Pourquoi la droite ne séduit plus

Ce qu’il manque à la droite en France, cette droite poussiéreuse et timorée.

Voilà ce qu’il manque à la droite, un idéal qui ne soit pas seulement constitué de quelques paillettes poétiques au parfum 《France éternelle》sur un ensemble bien trop rébarbatif et convenu (sécurité, méritocratie, travail…). Ce manque d’audace me révulse.

Rêver, ce mot qui hérisse l’épiderme de tout bon conservateur, sauf bien entendu si ce rêve se contente d’être un songe nostalgique, encadré et polishé. Une douce idéalisation d’un passé révolu, voilà tout ce qu’accepte le conservateur. Son esprit ne veut – ou ne peut – concevoir un idéal nouveau qui fuirait les chaînes du passé pour embrasser l’incertitude de l’avenir. Que l’on ne s’y méprenne pas, l’idéal réactionnaire (au sens noble du terme), celui du retour à une France d’antan, est un rêve compréhensible – et même à certains égards séduisant-, mais plus encore que l’utopie révolutionnaire, celui-ci ne peut aboutir. Le conservateur veut contraindre le temps. Il veut rebrousser chemin sans se douter que le pont de l’histoire ne peut être franchi qu’une seule fois. Le conservateur, comme le révolutionnaire, est un nihiliste. Le premier veut remonter le temps, le second voudrait l’accélérer et le modeler, tous deux refusent d’observer l’époque telle qu’elle se contente d’être.

Ils pensent à ce qui n’est pas et devrait advenir, ces grands juges des époques et des hommes !

L’idéal conservateur est pourtant d’une infinie puissance, car, contrairement à l’utopie révolutionnaire, son projet fut. Il en conserve traces et vestiges. Et lui pense que ce qui fut peut renaître. Voilà toute la mystique de cet homme. Dégoûté de son époque, du temps qui court, il s’accroche aux piliers de la France éternelle comme l’enfant suspendu à la jambe de sa mère. Mais, pris par l’intensité de cette étreinte passionnelle, il ne voit plus. Il refuse de comprendre que son étreinte, aussi douce soit-elle, le fait passer à côté du temps et de l’époque.

Je vous parle d’emporter les foules par une vision d’une société meilleure, vous me renvoyez à gauche. Quel aveu d’impuissance.

Voilà ce qu’il manque à la droite, un idéal qui ne soit pas seulement constitué de quelques paillettes poétiques au parfum 《France éternelle》sur un ensemble bien trop rébarbatif et convenu (sécurité, méritocratie, travail…). Ce manque d’audace me révulse. Je vous parle d’un rêve, vous me répondez au mieux, par feinte et frilosité, « innovation, technologie, économie… ». Je vous parle d’emporter les foules par une vision d’une société meilleure, vous me renvoyez à gauche. Quel aveu d’impuissance. La droite serait donc incapable de proposer un idéal qui s’éloigne des digues convenues du conservatisme sans pour autant prendre peur de tomber dans le ravin du nihilisme égalitariste de gauche ? 《Le rêve c’est la gauche, nous on fait pas dans l’utopie! », voilà tout ce que l’on trouve à me répondre. Hérésie, tragique aveu de faiblesse ! La droite entend vouloir mener un combat culturel, métapolitique me souffle-t-on à l’oreille, mais joue les petits bras au moment même où s’ouvrent les grilles de l’arène intellectuelle. Préférant rebrousser chemin vers une France convenue que de combattre pour un idéal digne de ce nom. La vérité nous la connaissons, la droite française ne pense plus depuis le 20ème siècle, elle se contente de réagir et de s’opposer tout en répétant les mêmes poncifs quasi millénaires.

La droite doit choquer, car c’est son essence même.

J’entends certains me répondre《 La droite est conservatrice par essence ! , douce folie ! Historiquement c’est certain la droite est conservatrice, encore aujourd’hui elle sait conserver, mais la réduire à ce trait de caractère c’est signer son arrêt de mort. Trop souvent le conservateur se camoufle derrière ses illusions pour ne pas passer pour ce qu’il est en réalité, un être tristement passéiste, dénué de toute imagination et profondément timoré. Bien trop souvent la droite se réfugie derrière son conservatisme pour ne pas avoir à proposer un idéal politique autre que son grand bond en arrière et son langage technocratique. Radicale, voilà un trait politique qui correspond nettement mieux à ce qu’est l’essence philosophique de la droite Française. Cette radicalité, c’est celle des idées sans concession, c’est l’audace du verbe, la plume combattante, quoi qu’il en coûte, par-delà la morale sociétale, bousculant sans hésiter la « bienséance », mettant toujours en doute la modernité et ses discours séduisants en les faisant passer par l’épreuve du réel. La droite doit choquer, car c’est son essence même. De Baudelaire à Aron, toujours cette même radicalité, ce refus des évidences, cette poésie succulemment humaine et affranchie, voilà sa constance. La droite moderne est asservie, domptée par une aristocratie bien assise le derrière dans la soie, cette droite ne pourra jamais retrouver son essence, elle se contentera d’être « conservatrice », soumise qu’elle-est à la socio-culture ambiante.

La droite devrait refuser le nihilisme, car elle exècre ceux qui préfère parler de ce qui devrait être plutôt que ce qui est, elle doit être libérale, car follement amoureuse de l’homme libre jusque dans ses dérives, elle doit aussi rester politique, avec l’ensemble des thèmes classiques (et poussiéreux) que cela suppose : travail, ordre, mérite, grandeur…Mais elle doit par-dessus tout se mettre à la recherche d’un idéal civilisationnel et humain, elle doit réapprendre à se perdre dans les méandres de l’esprit, oser aller sur les terres intellectuelles de la gauche et combattre l’adversaire sur son propre terrain sans répéter les mêmes poncifs importés directement de l’alt-right américaine. J’entends souvent, dans les cercles intellectuels de droite, ce fameux argument d’une gauche qui « n’accepterait pas le débat ! », mais rien d’étonnant à la lueur de la qualité de l’argumentation invoquée, un condensé de sophismes et de raccourcis idéologiques sur fond d’importation idéologique américain. La droite qui ose est combattante, elle écrit, elle pense et compose. Elle se refuse à n’être qu’une force politique passéiste, se cachant derrière des formules vides telles qu’une supposée « politique de proximité », le fameux « attachement républicain », ou le triptyque « égalité, liberté, fraternité », autant de formules d’un humanisme de bon aloi, écope du Titanic, qui ne dérange rien et dont chacun fait, au fond, bien ce qu’il veut.

Riez de leur malheur car quiconque a côtoyé la jeunesse de droite saisit aisément qu’il n’existe manifestement et malheureusement pas d’esprits plus convenus et désespérément plats.

On dit que s’en prendre à ceux qu’on aime, c’est garder l’espoir de les rendre meilleurs. J’aime la droite dans la constance qu’elle incarne, dans sa mystique campagnarde et historique, dans sa droiture morale, mais le temps n’est plus à l’autofélicitation. Le temps est à l’action lucide, au renouveau. Aussi, regardez-les lorgner sur la moindre petite goutte de fraîcheur et d’idéal qu’ils pensent voir s’incarner dans la jeunesse. Observez-les tenter péniblement d’amasser de jeunes militants dans leurs réunions d’antiquaires. Riez de leur malheur car quiconque a côtoyé la jeunesse de droite saisit aisément qu’il n’existe manifestement et malheureusement pas d’esprits plus convenus et désespérément plats. Le mimétisme culturel et idéologique, voilà tout ce qui les gouverne, aucune étincelle ne jaillit de ces esprits interchangeables et avides de situations. La droite rêve de la jeunesse subversive qui lui donnerait l’impulsion d’idéal qu’elle implore, mais la jeunesse de droite rêve de constance et d’ordre établi ; quelle boucle tragique ! Je rêve de ces esprits dont Péguy faisait partie, résolument conservateurs, mais que la vie aurait doté d’une puissance créative et de la capacité de divagation intellectuelle, formule de base de l’idéal, perce-neige au milieu de la banquise.  

Une fois l’adversaire défait, l’absence d’idéal politique et d’audace civilisationnelle sera tragiquement visible.

La droite française est une immense comédie. Elle sait pertinemment que ce manque d’audace, d’incarnation, pour faire court de rayonnement captivant, lui nuit. Elle se débat dans cet océan de convenance, plat et sans saveur, elle recycle et ne fait que cela. Elle ne réfléchit plus, et quand elle s’essaye péniblement à la confection d’idées, elle ne parvient pas à sortir du prisme de son conservatisme. Pire, elle s’accommode volontiers de cette odeur de ranci. Tellement avide du combat culturel qu’elle a elle-même déserté avant même de croiser le fer, elle s’érige, seule et de son plein gré, en victime de l’ordre établi dans une immense comédie victimaire. Cherchant par tous les moyens cette adrénaline, la droite la plus conformiste et poussiéreuse du monde cherche à se refaire une virginité à grands coups de «réinformation », « politiquement correct », « résistance », «idéologie dominante », «monopole idéologique»…Autant de sophismes pour camoufler son classicisme et son absence d’idéal. Don Quichotte réactionnaire avec la gauche pour moulin.

À défaut d’un véritable idéal politique, la droite française se contente de s’ériger en adversaire du « progressisme ». Soit. Mais se définir contre ne suffira pas. Une fois l’adversaire défait, l’absence d’idéal politique et d’audace civilisationnelle sera tragiquement visible. La politique doit toucher le cœur et faire vibrer les âmes, elle doit être passionnelle et brûlante.

Je reproche à cette droite « tiède » de ne pas être capable de mettre sur pied un idéal sociétal par peur d’entrer en concurrence directe avec le projet utopiste de la gauche postmoderne. Comme si « idéal », « nouveau paradigme », « subversivité » étaient des termes exclusivement assignés au projet révolutionnaire, comme s’il était impossible de faire rêver tout en gardant les sous-bassement philosophiques d’une droite forte que sont la pérennité culturelle et la stabilité sociale. « Une autre société » n’est pas synonyme de collectivisme égalitaire. Voilà la pierre angulaire de la conquête idéologique de la gauche en France sur le 20ème siècle, avoir castré la capacité d’abstraction philosophique de la droite en privatisant « l’idéal ». Cette dernière s’étant alors résolue à ronger l’os du passé, feignant la satisfaction, jusqu’à sa mort.

La gauche est puissante dans les esprits, car malgré ses nombreux défauts, elle n’a pas déserté le terrain des idées.

La gauche n’a pas le monopole de l’idéal. Aujourd’hui, nombre de mes camarades s’étonnent de « l’influence des idées de gauche en France ». Crédules créatures, découvrant la plus puissante des propagandes, le philtre d’amour politique par excellence, l’alpha et l’oméga de la grande mascarade politique : le rêve. La gauche est puissante dans les esprits, car malgré ses nombreux défauts, elle n’a pas déserté le terrain des idées. Pire, elle y règne en maître depuis la débâcle de la droite au 20ème siècle. Par pitié, ne m’opposez pas le si classique « la droite aussi produit des idées !», vous savez aussi bien que moi que non. La droite ne produit plus d’idées, au pire elle repeint de vieux poncifs technocratiques, au mieux elle importe directement les discours des Républicains d’outre-atlantique. « Libéraliser l’économie », « reformer le tissu social », « renforcer le socle républicain », bien que chargés de bonnes intentions, assumez que ces poncifs ne font plus rêver personne depuis trois générations. 

La droite doit rester ce qu’elle est, garder son lien intime avec le réel et sa méfiance vis-à-vis des utopies, mais elle doit aussi apprendre à viser les cœurs au point de les faire battre en proposant plus que sa boucle « sécurité, mérite, ordre, identité ». Cette droite timorée face à l’avenir, ayant oublié sa tradition philosophique radicale et n’invoquant les esprits du passé que pour cacher son absence d’audace prospective, court le risque de sa propre disparition.

L’auteur

Etienne Le Reun

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Complotisme : la nouvelle religion de la postmodernité ?

L’ère de la prolifération des théories du complot : la religion de la postmodernité ?

C’est l’un des grands marqueurs et enjeux de notre époque : le complotisme prend ses racines absolument partout, envahit l’espace public, voile la Vérité et prend toujours les apparences de l’authenticité et de la Révélation. Dans quelle mesure le conspirationnisme rencontre-t-il de l’écho en France et plus généralement à l’échelle planétaire au XXIe siècle ? Qu’est-ce que ces théories non fondées révèlent de la condition humaine et de l’état de notre société ? 

Loin d’être un phénomène nouveau, le complotisme prend toutefois une ampleur inédite lors des dernières décennies. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le philosophe Karl Popper fondait le fameux concept de « théories du complot » et l’expliquait ainsi : « C’est l’opinion selon laquelle l’explication d’un phénomène social consiste en la découverte des hommes ou des groupes qui ont intérêt à ce qu’un phénomène se produise (parfois il s’agit d’un intérêt caché qui doit être révélé au préalable) et qui ont planifié et conspiré pour qu’il se produise. ». L’un des termes-clé dans cette assertion est celui d’opinion, le conspirationnisme n’est rien d’autre qu’un sentiment, qu’un avis empli de subjectivité. Cela n’empêche pas qu’une théorie du complot puisse être partagée et défendue par des milliers de citoyens, mais cet élément purement quantitatif ne devrait jamais donner une quelconque légitimité ou véracité à des jugements imaginaires ne reposant sur aucun élément tangible ni scientifique.

79% des citoyens français croiraient à au moins une théorie du complot.

Pourtant, fort malheureusement, les complotistes se caractérisent souvent par une extrême ténacité ; à cause de leur obstination sans faille, certaines théories du complot ont la vie dure. D’ailleurs, les Français n’y sont pas imperméables, bien au contraire, comme le prouve notamment une enquête de l’Ifop publiée au début de l’année 2018 : 79% des citoyens français croiraient à au moins une théorie du complot. Celles qui rencontrent le plus de succès à l’échelle mondiale et qui font preuve d’une pérennité impressionnante sont bien connues : les Américains n’auraient jamais marché sur la Lune (16% des Français soutiendraient ceci), la planète Terre ne serait pas ronde mais plate (théorie qui rencontrerait l’approbation de 9% des Français tout de même !), le sida serait un virus créé en laboratoire (ce qui fait évidemment écho aux théories concernant la Covid-19 que l’on rencontre actuellement) ou encore l’industrie pharmaceutique entretiendrait un lien étroit avec l’Etat pour cacher la prétendue nocivité des vaccins (théorie complotiste qui touche vraisemblablement le plus de Français puisque 55% y adhéreraient). 

« l’imaginaire du complot est insatiable, et la thèse du complot, irréfutable : les preuves naïvement avancées qu’un complot n’existe pas se transforment en autant de preuves qu’il existe»

Toutes ces théories complotistes sont durables et se dotent souvent d’arguments paraissant inébranlables. Selon le politologue français Pierre-André Taguieff, les thèses complotistes ouvrent des débats inféconds car ceux qui les défendent et les propagent ne semblent jamais ouverts à la contradiction :  « l’imaginaire du complot est insatiable, et la thèse du complot, irréfutable : les preuves naïvement avancées qu’un complot n’existe pas se transforment en autant de preuves qu’il existe ». Et c’est là tout le problème et l’enjeu pratiquement insurmontable que posent les théories du complot : les conspirationnistes sont radicalement attachés à leur croyance ; ils agissent exactement comme des religieux : de même que l’existence de Dieu ne pourra sans doute jamais être prouvée, la part de vérité qui peut exister dans les thèses complotistes ne sera certainement jamais démontrée scientifiquement. Pire encore, il est bien plus aisé et reposant pour l’esprit humain de tenir des propos invérifiables que de prendre le temps de s’informer correctement avec des sources fiables et documentées. Ainsi, l’on comprend mieux pourquoi toutes ces spéculations conspirationnistes prenant forme dès qu’un évènement planétaire surgit se généralisent beaucoup plus rapidement que les thèses s’approchant de la Vérité. Dans ce contexte inversé, cela demande significativement plus de temps et d’énergie de remettre en question les théories du complot que de les faire siennes et de les répandre dans l’univers privilégié des « Fake news » : celui des réseaux sociaux. 

Sur la question de l’essor d’une apparente « nouvelle religion », l’on peut y répondre prudemment et partiellement en soutenant que l’homme a toujours eu besoin de croire en quelque chose, c’est ce qui donne parfois du sens à sa vie et c’est ce qui peut répondre à sa quête de spiritualité. Comme l’affirmait le philosophe italien Umberto Eco à ce propos : « Les gens ne peuvent admettre que les choses arrivent «comme ça». L’idée du complot est à la base de toute religion : il faut qu’il y ait une volonté à l’origine des événements, qu’elle soit d’origine divine ou humaine. Ainsi, le crime ou la grande catastrophe n’arrivent jamais par hasard ! Le complot machiavélique derrière les événements […] répond à un besoin humain. ». Voici donc l’une des principales caractéristiques communes entre le conspirationnisme et la religion : la tentative d’expliquer l’inexplicable, le désir de s’enfermer dans des croyances « confortables » pour l’esprit humain, la volonté d’éclipser le hasard des choses… 

1-  Karl POPPER, La Société ouverte et ses ennemis, 1945. 

2-  Fondation Jean-Jaurès & Conspiracy Watch, sondage Ifop, « Le conspirationnisme dans l’opinion publique française », 2018. 

3-  Pierre-André TAGUIEFF, La Foire aux illuminés : ésotérisme, théorie du complot, extrémisme, 2005. 

Mais pourquoi faut-il combattre le monde dépeint par les complotistes ?

Comme dit plus tôt, c’est en partie à cause de l’avènement d’Internet que les théories conspirationnistes rencontrent un succès sans précédent et touchent un public maniable et crédule. Le problème, c’est que ce monde fantasmé décrit par les complotistes enferme rapidement ceux qui veulent bien y adhérer dans une forme de paranoïa permanente et même parfois dans une solitude profonde. Dans l’esprit de ces croyants, un raisonnement dangereux est susceptible d’apparaître : si ceux qui gouvernent mon pays me manipulent sans cesse et me cachent la Vérité, pourquoi mes proches, ma famille, mes amis ne me mentiraient-ils pas eux aussi ? Et c’est là toute une vision hautement dégradée de la condition humaine qui risque de germer… En effet, celui qui souscrit à plusieurs théories du complot s’emprisonne dans une méfiance généralisée à l’égard de tous les éléments de sa vie, excite l’individualisme (puisque chacun pourrait désormais se créer souverainement sa propre « vérité ») et le monde se trouve encore plus « désenchanté » pour reprendre l’expression du sociologue Max Weber. Après le long processus de sécularisation des deux derniers siècles qui s’est traduit par un recul important des croyances religieuses traditionnelles dans notre société occidentale, nous sommes peut-être en train de connaître un effacement des explications scientifiques et rationnelles au profit de rumeurs et de fantasmes. 

De plus, il convient de lutter contre l’essor du conspirationnisme puisque celui-ci contient parfois toutes les composantes d’un processus de radicalisation : le complotiste aguerri tend à devenir de plus en plus « extrême » dans la défense de ses idées, il cherche constamment à imposer son point de vue et tient ses croyances comme absolument inébranlables ; le complotiste convaincu se distingue également par un activisme ostensible et efficace en ciblant les individus les plus vulnérables : l’on ne compte plus les vidéos conspirationnistes sur Internet qui sont accessibles en quelques clics. 

Par ailleurs, comme chacun sait, les jeunes représentent la catégorie de la population qui utilise le plus l’outil informatique. En parallèle, ce sont sans surprise les jeunes qui semblent adhérer le plus à des théories du complot. Ainsi, toujours selon l’enquête de l’Ifop de 2018, les moins de 35 ans seraient deux fois plus nombreux à adhérer à au moins sept théories que les plus de 35 ans (21 % contre 11 % en moyenne, les plus de 65 ans n’étant que 5 % dans ce cas) ! Ce sont des chiffres évidemment très préoccupants et qui posent des défis majeurs concernant : l’éducation de nos jeunes, la confiance dans les médias et dans nos politiques, notre démocratie même au sein de laquelle le règne de la post-vérité (concept qui traduit une victoire des émotions et/ou des opinions subjectives face à la réalité des faits) ne serait pas tolérable. 

Un point commun est à relever chez la majorité des aspirants au djihad : être convaincu au début du processus de radicalisation par une théorie du complot qui donne une « grille de lecture paranoïaque » du monde.

En outre, fait plus inquiétant, selon l’anthropologue française Dounia Bouzar (qui a créé un centre pour lutter contre la radicalisation islamiste des jeunes en 2014), un point commun est à relever chez la majorité des aspirants au djihad : être convaincu au début du processus de radicalisation par une théorie du complot qui donne une « grille de lecture paranoïaque » du monde. Qui plus est, le complotisme contient historiquement dans ses codes un langage empli de malveillance : le mythe du complot juif est l’un des exemples les plus frappants de la haine qui peut s’installer dans la pensée conspirationniste.

4-  Emmanuel GEHRIG, Le Temps« Umberto Eco : « Chercher un ennemi est une tendance universelle » », 2014. 

En guise de conclusion, derrière ce tableau peu reluisant, tout n’est évidemment pas noir dans le complotisme ; ce phénomène a toujours existé chez l’homme pour tenter de saisir les évènements exceptionnels liés au hasard de la marche du monde. Il répond à un besoin fondamental de comprendre, d’expliquer, de trouver des causes aux faits… Bien qu’étant souvent signe de paresse intellectuelle, le conspirationnisme peut être louable dans le sens où l’individu qui y succombe érige le doute en principe fondateur, il cherche à devenir un véritable protagoniste dans la vérité à laquelle il croît plutôt que de recevoir sans réflexion personnelle les vérités qu’on lui sert. Il est effectivement important pour le citoyen (actif) de garder son esprit critique en remettant en question les versions officielles dès lors que des éléments suspicieux remontent et que des faits avérés apparaissent, rappelons que le doute conserve sa dimension vertueuse dans l’exercice de la philosophie et dans la célébration de l’homme libre. Néanmoins, s’il devient complotisme et défiance, ce doute n’est plus que vice. Gardons-nous de brandir le scepticisme pour discréditer ou disqualifier à l’avance toute version du monde qui aurait le malheur de ne pas correspondre à l’idée qu’on s’en fait. 

L’auteur

Lucas Da Silva

Le double-jeu des Frères Musulmans

Comment les Frères Musulmans ont pris en otage l’islam occidental

La France est-elle obsédée par l’Islam ? Est-elle Islamophobe ? A comprendre : les Français éprouvent-ils une peur déraisonnée et maladive de l’islam qui leur fait ramener tout problème politique aux musulmans ? Après tout, d’un point de vue extérieur, il y a de quoi se poser la question.

Zemmour, Finkielkraut, ou autre Houellebecq semblent en effet tout ramener (ou presque) à l’Islam et comptent parmi les personnalités politiques préférées des Français (comme l’attestent leur audience à la télévision et à la radio). Par ailleurs, la question du voile semble crisper bon nombre de Français, comme l’a montré la récente polémique autour de cette jeune fille voilée qui donnait des conseils de cuisine sur BFMTV. En somme,  l’éternel débat de « laïcité VS Islam » est chaque semaine ramené sur les plateaux par un nouveau fait divers.

En matière d’Islam, la France passe en effet sur la scène internationale pour le mauvais élève de la classe face à ses petits camarades plus libéraux (et bien souvent anglo-saxons). Pourquoi ne peut-elle pas s’accoutumer de ces nouvelles mosquées, de ces nouveaux cheiks, de ces jeunes filles voilées, de ces commerces hallals, ou encore de ces nouveaux centres culturels, comme le font si bien l’Angleterre et l’Allemagne ? La France, comme toujours, ne s’accommode que très peu de ce conformisme européen. Mais est-ce réellement par pure haine de l’Islam et des musulmans ?

Si je vous dis « Frères Musulmans », que me répondez-vous ? La plupart des lecteurs, moins informés, penseront sûrement « groupuscule islamique un peu obscur », ou peut-être « collectif étranger plus ou moins proche des islamistes », voire même ou peut-être tout simplement « organisation musulmane ». Mais combien penseront « organisation islamiste et totalitaire à vocation à conquérir le monde musulman et l’Islam en Europe » ?  La plupart des Français sont en effet loin de s’imaginer l’importance qu’a joué cette organisation dans l’évolution de l’Islam en France et dans la perception qu’ont les Français de l’Islam.

Un mouvement totalitaire ?

Tout d’abord, qui sont ces fameux Frères Musulmans (al-Ikhwān al-Muslimūn) ? Les Frères, c’est une organisation au discours panislamiste (s’adressant à tous les partisans de l’islam afin de les unifier sous leur joug) née en 1928 en Egypte, à l’initiative du cheikh Hassan Al-Banna (retenez bien ce nom). Cette organisation sunnite a deux objectifs : d’une part, libérer l’Egypte du contrôle britannique, et d’autre part prendre le pouvoir afin d’imposer à la population les valeurs de l’Islam. « L’Islam est le système parfait d’organisation sociale, qui accompagne tous les aspects de la vie », disait le fondateur des Frères dans ses discours. Les Frères prônent en réalité un retour à l’Islam primitif, principalement basé sur la mise en place de la Sharia comme seule forme de gouvernement possible, afin de rétablir un Califat, y compris par le jihad si nécessaire (comme ce fut le cas à Gaza ou en Syrie). Mais leur méthode de prédilection demeure le prosélytisme et l’entrisme politique, comme le permet la démocratie libérale. Cette méthode vise à (ré)islamiser les territoires par étapes : tout d’abord “l’individu et le foyer musulman” à l’échelle des individus et de la famille ; puis le “peuple musulman” en tant que masse ; enfin vient  le “Califat”, qui se conclut idéalement par la “domination planétaire” (Tamkine). Tout ceci est décrit dans le manifeste des Frères en cinquante points rédigés en 1936 : Da’watuna (« Notre Appel »). Al-Banna y préconise par exemple de « réformer les lois pour qu’elles se conforment à la législation islamique ; de fortifier l’armée et multiplier les phalanges de jeunes en les éduquant à la ferveur de la guerre sainte (jihad) ; […] ; de supprimer toutes les sortes de jeux de hasard, (…), la consommation du vin et de la drogue ; la mixité; les dancings, les jeux libertins; d’exercer une censure sur le théâtre et sur le cinéma; d’utiliser la radio comme un moyen pour promouvoir une éducation civique et morale; de revivifier le rôle de la “hisba” (police des mœurs),  de réprimer tous ceux qui ne respectent pas les préceptes de l’islam; de mettre fin à l’esprit occidental dans les foyers, etc. » Et la liste est encore longue.

Les Frères Musulmans ont directement collaboré avec les Nazis eux-mêmes.

Il n’est pas exagéré de parler ici de mouvement totalitaire, surtout lorsqu’on sait que le mouvement est créé seulement 8 ans après le parti nazi, et 7 ans après le parti fasciste italien, soit en plein âge d’or des totalitarismes. D’autant plus que les Frères Musulmans ont directement collaboré avec les Nazis eux-mêmes. Amin Al Husseini, grand Mufti de Jérusalem et Frère envoyé en Palestine par Hassan, fut par exemple en charge du recrutement des divisions SS musulmanes bosno-albanaises Handzar et Skanderbeg ; il fut également un des proches conseillers d’Adolf Hitler en personne. Al Husseini fut bien-sûr condamné au procès de Nuremberg, mais parvint à s’exiler en Egypte grâce aux Frères, aux côtés d’autres dignitaires nazis. Faisons-nous l’avocat du Diable : et si ce n’était qu’un membre anecdotique et qu’il avait agi de son propre chef ? Alors écoutons l’avis du fondateur de la confrérie sur Al-Husseini : « sa valeur est égale à celle d’une nation entière. Le mufti est la Palestine ! La défaite d’Hitler et de Mussolini ne t’a pas effrayé. Quel héros, quel miracle d’homme ! L’Allemagne et Hitler ne sont plus, mais Amin al-Husseini poursuivra le combat. » Charmant, n’est-ce pas ? Un autre membre des Frères, Saïd Ramadan, père du désormais célèbre Tariq Ramadan et lui-même gendre du fondateur Al-Banna, s’est également appuyé sur l’aide du banquier nazi suisse et héritier du trésor du Reich François Genoud, afin d’établir en Suisse et en Allemagne les premières bases des Frères musulmans. 

« tout au long de l’histoire, Allah a imposé aux Juifs des personnes qui les puniraient de leur corruption. Le dernier châtiment a été administré par Hitler. »

Mais continuons à nous faire l’avocat du Diable : c’était il y a longtemps après tout, peut-être que cela ne reflète plus l’idéologie actuelle des Frères. Penchons-nous maintenant sur les propos de Youssef al-Qardaoui, fondateur-président de nombreuses structures des Frères musulmans en Europe, datant du 28 janvier 2009: « tout au long de l’histoire, Allah a imposé aux Juifs des personnes qui les puniraient de leur corruption. Le dernier châtiment a été administré par Hitler. Avec tout ce qu’il leur a fait — et bien qu’ils aient exagéré les faits —, il a réussi à les remettre à leur place. C’était un châtiment divin. Si Allah veut, la prochaine fois ce sera par la main des musulmans ». Pas facile de vouloir jouer les Dupont-Moretti dans le cas présent. Vous serez d’ailleurs sûrement ravis d’apprendre que ce même Qardaoui, qui est rappelons-le l’auteur de plusieurs fatwas appelant aux meurtres aussi bien des juifs que des homosexuels, a été salarié à la mairie de Londres, ce qui lui a permis de fonder des institutions panislamistes au Royaume-Uni, mais aussi en France, notamment à l’Université de Saint Léger de Fougeret afin d’y former des “imams européens”. Il intervient aussi en Irlande, puisque membre du Conseil européen de la fatwa de Dublin, qui invite les musulmans européens à vivre selon la “charia de minorité”. Dites-vous que l’on confie la formation d’imams européens à un homme qui déclarait à l’antenne d’Al-Jazeera le 6 décembre 2002 : « L’islam va retourner en Europe comme un conquérant et un vainqueur après en avoir été expulsé à deux reprises […] Cette fois-ci, la conquête ne se fera pas par l’épée mais grâce au prosélytisme et à l’idéologie. » Sympathique. 

Enfin, afin d’établir une bonne fois pour toute leur caractère totalitaire, jetons un œil au programme politique des Frères Musulmans. Tout d’abord, en termes de libertés politiques, les Frères musulmans font dépendre la participation citoyenne et démocratique des individus à une conformité aux principes de la Sharia islamique. A comprendre: si vous n’êtes pas un « bon » musulman, pas de participation à la vie politique. Quant aux libertés individuelles, les Frères musulmans encadrent la liberté de pensée, d’expression et de création dans les règles morales de la Sharia ; encore une fois, assez peu de libertés. On ne s’attardera même pas sur les droits des femmes, dont la participation politique se limite aux élections municipales, et qui doivent être séparées des hommes dans les salles de classe, dans les transports publics et même sur le lieu de travail. Pour ce qui est de l’économie, les Frères musulmans plaident pour une nationalisation par l’État de tous les services publics, ce qui nous permet de comprendre l’électoralisme de certains élus d’extrême gauche qui y voient là un intérêt commun. Les Frères musulmans sont, bien-sûr, opposés aux institutions démocratiques, et souhaitent un gouvernement islamique fondé sur la Sūra (une assemblée consultative), couplé à une vénération d’un Guide suprême (type iranien). Remplacez l’arabe par de l’allemand ou du russe, et vous retrouvez là les mêmes éléments que dans la plupart des totalitarismes.

Frères musulmans, envahisseurs de l’islam ?

Mais il serait trompeur de confondre Islam et Frères Musulmans, puisque le but des Frères est bien de convertir tous les musulmans à leur vision primitive de la religion. Dénoncer leurs agissements est au contraire une preuve d’attachement non seulement aux identités et cultures musulmanes locales, mais aux musulmans eux-mêmes. Les Frères essayent ainsi en permanence d’étendre leur influence, comme c’est le cas avec le Hamas Palestinien (qui est une branche issue des Frères), mais aussi en Jordanie, en Syrie et d’autres pays du Golfe, comme le Qatar et l’Iran qui sont  leurs principaux créanciers. Ils ont également énormément progressé en Afrique du Nord et au Soudan. Les Frères sont d’ailleurs officiellement considérés comme organisation terroriste par de nombreux pays, tels l’Egypte (qui ne connaît que trop bien leur dangerosité), la Russie, la Syrie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. 

Leurs appels constants au jihad montrent également à quel point cette organisation souhaite exacerber les tensions entre musulmans et non-musulmans.

Leurs appels constants au jihad montrent également à quel point cette organisation souhaite exacerber les tensions entre musulmans et non-musulmans. Les fondateurs des Frères, Hassan al-Banna et Sayyid Qutb, firent par exemple tous deux l’apologie du jihad, allant jusqu’à l’ériger en sixième pilier de l’islam. 

Leur doctrine s’inspire directement du salafisme et du wahhabisme, et prône clairement un islam réactionnaire, irréconciliable avec les principes occidentaux. En France, l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), structurée sous la tutelle idéologique des Frères Musulmans, a par exemple quitté en 2013 le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), en raison de désaccords idéologiques et religieux. Bien conscients de ce mauvais calcul politique, ils essayent depuis de se refaire une beauté auprès du grand public, notamment en demandant à réintégrer le CFCM, mais aussi en changeant de nom pour « Musulmans de France ». Vous noterez le choix de « Musulmans de France » plutôt que « Musulmans français », qui symbolise implicitement un refus de l’assimilation républicaine. Leur but est clairement de s’imposer comme seuls représentants des musulmans en France ; ainsi être en désaccord avec eux serait être en désaccord avec l’Islam même.

Frères musulmans, envahisseurs de l’Europe ?

En Europe, les Frères ne visent pas la conquête du pouvoir directe et armée, comme dit plus haut. Omero Marongiu-Perria, docteur en sociologie, spécialiste de l’islam français et ancien membre des Frères musulmans en France écrit à ce sujet : «Dans les années 70 et 80, la priorité était que la première génération d’immigrés garde sa religion et ses références musulmanes. Par la suite, il s’est agi de porter et de cultiver une identité musulmane forte.» Sans conteste, l’UOIF, et maintenant les « Musulmans de France » jouent un rôle primordial dans la réislamisation des deuxièmes et troisièmes générations.

Les Frères Musulmans, bien trop connus dans la plupart des pays traditionnellement musulmans, profitent de la naïveté européenne pour s’insinuer dans l’islam occidental. Cet objectif est détaillé dans « Le Projet », livre publié en 2019 aux éditions de l’Artilleur, et rédigé par Alexandre del Valle, chercheur au Center of Political and Foreign Affairs et professeur de géopolitique, ainsi que par le grand reporter Emmanuel Razavi. «Le Projet» est à l’origine le titre d’un livre trouvé lors d’une perquisition en 2001 au domicile du membre des Frères Musulmans Youssef Nada, de la Taqwa Bank, notamment accusé d’avoir financé les attentats du 11 septembre 2001. Ce document détaille un plan de conquête politique à l’échelle continentale, avec pour but de faire régner la charia et d’édifier un califat mondial. Pour ce faire, l’organisation des Frères Musulmans finance et encadre de nombreuses mosquées, associations et établissements scolaires à travers l’Europe, avec l’accord implicite des pouvoirs publics qui n’ont jamais réagi, pourtant alertés de leur dangerosité par les services de renseignements depuis plusieurs dizaines d’années. Ainsi, si Tariq Ramadan fut interdit de territoire en 1995, des personnalités politiques tenant des discours antiracistes sont parvenues à faire lever cette interdiction quelques années plus tard.  En Europe, le réseau des Frères serait principalement coordonné par la Muslim Association of Britain basée à Londres, et s’appuierait sur la banque islamique Al-Taqwa.  

Leur priorité numéro une est d’inciter les musulmans européens à ne pas s’assimiler ou ne serait-ce que s’intégrer.

  Leur priorité numéro une est d’inciter les musulmans européens à ne pas s’assimiler ou ne serait-ce que s’intégrer. A ce titre, le discours d’Erdogan, proche des Frères Musulmans, qui affirme que l’intégration prônée par la France est « une mort insidieuse des musulmans », est un cas d’école. Ils cherchent à créer une paranoïa au sein des musulmans pour leur faire croire qu’ils seraient la cible de perpétuelles discriminations racistes de la part de la société. «L’intégration c’est la désintégration» disait d’ailleurs Tariq Ramandan. Ce refus de l’intégration passe par des écoles et lycées islamiques, et des partis politiques qui prônent une nation islamique. Ré-islamiser l’individu musulman est leur but premier ; de la même manière que les régimes totalitaires veulent « régénérer » les individus (voir à  ce sujet mon article sur la régénération de l’homme )

En se faisant passer pour les représentants d’un islam « véritable », ils demandent que l’on accepte chacune de leurs exigences, comme le voile islamique, au nom de la liberté religieuse. Ils proclament que tous les musulmans doivent nécessairement manger halal, alors qu’il n’en est rien. Ils aiment également se placer en victimes de la colonisation, en instrumentalisant l’Histoire. Mais ils savent aussi très bien instrumentaliser les principes démocratiques, en soutenant par exemple que le droit pour la femme de porter le voile est un droit de l’homme. 

Les Frères musulmans ont donc déjà été admis dans l’espace culturel et intellectuel occidental.

Le plus intriguant est que nos élites si « éclairées et compétentes » n’y voient que du feu (ou ne laissent rien paraître). Jusqu’en 2017, Tariq Ramadan occupait par exemple une chaire à l’université d’Oxford. Les Frères musulmans ont donc déjà été admis dans l’espace culturel et intellectuel occidental. Et pour ce faire, ils ont une stratégie politique claire. Ils font d’abord alliance avec les progressistes et les forces antiracistes, afin de qualifier de nazis leurs adversaires politiques (cocasse lorsqu’on sait que les Frères ont directement collaboré avec ces derniers). Par ailleurs, ils reçoivent un financement en provenance du Qatar et de l’Iran, afin de mener à bien leurs projets et campagnes ; tout ça se fait sur fond de grands discours sur les valeurs démocratiques, le pluralisme et  la tolérance. Cela est d’autant plus dangereux que les pays anglo-saxons comme l’Angleterre et l’Allemagne ne partagent pas notre conception de la laïcité ou d’un « libéralisme républicain », et leur laissent ainsi le champ libre, notamment dans leurs systèmes éducatifs où les universités sont libres d’être financées par des intérêts privés. C’est ainsi que la chaire de Tariq Ramadan à Oxford fut financée par le Qatar.

Tous ces éléments font que les Frères musulmans sont aujourd’hui les leaders des institutions musulmanes en Europe. Plus les structures politico-culturelles seront monopolisées par ces radicaux, plus les communautés musulmanes seront de plus en plus incitées au repli. Sur le long terme, un réel risque est de voir un Islam anti-républicain uniforme se répandre, au point de devenir le seul et unique Islam en Europe, et donc notre seul adversaire.

Sources:

SIFAOUI, Mohamed « Taqiyya! comment les Frères musulmans veulent infiltrer la France », 2019, Eds. de l’Observatoire

DEL VALLE, Alexandre et RAZAVI, Emmanuel. « Le projet », 2019, L’artilleur

L’auteur

Maxime Feyssac

Et si on aimait le populisme ?

La place du populisme au sein du régime des partis

Le populisme est aujourd’hui sur toutes les lèvres. Les médias utilisent ce terme le plus souvent péjorativement, pour qualifier une variété de régimes, de personnalités politiques, de mouvements ou de partis présentant, apparemment, des similitudes. Face à cette masse d’entités affublées d’un même adjectif, il apparaît de plus en plus compliqué de comprendre ce qu’est le populisme, ce à quoi il tend et quelle est sa place (si tant est qu’il en ait une) au cœur du régime des partis.

“Nos régimes sont dits démocratiques parce qu’ils sont consacrés par les urnes (…) mais nous ne sommes pas gouvernés démocratiquement”. Dans son ouvrage Le Siècle du populisme : histoire, théorie, critique, paru le 9 janvier 2020, l’historien et sociologue, professeur au Collège de France Pierre Rosanvallon prend ce constat comme point de départ pour comprendre le populisme qui selon ses propres mots, « révolutionne la politique du XXIe siècle ».

Une telle approche permet de s’éloigner, avant toute analyse, des idées reçues, pour appréhender un phénomène amalgamé et très critiqué.

Une telle approche permet de s’éloigner, avant toute analyse, des idées reçues, pour appréhender un phénomène amalgamé et très critiqué qui présente pourtant de nombreux aspects déterminants vis-à-vis des crises traversées par les démocraties représentatives libérales contemporaines du système des partis politiques.

    Le terme populisme, est issu du latin populus, « peuple, ensemble des citoyens ».  Il est défini par la 9ème édition du dictionnaire de l’Académie Française comme une attitude, un comportement d’un homme ou d’un parti politique qui, contre les élites dirigeantes, se pose en défenseur du peuple et en porte-parole de ses aspirations.

Ce terme est généralement utilisé péjorativement par les médias et par ses opposants. Les classes dirigeantes mettent en lumière le populisme comme un ensemble de tous les « archaïsmes » et freins au développement de leur politique. A travers les médias, le populisme semble aussi dénoncer la mobilisation du peuple par des promesses électoralistes, flattant le peuple par le biais du nationalisme, de la xénophobie, du racisme et exacerbant les enjeux sécuritaires.

Une telle variété d’utilisation et d’interprétation d’un terme à la racine pourtant claire amène à la constitution d’un flou lexicographique. Cependant, si ce terme est cohérent avec son histoire (populus) on peut le limiter à sa définition académique. Il est donc important de noter que le populisme ne sera pas, ici, traité en synonyme de démagogie, d’électoralisme ou d’opportunisme ni associé systématiquement à des mouvements d’extrême droite xénophobes, ou à des démagogues de tous bords idéologiques qui sont avant tout nationalistes ou postfascistes, pour les uns ; et démagogues tout court pour les autres.

    Selon une enquête menée par l’ESS (European Social Survey) entre 2012 et 2016, 55% des citoyens interrogés aussi bien en Europe qu’aux États-Unis considèrent que la démocratie fonctionne “assez mal” ou “très mal”. La défiance à l’égard des partis politiques est aussi largement répandue en Europe et semble être un des facteurs du résultat précédent: 68% en Allemagne, 75% au Royaume-Uni et en Autriche avec des records en France (89%), en Espagne (90%) et en Italie (91%). On constate aujourd’hui dans ces régions une proportion croissante au vote et à l’adhésion aux mouvements dits “populistes”.

On peut identifier le populisme comme capable de renouveler un système des partis politiques en proie aux crises de défiance.

    Une telle mise en contexte traduit tout l’intérêt du sujet alliant partis politiques et populisme. A l’heure où la majorité des démocraties libérales basées sur le système des partis politiques sont sujettes à des crises de la représentation, la résurgence populiste apparaît comme un point commun non négligeable des différentes régions concernées.

Ainsi, le populisme est-il un simple effet temporaire des crises comme il a pu l’être auparavant ou doit-on considérer cette résurgence comme tournant dans l’histoire du fonctionnement de nos démocraties et des partis politiques?

La caractérisation du populisme contemporain comme détenteur d’une double fonction de  signal d’alarme de la défiance face aux dysfonctionnements du système des partis et de rappel des fondements démocratiques du système s’appuyant sur une durabilité inédite et une intégration au système des partis politiques permet d’identifier ce mouvement comme capable de renouveler un système des partis politiques en proie aux crises de défiance.

La double fonction populiste

Le populisme contemporain dans sa globalité est caractérisé par une contestation généralisée des partis politiques constitutifs du paysage démocratique classique et des détenteurs du pouvoir qui en sont directement issus. Cette contestation peut prendre une valeur d’opportunité pour ces partis politiques sujets à des crises de confiance, de représentativité se traduisant en défiance de la part des citoyens. En effet, l’opportunité de renouvellement des partis politiques par le populisme, réside dans sa double fonction de dénonciateur des déviances, comme véritable sonnette d’alarme et comme rappel permanent des fondements démocratiques du système.

    Le populisme, face aux partis politiques et au système qui les regroupe, fonctionne comme véritable « signal d’alarme » des citoyens.

Le populisme agit comme nouveau porte-parole direct de citoyens ne croyant plus aux partis politiques en place sur le paysage politique.

Il se manifeste systématiquement comme ensemble de dénonciation des défauts des démocraties représentatives libérales. Le populisme agit comme nouveau porte-parole direct de citoyens ne croyant plus aux partis politiques en place sur le paysage politique et n’ayant pas été capables de répondre à leurs attentes. Dans les faits, ils naissent en réponse à des crises sociales dans des contextes nationaux singuliers mais sont en réalité des réponses directes, de la part de l’électorat, au dysfonctionnement des partis politiques dans leur rôle d’agent de généralisation comme l’explique Laurent Bouvet dans L’agonie du système politique français (Slate, 22 juillet 2014) .

Les partis politiques aux accents populistes ne se restreignent aujourd’hui plus au cadre de la crise qui les a vus naître mais leur naissance permet malgré tout la mise en valeur de l’insatisfaction citoyenne vis à vis du système en place.

En effet, bien que les nombreuses similitudes entre les différents partis au discours populiste portent à qualifier un mouvement commun, il ne faut pas oublier qu’il existe des variations d’un pays à l’autre quant à leur irruption et à leur installation. Les naissances et mise en place des organisations politiques de la mouvance populiste restent très directement indexées aux dates respectives de crises politiques propres à chaque pays.

De plus, dans l’histoire, ce sont bien des problèmes socio-économiques et des crises liées à la corruption du régime qui sont à l’origine des mobilisations populistes (le poujadisme par exemple).

Le populisme n’est pas ici un danger, mais un témoin, une alerte statuant du dysfonctionnement du système des partis politiques vis à vis du peuple aujourd’hui.

Le populisme, dont l’intégration et l’utilisation des systèmes politiques et partisans sont toujours identiques par toutes les mobilisations populistes, atteste ainsi bien de l’existence d’un modèle d’action commun mais naissant de crises variées qui l’identifient comme sonnette d’alarme prévenant des dysfonctionnements du système.

Enfin, l’importance et le poids croissant du populisme au sein du paysage démocratique peut être identifié comme un déséquilibre du système lié à un isolement, un écart trop important entre les élites gouvernantes et le peuple censé être souverain. Le populisme n’est pas ici un danger, mais un témoin, une alerte statuant du dysfonctionnement du système des partis politiques vis à vis du peuple aujourd’hui.

Laurent Bouvet explique ces dysfonctionnements par le rejet des partis dû à une place ambiguë au sein des institutions. La place centrale du président de la République dans les institutions présente un paradoxe: les partis sont indispensables au soutien nécéssaire pour parvenir au poste tandis qu’ils deviennent gênants une fois le poste atteint puisque le chef de l’État doit s’en détacher. De plus, la mise en place du quinquennat renforce ces difficultés structurelles en maintenant le président de la République comme chef de parti. A cause de cela, les partis ne remplissent pas leur rôle constitutionnel et prennent la forme de “lieux totalement dépourvus d’influence et d’intérêt en dehors de l’organisation centrale et déterminante de la désignation du candidat à la présidentielle”. Ils perdent ainsi toute légitimité aux yeux des citoyens en étant réduits à cette seule fonction.

En outre, Laurent Bouvet parle de “la reformulation de nombre de débats politiques ces dernières années autour de l’enjeu européen” comme contrainte pesant sur les partis et constituant une cause explicative de leur rejet. Les positions variées au sein des grands partis traditionnels constituant le paysage politique (ex: UMP, PS…) conduisent à une illisibilité du paysage politique pour le citoyen qui développe une défiance à leur encontre. Ils sont vus comme des entreprises politiques tournées vers elle-mêmes.

Les partis prennent la forme de “lieux totalement dépourvus d’influence et d’intérêt”

La domination des postes de pouvoir par une classe dirigeante non renouvelée et homogène conduit à une déconnexion par rapport à la sociétés et ses problématiques. Ce fait est aussi, selon Laurent Bouvet, une cause du rejet des partis politiques. En effet, un éloignement s’opère entre les électeurs et ces élites qui se traduit en défiance envers une catégorie de personnes privilégiées non représentative de la majorité des citoyens.

En dernier lieu, Laurent Bouvet désigne le “délitement du rôle d’agent de généralisation” des partis politiques comme cause de leur rejet. Les partis politiques ont perdu leur fonction de coordinateur des demandes politiques disparates en projets politiques. Aujourd’hui ils se caractérisent par une succession de coalitions sans lien cohérent et constituent un regroupement de multiples revendications pouvant être antagonistes.

Cette fonction de lanceur d’alerte constitue une première étape du rôle du populisme dans son processus de renouvellement du système des partis politiques en difficulté. A cela s’ajoute une seconde fonction: celle de rappel des fondements démocratiques du système pour éviter de les perdre de vue.

Le mouvement populiste, souvent dénoncé comme mettant en danger la démocratie soutient, par définition, l’idée de souveraineté du peuple et de la décision majoritaire.

Il est inséparable du peuple et donc de l’idée même de démocratie. Loin d’être son pendant négatif ou mauvais, le populisme est le produit même de la démocratie représentative.

Comme l’explique Laurent Bouvet « cette démocratie partout célébrée et désirée est aussi la forme civilisée d’un populisme partout craint et abhorré » (Le sens du peuple, p 229). « Il est donc non seulement vain mais néfaste de ne voir dans le populisme que la face obscure de la démocratie et de ne le considérer que comme l’étape préalable d’une inévitable dérive fasciste » (p 230).

Le populisme est donc fondamentalement lié à la notion même de démocratie et joue alors rôle de garde fou. Il rappelle par sa présence au sein de partis politiques, et donc au sein du système des démocraties modernes, les fondements essentiels à leur bon fonctionnement.

A travers les discours de leaders politiques et de figures charismatiques de ces mouvements comme Beppe Grillo, à la tête du parti Cinq étoiles en Italie ou Trump par exemple, on critique souvent le populisme d’apporter des solutions simplistes et idéalistes à une réalité présentant des problématiques complexes.

« cette démocratie partout célébrée et désirée est aussi la forme civilisée d’un populisme partout craint et abhorré »

Ces critiques paraissent fondées mais n’entachent pas la fonction de rappel des fondements du système démocratique duquel font partie les différents partis politiques.

Ainsi, une double fonction de sonnette d’alarme et de rappel permanent des fondements démocratiques dans lesquels sont censés évoluer les partis, permettent de constituer la base d’un populisme peut-être acteur du renouvellement des partis politiques au sein des démocraties modernes.

Une solution plus qu’un problème

La double fonction du populisme ne peut être effective dans un renouvellement sans deux autres facteurs essentiels. En effet, l’intégration due à ce mouvement et son adaptation aux différents systèmes démocratiques ainsi que son caractère durable inédit en leur sein, caractérise la possibilité d’un renouvellement plutôt que d’une mise en danger du système des partis politiques.

Une des deux caractéristiques majeures qui caractérisent le populisme comme mouvement intégré au système démocratique des partis politiques est son rôle de pilier de la démocratie.

Cette notion est expliquée par Federico Tarragoni, sociologue italien, Maître de conférences HDR et Directeur du Centre de recherches interdisciplinaires sur le politique (CRIPOLIS) à l’Université Paris Diderot, dans son ouvrage, Il faut faire le peuple ! Sociologie d’un populisme « par le bas » mais aussi par Margaret Canovan, théoricienne politique anglaise, dans Populism. Les deux auteurs confirment la théorie du politologue français Jean Leca qui décrit deux piliers de la démocratie.

    Le premier pilier est le constitutionnalisme défini comme “l’Etat de droit protégeant des sphères de droits spécifiques contre le pouvoir arbitraire de l’Etat”. C’est l’insistance du gouvernement sur l’ensemble des procédures et techniques nécessaires au fonctionnement du système démocratique. Cependant, ce pilier agrandit la séparation entre le peuple et les représentants.

    Le second pilier est donc le populisme, que Federico Tarragoni décrit comme “phénomène social lié à l’accès des masses à la politique” où “le populiste se retranche sur la dimension éminemment utopique de la démocratie et donne une voix au peuple comme entité concrète, visible, tangible” (Il faut faire le peuple!).

Cet équilibre permettant un régime démocratique sain repose sur ces deux piliers. La fonction du populisme est donc parfaitement intégrée au sein même du système démocratique, puisqu’elle en est  même à sa base : elle est une de ses deux faces. Son importance croissante marque donc, comme nous le verrons ensuite, des dysfonctionnements majeurs du système démocratique de nos jours.

    La seconde caractéristique du populisme l’empêche d’être raisonnablement qualifié de marginalisé au regard du système ou de mouvements anti-système, mais, au contraire en fait une notion intégrant le système démocratique et surtout le système des partis politiques : c’est son hybridation.

L’organisation systématique des mouvements avec des logiques populistes sur le modèle partisan classique du système politique des partis des démocraties libérales prouve son intégration. Cela peut être observé en Europe avec des partis ayant des discours comprenant, entre autre, une logique populiste comme le Rassemblement National (France), le mouvement 5 étoiles (Italie), le PVV (Parti de la liberté, Pays-Bas)…

Ainsi, les partis intégrant des discours populistes agissent aujourd’hui dans les systèmes politiques contemporains comme les autres partis politiques avec lesquels ils sont en concurrence. Ils semblent s’être parfaitement intégrés au système partisan partout en Europe occidentale.

L’hybridation du populisme, rappelle donc le primat du peuple contre les élites en place tout en s’affichant comme seule organisation « authentiquement » représentative au sein des différents systèmes démocratiques des partis politiques. C’est cette particularité qui fonde la possibilité de considérer le populisme comme acteur d’un renouvellement de l’intérieur nécéssaire au système des partis politiques.

En plus d’être intégré au sein des partis, le populisme que nous observons de nos jours est marqué par une durabilité inédite.

Toutefois, un tel renouvellement ne peut s’effectuer sans une durabilité du populisme au coeur du système des partis. Plusieurs systèmes, dont la France avec le poujadisme, ont pu l’observer au cours du XXème siècle.

En plus d’être intégré au sein des partis, le populisme que nous observons de nos jours est marqué par une durabilité inédite.

    La longévité des partis adoptant une ligne populiste, comme force pleine et entière du système politique concerné peut être remise en cause par la structuration de ces mouvements typée par l’organisation autour d’un leader prédominant, souvent charismatique. Le mouvement populiste n’est alors plus un mouvement mais un homme.

Cependant la personnalisation politique semble avant tout liée au système politique démocratique libéral, au système des partis. En France, la Vème République qui a tendance à développer ce culte du chef dans tous les partis politiques du système, l’illustre clairement.

Le mouvement populiste n’est alors plus un mouvement mais un homme.

Là encore, les formations populistes ne paraissent pas si étrangères à leurs concurrentes. Guy Hermet, sociologue politologue et historien français, affirme d’ailleurs que la présence d’un leader, charismatique ou l’appel au peuple ne peuvent permettre de définir le populisme.

Ainsi, peu à peu, dans le système politique français contemporain, les formations populistes ne paraissent pas différentes des autres. Elles acquièrent par ce biais, une garantie de durabilité au sein des partis politiques permettant le renouvellement d’un système de partis délaissé, en proie aux crises de représentativité.

    Cette durabilité inédite interroge sur une définition trop souvent admise du populisme comme un phénomène polarisé et éphémère le plus souvent, resurgissant dans certains moments de crise, mais sous des formes à chaque fois différentes et dans des contextes particuliers.

Cette définition ne semble plus s’appliquer à un populisme contemporain dont la durabilité peut être démontrée tant par son organisation en tout point identique aux partis du système en place depuis des décennies que par sa non polarisation. Le populisme n’est pas rattaché à un extrême du paysage politique.

Il ne se circonscrit pas à un bord politique pouvant, un jour faiblir, mais est intégré dans l’ensemble du paysage des partis politiques.

En effet, depuis l’expansion en Europe de ces nouveaux partis perturbateurs des ordres établis, le populisme contemporain ou des modernes a transformé la topographie sociale protestataire. En se penchant sur l’exemple français on constate qu’il a traduit le délaissement, l’humiliation ressentie par des classes sociales pas nécessairement appauvries face aux concessions à leurs yeux imméritées que leurs gouvernements faisaient aux indigents. Le populisme a, en fait, achevé son parcours de gauche à droite sur le paysage politique. On trouve des partis populistes de gauche  (ex: le Parti du socialisme démocratique ayant fusionné avec Die Linke en Allemagne) comme de droite (ex: Solution grecque, en Grèce).

En conclusion,  le populisme n’est pas de droite et de gauche, mais sa tradition idéologique et historique est celle d’une critique plébéienne et radicalement démocratique, mais ni socialiste ni communiste, des gouvernements.

Cette ultime mutation du populisme renforce sa durabilité car il ne se circonscrit pas à un bord politique pouvant, un jour faiblir, mais est intégré dans l’ensemble du paysage des partis politiques.

L’épuisement de l’État-providence et de la social-démocratie, lié aux dysfonctionnements du système des partis, l’ont transformé en ce qui risque de constituer une composante de longue durée du processus politique européen.

Le populisme ne détruira donc pas le système des partis. Au contraire, il semble capable d’oeuvrer au sein de l’entièreté du paysage des partis politiques pour son renouvellement en faveur du retour au peuple, de la suppression de l’écart et de l’incompréhension grandissante entre gouvernant et gouvernés.

L’auteur

Lucas Perriat

Le cannabis et l’impasse conservatrice [1]- la dépénalisation

1ère partie : la dépénalisation

Le texte suivant est la première partie d’un article en deux volets portant sur la dépénalisation et la légalisation du cannabis en France, rédigés par Maxime Feyssac et Domitille Viel.

« La marijuana est probablement la drogue la plus dangereuse aux Etats-Unis aujourd’hui » nous disait ce cher Ronald Reagan dans les années 80. Lui, ainsi que son épouse Nancy Reagan, sont devenus au fil des années les figures emblématiques du mouvement anti-drogue conservateur américain. Ils ont notamment grandement influencé la position conservatrice française concernant le cannabis. Si bien qu’aujourd’hui il est difficile de trouver une personnalité française de droite favorable à une dépénalisation, ou pire, à une légalisation. Même Valérie Pécresse, incarnant pour beaucoup cette droite molle proche du centre, avait pris la tête d’une large campagne anti-cannabis à l’occasion de sa campagne pour les élections régionales. Elle avait par exemple l’intention, suite à son arrivée au poste de Présidente de la région Ile-de-France,  de mettre en place des tests salivaires de dépistage de consommation de cannabis dans les lycées d’Ile-de-France. Depuis, et après l’arrestation de son propre fils pour possession de cannabis, elle semble cependant s’orienter vers une sorte de dépénalisation « soft », tout en restant favorable à une amende forfaitaire. Qu’en est-il des autres personnalités plus à droite ? Voici un petit échantillon de politiques « conservateurs » se déclarant ouvertement contre la dépénalisation : Jean-François Copé, François Fillon, Alain Juppé, Bruno Le Maire, Nicolas Sarkozy, Henry Guaino, Jean-Frédéric Poisson, ou encore Marine Le Pen.

Sauf que là où la droite française est restée bloquée dans les années Reagan, la droite américaine, elle, a opté pour un nouvel angle d’attaque. En effet, en adoptant une attitude libertarienne qui place la propriété privée et la liberté individuelle comme valeurs quasi-sacrées, de nombreuses personnalités conservatrices américaines se sont déclarées en faveur d’une dépénalisation du cannabis. 45% des républicains américains se disent ainsi aujourd’hui en faveur de la légalisation de la marijuana. C’est par exemple le cas de Ben Shapiro, juif orthodoxe placé à l’extrême droite du paysage politique étatsunien et éditeur en chef du média ultra-conservateur The Daily Wire. Dans l’une de ses nombreuses conférences disponibles sur YouTube, il déclarait « Je suis libertarien quand il s’agit d’herbe […] Je suis pour la dépénalisation du cannabis, même si je trouve que les gens qui fument de l’herbe sont des loosers … ».

Si on peut, d’une part, expliquer cette prise de position étonnante par la tradition anti-fédéraliste américaine qui se montre méfiante envers toute politique implémentée de force au niveau fédéral (qui ne laisse pas le choix aux Etats, donc), on peut néanmoins observer un véritable changement des mentalités conservatrices américaines concernant la légitimité d’une loi qui empêcherait les individus de consommer du cannabis. Mais alors, comment se fait-il qu’en France nous ayons tant de retard sur le sujet ? Tâchons d’examiner les différents types d’arguments qui s’opposent à la dépénalisation du cannabis. Nous n’aborderons ici même pas la question de la légalisation, qui apporte tout un tas d’autres questions, notamment concernant le commerce de la marijuana. Il sera ici uniquement question de culture, possession et consommation de cannabis.

L’argument de la santé : une herbe toxique ?

Il est littéralement impossible de faire une overdose de cannabis.

L’argument le plus souvent entendu est bien-sûr celui de l’impact du cannabis, et plus particulièrement du THC, sur la santé des consommateurs. Mais quel est donc cet impact en question ? Outre le fait qu’il est littéralement impossible de faire une overdose de cannabis (il faudrait consommer approximativement 680kg de cannabis en 15 minutes [bon courage]), les soi-disant « effets néfastes » avancés sont bien souvent des exagérations, quand ils ne sont pas tout simplement des mensonges.

Afin d’être le plus objectif possible, appuyons nous sur le rapport de 440 pages rédigé par The National Academies of Sciences, Engineering and Medecine, et publié en janvier 2020, qui regroupe plus de 10 700 études publiées depuis 1999 sur les effets du cannabis sur la santé. Le risque principal est lié à la conduite suite à une prise de dose de THC (même si le risque d’accident reste 10 fois moins élevé que sous l’emprise de l’alcool). En revanche le rapport indique qu’il n’existe pas de lien de cause à effet entre la consommation de cannabis et l’apparition de cancer (sauf ceux du poumon, au même titre que le tabac), d’accidents cardiaques, et de déficience immunitaire. Si des pertes de mémoire à court terme peuvent être observées, la consommation de cannabis n’affecte pas la mémoire sur le long terme tant que la consommation en question reste relativement raisonnée (dans le cas d’une consommation excessive, des pertes de mémoires sont observées, mais c’est aussi le cas avec l’alcool).  Le rapport ajoute que si la prise de cannabis peut révéler la présence de troubles de l’ordre mental chez le consommateur, la prise en question n’est pas à l’origine de ce trouble. Dans le cas de la schizophrénie par exemple, le nombre de personnes atteintes par la maladie à l’échelle nationale reste relativement stable, tandis que le nombre de consommateurs de cannabis a considérablement augmenté. Le rapport indique par ailleurs que le cannabis thérapeutique se révèle clairement efficace contre les douleurs chroniques chez l’adulte, contre l’épilepsie, contre les effets secondaires de la chimiothérapie, et contre la sclérose en plaque.

L’alcool, le tabac et même le café sont à l’origine de beaucoup plus de morts et d’accidents chaque année.

Dès lors, on peut raisonnablement avancer que l’argument de la santé n’est pas un argument valable contre la dépénalisation du cannabis ; ou alors nous devrions employer le même argument pour interdire l’alcool, le tabac et même le café, qui sont à l’origine de beaucoup plus de morts et d’accidents chaque année.

La responsabilité de la culture du cannabis dans les troubles à l’ordre public.

Un excellent motif semble (à première vue) être le trouble à l’ordre public. Après tout, si quelque chose porte atteinte à la sécurité, à la salubrité et à la tranquillité des Français, il convient en effet de l’interdire. Mais voilà le hic : la consommation de cannabis ne porte pas atteinte à l’ordre public, ou du moins pas plus qu’une autre drogue. L’effet direct du cannabis sur le comportement ne pousse en effet pas à la violence ou au coma, comme c’est le cas de l’alcool. Au contraire, vous m’accorderez que le fumeur lambda de cannabis tient plus du légume que du criminel surexcité.

Cependant il est vrai que le trafic de cannabis, lui, est vecteur de nombreux troubles à l’ordre public : marché noir, violence, racket, subvention de groupes armés, du terrorisme, corruption, etc. Mais ces effets ne sont pas le résultat de la prise de cannabis en soi, mais de la prohibition de ce dernier. Sans aller jusqu’à parler de légalisation, on peut raisonnablement penser qu’autoriser la culture et la possession de cannabis endiguerait ce trafic, puisqu’un bon nombre de consommateurs n’auraient plus besoin de financer une ribambelle d’individus peu recommandables.

La croyance populaire infondée d’une « drogue étrangère ».

Un autre argument que l’on entend souvent est celui de la culture : car le cannabis serait une drogue étrangère au patrimoine français, elle n’aurait pas sa place sur le territoire. C’est un argument qui se défend déjà plus que les deux précédents. Mais ce n’est toujours pas un argument implacable.

Pour commencer, quelque chose qui m’a toujours étonné est la tendance qu’ont certains Français à appeler « drogues » seulement les substances qui sont illégales ou étrangères : le cannabis, la cocaïne seraient des drogues, tandis que l’alcool et le tabac seraient des produits du terroir. Mais qu’on soit très clair : l’alcool et le tabac sont des drogues, au même titre que le cannabis. La légalité ne définit pas une drogue ; une drogue est un produit qui, d’une part, modifie le comportement, et d’autre part, provoque l’accoutumance.

Les Français sont donc bel et bien les premiers consommateurs d’Europe.

De plus, il serait une erreur de penser que la culture du cannabis est étrangère à notre patrimoine et à notre histoire. On pourrait tout d’abord faire remarquer que la consommation de cannabis des Français prouve que cette drogue est aujourd’hui bien ancrée dans notre culture. En France, la consommation de cannabis représente 80% de la consommation de drogue en général, soit 3,9 millions de consommateurs (dont 1,2 million de consommateurs réguliers). A l’âge de 16 ans, les Français sont donc bel et bien les premiers consommateurs d’Europe.

Mais tout bon conservateur qui se respecte me rétorquera que la tradition prime sur le progrès, et qu’il ne s’agit pas là d’un réel argument ; par exemple si demain tous les Français se mettent à consommer de la kétamine (un anesthésiant pour chevaux), ce n’est pas pour autant qu’il faudra légaliser la kétamine.

La première Bible imprimée par Gutenberg le fut ainsi sur du papier de chanvre.

Soit ; sauf que le cannabis, et plus particulièrement le chanvre, pousse depuis longtemps sur notre belle terre de France. Le chanvre fut cultivé par les Hommes dès le néolithique, et constitua une part importante de la production agricole française, notamment au 17ème siècle ; en 1661, Colbert fit construire la Corderie royale de Rochefort pour pouvoir fabriquer en France les cordages des navires. Le chanvre faisait partie de la culture populaire, allant jusqu’à être représenté dans les Fables de la Fontaine (« L’hirondelle et les petits oiseaux »). François Rabelais, dans son Tiers Livre décrit par exemple une plante  « merveilleuse » qui ressemble à s’y méprendre au chanvre : le Pantagruélion. La première Bible imprimée par Gutenberg le fut ainsi sur du papier de chanvre. Le chanvre connu son apogée au milieu du XIXe siècle (176 000 ha cultivés en France) ; à la même époque le cannabis était déjà utilisé en Occident pour ses vertus médicinales, sous forme de teinture (un extrait alcoolique). En 1844, Théophile Gautier et le docteur Jacques-Joseph Moreau fondèrent le club des Hashischins, destiné à l’étude du cannabis ; il sera fréquenté par de nombreux artistes français. Le chanvre a toutefois été fortement réglementé et même interdit au cours du XXe siècle, en raison de ses propriétés psychotropes. La culture du chanvre agricole connut cependant un rebond dans les années 70, lié à l’augmentation du prix du pétrole. Cet héritage est encore présent dans de nombreuses régions de France, notamment dans les Pays de la Loire, où se tient chaque année le festival De fibres en musique. Il s’agit d’une manifestation culturelle angevine qui a lieu chaque année au mois d’août à Montjean-sur-Loire, en Maine-et-Loire, avec au programme la découverte des gestes traditionnels d’anciens métiers du chanvre.

Etant moi-même Angevin, je me rappelle distinctement avoir observé dès mon plus jeune âge des champs de chanvre au cours de balades dominicales en Anjou, mais également dans le Saumurois.

Propriété et liberté bafouées : le non-sens de la posture conservatrice.

Enfin je souhaiterais aborder ce qui s’apparente pour moi à une incohérence dans la pensée de nombreux conservateurs et libéraux : le non-respect de la propriété privée et de la liberté individuelle. Si on peut établir que le cannabis n’est pas si dangereux pour la santé qu’on voudrait nous faire croire, s’il apparait que sa culture et sa consommation n’ont pas de réelles incidences sur l’ordre public, si on peut également retracer sa présence dans la culture occidentale et française, dès lors, pourquoi vouloir interdire aux particuliers de faire pousser et consommer x plantes sur leur propriété privée ? Tant que cette culture vise un usage personnel et non commercial, quel serait le danger pour la société ?

L’ignorer serait condamner la droite française à être éternellement ignorée par une partie de l’électorat qui ne supporte plus ce paternalisme excessif.

Au-delà de cette approche pragmatique, tentons un peu de philosophie : quelle est la légitimité de l’Etat, la res publica, d’interdire à un citoyen majeur de faire pousser sur sa propriété une plante plutôt qu’une autre, ou d’ingérer une fumée plutôt qu’une autre ? Il y a là pour moi un véritable débat à avoir, et l’ignorer serait condamner la droite française à être éternellement ignorée par une partie de l’électorat qui ne supporte plus ce paternalisme excessif. Et si vous pensez qu’il ne s’agit là que d’une longue liste d’excuses trouvée aux junkies, rappelez-vous que la « logique » de cette prohibition est la même qui vous interdit de fabriquer, de posséder et d’utiliser un alambic sans autorisation préalable.

Il serait intéressant d’avoir l’avis des personnalités politiques françaises qui semblent s’inspirer des positions libéralo-libertariennes américaines, tels Marion Maréchal, François-Xavier Bellamy, Laurent Wauquiez, etc.

L’auteur :

Maxime Feyssac