratique, il faut que ces postes soient ouverts à tous, via des élections régulières, dans un débat démocratique, où les oppositions sont entendues et légitimes. C’est dans ce cadre représentatif que les Français sont appelés à élire leurs 600 000 élus dans différentes élections. À l’approche des élections territoriales, face à l’abstention record, à la défiance et à la méconnaissance de cet univers politique, il convient ici d’essayer un choc de simplification pour présenter ces élus et leurs modes de scrutin. 

L’élection présidentielle

Mode de scrutin : uninominal majoritaire à 2 tours

Calendrier : tous les 5 ans, prochaine élection : mai 2022

Le Président de la République est élu, pour un mandat de 5 ans renouvelable, au suffrage universel direct depuis 1962. Il s’agit d’un scrutin uninominal majoritaire à deux tours. C’est-à-dire que pour être élu, il faut réunir au premier tour la majorité absolue des suffrages exprimés (50% + 1) ou au second tour recueillir la majorité relative des suffrages exprimés (candidat en tête). Dans cette élection, seuls les 2 candidats arrivés en tête au premier tour se retrouvent au second. Pour être candidat, il faut 500 parrainages titulaires de mandats électifs figurant d’au moins 30 départements ou territoires d’outre-mer et sans que plus de 10% d’entre eux puissent être issus du même département. 

Les élections législatives

Mode de scrutin : uninominal majoritaire à 2 tours

Calendrier : tous les 5 ans, prochaine élection : juin 2022

Les 577 députés sont élus, pour un mandat de 5 ans renouvelable, dans le cadre de la circonscription, au suffrage universel direct. Il s’agit d’un scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Il faut alors la majorité absolue des suffrages exprimés et un nombre égal au quart du nombre des électeurs inscrits au premier tour, ou la majorité relative au second, avec au moins 12,5% du nombre d’électeurs inscrits pour s’y qualifier. La circonscription est une division de territoire dans lesquelles sont élus les députés, mais ces derniers sont des représentants de la Nation. 

Les élections sénatoriales

Mode de scrutin : uninominal majoritaire à 2 tours

Calendrier : tous les 3 ans, prochaine élection : 2023

Les 348 sénateurs sont élus, pour un mandat de 6 ans renouvelable, dans le cadre du département, par collège électoral comprenant les sénateurs, les députés, les conseillers régionaux, les conseillers départementaux et les délégués des conseils municipaux. Le Sénat est renouvelé par moitié tous les 3 ans et le collège électoral a l’obligation de voter. Dans les départements qui élisent 1 ou 2 sénateur(s), l’élection se déroule au scrutin majoritaire à deux tours. Dans les départements qui élisent 3 sénateurs ou plus, le scrutin proportionnel par liste à un tour s’applique, avec des listes paritaires. 

Les élections européennes

Mode de scrutin : proportionnel plurinominal à 1 tour

Calendrier : tous les 5 ans, prochaine élection : 2024

Les 79 députés européens français sont élus, pour un mandat de 5 ans renouvelable, au suffrage universel direct depuis 1979. L’élection a lieu à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne. Les sièges sont répartis entre les listes ayant obtenu au moins 5% des suffrages exprimés. Les sièges sont attribués aux candidats d’après l’ordre de présentation sur chaque liste, composé de manière paritaire. La circonscription est désormais unique, au niveau national, alors qu’elles étaient avant 2019 régionales. 

Les élections régionales

Mode de scrutin : proportionnel avec prime majoritaire à 2 tours

Calendrier : tous les 6 ans, prochaine élection : juin 2021

Les 1 922 conseillers régionaux sont élus, pour un mandat de 6 ans renouvelable, au scrutin de liste à deux tours. Combinant les règles du scrutin majoritaire et proportionnel, la prime majoritaire attribue à la liste ayant obtenu la majorité absolue des suffrages au premier tour, ou qui est arrivée en tête au second, le quart des sièges à pourvoir (non pas à la moitié comme pour le scrutin municipal), les sièges restants étant répartis proportionnellement. Les listes sont paritaires, seules celles ayant obtenu au moins 5% des suffrages exprimés peuvent fusionner et 10% des suffrages exprimés pour se maintenir au second tour. Le conseil régional élit ensuite son président et ses vice-présidents.

Les élections départementales

Mode de scrutin : binominal majoritaire à 2 tours 

Calendrier : tous les 6 ans, prochaine élection : juin 2021

Les 4 031 conseillers départementaux sont élus, pour un mandat de 6 ans renouvelable, dans le cadre du canton, au scrutin binominal majoritaire à deux tours. Les binômes paritaires doivent recueillir la majorité absolue des suffrages exprimés et le quart des inscrits pour être élus au premier tour et la majorité relative au second, avec un seuil à 12,5 % des électeurs inscrits pour être candidat au second tour. Le conseil départemental élit ensuite son président à majorité absolue pour les deux premiers tours et à la majorité relative pour un éventuel troisième tour.  

Les élections municipales et communautaires  

Mode de scrutin : en fonction de la taille de la commune 

Calendrier : tous les 6 ans, prochaine élection : 2027

La commune, base de la démocratie, s’organise dans des conseils municipaux, qui sont élus au suffrage universel direct, pour un mandat de 6 ans renouvelable, dans 35 497 communes de France.

Le mode de scrutin utilisé pour cette consultation n’est pas uniforme sur l’ensemble du territoire, il en existe 3 qui varient selon la population des communes :  de moins de 1 000 habitants, de plus de 1 000 habitants ou les villes de Paris, Lyon, et Marseille. 

Pour les villes de moins de 1 000 habitants, les conseillers municipaux sont élus au scrutin majoritaire. Dans ce cas les suffrages sont comptabilisés individuellement, il n’y a pas d’obligation de parité femmes-hommes. Concrètement, pour le premier tour, les candidats ayant obtenu une majorité absolue des suffrages exprimés et le quart des électeurs inscrits obtiennent un siège au conseil municipal. Pour le second tour, les sièges restants sont répartis à la majorité relative, les candidats obtenant le plus grand nombre de voix sont élus.

Pour les communes de 1 000 habitants et plus, c’est un scrutin de liste à deux tours. Les listes doivent être paritaires avec alternance femme/homme ou inversement. Si la majorité absolue est obtenue au premier tour par une liste, il lui est attribué un nombre de sièges égal à la moitié des sièges à pourvoir et les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. Dans le cas contraire, il y a un second tour, où peuvent se présenter les listes ayant obtenu 10% des suffrages exprimés, elles peuvent être modifiées avec des candidats ayant figuré au premier tour sur une liste ayant au moins 5% des suffrages exprimés. La répartition est ensuite identique, la liste qui obtient le plus de voix obtient un nombre de sièges égal à la moitié des sièges à pourvoir et les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la proportionnelle, pour celles ayant obtenu plus de 5 % des suffrages exprimés. 

Pour les villes de Paris, Marseille et Lyon, les élections se font par secteur, mais les règles sont les mêmes que pour les communes de plus de 1 000 habitants. A Paris comme à Lyon, chaque arrondissement forme un secteur, 20 pour Paris et 9 pour Lyon et à Marseille, il existe 8 secteurs de 2 arrondissements chacun. Les sièges de membres du conseil de Paris ou du conseil municipal de Marseille ou de Lyon sont donc attribués au regard des résultats obtenus par secteur.

L’élection du maire et des adjoints est ensuite faite par le conseil municipal, qui se réunit au plus tôt le vendredi et au plus tard le dimanche qui suit l’élection du conseil au complet. Pour être élu maire, il faut obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés au deux premiers tours au sein des conseillers municipaux. Si après deux tours, aucun candidat n’a obtenu la majorité, on procède à un troisième tour et l’élection a lieu à la majorité relative. Puis, après l’élection du maire, le conseil municipal fixe par délibération le nombre des adjoints (au maximum 30% de l’effectif légal du conseil municipal) puis procède à leur élection.

Les 38 000 conseillers communautaires en charge de l’intercommunalité, sont élus en même temps que les conseillers municipaux dans les communes de plus de 1 000 habitants et sont désignés dans les communes de moins de 1 000 habitants.