Alors, je vous rassure tout de suite, cet article n’a pas (seulement) pour but de déterminer si cela est une bonne idée de pratiquer le coït avec vos adversaires politiques. Le terme « coucher » est, certes, plus accrocheur, mais d’une manière générale j’aurais pu vous poser la question : faut-il tomber amoureux de vos adversaires politiques ? Ou plus simplement : faut-il sortir avec les gens qui ne pensent pas comme vous ? A une époque où Tinder est devenu l’appli de rencontre la plus utilisée, et où chacun croit bon d’indiquer dans sa bio ses orientations politiques, on est en droit de se demander s’il s’agit là d’un critère de sélection pertinent afin d’assurer votre descendance. Suivez-moi, et apprêtez-vous à découvrir un début de réponse à une question aussi vieille que l’humanité : faut-il pactiser avec l’ennemi ?
Maxime Feyssac
Les temps changent
Il faut dire que nos parents, et surtout nos grands parents ne se posaient pas forcément cette question. Déjà car la reproduction sociale s’en chargeait pour eux. La reproduction sociale, cela veut tout simplement dire qu’à une époque votre statut, celui de vos parents, vos biens, vous amenait inexorablement à aller flirter avec des gens de la même classe sociale que vous. En effet, c’était bien plus simple pour le fils du cordonnier d’aller courtiser la fille de la boulangère, que la fille du Préfet ou du Maire. Ça n’a pas disparu, loin de là, mais on a quand même bien avancé. De facto, vous finissiez donc par draguer des gens qui avaient de fortes chances de penser comme vous.
Il faut aussi prendre en compte le fait que l’espace public qu’est la rue était plus “cloisonné” à une époque, de telle sorte que des individus issus de classes sociales différentes avaient moins de chances de se côtoyer quotidiennement. Aujourd’hui, même si certains quartiers sont plus riches que d’autres, plus ou moins tout le monde se retrouve dans les centres-villes. Vous pouvez y croiser un sans-abris, une mère bourgeoise qui fait ses courses, un jeune militant marxiste qui distribue des tracts, un immigré qui livre des repas à vélo, etc. Pourtant, à une époque, ce même espace public était beaucoup plus cloisonné. Alors oui, les ultra-riches restent toujours entre eux, et les gens les plus démunis n’ont pas toujours la chance de côtoyer les centres-villes, mais reste que l’émergence d’une grande classe moyenne a énormément fait évoluer notre rapport à l’autre ainsi que la configuration de notre espace public. Et internet peut-être vu comme un prolongement de cet espace public.
Pourtant, de nos jours, le positionnement politique reste un facteur important dans le choix de notre partenaire, et ce malgré le fait que ayons plus de “choix” que nos aînés dans la sélection de notre partenaire. Que ce soit parce que nous préférons être avec quelqu’un qui partage nos valeurs, ou car les structures sociales dans lesquelles nous évoluons nous poussent à côtoyer des gens qui nous ressemblent, nous tendons en effet à préférer draguer des gens qui pensent comme nous politiquement, y compris sur les sites de rencontres. Et ce car les jeunes ne se politisent pas de la même manière aujourd’hui qu’il y a 70 ans. De manière générale, cette nouvelle politisation passe par une implication dans des formes non-conventionnelles d’expression politique, ainsi que dans une défiance du système politique actuel; ce qui explique pourquoi l’abstention bat aujourd’hui des records.
Nous tendons en effet à préférer draguer des gens qui pensent comme nous politiquement.
Pour rappel, la politisation est le processus de socialisation qui conduit un individu à s’intéresser à la politique, à penser et agir selon des critères politiques. Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que certaines personnes vont trouver plus utile de revendiquer une appartenance et des opinions politiques ouvertement, plutôt que d’aller voter. Ce constat est encore plus frappant sur internet, où les gens adorent étaler dans leurs bio twitter ou instagram leurs orientations politiques. Pensez aussi à vos amies qui partagent des stories de comptes féministes sur instagram, ou à votre pote écolo qui ne fait que de partager des posts de Green Peace France, ou même à votre cousin de droite qui adore les compilations youtube d’Eric Zemmour et du Raptor Dissident. Au bout du compte, le positionnement politique semble se voir de plus en plus, partout, y compris dans nos interactions sociales avec les autres ; et oui, cela veut aussi dire dans nos interactions sexuelles et amoureuses.
« Dis-moi pour qui tu votes, je te dirai avec qui tu couches. »
On pourrait continuer à disserter longtemps sur la théorie, mais en pratique ça veut dire quoi ? Et bien, jeune lecteur lambda, ça veut dire que tu risques peut-être de te prendre un gros râteau à ta prochaine soirée étudiante si tu cites un peu trop Marine Le Pen ou Sandrine Rousseau.
Pour les afficionados de Tinder (dont je ne fais évidemment pas partie), vous avez sûrement déjà lu des bio (si vous prenez la peine de lire les bio) qui indiquent : « Mec de droite s’asbtenir » ou bien « Si t’es feministe c’est déjà mort ». Si vous êtes concernés par ce type de « disclaimer », deux solutions s’offrent à vous : passer votre chemin car vous n’avez pas envie de débattre politique lors de votre premier date ; ou bien tenter le coup quand même à vos risques et périls car vous n’avez peur de rien.
Il faut aussi garder en tête que la plupart du temps, les préférences politiques d’une personne ne sont pas évidentes. Déjà, parce que Tinder ce n’est pas la vraie vie, mais aussi car la politique n’est pas forcément le premier sujet de conversation que l’on aborde lorsqu’on se tourne autour.
Mais supposons. Supposons que vous avez rencontré quelqu’un qui vous plaît vraiment. Vous avez rencontré une personne que vous trouvez belle, intéressante, attentionnée et avec qui vous aimeriez concrétiser. Mais là, malheur, vous vous rendez compte que politiquement vous n’êtes pas d’accord. Mais alors, pas d’accord du tout. Que faire ?
Briser les tabous
On va commencer par balayer les mythes : non, il n’y a pas un bord politique qui offrirait de meilleures relations (sexuelles) que les autres. En 1974, Valery Giscard d’Estaing avait dit à François Mitterand « Vous n’avez pas le monopole du cœur » ; et bien là c’est pareil, il n’y a pas de camp politique qui a le monopole du cœur, ou du sexe. Tous les journaux et articles qui clament haut et fort que vous devriez sortir avec quelqu’un de droite car ça vous rendrait soi-disant plus heureux, ou avec quelqu’un de gauche car vous on vous traiterait mieux, sont des conneries absolues, et je pèse mes mots.
Que ce soit bien clair pour TOUT le monde, une bonne fois pour toutes : aucun camp politique ne peut se prévaloir de mieux traiter ses partenaires. Il y a des cons de gauche, et des cons de droite ; et malheureusement, il y a des mauvais coups de droite, et des mauvais coups de gauche. Si vous pensez que sortir avec quelqu’un qui pense comme vous allait subitement rendre votre vie sexuelle et amoureuse formidable, vous allez droit dans le mur.
Coup d’un soir ou vraie relation, telle est la question
Cependant, il va bien falloir répondre à la question : est-ce une bonne idée de coucher avec des gens du camp « d’en face ». Cela dépend en fait de ce que vous recherchez : si vous êtes du type coup d’un soir, et bien, ça ne devrait pas changer grand-chose. Si vous n’allez passer que 15 heures maximum avec la personne (ça dépend de l’heure à laquelle vous repartez le lendemain), alors après tout c’est entre vous et votre conscience. Si vous pensez que coucher avec quelqu’un est un acte militant, et qu’il ne faut surtout pas « pactiser avec l’ennemi » alors c’est votre corps, votre choix. Vous louperez sûrement de belles aventures et quelques expériences, mais tant pis (ou tant mieux, ça dépend votre point de vue sur le sexe) pour vous.
Vous n’avez pas envie de vous retrouver à une soirée où toutes les personnes présentes auraient envie de vous jeter par la fenêtre s’ils connaissaient vos véritables opinions politiques.
La question est plus tendue quand il s’agit de construire une vraie relation. Cela dépend en premier lieu de l’importance que vous accordez à la politique dans votre vie. Si c’est un passe temps, ou simplement quelque chose qui guide votre comportement personnel et vos opinions, alors il ne devrait pas y avoir de soucis. En revanche, s’il s’agit pour vous d’une croyance profonde, telle une religion, qui dicte le moindre de vos faits et gestes et toutes vos interactions, alors ça va être compliqué. Surtout qu’il y a de fortes chances pour que les amis et la famille de cette personne pensent la même chose qu’elle ; en effet, certains militants ont tendance à également trier leurs amitiés en fonction de leurs opinions politiques. Croyez-moi, vous n’avez pas envie de vous retrouver à une soirée où toutes les personnes présentes auraient envie de vous jeter par la fenêtre s’ils connaissaient vos véritables opinions politiques.
C’est d’ailleurs pour cela que les croyants tendent à se reproduire avec des gens de la même religion qu’eux ; c’est plus facile. Sauf si vous vous dites que vous pouvez « convertir » cette personne, c’est-à-dire lui faire adopter la même opinion politique que vous. Ce n’est pas impossible, mais c’est rarement une bonne idée ; un couple n’est pas censé être un débat d’idées perpétuel, où vous allez passer votre temps à vouloir convaincre la personne en face. La plupart du temps, vous réussirez simplement à vous fatiguer vous et votre partenaire. Surtout que, aussi profondes soient vos convictions, vous ne savez pas que vous avez raison (vous en êtes persuadé, et c’est tout naturel, mais vous ne pouvez pas le savoir). Si on pouvait déterminer qui a raison en politique et qui a tort, cela ferait longtemps que la plupart de nos problèmes seraient résolus. La politique fait partie des sciences humaines, qu’on appelle aussi parfois sciences inexactes, car deux points de vue différents peuvent tous les deux être valides à leur façon ; il n’y a pas de solution unique. Partez toujours du principe que la personne en face de vous sait quelque chose que vous ne savez pas. Mais croyez-moi, vous avez beaucoup à apprendre des gens qui ne pensent pas comme vous, ne serait-ce que pour renforcer votre esprit critique. Vous avez vraiment envie de passer votre vie à côtoyer des gens qui penseront comme vous ? Qui vous diront “oui” à tout ?
Enfin, se pose la question du projet sur le long terme, mais en général cette question ne se pose pas avant plusieurs mois de relations, moment auquel vous aurez sûrement déjà une bonne idée des opinions politiques de votre partenaire. Si votre projet est de fonder une famille, alors oui, vous devrez trouver quelqu’un qui a la même conception du bien commun et du mal, au risque de rendre votre enfant schizophrène. Mais avoir des bases morales communes n’empêche pas d’avoir des désaccords politiques. Même s’il sera compliqué pour un « antifa » mélenchoniste de filer le parfait idylle avec un « facho » lepéniste, vous auriez tort de balayer d’un revers de main quelqu’un sous prétexte qu’il ne vote pas comme vous. J’en veux pour preuve : la personne la plus intéressante que j’ai rencontrée de toute ma vie n’avait absolument pas les mêmes opinions que moi.
A bon entendeur.
P.S : et que vous soyez de gauche ou de droite, protégez-vous svp.
Les « valeurs républicaines », tout le monde en parle sans jamais les définir, sans prendre le temps de les transmettre, comme si elles allaient de soi. Font-elles référence à la devise présente sur tous nos frontons de bâtiments publics : « Liberté, Egalité, Fraternité » ? Ou alors, seraient-ce les quatre piliers de la République française définis à l’article premier de notre Constitution : « indivisible, laïque, démocratique et sociale » ? C’est sans doute un peu de tout cela. Mais la République étant l’héritage commun de tout citoyen français, chacun peut faire évoluer les « valeurs » qu’on lui reconnaît, et c’est pourquoi l’on peut ajouter à ces valeurs citées : la lutte contre les discriminations ou le féminisme…
Lucas Da Silva
Un régime politique et démocratique en crise
Aujourd’hui, l’on peut s’accorder sans mal sur le fait que la République ne fait plus consensus parmi la population française (l’a-t-elle déjà fait ?). Ce régime politique étant un combat de tous les jours depuis 1792, date d’avènement de la République en France, il nécessite une légitimation constante, un enseignement sans faille de ses valeurs, et aucune capitulation face à ceux qui cherchent à l’affaiblir. C’est pourtant un fait, la République ne séduit plus et se retrouve en proie à de sévères contestations. Pour preuve, des sondages se multiplient pour montrer que de plus en plus de citoyens seraient prêts à remettre en question l’élection démocratique – 59% des Français seraient d’accord pour confier la direction du pays à des technocrates non élus, selon un sondage Ifop d’octobre 2018 – et pire, une part non négligeable (41%) du peuple serait tentée par la mise en place d’un pouvoir politique autoritaire.
En ces temps de crise pandémique, il peut paraître difficile d’affirmer que la République défend nos libertés publiques. En revanche, en dehors de ce contexte particulier, il ne faut pas oublier que c’est au sein de ce régime que le peuple français a arraché ses plus belles conquêtes sociales (pensons ici à l’emblématique Sécurité sociale), c’est grâce à ce régime que les droits et libertés fondamentaux ont été accrus, protégés et même gravés dans le marbre, c’est à l’intérieur de ce régime que les minorités sont le mieux défendues… Malgré la crise démocratique que nous traversons aujourd’hui, se traduisant notamment par une défiance croissante des citoyens envers leurs représentants élus au suffrage universel, le désir profond de politique et de participation active du peuple n’a pas disparu, bien au contraire.
A insi, l’un des principaux défis auxquels doit répondre notre République, c’est la réinvention de notre démocratie afin de répondre aux aspirations de ses citoyens. L’erreur fondamentale de la classe politique française et des dirigeants, dans une logique centralisatrice et de tradition « monarchique », c’est de jouir du pouvoir sans le partager. Comme l’indique parfaitement l’intellectuel français Pierre Rosanvallon, la démocratie ne saurait se limiter à sa seule dimension électorale. (source) Autrement dit, les citoyens ont eux aussi besoin d’implication, de délibération, de participation à l’action politique, et le seul vote à intervalles réguliers ne suffit plus. Le peuple français ressent la nécessité de se réapproprier la souveraineté, qui provient de lui-même. De toute façon, il semble que le mouvement de protestation des Gilets jaunes (soutenu massivement par les Français lors des premiers mois) a été explicite sur ses aspirations : plus de visibilité et moins de mépris pour le peuple français, davantage de « démocratie directe » et même une volonté de redonner une dimension collective à la politique. La République étant née d’une révolution, elle ne pouvait espérer meilleure révolte populaire pour la perpétuer.
Une « valeur républicaine » de plus en plus défiée : la laïcité
En préambule, il était question des principes républicains, toujours invoqués, mais difficilement qualifiables. On peut tout de même s’accorder sur certaines valeurs fondamentales qui se trouvent à la base de notre régime républicain, et il semblerait que la laïcité « à la française » soit la première d’entre elles. En effet, notre République est par nature laïque puisqu’elle s’adresse au citoyen dans une logique universelle. Afin de soutenir la dimension collective propre au régime républicain, elle fait appel à la conscience citoyenne de chacun et ne souhaite aucunement savoir si l’on est catholique, athée, musulman ou juif (tout en respectant les croyances et la liberté de conscience de chacun). Elle est fondamentalement aveugle aux différences et cherche seulement à ériger une identité commune dans la sphère publique.
Beaucoup pensent que laïcité française est née avec la fameuse loi de 1905, dite de « séparation des Eglises et de l’Etat », et ce n’est pas tout à fait exact. Ses principes sont bien sûr affirmés grâce à la confirmation de la sécularisation de l’Etat français. Pourtant, historiquement, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 indiquait déjà que le gouvernement devait assurer l’égalité sans aucune discrimination portant sur les opinions religieuses. Mais c’est surtout l’exécution du roi Louis XVI qui constitue l’acte laïc par essence et qui entérine par là même l’avènement de la République. Le renversement définitif de la figure royale signait la fin de l’ordre théologico-politique qui existait en France depuis le baptême de Clovis. La mort de Louis XVI constitue donc la fin de la part sacrée et divine de l’Etat français qui devient désormais pleinement souverain et indépendant de toute forme d’influence religieuse. D’une certaine manière, la mise en scène de la décapitation du roi signifiait déjà la mort de Dieu dans notre société.
On le voit, la laïcité consacre effectivement la naissance du régime républicain en France. Certes, elle s’est nettement imposée par la force – la loi de 1905 est à cet égard particulièrement dirigée contre l’influence de l’Eglise catholique – mais tout comme la République, elle est un combat de tous les jours et est aujourd’hui grandement contestée. Selon une enquête récente de l’institut Ifop, l’on constate en France une défense de la laïcité de plus en plus faible chez les jeunes et l’on observe par la même occasion une fracture générationnelle importante. En effet, sur un échantillon représentatif de lycéens, l’on apprend notamment qu’une majorité d’entre eux seraient favorables à l’autorisation du port de signes religieux ostentatoires à la fois dans les lycées (52%) et les collèges (50%) publics – le fossé générationnel est clair : l’on retrouve seulement la moitié (25%) de ces chiffres si l’on prend en compte la population française totale. L’interprétation de la laïcité française est également biaisée chez ces jeunes ; nous l’avons vu, ce principe s’avère par nature « en lutte » contre toute influence religieuse dans la sphère publique (tout en permettant à chaque pratiquant de vivre sa foi librement), pourtant une part très significative des lycéens interrogés (37%) estiment que les lois laïques de notre pays sont discriminatoires envers les musulmans et 43% jugent la laïcité discriminatoire envers au moins une religion (une proportion qui atteint d’ailleurs 89% chez les jeunes musulmans).
Trêve de chiffres, ces seules données révèlent une laïcité mise en danger sur notre propre territoire alors qu’elle constitue le pilier de la République française. Actuellement, celle-ci doit faire face au retour du religieux dans notre société : hier, le problème du pouvoir républicain était le catholicisme, aujourd’hui, l’enjeu est l’islam. Doit-on s’en inquiéter ? Pas nécessairement si une réaction se constitue pour réaffirmer les valeurs qui rassemblent le peuple français (et non pas qui le divisent). Comme tous nos principes fondateurs, la laïcité doit être transmise à nos enfants au quotidien, nous devons perpétuer l’enseignement de cette valeur qui représente un héritage commun et qui offre à chaque croyant l’assurance de pratiquer sa religion comme il le souhaite dans le respect de ses concitoyens. Il faut expliquer à nos jeunes que la laïcité, au lieu de rejeter les croyants, est un vecteur de réalisation de nos autres grandes valeurs : la fraternité, l’égalité et même la liberté. Au sein de la « res publica » (la « chose publique »), un tel n’est pas musulman, un autre n’est pas chrétien, nous avons toutes et tous une identité commune qui est l’appartenance à la nation française. Et nous avons besoin plus que jamais de ce lien qui nous unit – qu’on nomme « laïcité » – afin de générer un sens collectif, et non pas une logique de revendications particulières.
Pour conclure cette tribune se voulant volontairement non exhaustif, nous sommes partis de deux « valeurs républicaines », ou communément acceptées comme telles : la démocratie et la laïcité, pour montrer que la République française était minée par de nombreux défis de taille. Ces enjeux ne sont pas à prendre à la légère puisque, comme cela a été expliqué tout au long du propos, ils se rapportent directement aux principaux fondements de notre régime politique. Bien entendu, nous aurions pu également évoquer la valeur de l’égalité, nous aurions pu aussi traiter du caractère « social » de la République française ou même de féminisme. Quoi qu’il en soit, la République peut sembler en perdition – comme souvent dans son histoire – mais elle n’est pas morte !
L’objectif de cet article est d’approfondir la réflexion introduite par le premier article du même nom, afin d’essayer d’imaginer le devenir du développement de ces nouveaux médias, en plein essor.
Pierre Vitali
Lucas Perriat
La résistance des médias traditionnels face aux médias digitaux
Les données contenues dans le “Baromètre du numérique” (2019) diffusé par le Conseil Général de l’économie, L’Arcep et l’Agence du Numérique font état d’une omniprésence des terminaux numériques dans nos vies : 95% de la population nationale âgée de plus de 12 ans est en possession d’un smartphone et 94% d’entre-eux l’utilisent quotidiennement.
Face à ces chiffres écrasants, les médias traditionnels devraient prendre peur. Cependant, il semble que la méfiance prédomine chez l’utilisateur. La qualité de l’information des nouveaux médias diffusée majoritairement sur les réseaux sociaux est globalement mise en doute par le public. Le “Baromètre du numérique” de 2019 nous apprend en ce sens que les médias traditionnels conservent une crédibilité solide face aux nouveaux venus : Internet et les réseaux sociaux ne bénéficient respectivement que de 25% et de 8% de taux de confiance là où la presse écrite et la radio atteignent des taux de 42% et de 37%.
Ce premier constat montre à quel point les médias digitaux ne sont pas prêts à remplacer les médias traditionnels. Solidement ancrés dans l’espace démocratique et ayant fait preuve de crédibilité et de rigueur, les médias traditionnels ne semblent même pas comparables aux nouveaux médias aux yeux des Français.
Tout n’est pas rose pour autant. Les médias traditionnels ont du souci à se faire face à la vague digitale. Alors qu’en 2015 “L’Express” réduisait drastiquement ses effectifs face à un déficit inquiétant, les médias digitaux “Huffington Post” et “Business Insider” étaient achetés aux sommes respectives de 315 millions de dollars et de 442 millions de dollars.
Alors, si l’invasion digitale n’est sûrement pas aussi agressive que ce que l’on pourrait croire, il est évident qu’elle menace l’information traditionnelle qui s’emploie, elle, à développer des moyens de lutte pour assurer sa pérennité. Les moyens de lutte sont extrêmement variés. Si l’on a pu observer des stratégies de diversification du contenu avec des nouvelles publications à l’image du journal “Les Echos” qui a sorti en 2015 un magazine orienté sur l’art de vivre, certains médias traditionnels sont même allés jusqu’à investir dans les produits dérivés ou initier des levées de fonds.
Mais, vous en conviendrez, la solution la plus évidente et la plus efficiente reste la transition au numérique. Les investissements massifs dans les réseaux sociaux ne se sont pas fait attendre pour contrer les nouveaux médias digitaux. Les médias traditionnels ont su innover pour s’adapter. “Le Monde” a fait son entrée sur Snapchat dès septembre 2016, ce fut aussi le cas du “Figaro” mais également du “Point” et de bien d’autres. Les médias traditionnels vont donc faire de la résistance sur le terrain des nouveaux médias. Cela n’est pourtant pas chose aisée, la présence des grands médias sur les réseaux sociaux n’est pas nécessairement avantageuse : la majorité des revenus publicitaires sont distribués aux plateformes sociales et l’utilisation importante des bloqueurs publicitaires réduit aussi les revenus perçus. Si les médias traditionnels se conforment au format des jeunes médias digitaux, cela peut-être considéré comme une capitulation mais c’est sans compter sur une stratégie essentielle : l’application mobile.
La presse papier ne s’avoue pas vaincue, l’exportation du contenu papier au sein de nouvelles applications mobiles alliant contenu gratuit et payant attire de nouveaux lecteurs tout en permettant une maîtrise totale du contenu publicitaire et des revenus engendrés. Le journal papier fait alors la promotion de l’application qui reprend les mêmes articles tout en ajoutant du contenu interactif : vidéos…etc.
Ces solutions sont un espoir de survie pour les médias traditionnels, gardiens du traitement de l’information face à des médias exclusivement digitaux tournés vers l’instantanéité au mépris de l’analyse et de la pertinence du contenu.
De la disparition de l’analyse, à la polarisation de l’information
Comme évoqué au sein du premier article consacré aux médias digitaux, les réseaux sociaux sont régis par des algorithmes qui dictent la forme et le fond de l’information qui y est diffusée. Ainsi, ces nouveaux médias cherchent à élargir leur public en optimisant leur contenu par rapport aux algorithmes. Le fond laisse donc place à la forme, le temps de lecture est drastiquement réduit car le temps d’attention disponible est extrêmement faible.
Les médias digitaux se contentent de reprendre les informations majeures qu’ils résument en général en une poignée de phrases dénuée de toute analyse ou pire, d’une analyse orpheline de tout argument solide. Une esthétique soignée, des titres accrocheurs couplés à des photos choquantes ou provocantes, voilà les ingrédients de la nouvelle recette de l’information digitale. Si tant est que l’on puisse appeler cela de l’information.
Le développement du nombre de médias digitaux les transforment souvent en médias de niches, centrés sur certaines thématiques ou en médias de groupes, s’adressant à un public cible. Si au départ, il s’agissait de quelques grands médias digitaux généralistes et reconnus de tous comme “Brut”, beaucoup ont compris l’intérêt politique de ces derniers et on voit alors progresser leur nombre, pour essayer d’influencer le débat public.
Cette nécessité du buzz et du clic rend les sujets clivants ou étonnants essentiels pour les médias digitaux qui sont les éléments accrocheurs, nécessaires pour leur développement. S’ajoutant à l’orientation des ces derniers et aux ciblages algorithmiques, l’information sur Internet tend à se polariser. L’internaute vivant alors dans son archipel médiatique, encore plus puissant qu’avec les médias traditionnels. Le choix de l’information étant en lui-même une façon de la traiter, les médias digitaux deviennent des lieux de politisation et d’influence. On n’est alors plus étonné de leur développement croissant, car ils permettent de faire passer des messages sans directement apparaître comme sérieux.
L’Intelligence Artificielle : vers la fin du journalisme ?
John McCarthy (1927-2011), l’un des pionniers de l’Intelligence Artificielle (IA), affirme que « toute activité intellectuelle peut être décrite avec suffisamment de précision pour être simulée par une machine ». C’est à partir des années 1950, que le développement de l’informatique laisse apercevoir l’ambition de créer des « machines à penser », ressemblant à l’esprit humain. L’Intelligence Artificielle vise donc à reproduire au mieux, à l’aide des outils technologiques, des activités mentales, pour la compréhension, la perception, ou la décision. Face à ce phénomène qui bouleverse et va continuer de bouleverser les activités économiques, le journalisme ne sera pas une exception.
On constate déjà le développement de l’IA dans une partie du journalisme. Lorsqu’il s’agit de traiter un grand nombre de données, comme les résultats aux élections locales, l’IA vient aider à la conception d’articles simples, de description des résultats sans analyse. Francesco Marconi, qui a récemment publié Newsmakers, Artificial Intelligence and the Future of Journalism, estime que seulement 8 à 12 % des tâches actuelles des reporters seront assumés par l’IA dans les années à venir. Il y voit alors une opportunité d’un outil qui ne remplace pas le journaliste mais qui vient le recentrer vers le contenu à valeur ajoutée, comme les longs formats, grandes entrevues, analyses, journalisme de données, journalisme d’enquête…
Même s’il est vraisemblable que les grands acteurs du journalisme resteront et ne seront pas remplacés par l’IA, les médias digitaux et leur modèle d’articles simples et ciblés seront eux en revanche bouleversés. Pour rédiger le top 10 des restaurants de tel quartier ou les nouveaux commerces dans telle ville, il est certain que l’IA prendra toute sa place. Pour marketer un article, cibler sa diffusion et récupérer des datas, l’IA prendra évidemment toute sa place. Elle sera alors un outil essentiel des médias digitaux. Plus largement, quel que soit le média, l’IA et ses algorithmes seront utilisés afin de trouver les sujets de reportage pertinents pour les lecteurs, auditeurs, téléspectateurs et internautes ciblés.
Enfin, l’IA pourrait même être le salut du journalisme, dans la lutte contre les fakenews et les deep fakes notamment, pour perfectionner le fact-checking (vérification des faits), ou en venant apporter une grande capacité de traitement de données et donc de perfectionner le travail. Il ne faudra d’ailleurs jamais oublier que derrière tous les algorithmes se cache un humain, avec des biais éventuels et des objectifs certains. La vérification humaine restera mais devra éviter de tomber dans la confiance aveugle.
Un phénomène centralisateur exacerbé par la crise de la Covid-19
N.B : Il convient de préciser que cet article a été conjointement rédigé par Lucas Da Silva, co-fondateur de Skopeo, et par Baptiste Da Silva venant apporter son regard en tant qu’étudiant en santé publique.
Voici maintenant un an que nous traversons une grave crise sanitaire, politique, économique et sociale provoquée par l’irruption du coronavirus Covid-19. Une période suffisamment longue pour bénéficier du recul nécessaire nous permettant de mener une réflexion sur la centralisation de la santé publique et plus généralement de la prise de décision politique en temps de crise. Tout au long de ces interminables mois de pandémie, les mesures gouvernementales ont été prises verticalement et les restrictions aux libertés publiques n’ont cessé de fleurir. Comment justifier un tel phénomène politique ? La santé publique est-elle nécessairement centralisée ? Est-ce un danger pour notre démocratie ?
Lucas Da Silva
Collectivités territoriales et Santé publique : une ambiguïté juridique et politique
Didier Raoult a été l’un des personnages emblématiques de cette crise sanitaire. Au-delà de toutes les considérations scientifiques qui émanent des controverses l’incombant, il a été pour beaucoup l’incarnation de cette « France périphérique » (pour reprendre l’expression du géographe Christophe Guilluy) face au pouvoir des élites concentrées « là-haut ». Une analogie similaire peut être faite à partir de la décision rendue par le Conseil d’Etat dans l’affaire Commune des Sceaux le 17 avril 2020. Philippe Laurent, en qualité de maire, a pris un arrêté rendant obligatoire le port du masque dans sa commune lançant à sa manière un appel à l’Etat pour une gestion sanitaire territorialement différenciée dans laquelle les collectivités auraient toute leur importance. La suspension de cet arrêté donnera le ton sur la relation de subordination auxquelles vont être confrontées les collectivités durant les mois suivants, et par la même occasion le coup d’envoi de débats passionnés sur la place de la décentralisation dans la gestion de cette crise.
La promulgation de l’état d’urgence sanitaire le 24 mars 2020 s’inscrit dans un « état d’exception », qui apparaît comme « un moment pendant lequel les règles de droit prévues pour des périodes de calme sont transgressées, suspendues ou écartées pour faire face à un péril. Pendant ce moment, on assiste à une concentration du pouvoir, en général au profit de l’exécutif et (…) à la réduction ou à la suspension des droits jugés fondamentaux pendant les périodes de calme. Il s’agit d’un moment par définition fugace, temporaire pour faire face à un péril donné ». Une réflexion sur le phénomène d’accoutumance aux régimes et mesures d’exceptions dans les Etats de droit sera proposée plus loin dans l’article ; pour l’heure, il nous importe de comprendre la manière dont cela a pu influencer les relations entre Etat et collectivités. Cette question a en réalité déjà été abordée il y a près de vingt ans, lorsqu’une police administrative spéciale en matière sanitaire a été créée en 2004. C’est ainsi qu’en vertu du code de la santé publique, le ministre chargé de la santé peut « prescrire (…) toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population » (source). Cela vient placer le maire dans une position inconfortable en matière d’action de santé publique puisque le code général des collectivités territoriales l’autorise à agir « pour prévenir (…) et faire cesser (…) les maladies épidémiques ou contagieuses » au titre de son pouvoir de police administrative générale (source). Ses marges de manœuvre sont ainsi considérablement réduites étant donné que la police spéciale a vocation à primer sur la police générale. On entrevoit ici une première superposition juridique qui rend les compétences du maire quelque peu ambiguës, et qui finalement semblent laissées à l’appréciation du juge. L’on peut ici émettre l’hypothèse que face aux incertitudes scientifiques liées à ce virus, notamment les premiers mois de l’épidémie, les juges n’ont pas voulu amplifier cette cacophonie en limitant les mesures prises par les communes qui entrent en contradiction avec celles de l’Etat. Ces décisions ont d’ailleurs souvent été l’occasion pour les élus locaux de faire entendre leur voix, notamment sur la vision jugée trop centralisée de l’Etat, jusqu’à évoquer un certain « jacobinisme sanitaire ». Cette défense de la décentralisation s’appuie sur un discours politique inchangé : « ils ne cessent d’exalter la valeur “irremplaçable” du terrain qui permet de “prendre le pouls de la population”, “d’écouter ses doléances”, de comprendre ses aspirations » (source). A travers cette légitimation de la proximité, et plus généralement l’interpellation des pouvoirs publics sur une gestion de crise jugée chaotique, les élus locaux endossent finalement un rôle éminemment politique : celui de contre-pouvoir (et cela dans un contexte où la démocratie semble avoir été mise à mal, nous y reviendrons plus tard).
Il n’en demeure pas moins que malgré cette relégation des collectivités au second plan, la lutte contre l’épidémie a révélé les quelques compétences sanitaires dont elles disposent. Gérard Larcher, président du Sénat, soulignait l’été passé que « la crise sanitaire a montré la réactivité des collectivités territoriales face à un État défaillant devant l’urgence » (source). Concernant les communes, elles assurent principalement le service communal d’hygiène et de santé. Elles se sont à ce titre mobilisées dans le cadre de désinfections de certains lieux publics. Elles sont également enjointes à faire remonter toute information d’ordre épidémiologique à l’agence Santé Publique France dans le cadre de leur veille sanitaire, cela a largement facilité le repérage des foyers épidémiques dès les premiers jours de la pandémie. Enfin, les communes peuvent contribuer financièrement aux mesures d’aide à l’installation des professionnels de santé afin de lutter contre les déserts médicaux, elles ont ainsi pour beaucoup d’entre elles assumé la création de fonds d’équipement d’urgence pour ces professionnels dans le cadre de l’épidémie. En matière de santé publique, les départements sont d’une part en charge des vaccinations obligatoires, et d’autre part des services de protection maternelle et infantile (PMI). Ils disposent également de compétences partagées dans le cadre de la création d’établissements et services sociaux et médico-sociaux et dans la gestion de certains établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), ce qui explique leur implication dans les campagnes de dépistage et de vaccination dans ces mêmes établissements. La position des régions en matière sanitaire est quant à elle ambiguë, notamment du fait que les Agences régionales de santé (ARS) sont positionnées sur ce même échelon. Le code de la santé publique, très vague, reflète cette incertitude sur son rôle : « le conseil régional peut définir des objectifs particuliers à la région en matière de santé. Il élabore et met en œuvre les actions régionales correspondantes ». En pratique, les régions interviennent donc notamment dans le champ de la prévention (activité essentielle durant l’épidémie). Il est à noter qu’en matière de formation professionnelle, la région demeure relativement influente dans le champ de la santé. La région peut ainsi autoriser la création des instituts de formation des professionnels de santé, des aides-soignants, des auxiliaires de puériculture, des ambulanciers et des cadres de santé. Enfin, tout comme les communes, les régions peuvent favoriser financièrement la venue des professionnels de santé sur leur territoire, et ont participé à l’élaboration de fonds d’équipement d’urgence.
C’est ainsi qu’en dépit de compétences marginales, les collectivités territoriales ont su démontrer qu’elles pouvaient répondre présentes lorsque l’action publique centralisée faisait défaut. Le débat reste prégnant sur la place à accorder à ces collectivités, notamment sur le transfert de prérogatives de santé aux échelons décentralisés. A ce jour, cette idée semble vouée à l’échec. La part consacrée aux dépenses de santé en France est importante et semble être sur le chemin d’une augmentation ces prochaines années. La centralisation de la santé permet quant à elle de réduire considérablement ces dépenses de fonctionnement grâce à des regroupements institutionnels (économies d’échelle). Toutefois, ne peignons pas un tableau trop négatif. L’idée d’une meilleure association des collectivités aux décisions prises sur leur territoire pourrait être envisagée, notamment en augmentant la part des élus dans des instances telles que le conseil de surveillance au sein de chaque ARS.
Les agences régionales de santé : « de belles voitures dans lesquelles on n’a pas mis d’essence »
Les « ARS ». Certains n’ont ces derniers mois que ce sigle à la bouche. Elles seraient tout ou partie responsables d’une gestion de crise chaotique et plus généralement de tous les maux affectant notre système de santé. En clair, elles endossent le rôle de bouc-émissaire. Ce climat de défiance vis-à-vis de ces agences n’est pas nouveau. Dès leur implantation dans le paysage institutionnel français en 2009, elles ont été confrontées à de vives critiques. Mais alors, pourquoi ces agences présentées à la fois comme innovantes, déliées de l’emprise du pouvoir central et au plus proche des territoires sont-elles autant contestées, voire détestées ? Ce rôle de « tampon » absorbant toutes les critiques sans avoir les moyens d’y répondre ne serait-il finalement pas l’un des objectifs recherchés ? Tâchons d’analyser la place qui leur est accordée au sein de notre système de santé.
Historiquement, c’est à partir des années 1960 qu’ont été créées successivement les directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales (DDASS / DRASS), alors toutes deux placées respectivement sous le contrôle du préfet de département et de région. Ces entités s’inscrivaient dans le schéma d’une déconcentration classique avec une administration centrale déployant ses services déconcentrés. Les ARS, par le statut juridique d’établissement public administratif (EPA), viennent rompre avec cette conception pour tendre vers une administration dotée d’une certaine autonomie, ce que le corps préfectoral digèrera mal. Elles permettent par la même la fusion de sept organismes (ARH, GRSP, MRS, URCAM, CRAM, DDASS, DRASS), ce qui leur confère mécaniquement des attributions très (trop) larges, et permet de nombreuses économies. Cette volonté s’insère dans un contexte politique et économique particulier : la consolidation budgétaire post-crise financière de 2008 caractérisée par une exigence forte de maîtrise des dépenses et de désendettement.
Mais ne nous méprenons pas, cette autonomie affichée n’est que de façade, elle apparaît en réalité « paradoxale et contrôlée » (Frédéric Pierru). Les ARS demeurent en effet très liées à leur tutelle, le Ministère de la santé, et plus généralement à l’ensemble des administrations centrales. Le nombre de directives qu’elles reçoivent quasiment quotidiennement atteste de cette situation, et ce, malgré un filtrage effectué par le Conseil national de pilotage (CNP) présidé par le Ministre de la santé, qui est souvent apparenté comme le « donneur d’ordre ». Il faut également relever que le Conseil de surveillance de chaque ARS, au-delà d’intégrer trois représentants de l’Etat parmi ses membres permanents, est présidé par le préfet de région. Les directeurs généraux des agences (DGARS) sont nommés et révocables en Conseil des ministres. Cette prégnance de l’Etat se caractérise de deux autres manières. D’abord, pour ne pas trahir cette autonomie de façade, les ARS et l’Etat sont liés par un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM). L’on pourrait ainsi penser que le choix d’un contrat plutôt que le recours à des actes administratifs unilatéraux favoriserait la discussion et le compromis entre les deux parties. Il n’en n’est rien : les ARS reçoivent une trame peu modulable préparée par l’administration centrale et dont les objectifs et indicateurs nationaux prennent le pas sur cette volonté d’adaptation aux territoires régionaux. D’autre part, les instruments de financement sont établis au niveau national : objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), tarifs de la tarification à l’activité (T2A). L’on peut déjà l’entrevoir, à travers ces exemples, que les marges de manœuvre sont quasiment inexistantes pour les ARS. Et lorsqu’on leur accorde une certaine souplesse financière, notamment grâce à un fonds d’intervention régional (FIR) en légère croissance, elle semble dérisoire : 3,7 milliards d’euros en 2019 pour un ONDAM fixé à 200,3 milliards. Et comme si cela ne suffisait pas, chaque année depuis leur création, les ARS doivent faire face à des suppressions de postes, encore 258 en 2018.
Alors, soyons clair : les objectifs prévus par le Ministère lors de la création de ces agences ont-ils été atteints ? Pour la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé, c’est raté, elles se sont creusées de manière générale, voire accentuées entre centres et périphéries. Mais ce constat d’échec peut être mis en parallèle de l’objectif des 5000 cas quotidiens proposé par Emmanuel Macron pour lever le confinement : l’échec, ici aussi, était pleinement prévisible. Une question demeure en suspens : comment peut-on espérer des résultats satisfaisants d’agences aux missions innombrables dépourvues de réels moyens financiers et humains ? Au ministère, on préfère en rigoler : ce sont « de belles voitures dans lesquelles on n’apas mis d’essence » (propos recueillis par Christine Rolland et Frédéric Pierru).Il devient pourtant urgent de passer à la pompe.
On l’a vu, les ARS sont prises en étau entre une administration centrale prégnante et une autonomie étriquée, tout cela sur fond d’une rhétorique faisant l’éloge du territoire et de la proximité. Cette position ambivalente a suscité la colère de nombreux élus locaux dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire. Il convient de souligner qu’à travers leur rôle de coordination, les ARS ont été essentielles. Comme mentionné précédemment, elles sont le fruit d’une fusion de sept organismes indépendants les uns des autres, et cet éclatement n’aurait manifestement pas facilité la gestion en période de crise. Sur la question des masques et des médicaments, on sort totalement du champ de compétence des ARS. Il n’existe aucun stock d’équipements ou de médicaments géré par ces dernières, ces attributions reviennent à Santé Publique France et à l’Agence nationale de sécurité du médicament. Pour autant, les ARS ont pu organiser la répartition de certains équipements provenant de dons ou de stocks d’entreprises ou d’administrations diverses. De manière générale, il semblerait que les élus locaux n’aient pas toujours bien compris le périmètre de leurs interventions.
La centralisation accrue lors de la crise de la Covid-19 : une vie démocratique mise entre parenthèses
Tandis que certains arguent que toute crise nécessite inévitablement un pouvoir politique fort incarné par un Etat centralisé salvateur, il semble important d’interroger la compatibilité entre un régime au sein duquel le pouvoir exécutif prime sur tous les autres et le régime que l’on nomme communément « démocratie ». Sur ce sujet, le secrétaire général de l’ONU lui-même, Antonio Guterres, a tiré la sonnette d’alarme tout récemment (le 22 février dernier) en déplorant que la pandémie de Covid-19 pouvait servir de prétexte pour certains Etats en vue de réprimer. Il convient ici de le citer avec ses propres termes : « Brandissant la pandémie comme prétexte, les autorités de certains pays ont pris des mesures de sécurité sévères et des mesures d’urgence pour réprimer les voix dissonantes, abolir les libertés les plus fondamentales, faire taire les médias indépendants et entraver le travail des organisations non gouvernementales ». Ainsi, dans le contexte que nous connaissons depuis désormais un an, il semblerait que la crise pandémique ait mis à mal la confiance envers les autorités publiques – phénomène qui existait déjà avant – et plus globalement notre système démocratique.
Bien entendu, ce sont les libertés fondamentales qui ont le plus souffert tout au long de la crise, ceci étant guidé par un devoir de protection de la vie des citoyens. Pour les gouvernants, il fallait donc trouver un juste équilibre, un arbitrage délicat, pour qu’ainsi les atteintes aux libertés puissent être qualifiées de « proportionnelles ». Dans ce cadre, la pente peut vite devenir glissante : l’exigence de proportionnalité n’étant pas respectée, c’est toute la démocratie libérale qui en sort affaiblie… Surtout, si la suspension de libertés publiques peut se légitimer en période de crise, celle-ci doit nécessairement rimer avec un rétablissement des normes démocratiques lorsque nous aurons vaincu la pandémie. Autrement dit, les mesures exceptionnelles (pensons ici à l’état d’urgence faisant suite aux attentats islamistes en France) ne sauraient entrer durablement dans le droit commun.
Ainsi, concentrons-nous sur la France et constatons la pratique du pouvoir politique propre à notre système institutionnel. Pour endiguer et combattre le virus, la Ve République – que certains juristes qualifient de « monarchie présidentielle » – a confirmé (si cela était encore utile) la prise de décision extrêmement verticale et centralisée dans notre pays. En effet, au cours de la crise, toute la population française se retrouve fréquemment suspendue à une allocution présidentielle ou à une déclaration ministérielle. Ce ne sont d’ailleurs pas des annonces anodines ou sans conséquence puisqu’elles sont susceptibles de suspendre des libertés quotidiennes qui constituent souvent la base d’une démocratie libérale comme celle d’aller et venir (ou de circulation), celle de réunion, celle de manifester ou même celle de travailler… Par ailleurs, on le sait, l’une des grandes tendances de la Ve République est d’attribuer au Parlement un rôle secondaire, voire marginal. Sur ce point, l’on peut observer que cette caractéristique regrettable pour un régime démocratique s’est largement amplifiée tout au long de la crise de la Covid-19.
En outre, le 29 février 2020, il y a tout juste un an, une pratique inédite du pouvoir était introduite par le Président Macron avec la convocation d’un Conseil de défense exceptionnel. Aujourd’hui, après douze mois de crise sanitaire, cette information ne semble plus du tout « exceptionnelle » aux yeux des Français tant les Conseils de défense sont devenus un élément presque quotidien. Originellement, il est intéressant de souligner que ce Conseil de Défense et de Sécurité nationale, comme son appellation l’indique parfaitement, a été conçu pour gérer la force armée, les questions de stratégie militaire ou les opérations extérieures, notamment lors des crises majeures nécessitant une réaction urgente vis-à-vis de la sécurité de la Nation.
Nombre d’observateurs s’étonnent de l’usage rituel qui est fait de cet organe dans un contexte de crise sanitaire et qu’il soit devenu le principal outil du pouvoir exécutif pour prendre ses décisions. Le juriste français et spécialiste du droit constitutionnel Jean-Philippe Derosier s’est dit interpellé « par l’usage qui est fait du Conseil de défense dans le cadre d’une épidémie, ce qui n’a rien à voir avec un engagement militaire » (source) et s’inquiète pour le manque de transparence évident de ces réunions en petit comité, sans parler de l’absence de consultation dans un tel cadre du Parlement, des élus locaux ou des partenaires sociaux. De la même façon, la politologue Chloé Morin, ancienne conseillère auprès du Premier ministre, se soucie de l’absence de véritables contre-pouvoirs et de réel débat parlementaire tout au long de cette crise (a contrario, ce dernier, par le biais du fait majoritaire, ne sert finalement qu’à entériner les choix du Président) ; tout en dénonçant la conception « monarchiste » et « absolutiste » (source) du pouvoir que nous avons conservée en France.
«L’Europe de la santé » : le point sur le véritable rôle joué par l’Union dans la crise
Ah l’Europe ! En voici une qui n’a pas été épargnée non plus lors de cette crise sanitaire, loin s’en faut. Dès les premiers moments de la pandémie, l’on entendait l’accusation suivante : si les pays européens avaient échoué à endiguer la Covid-19, c’était à cause de l’Union européenne (UE) qui souffrirait d’un déficit de solidarité, alors même que la santé publique ne relève pas de ses compétences ! En effet, il est important de le rappeler, la santé publique ne fait aucunement partie des prérogatives de l’Union, elle n’entre pas dans ses compétences partagées, et encore moins dans ses compétences exclusives. L’UE n’a pas la capacité de prendre des décisions sanitaires, elle ne peut adopter des actes législatifs contraignants (comme elle le fait pour l’union douanière ou pour la politique commerciale par exemple) et elle ne peut non plus légiférer dans ce domaine en collaboration avec les Etats membres (comme elle le fait pour l’agriculture ou pour l’environnement par exemple). En revanche, ce qu’elle peut seulement entreprendre dans le champ de la santé, dans une logique de « compétence d’appui », c’est un soutien ou une impulsion de coordination des actions des pays membres de l’Union. Par ailleurs, il faut ici souligner que toutes les compétences communautaires sont soumises au principe de subsidiarité, ce qui signifie que l’UE intervient seulement si une action publique peut être menée de façon plus judicieuse à l’échelle européenne. Tous ces éléments viennent nous aider à appréhender le rôle tout à fait secondaire de l’Union lors de cette période de crise sanitaire.
Sortons maintenant des considérations de responsabilité (souvent fantasmées) de l’UE dans la mauvaise gestion de la crise sanitaire et concentrons-nous désormais sur le rôle effectivement assumé par l’Union pour appuyer l’action des Etats membres. Pour revenir quelque peu en arrière, c’est à l’occasion du traité de Maastricht en 1993 que la politique de santé publique a été officiellement mentionnée pour la première fois dans un traité européen afin d’encourager les États membres à coopérer au niveau de la protection de la santé humaine. Aussi, ce qui nous intéresse particulièrement ici, c’est cette base juridique qui a mené à la création de l’Agence européenne des médicaments en 1995. Il s’agit de cette même agence qui est chargée d’établir des rapports de sécurité afin d’évaluer scientifiquement la qualité des vaccins contre la Covid-19 et de s’assurer qu’ils ne présentent aucun risque ou effet indésirable chez les futurs patients.
Toujours sur le sujet des vaccins, un autre rôle important de l’Union européenne – parfois décrié – s’est trouvé dans la négociation des contrats d’achat avec les producteurs de vaccin par la Commission européenne. Ainsi, de leur côté, les Etats membres ne sont pas responsables de l’achat des fameuses doses mais ont opté pour une délégation de ces négociations à l’Union afin de privilégier une action commune. D’un point de vue sanitaire, cette stratégie de coordination semble judicieuse. En effet, dans un espace géographique aussi ouvert que le marché intérieur européen, il aurait été absurde que des Etats membres puissent vacciner leur population en tirant profit de leur puissance financière tandis que leurs propres voisins et plus proches partenaires n’auraient pas eu les moyens d’accéder si facilement aux vaccins. Sans un accès équitable à la vaccination, on peut imaginer sans difficulté une Allemagne (première puissance économique européenne) bien dotée de cette précieuse protection immunologique face à une Autriche et à une Tchéquie (respectivement neuvième et treizième puissances économiques européennes) beaucoup moins bien loties que leur voisine germanique. Ainsi, la distribution proportionnellement équitable des vaccins aux pays membres de l’Union permet d’entrevoir – à terme – une immunité collective à l’échelle de l’espace européen.
Enfin, sur le thème de plus en plus évoqué de « l’Europe de la santé », que nous réserve l’avenir ? Historiquement, tout au long de la construction européenne, les compétences de l’Union se sont élargies afin de mieux répondre aux enjeux contemporains et aux grands défis mondiaux. Il est clair que la pandémie de Covid-19 restera longtemps dans les mémoires comme l’une des plus graves crises internationales des dernières décennies. Quand nous aurons vaincu le virus, il sera de bon ton de clamer : « Plus jamais ça ! ». Ainsi, les périodes de crise mondiale mènent à de profondes réflexions sur notre modèle de société (et parfois même à des refontes). Il apparaît évident que les dirigeants, pour mieux préparer l’avenir et pour éviter qu’une grave pandémie réapparaisse, chercheront davantage à prévenir plutôt qu’à guérir.
Pour ce faire, peut-être décideront-ils d’augmenter les moyens communautaires et d’accroître le rôle de l’Union européenne dans le domaine de la santé publique. Il n’est pas question ici d’émettre des spéculations rétroactives sur la gestion de la crise sanitaire, mais l’on peut tout de même imaginer qu’une meilleure coordination européenne dès l’apparition de la Covid-19 aurait pu faciliter une prise de décision efficace. On peut ici penser à un meilleur accès aux soins de santé transfrontaliers, au financement de la recherche, à l’espace Schengen et à la question tendancieuse des frontières, à la prise en charge partagée des malades (comme cela fut déjà observé avec les transferts de patients entre pays européens), à la mise en oeuvre de mesures communes pour les territoires transfrontaliers, à la production de nos propres médicaments pour ne plus dépendre de la Chine ou de l’Inde…etc. Tous ces éléments nous permettent d’envisager une meilleure coopération européenne en matière de santé publique, alors que la crise que nous traversons nous en a montré l’utilité potentielle.
Pour conclure ce dossier portant sur la gestion de la crise liée à la Covid-19, parfois jugée chaotique, nous avons illustré à quel point les politiques et l’administration ont usé à outrance de la centralisation de la santé publique, en laissant une place excessivement marginale aux collectivités territoriales. Originellement, l’on peut justifier cette concentration de la santé publique dans les mains du pouvoir central par une volonté de réduction des inégalités territoriales et par une application homogène des directives sanitaires, d’autant plus en temps de crise. Aujourd’hui, nous constatons que ce schéma ne satisfait plus véritablement, notamment en raison de l’appel des collectivités à plus d’implication dans la gouvernance sanitaire et parallèlement aux doléances des citoyens à plus de démocratie et de libertés. Ainsi, à la sortie de la crise de la Covid-19, nos dirigeants politiques en tireront-ils les leçons nécessaires ?
De l’apparition des premiers périodiques au XVIIème siècle aux nombreux bouleversements de la révolution numérique, l’information et surtout les médias qui la diffusent n’ont cessé de se réinventer. Se conformant aux caractéristiques de leur temps, ils se font miroirs des sociétés.
Depuis quelques années, fleurissent sur les réseaux de nouveaux types de médias. Appelés “nouveaux médias” ou “médias digitaux” ils se caractérisent comme nés et pensés pour les grandes plateformes de réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Instagram, Tik Tok, Snapchat etc..). Lancés, pour la plupart, par d’anciens journalistes issus des médias traditionnels, ils mettent en avant la totale liberté d’action, l’indépendance permise par ce format. On ne peut alors que louer cette approche et voir ces nouveau-nés comme une probable solution face à la défiance croissante du public envers les médias traditionnels. Mais, ce type de médias novateur est-il vraiment à considérer comme une réinvention de la diffusion d’information dans l’espace démocratique ou ne sont-ils qu’une illusion?
Malgré la diversité de fonctionnement des médias digitaux, les quelques caractéristiques abordées ici permettent de les regrouper sous un seul et même nom.
Les “médias digitaux” expliqués
Vous les avez, sans aucun doute, croisés. Sous des noms tels que, Konbini, Buzzfeed ou Minute Buzz, les médias digitaux se cantonnent aux réseaux sociaux en suivant une observation simple : les utilisateurs ne quittent pas la plateforme sociale sur laquelle ils naviguent, il faut donc faire partie intégrante de cette plateforme en diffusant directement le contenu sur celle-ci.
Vous les avez, sans aucun doute, croisés. Sous des noms tels que, Konbini, Buzzfeed ou Minute Buzz, les médias digitaux se cantonnent aux réseaux sociaux en suivant une observation simple.
C’est en partant de ce constat que MinuteBuzz a supprimé son site internet pour se concentrer sur la diffusion de contenu à travers les multiples plateformes de réseaux sociaux. Ici réside la différence entre les nouveaux médias et les médias traditionnels : si les médias traditionnels ont souvent été capables de faire face à la révolution numérique en se dotant d’un site web, ils se différencient des nouveaux médias ou médias digitaux qui, eux, misent d’abord sur leur diffusion et leur présence sur les réseaux sociaux plutôt que sur leur site.
Ce raisonnement n’a rien de surprenant au vu de la place croissante qu’occupent les réseaux sociaux au sein de notre société : en 2019, 44% de la population française utilise Facebook au quotidien et la France se place en huitième position dans le classement mondial de temps quotidien d’utilisation des réseaux sociaux avec une durée moyenne de connexion par habitant de 1h36min en 2020. (Données publiées par Statista Research Department, “L’usage des réseaux sociaux en France – Faits et chiffres”).
Être financé sans être enchaîné : mission impossible ?
Ce nouveau modèle médiatique interroge : comment garder une indépendance et une totale liberté d’action dans la rédaction, tout en maintenant une viabilité économique de l’organisation ? Bien que ces “nouveaux médias” mettent en avant cette indépendance, et que cet argument soit régulièrement repris par les partisans de ce mode d’information, il y a là de quoi s’interroger. Les modes de financement varient en fonction des organisations. Cependant, on retrouve des mécanismes communs à la majorité d’entre eux. Les abonnements ou crowdfunding permettent une certaine indépendance à tout média mais ne suffisent souvent pas à remplir les caisses des entreprises médiatiques. Les médias digitaux ne font pas exception à la règle et sont principalement financés par la publicité.
Le native advertising est la stratégie employée par la majorité de ce type de médias. Le principe est simple et extrêmement efficace : la publicité est directement intégrée au contenu rédactionnel. Ainsi, elle s’intègre à la charte graphique du média et est présentée sous la forme d’articles ou de rubriques. Cette harmonisation augmente la visibilité effective des publicités, les internautes ne différenciant le contenu publicitaire du contenu purement informatif qu’en lisant la mention obligatoire désignant la publicité. L’information diffusée dans ces articles publicitaires est considérée par la grande majorité du lectorat comme une information émanant directement du média en question.
On entre ici dans une nouvelle ère de l’information qui voit naître de pseudo médias ressemblant étrangement à des entreprises de communication publicitaire.
Si dans un média traditionnel les marques restreignent la ligne rédactionnelle, avec le native advertising ce sont les marques qui guident directement les sujets abordés dans les rubriques qui leur sont dédiées….On entre ici dans une nouvelle ère de l’information qui voit naître de pseudo médias ressemblant étrangement à des entreprises de communication publicitaire. La frontière entre article d’information et article publicitaire est donc de plus en plus floue.
Là où l’on cherche un média indépendant, sortant des lignes traditionnelles, et révolutionnant l’information à l’heure de la défiance populaire, on trouve des plateformes mélangeant indifféremment prestations publicitaires et articles d’information.
Réseaux sociaux et médias : libérés ou limités ?
Mettons de côté la question du financement des médias digitaux et des restrictions désastreuses qu’elle engendre pour nous concentrer sur le problème majeur de ces nouveaux-nés.
La production et la diffusion de l’information dans l’espace démocratique sont des notions majeures dans le fonctionnement du processus républicain. Nous connaissons les questions et biais engendrés par le financement des médias traditionnels. Le modèle de diffusion de l’information par les médias digitaux fait poindre un semblant de solution : les coûts d’impression de la presse papier ou de maintien d’un site internet dédié sont supprimés et le média s’assure une plus grande diffusion en se rapprochant du lectorat et en lui déléguant directement le partage de son contenu. Cependant, l’apparition des médias digitaux introduit de nouveaux acteurs de premier plan dans le processus : les réseaux sociaux.
L’information n’est plus pensée pour prévenir, décrire et expliquer mais pour buzzer.
Puisque ces médias diffusent leur contenu exclusivement sur ces plateformes, afin d’établir une espérance de vie décente, ils doivent se conformer à leurs algorithmes. L’information n’est plus pensée pour prévenir, décrire et expliquer mais pour buzzer puisque la durée de vie d’un post oscille entre quelques heures et quelques jours. Les sujets ne sont plus choisis et traités pour informer mais ils résultent directement de l’architecture des réseaux sociaux. Plus précisément : Facebook met en avant les vidéos courtes et rythmées tout comme Snapchat, Instagram ou Tik Tok. A l’inverse de YouTube, ces réseaux sont formatés pour favoriser les formats simples, aux chartes graphiques attirantes qui retiendront l’attention au milieu du flux de posts de l’utilisateur.
Le temps et le format sont deux contraintes dictées par les plateformes sur lesquelles l’information est diffusée par les réseaux sociaux. Cela nuit gravement à la qualité et à la pertinence de l’information. Il est purement et simplement impossible de produire de l’information contenant une analyse suffisamment profonde sur un format de quelques secondes.
Voici ce qu’il en résulte : une présentation léchée et dynamique mais peu de texte, des titres-chocs et malheureusement très peu d’information en substance. Une recette efficace pour buzzer et qui attire donc les annonceurs mais un véritable manque pour l’information des citoyens. La conversion à l’ère du numérique pour l’information de l’espace démocratique est un véritable échec au regard de la grande majorité des médias digitaux. Comment se contenter d’une information à la fois fusionnée à de la publicité et dictée par les algorithmes des réseaux sociaux ?
De la montée de l’islamisme dans les écoles républicaines
Il y a quelque temps, je vous parlais des problèmes qui touchent l’Éducation Nationale, et particulièrement la pauvreté de ses résultats académiques. Après avoir attaqué la pédagogie, l’idéologie et la mauvaise méthodologie dont souffre l’EN, il convient d’aborder aujourd’hui un autre problème : l’islamisme à l’école.
Mais avant toutes choses, lisons un passage du désormais fameux « Rapport Obin » portant sur l’islamisation extrémiste dans l’Education nationale. Ce rapport, datant pourtant de 2004, était déjà très lucide quant à l’évolution de la situation de certains quartiers. Voici un extrait du rapport de l’Inspecteur Général de l’Education Nationale J-P Obin, après enquête dans des dizaines d’établissements d’enseignement français :
« Les manifestations observées en milieu scolaire, individuelles et le plus souvent collectives, revêtent des formes parfois licites (comme la participation au jeûne rituel ou le refus d’aliments non consacrés, ou encore le marquage vestimentaire des parents), parfois illicites (comme l’absentéisme sélectif, ou le refus ou la contestation d’activités et de contenus d’enseignement), ou au caractère parfois plus difficile à apprécier (comme certaines revendications d’adaptation de la vie scolaire ou des contestations politico-religieuses.)Il ne s’agit nullement pour ces populations d’un repli identitaire des plus anciens, mais bien d’une identité de substitution qui se diffuse d’abord parmi les jeunes de la seconde ou troisième génération. Des organisations, le plus souvent structurées sur le plan international, prospèrent sur ce terreau et assurent à cette nouvelle identité « musulmane » une promotion efficace, dans une surenchère permanente qui donne aux plus radicaux souvent le plus de poids auprès des plus jeunes ou des plus fragiles (parmi ces derniers on peut placer un certain nombre de jeunes convertis ; la direction centrale des renseignements généraux estime ces radicaux à 1100 sur environ 50 000 convertis). Le projet de ces groupes ouvertement ségrégationnistes et qui dénoncent l’intégration comme une apostasie ou une oppression, va encore plus loin. Il est aussi de rassembler ces populations sur le plan politique en les dissociant de la nation française et en les agrégeant à une vaste « nation musulmane ».
Le rapport Obin est extrêmement inquiétant : non seulement, car il est relativement ancien (et on a pu constater comment la situation n’a fait que se dégrader sur les 15 dernières années), mais aussi car il confirme l’émergence d’une jeunesse issue de l’immigration islamisée et ennemie de la société française, avec sa propre contre-culture, et liée aux organisations islamistes internationales.
La postérité du rapport Obin
Eh bien vous serez ravis d’apprendre que non seulement il n’a pas été écouté (François Fillon avait refusé par 3 fois la publication de ce rapport quand il était à la tête du ministère ; le rapport fut finalement publié à la suite d’une fuite), mais en plus la situation s’est empirée. C’est le constat que fait le même Jean-Pierre Obin en 2020, à l’occasion de la sortie de son nouveau livre Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école. Cet ouvrage d’une centaine de pages est à la portée de tous, et résume parfaitement l’état actuel de notre école.
En se basant sur son expérience de professeur et d’inspecteur de l’EN, Jean-Pierre Obin détaille la genèse du rapport Obin, ses constats suite à son travail de terrain, en liant statistiques et anecdotes véridiques. Un livre à ressortir la prochaine fois qu’un David Goodenough voudra vous faire relativiser le degré de gangrène de l’Education Nationale. Et cette gangrène c’est bien l’islamisme.
Jean-Pierre Obin nous raconte ainsi comment la mixité est sans cesse contestée, que ce soient dans les cours de sports, où une allergie au chlore semble être partagée par la plupart des jeunes filles de confession musulmane, mais aussi aux réunions parents-profs où des pères refusent de serrer les mains des professeurs féminins, quand ils ne refusent pas tout simplement de s’y rendre. Il nous raconte également la remise en cause constante des programmes de Français, d’éducation civique, d’histoire et même de biologie, qui force les professeurs à s’autocensurer par peur des représailles (ou par complaisance vis-à-vis de l’islam radical pour certains).
Ainsi, lors d’une enquête sociologique, les chercheurs de l’Institut de Science Politique de Grenoble ont découvert que l’assertion « la femme est faite avant tout pour faire des enfants et les élever », était approuvée par 16% des élèves athées, 29% des catholiques et par 41% des musulmans. Autre assertion : « Une loi heurte tes principes religieux, que fais-tu ? » ; 68% des élèves de confession musulmane privilégient leur religion, contre 34% des catholiques. Enfin, seuls 6% des élèves musulmans (contre 30% des catholiques et 66% des athées) pensent que « les espèces vivantes sont le résultat de l’évolution » (Sébastien Roché, Enquête, « Les adolescents et la loi », rapport projet UPYC, volet France , 2016). De quoi préparer un véritable relativisme culturel.
Jean-Pierre Obin ne verse jamais dans « l’islamophobie » ; en revanche, il n’hésite pas à évoquer le problème grandissant de l’antisémitisme au sein de l’EN. Ainsi, entre 2000 et 2015, ce sont près des deux tiers des 100 000 élèves juifs scolarisés dans le secondaire qui ont été déscolarisés du public vers le privé (« La déscolarisation des élèves juifs de l’enseignement public », Dominique Schnapper, Paul Salmona et Perrine Simon-Nahum, Réflexions sur l’antisémitisme, Paris, Odile Jacob, 2016, p.207-214). Nous sommes en 2020 et les élèves juifs français préfèrent l’enseignement privé catholique à l’école publique républicaine ; cherchez l’erreur.
Et la laïcité dans tout ça ? Parlons-en de la laïcité ! Le livre évoque tout d’abord les refus d’observer une minute de silence à l’occasion des attentats : selon un sondage IFOP, 13% des enseignants déclarent avoir été confrontés à des contestations d’élèves lors des moments de recueillement organisés à la suite des attentats de janvier et novembre 2015. La même enquête IFOP révèle que 38% des enseignants ont observé des contestations de la loi sur les tenues et signes religieux de la part des élèves (Sondage IFOP pour le Comité national d’action laïque, mars 2018).
Tous responsables ?
Mais pourquoi blâmer les seuls islamistes ? “Pour triompher, le mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien”, nous disait Burke. Et en la matière, certains fonctionnaires de l’EN semblent vouloir voir triompher ce mal qu’est l’islamisme. Nous en parlions dans la première partie de cet article, la gauche a une grande part de responsabilité dans ce laxisme. On peut marquer la décadence idéologique de la gauche à 1961, avec la publication par Frantz Fanon, de Les damnés de la Terre (Paris, La découverte) où l’auteur déclare que les véritables opprimés ne sont plus les prolétaires européens mais le Tiers-Monde. De là, va découler une lente mutation de la gauche, qui va progressivement délaisser le marxisme traditionnel pour des thèses post-modernes, liées à Michel Foucault et Pierre Bourdieu. On peut par exemple citer Alain Touraine qui, lors d’une conférence à l’université Lumière de Lyon en 1995, déclarait que l’école doit abandonner toute idée d’une cohésion sociale fondée sur un système de valeurs partagées. L’enseignant doit s’attacher à prendre en compte l’individu chez l’enfant avant toute chose ; ainsi, pour lui, le port du voile islamique est l’expression d’une identité positive.
Et comment oublier le rôle de certains syndicats, marchant main dans la main avec des associations proches des Frères Musulmans comme le CCIF, afin de faire des entorses au règlement : on a ainsi vu l’installation de salles de repos durant le ramadan dans certains établissements, tandis que certaines écoles ont adopté le régime alimentaire halal par défaut. Et bien sûr le sacro-saint Graal des islamistes : pouvoir porter le voile à l’école. Il serait intéressant de voir comment réagiraient ceux qui revendiquent ce droit, face à des élèves juifs qui viendraient kippa sur la tête en cours. Au vu de l’exode des élèves juifs évoqué plus tôt, il y a fort à parier que le résultat ne serait pas beau à voir.
Mais ne croyez pas une seconde qu’il faut mettre tous les musulmans ou tous les individus de culture musulmane dans le même panier. Nous l’évoquions déjà dans notre article sur les Frères Musulmans, nombreux sont les musulmans à dénoncer la radicalisation récente de l’islam, et en particulier de l’islam en France. On pensera à ces mères musulmanes du quartier du petit bard à Montpellier qui, au printemps 2015, avait monté une association pour demander plus de mixité sociale, « davantage de petits blonds et de petits roux sur les photos de classes » pour reprendre leurs mots. A l’instar de Choukri Ben Ayed, sociologue spécialisé dans les questions scolaires, elles avaient compris que la mixité sociale est le facteur le plus important de la réussite scolaire.
Conclusion : vers une solution ?
Si vous avez été choqués par certaines informations contenues dans cet article, alors rendez-vous chez votre libraire pour vous procurer le dernier livre de Jean-Pierre Obin. Vous y trouverez une véritable analyse sourcée et agrémentée d’un réel travail de terrain.
Que retenir de cet état des lieux de l’Éducation Nationale ? Une école plus-si-républicaine-que-ça qui, en plus d’être laxiste et inefficace en termes de résultats scolaires, semble gangrenée par diverses idéologies allant du progressisme maladif à l’islamisme intégriste. Il est clair qu’en continuant sur cette route, on se dirige tout droit vers cet « archipel français » décrit par Jérôme Fourquet (encore une très bonne lecture), où la France ressemblerait à un conglomérat de petites communautés vivant dans un antagonisme constant. Mais la critique est facile, et l’art est difficile. C’est pourquoi dans notre troisième partie, nous verrons quelles mesures pourraient endiguer, voire inverser, la tendance actuelle.
Des dégâts du progressisme sur l’Education nationale
Dans cette première partie, je vous propose de revenir sur les causes à l’origine de ce qu’il convient aujourd’hui d’appeler « la désinstruction nationale » (expression de René Chiche, tirée du livre du même nom).
Il y a quelques mois, je publiais un article intitulé « La déconstruction du roman national », dans lequel je passais en revue les différentes causes à l’origine de la fin de l’enseignement du roman national dans les cours d’Histoire officiels. S’il apparaît aujourd’hui qu’une idéologie progressiste dominante dans le monde universitaire et de la recherche est à l’origine de cela, j’ai pensé qu’il serait intéressant de détailler d’autres problèmes, observables cette fois-ci liés à la pédagogie en général. Aujourd’hui dans cette première partie,je vous propose de revenir sur les causes à l’origine de ce qu’il convient aujourd’hui d’appeler « la désinstruction nationale » (expression de René Chiche, tirée du livre du même nom).
L’instrumentalisation politique de l’Éducation Nationale
Il est tout d’abord clair qu’on assiste aujourd’hui à une instrumentalisation de l’éducation, et ce à des fins électoralistes. Cela ne devrait pas vous surprendre ; après tout ce n’est pas la première fois que l’école est utilisée à des fins politiques. A titre d’exemple, l’historien René Rémond décrivait souvent le rôle de l’éducation dans la construction de la citoyenneté et allait plus loin en évoquant même un rôle nouveau qui permettrait de construire, en ce début de XXIème siècle, une citoyenneté européenne au-delà de la seule citoyenneté nationale. Or, l’idée d’une citoyenneté européenne est affirmée depuis le traité de Maastricht. La question est donc de savoir si l’enseignement de l’histoire, qui a longtemps permis de faire des citoyens français, doit, aujourd’hui, « prendre en charge la création d’une identité européenne en enseignant l’histoire de l’Europe » (Serge Berstein, « Enseigner l’histoire de l’Europe»).
« Il faut éveiller chez les jeunes générations le goût de l’action (…). Le pays est menacé par les périls extérieurs : il faut cultiver en elles le sentiment national »
Mais, comme dit plus haut, le rôle politique de l’éducation a toujours existé, et ce n’est pas une chose mauvaise en soi ; seulement là où l’accent était auparavant mis sur le côté patriotique et républicain de la mémoire nationale, et sur la transmission d’un héritage, il est aujourd’hui mis sur l’ambition démocratique de créer un citoyen européen « éclairé ». Ernest Lavisse, auteur du fameux manuel d’histoire de la IIIème République « Le Petit Lavisse », écrivait par exemple concernant l’enseignement de l’Histoire : « Il faut éveiller chez les jeunes générations le goût de l’action (…). Le pays est menacé par les périls extérieurs : il faut cultiver en elles le sentiment national » (extrait d’un article datant de 1890). Le Petit Lavisse, publié chez Armand Colin en 1876, laissa à des générations d’élèves, pendant près d’un siècle, ce que l’historien Pierre Nora qualifie d’«évangile de la République ».
Mais cet objectif d’une transmission d’un héritage et d’une citoyenneté nationale fut mis en cause autour des années 1960; remise en cause qui culmina en mai 68. A partir de cette date, une certaine idéologie infiltra et domina progressivement le secteur de l’éducation. Cette idéologie, c’est celle incarnée par la nouvelle loi populaire : « Il est interdit d’interdire », qui implique forcément une perte de respect envers les institutions. Cette mutation du rôle et de la nature de l’Education Nationale est en fait le fruit d’un travail de métapolitique de la gauche, qui s’est inspiré des travaux de l’italien Antonio Gramsci. Marxiste, Gramsci écrivait que la bataille des idées se gagne d’abord grâce à la conquête d’institutions autres que les institutions politiques officielles, et qu’il faut exercer une « hégémonie culturelle » sur la société afin de pouvoir faire arriver ses idées en politique. A comprendre: contrôler les mœurs permet, sur le long terme, de contrôler la politique. En France, l’éducation et les arts furent les premiers domaines à succomber à cette stratégie, si bien qu’il est aujourd’hui difficile de trouver un artiste ou un universitaire se disant ouvertement de droite, tandis qu’une ribambelle d’entre eux se réclament fièrement de la gauche. L’adhésion à cette idéologie semble même être aujourd’hui devenue un prérequis pour intégrer ces champs professionnels, y compris l’Éducation Nationale. Laurent Lafforgue, instituteur des Vosges, décrit dans son texte « Défense de l’école et politique » l’intolérance politique des syndicats enseignants :
« Répondre au mail d’un syndicat (nous en sommes abreuvés) en n’allant pas dans son sens devient un suicide professionnel si on le fait trop souvent.«
« Vous ne faites pas grève, vous n’approuvez pas les syndicats, vous osez vous élever contre telle décision inique : vous êtes ostracisé de manière sourde. Répondre au mail d’un syndicat (nous en sommes abreuvés) en n’allant pas dans son sens devient un suicide professionnel si on le fait trop souvent. Vous ne pouvez pas critiquer ouvertement la façon dont fonctionne l’enseignement sans être taxé de réactionnaire. »
Egalitarisme et progressisme : le nouveau credo de l’E.N.
Car la formule “il est interdit d’interdire” implique nécessairement la fin de toute autorité qui s’imposerait aux élèves, elle a engendré la naissance d’un « égalitarisme fou », pour reprendre une expression de Montesquieu. Selon cette idéologie, l’égalité entre individus n’admet aucune exception. Tous les individus étant parfaitement et en tous points égaux, l’opinion de l’un vaut exactement autant que celle d’un autre. Invoquant son « droit à la différence », chacun veut qu’on le respecte en l’écoutant, et qu’on reconnaisse la valeur de son propos quel que soit le fond du propos en question. L’ancien Ministre de l’Education nationale Luc Ferry, dans sa « Lettre à tous ceux qui aiment l’école » écrivait ainsi:
« Depuis sa création jusqu’à la rupture introduite par les contestations des années 1960, l’école républicaine reposait sur l’idée qu’il existait des valeurs communes, des normes collectives, incarnées notamment par les programmes, qui dépassaient les individus et que chacun devait s’efforcer de réaliser dans sa vie comme à l’école. […] les années 1960 ont vu apparaître et se développer une autre conception de l’éducation. […] De là une préférence marquée pour les dispositifs pédagogiques qui cultivent d’autres qualités que les traditionnelles valeurs du mérite, de l’effort et du travail : l’expression de soi plutôt que le souci des héritages transmis, l’esprit critique plutôt que le respect des autorités, la spontanéité plus que la réceptivité, l’innovation plutôt que la tradition, etc. »
Ainsi, le savoir et l’autorité ne sont plus simplement rejetés parce que « bourgeois », mais parce que « blanc », « patriarcal », ou « hétérosexuel ».
A partir de 1968, en effet, l’Education nationale a eu tendance à être de plus en plus dominée par des gens se revendiquant de gauche, soucieux de réformer la société et l’école. Et cette partialité politique au sein du monde éducatif est observable également à l’étranger (de manière générale dans tous les grands pays occidentaux). Dans un article paru en 2016 dans le New York Times, le politologue Samuel J. Abrams a utilisé les données de l’HERI pour soutenir que le rapport entre démocrates et républicains dans le corps professoral américain était incroyablement inégal. Selon Abrams, le rapport était de 6 libéraux pour 1 conservateur à l’échelle nationale ; ce ratio pouvait atteindre 28 pour 1 dans les Etats les plus progressistes, comme en Nouvelle –Angleterre. Il a également examiné les variations de ce ratio en fonction des disciplines enseignées, décrivant une plus grande concentration de démocrates dans les institutions de sciences humaines, et une plus faible dans les études professionnelles, les sciences et l’ingénierie.
Pour le camp progressiste, il est hors de question que des élèves acceptent sans discuter de suivre des programmes établis, de faire ce qu’on leur dit ou de respecter des règles de bonne conduite : comme l’autorité, le savoir a été délégitimé. Et au cours de la dernière décennie, s’est greffée à cette attitude la théorie intersectionnelle, qui hiérarchise les “oppressions” en fonction de la couleur de peau, du sexe et de l’orientation sexuelle. Ainsi, le savoir et l’autorité ne sont plus simplement rejetés parce que « bourgeois », mais parce que « blanc », « patriarcal », ou « hétérosexuel ». Il devient alors légitime, et même obligatoire, de contester ces savoirs.
Une fausse bonne idée : la méthode pédagogique
Enfin, au-delà du but idéologique, la méthode pédagogique est décidément ce qui a fini d’achever l’Éducation Nationale. D’après la pédagogie dite de Piaget suivie, on n’apprend qu’en se découvrant soi-même : la connaissance ne se transmet pas à un élève, celui-ci doit la construire lui-même. Ainsi, aujourd’hui, on ne donne plus de leçons de grammaire aux écoliers : ils se livrent à « l’observation réfléchie de la langue française », ils « examinent » les textes « comme des objets qu’on peut décrire ». Or, une telle « découverte » des règles de grammaire ne fonctionne pas en raison du nombre trop important de règles dans la langue française, et du nombre encore plus important d’exceptions. Les enseignants français ont donc renoncé à exiger de leurs élèves qu’ils respectent la grammaire. C’est notamment pour cela que l’orthographe n’est plus éliminatoire au barème du baccalauréat.
Plusieurs études ont montré que les méthodes pédagogistes produisaient toujours de moins bons résultats que les méthodes basées sur l’apprentissage traditionnel.
Pourtant, plusieurs études comparatives très sérieuses, dont le projet Follow Through regroupant une vingtaine d’approches pédagogiques portant sur 10 ans et 70 000 élèves du primaire issus de milieux populaires, ont montré que les méthodes pédagogistes produisaient toujours de moins bons résultats que les méthodes basées sur l’apprentissage traditionnel de la lecture, de l’écriture et du calcul. Le bilan de la méthode pédagogique, le voici : 25% des enfants issus de l’enseignement primaire ne maîtrisent pas les fondamentaux (le français et le calcul), et 70% des jeunes en classe de seconde obtiennent une note éliminatoire à une dictée soumise autrefois aux enfants du certificat d’études. Avec 96% de réussite en 2020, le niveau du baccalauréat s’est tellement dégradé que les entreprises qui embauchent de jeunes actifs sont obligées de leur faire suivre le programme Voltaire afin qu’ils puissent rédiger des rapports présentables.
Que faire ; que dire ?
En bref, que retenir de cet état des lieux de l’Éducation Nationale ? Il apparaît aujourd’hui qu’il existe une mainmise idéologique de la part du camp “progressiste” dans le domaine de l’éducation, alimenté par un entre soi sectaire poussé par les syndicats enseignants et étudiants. Leur idéologie égalitariste et relativiste a pu s’implémenter dans la quasi-totalité des établissements, de par une volonté d’uniformisation et de centralisation de l’éducation et des programmes scolaires. Mais au-delà du fond, la forme même des enseignements traditionnels a muté au profit d’un pédagogisme qui prétend « suivre l’enfant à son rythme », mais qui en réalité ne résulte que sur une baisse de l’exigence générale des connaissances. Cette gigantesque machine à dés-instruction prédispose les futurs électeurs non seulement à la médiocrité; mais également à un vote qui ose encore se dire être du côté du « progrès », malgré ses résultats catastrophiques. Dans les années à venir, il est évident qu’une refonte complète et véritable de notre système éducatif devra être effectuée si l’on veut pouvoir continuer à former des citoyens responsables, compétents et érudits.
Dans la seconde partie de cet article, nous traiterons la prochaine fois de la place grandissante de l’islamisme dans les établissements les plus populaires, qui ne rencontre qu’une complaisance politiquement correcte de la part d’une partie du corps enseignant et de la classe politique.
Simulation d’application des revendications LGBTQIA+
Ce récit fictif est fondé sur les revendications portées par l’association inter-LGBT, sur l’observation des différentes revendications massivement relayées sur les réseaux sociaux (comptes anti-transphobie, etc) et sur un entretien avec une personne trans. La communauté LGBTQIA+ n’étant pas un bloc monolithique, elle est parfois divisée sur certains points. Cette fiction ne fait en aucun cas l’apologie de ces revendications, il n’en fait pas non plus la critique. Son seul et unique but est d’ouvrir une fenêtre sur les possibilités s’offrant au monde de demain.
-Bienvenue, que puis-je faire pour vous ? Quels sont vos pronoms ?
-Bonjour, she/her/elle, je viens pour un rendez-vous de procédure de procréation, j’ai un entretien avec Mx Duflot.
Olivia se dirigea vers le bureau désigné par lae réceptionniste. Maëlle n’était pas encore arrivée. Ce rendez-vous marquait l’aboutissement de leur union. En ouvrant la porte, elle sentit une boule se former au creux de son ventre, tiraillée par un bonheur intense et la peur face à l’ampleur du projet qui lui tenait tant à cœur.
-Enchanté.e, asseyez-vous madame. Il est écrit Olivier dans votre acte de naissance, vous genrez vous bien au féminin ?
-Merci, oui, c’est mon deadname. Je m’appelle Olivia depuis ma transition Homme to Femme.
Au même instant, Maëlle entra dans la pièce et s’installa aux côtés d’Olivia.
-Nous voilà au complet, commença lae conseiller.e en se fendant d’un sourire chaleureux. Avant tout, j’ai besoin de quelques informations pour compléter votre dossier. Ces questions touchent directement votre intimité, êtes-vous d’accord pour en parler ?
– Oui, dans la limite de la légalité évidemment !
– Évidemment, pas d’inquiétude, j’ai un code déontologique très précis à respecter. Commençons donc ! J’ai récupéré votre dossier, vous venez donc pour un projet d’enfant, combien êtes-vous dans ce projet ?
Vous venez donc pour un projet d’enfant, combien êtes-vous dans ce projet ?
– Deux seulement ! Et ce serait Maëlle qui le porterait, annonça Olivia. Les deux femmes échangèrent un regard complice, heureuses et émues à la pensée de la grossesse prochaine de Maëlle.
– Pas de pluriparentalité, je note. Pensez à m’envoyer un mail si jamais vous intégrez d’autres personnes au cours de la conception. Est-ce que je peux vous demander votre état civil ?
– Nous sommes en couple, mais nous réfléchissons à nous marier d’ici quelques années, c’est important ?
– Non, vous n’en aurez pas besoin pour cette procédure. Je crois que vous ne souhaitez pas adopter, je vais donc vous exposer les différentes procédures de conception par gamètes uniquement.
Pour commencer, nous pouvons utiliser celles d’un.e donneur.se biologiquement mâle. La procédure sera relativement simple, et gratuite. Vous compléterez un dossier, évidemment non-genré pour éviter toute discrimination. Lae donneur.se ne connaîtra pas votre identité, et vous pourrez demander la sienne si votre enfant le souhaite.
– Pourquoi voudrait-iel la connaître ? Lae donneur.se n’est même pas intégré.e dans le projet.
– Non bien sûr, iel n’aura pas de lien de filiation avec votre enfant, mais la levée de l’anonymat peut être faite à la majorité de votre enfant s’iel le demande. Si cette possibilité ne vous convient pas, il existe évidemment la méthode traditionnelle : les gamètes du parent A et du parent B, puisque vous avez respectivement des anatomies masculines et féminines. Olivia, pour exécuter cette méthode, il serait nécessaire de prélever vos gamètes masculins. Nous pouvons les prélever avant la transition médicale Homme to Femme. Elle est évidemment entièrement prise en charge par l’Etat, tout comme la transition hormonale, la vaginoplastie, mammoplastie, etc. Olivia, avez-vous effectué une transition chirurgicale ?
Les sourcils d’Olivia se froncèrent. Elle était usée par cette manie intempestive des cisgenres à la ramener à sa transidentité. Cette attitude oppressive constante ajoutait un poids écrasant sur son cœur lourd déjà fragilisé par les années de questionnement, de mal-être, de mégenrage. Le gouvernement avait pourtant promis de la libérer de cette chape de plomb. Il avait fait adopter une flopée de lois pour déconstruire le filet transphobe et sexiste de textes législatifs qui oppressaient minutieusement les minorités de genre, les entravant à chaque instant comme un boulet qu’elles trainaient dans un cliquetis sourd et sinistre. Les lois peuvent déconstruire les règles, mais elles ne déconstruisent jamais complètement les hommes. Bouillonnant intérieurement, elle ne pouvait pas détacher son regard de ses mains. Cette attitude oppressante réveilla en elle un sentiment insupportable de dysphorie. Ses poings serrés les faisaient paraître encore plus masculines, remarqua-t-elle. Même son propre corps la ramenait à sa condition. Son propre corps mentait. Il la trahissait depuis toujours, bâillonnant son identité, séquestrée au fond de son âme, suffoquant des années durant. Elle sentit les doigts fins de sa bien-aimée se glisser entre ses doigts crispés dans un signe de réconfort. Mais la colère était trop grande. Elle explosa.
Les lois peuvent déconstruire les règles, mais elles ne déconstruisent jamais complètement les hommes.
– Est-ce que je vous demande ce que vous avez entre les jambes, moi ?? Ce que je fais de mon corps ne vous regarde pas. Je n’ai pas à faire de transition pour être une femme comme les autres. Qu’est-ce que vous avez appris à l’école ?? Vous n’avez pas étudié le droit des personnes trans ? Vous n’avez pas appris que le genre était indépendant du sexe, comme tout le monde ??
Mx Duflot semblait confus.e. C’était la deuxième fois ce mois-ci qu’iel se permettait de demander à un.e patient.e transgenre s’iel avait transitionné chirurgicalement. Iel savait que sa faute allait être reportée au responsable du département. Iel n’en n’était encore qu’à sa période d’essai, et iel savait que tout comportement sexiste ou transphobe était particulièrement durement puni dans les entreprises et administrations publiques. C’était une faute professionnelle, qui pouvait lui faire perdre son emploi, voire lae faire condamner s’iel avait été particulièrement oppressant.e. S’iel voulait conserver son emploi, et ne pas tuer dans l’œuf toutes ses futures opportunités professionnelles, il fallait qu’iel se reprenne.
– Excusez-moi Madame, je suis sincèrement désolé.e. J’ai fauté, je comprends votre colère. Je promets de m’éduquer pour me déconstruire totalement. Vous savez, il est tellement difficile de lutter contre la transphobie intériorisée, je suis oppresseur.se par nature, mais j’essaie vraiment d’être votre allié.e !
Je promets de m’éduquer pour me déconstruire totalement.
– Allez, on passe à autre chose. Vous n’avez pas fait exprès. Faites des efforts, lâcha Olivia entre ses lèvres serrées.
Maëlle restait silencieuse, les yeux baissés. Elle se détestait de ne pas avoir pris elle-même la défense d’Olivia. Elle savait bien qu’être témoin silencieux de ce genre de propos, c’était déjà être transphobe. Et en même temps, elle essayait de ne pas parler à la place d’Olivia. Monopoliser la parole, en tant que cis, c’était voler celle des personnes trans. Elle se faisait discrète pour ne pas perpétuer l’invisibilisation des minorités de genre, qui avait tant fait de dégâts au cours de l’histoire.
– La troisième solution, donc, reprit Mx Duflot, la gorge nouée. C’est la plus récente, elle a été développée dans les années 2020. Elle est un peu plus risquée, mais elle permet de concevoir un enfant issu de deux personnes qui menstruent, en prélevant de la moëlle osseuse des deux parents. Je vous laisse y réfléchir, on aura l’occasion d’en rediscuter lors d’un deuxième rendez-vous, ok ?
– Et pendant la grossesse, ça se passe comment ? demanda Olivia. Je suis une personne qui menstrue, et je souhaite porter l’enfant.
-Vous serez très bien accompagnée pendant la grossesse, rassurez-vous. Les sages personnes vous accompagneront tout au long du projet, et s’assureront de la bonne santé de votre enfant. Vous aurez accès à tout le dossier médical, sauf évidemment le sexe, pour éviter toute projection de genre sur votre enfant.
-En fait, ça me fait un peu peur, lae coupa Maëlle d’une voix hésitante. Je suis évidemment éduquée, mais vous savez ce que c’est, avec toute l’histoire oppressante, sexiste et transphobe de notre pays, j’ai peur de perpétuer des injonctions genrées à mon enfant.
-Je comprends, la rassura Mx Duflot. Vous serez très bien accompagnées sur ce point pendant le projet. Vous ferez les formations obligatoires à la parentalité, pour vous habituer à genrer votre enfant au neutre avant qu’iel n’exprime son genre.
Vous aurez accès à tout le dossier médical, sauf évidemment le sexe, pour éviter toute projection de genre sur votre enfant.
– En fait, notre vraie inquiétude, c’est parce que… j’ai encore ma grand-mère, et elle est assez problématique, confessa Maëlle. Vous savez, elle a grandi dans les années 2000, sous le Patriarcat, avant les lois inclusives, et elle a tendance à genrer les enfants, à leur raconter des vieilles histoires sexistes et hétérocentrées avec les princes et les princesses, tout ça…
– Oui, ces personnes peuvent être assez rétrogrades… On a eu plusieurs cas ces derniers mois de grands-parents qui habillaient les enfants avec des jupes roses en fonction de leur appareil génital, ou leur racontaient le mythe « papa et maman », voire pire…
Les deux femmes levèrent les yeux au ciel. Elles étaient conscientes de la difficulté de protéger leur futur enfant des vieux fantômes de l’ancienne société qui perdurait des années après l’Abolition du Patriarcat Transphobe.
Heureusement, de nombreuses lois, formations obligatoires et institutions luttaient activement contre ce fléau et leur garantissaient un cadre légal protecteur pour élever leur enfant en toute inclusivité. Mx Duflot se révélait être un.e bon conseiller.e, et observa scrupuleusement la loi dans le reste de l’entretien, mettant le couple en confiance quant à l’accompagnement mis en place par l’Etat tout au long de leur projet.
Sur le chemin du retour, un léger silence planait entre les deux femmes. Chacune savourait la joie immense que leur procurait l’entrevue qui venait de s’achever. La radio bravait ce silence en crachant un flot d’informations comme à l’accoutumée:
“L’OMS a confirmé ce matin le succès de sa procédure de retrait des troubles de l’identité de genre de la liste des maladies mentales de l’OMS et son reclassement dans une catégorie non stigmatisante et non pathologisante mais garantissant la prise en charge financière des transitions. L’Etat français a profité de cette nouvelle pour déclarer dans l’après-midi que la prise en charge financière pour les Français concernerait aussi les traitements bloquant la puberté pour les jeunes personnes transexuelles qui le souhaitent. Une rubrique spéciale est consacrée à la communauté trans pour, en ce 20 novembre, journée du souvenir trans, remplir notre devoir de mémoire envers toutes les victimes de transphobie et particulièrement en honneur à Rita Hester, tuée le 28 novembre 1998, lors d’un crime de haine transphobe. Comme chaque année, cette journée commémorative mondiale aura un écho particulier sur le sol national: le centre d’archive LGBTQI+ qui fête ses 10 ans cette année ouvre exceptionnellement ses portes dans le cadre d’une conférence portant sur la nécessité d’abolir tout représentation genrée dans l’espace médiatique et publicitaire. De plus, vous pourrez participer aux multiples cérémonies ayant lieu devant chaque monument commémoratif à la mémoire des victimes LGBTQ+. La dimension de l’événement est accentuée suite à l’annonce d’un jugement symbolique d’un acte transphobe ayant été rendu dans la semaine: un homme cisgenre blanc dont le nom restera confidentiel, a été condamné à un versement d’indemnités financières conséquent et à un stage de sensibilisation anti-transphobie après avoir déclaré via son compte Facebook qu’il lui était impossible de sortir avec une personne trans.”
Un homme cisgenre blanc dont le nom restera confidentiel, a été condamné après avoir déclaré via son compte Facebook qu’il lui était impossible de sortir avec une personne trans.
Les deux femmes se regardèrent dans les yeux un court instant. Égarées, elles ne savaient quoi penser de la nouvelle mise à jour du dispositif d’intelligence artificielle chargé de contrôler le contenu diffusé sur la plateforme. Le nouveau système permettait une détection immédiate de tout terme, de toute tournure offensante pour quelque communauté ou minorité que ce soit et ce autant sur le réseau social en lui-même que sur son extension de messagerie privée.
Le gouvernement avait récemment mis en place cette obligation pour l’ensemble des réseaux sociaux accessibles en France suite à un vote parlementaire précédé d’un long débat national largement commenté dans les médias. Vue par la société dite “bien pensante”, comme une avancée vers l’abolition absolue de tout discours de haine, de nombreux détracteurs considéraient, au contraire, cette mesure comme un dernier coup de lame achevant les libertés individuelles sur l’autel du progressisme.
Maëlle augmenta le son, curieuse d’entendre les dernières avancées législatives du gouvernement qui affirmait sa ligne progressiste depuis le début de sa mise en place 1 an plus tôt.
“Les élèves français participeront aussi à cette journée commémorative avec l’introduction, dans leur journée, d’un temps de réflexion et de prévention à la transphobie. La prochaine rentrée scolaire intégrera, d’ailleurs, de nouvelles habitudes. En effet, dans le but de faciliter la scolarité des jeunes personnes trans, le Ministère de l’éducation a imposé à l’ensemble des établissements scolaires d’utiliser le genre et le prénom d’usage pour s’adresser ou inscrire les élèves qui en font la demande.”
Olivia coupa la radio et se tourna vers sa femme. Elle était radieuse:
“Voilà un monde que je veux faire découvrir à notre enfant!”
De la nécessité de réhabiliter la science comme moyen d’accéder au réel
L’ère de la post-vérité dans laquelle nous vivons accorde à la science un statut de croyance auquel on est libre d’adhérer ou non. L’épidémie de coronavirus que nous traversons nous a révélé que notre rapport à la science est totalement perverti : soit elle est érigée comme unique source de Vérité, soit elle est abusivement relativisée. Dans les deux cas, la science n’est pas comprise. Nous tenterons ici de redonner à la Vérité scientifique sa juste place.
Une difficile appréhension de la vérité
Qu’est-ce que la vérité ? Si l’on s’en tient à la définition donnée par le dictionnaire Larousse, la vérité est « l’adéquation entre la réalité et l’homme qui la pense ». Dans ce sens, la réalité est ce qui est et la vérité est le résultat d’un raisonnement conforme à cette dernière. Mais comment peut-on toucher le réel par des mots et des concepts forgés par l’homme ? Là est justement toute la finalité de la philosophie, qui compte y arriver par les moyens de la rationalité et de l’argumentation. La philosophie n’est cependant pas le seul moyen d’y parvenir. L’on distingue en fait trois types de vérité : logique (par le biais d’un raisonnement abstrait), expérimentale (en se fiant à des preuves objectives) et révélée (par le moyen de la foi, du dogme, etc.). C’est évidemment de la vérité expérimentale, ou scientifique, dont nous allons ici parler, et surtout du rapport que notre société contemporaine entretient vis-à-vis d’elle. Ce type de vérité est issu d’une proposition faite à la suite d’un raisonnement rigoureux et est déclarée comme telle à la suite d’un débat contradictoire débouchant sur un consensus. Puis, elle est vérifiée par l’expérience et se renforcera à mesure qu’elle perdurera sans être contredite. Peut-on pour autant dire que le consensus scientifique détermine le vrai ? Avançons avec prudence : la science permet de s’approcher au plus près du réel ; mais gardons également à l’esprit qu’aucune vérité scientifique n’est absolue et définitive. Dans son tract publié chez Gallimard (2020), l’astrophysicien et philosophe des sciences Etienne Klein rappelle que « le rapport à la vérité est contradictoire : d’un côté, elle (la science) affirme avec assurance pouvoir l’atteindre ; de l’autre, elle se réclame du doute systématique » (p. 38).
Peut-on pour autant dire que le consensus scientifique détermine le vrai ?
Dans ce tract, Etienne Klein expose par ailleurs quatre biais dans le rapport qu’entretient le commun de la population avec la science. Le premier est le fait de porter naturellement davantage de crédit aux thèses qui nous plaisent, nous confortent dans ce que l’on pense ; le deuxième est une sorte « d’effet gourou » qui fait que l’on sera porté à croire comme vrai tout ce qui est dit par une certaine personne ; le troisième est la propension à parler avec assurance de thèmes que l’on ne maîtrise pas, d’avoir un avis éclairé sur tous les sujets ; enfin, le quatrième est la tendance naturelle à faire confiance aux intuitions, au bon sens ou à l’instinct alors que la science a maintes fois démontré qu’elle pouvait être contre-intuitive. L’on voit bien où ces biais nous mènent : comment accepter, si l’on se fie à son instinct, que le temps ne s’écoule pas de la même manière en fonction de la vitesse à laquelle on se déplace, ou selon l’altitude à laquelle on est ? Comment accepter que le bonobo possède un patrimoine génétique à 98% similaire au nôtre ? A ces travers, l’on pourrait ajouter la fâcheuse tendance à vouloir faire de la science un objet de démocratie. Le 5 avril, Le Parisien avait par exemple publié un sondage de l’IFOP posant la question : pensez-vous que ce protocole (du Professeur Raoult, à base d’hydroxychloroquine) est un traitement efficace contre le coronavirus ? A cela, 59% des 1016 interrogés ont répondu « oui ». Quel est l’apport d’un tel sondage ? Est-il de nature à contredire les résultats de recherche attestant de l’inefficacité d’un tel traitement ? La majorité d’un échantillon non informé a-t-elle accès à une raison que les chercheurs n’ont pas ? Si l’on poursuit cette logique, pourquoi ne pas faire un sondage pour savoir ce que la population pense de la rotondité de la Terre, ou du fait que Jésus ait, ou non, réellement existé ? En science, comme partout d’ailleurs, la majorité n’a pas forcément raison.
On voit là une rupture profonde dans le rapport à la vérité : il ne s’agit plus d’atteindre la réalité mais d’avoir raison.
Nous vivons dans l’ère de la post-vérité, définie comme « une période où l’opinion personnelle, l’idéologie, l’émotion, la croyance l’emportent sur la vérité des faits » (Larousse). En politique, cela se manifeste par l’utilisation de l’émotion et de l’idéologie à des fins électorales au lieu de chercher à argumenter et convaincre ; le débat autour du Brexit est sans doute à ce jour le paroxysme de la post-vérité politique. On voit là une rupture profonde dans le rapport à la vérité : il ne s’agit plus d’atteindre la réalité mais d’avoir raison, de propager ses idées et sa vérité propre. Qu’en est-il de la vérité scientifique ?
Entre scientisme et relativisme, tentons de réhabiliter une voie médiane
Deux rapports erronés mais pourtant dominants existent : d’un côté, la tentation d’accorder à la science un lien exclusif à la vérité (le scientisme) ; de l’autre, croire qu’elle n’est qu’un récit parmi tant d’autres, un argument d’autorité auquel on est libre de croire ou pas (le relativisme). Le scientisme prétend que la méthode mathématique et les sciences expérimentales sont la seule source fiable de savoir, qui pourrait tout expliquer sur le monde qui nous entoure. A tel point que certaines approches, notamment de l’abbé Castel de Saint-Pierre ou de certains disciples de Descartes ayant radicalisé le cartésianisme, proposaient d’organiser la société en suivant les démarches et méthodes des sciences exactes. Ceux-ci pensent que la supériorité des sciences quant à l’accès à la vérité est valable dans tous les domaines et que l’application de ses méthodes rationnelles sur l’organisation politique mènera nécessairement l’homme vers le vrai. A l’inverse, les relativistes estiment qu’il n’existe pas de vérité objective admise par tous et que chacun peut donc défendre sa vérité propre. Les résultats de la science sont compris, dans ce cadre, comme des constructions sociales susceptibles d’être contredites par l’invocation du ressenti personnel, du « bon sens » … L’on pourrait même ajouter à ces deux grandes écoles les sceptiques qui prétendent que la vérité est trop grande, qu’elle ne peut pas être atteinte par la raison humaine. En fait, ces trois positions adoptées vis-à-vis de la vérité scientifique résultent aujourd’hui soit d’une incompréhension de la contradiction inhérente au processus de recherche ou d’une négation des autres moyens d’accès à la vérité (la philosophie, la tradition…).
La spécificité de la science, qui donne du grain à moudre à ceux qui en contestent l’autorité, est le doute permanent.
Dans son ouvrage De la vérité dans les sciences, l’astrophysicien et philosophe Aurélien Barrau essaye de présenter une position prudente : « Je tente d’y défendre un point de vue mesuré qui se distancie à la fois d’un scientisme hyper-rationaliste à mon sens naïf et d’un obscurantisme nihiliste à mon sens nocif ». La science a selon lui vocation à affronter les dogmes et les évidences trompeuses, à essayer de comprendre le monde en utilisant notre raison avant nos sens. La spécificité de la science, qui donne du grain à moudre à ceux qui en contestent l’autorité, est le doute permanent, la capacité à toujours revenir sur ce que l’on croit déjà savoir car rien n’est définitivement acquis. Il définit alors la vérité scientifique comme un cheminement qui va « tenter d’esquisser la meilleure proposition à un instant donné de l’histoire des idées, suivant un mode spécifique, qui n’est pas le seul, d’appréhension du réel » (Aurélien Barrau, conférence La vérité dans les sciences, épisode 1 / 2). Il reconnaît là à la fois que la science n’est pas l’unique moyen d’accéder au réel et que les vérités scientifiques ne sont pas éternelles ; mais qu’elle constitue pourtant un moyen sûr de s’en rapprocher le plus possible. Par exemple, les équations d’Einstein sur la relativité restreinte et générale ont maintenant plus d’un siècle d’existence ; elles ont permis un grand nombre de découvertes et ne sont toujours pas invalidées. Pour autant, il est raisonnablement envisageable que de nouvelles équations encore plus proches du réel soient découvertes.
Réaffirmons le vrai pour dépasser la post-vérité
Comment est appréhendée la vérité scientifique dans notre ère de post-vérité ? Elle est mal comprise, assurément ! Dans Le goût du vrai, Etienne Klein déplore que la diffusion du vrai est aujourd’hui difficile puisque circulent sur les mêmes canaux de communication des faits, des croyances, des opinions, des idéologies, des fake-news, des théories… De ce fait, une importance égale est accordée à toutes ces informations et leurs statuts respectifs se contaminent. Il devient de plus en plus difficile de faire la part des choses ; la crise du coronavirus l’a crument révélé. Ce à quoi l’on peut ajouter des personnalités publiques qui présentent la science comme étant une croyance parmi tant d’autres. Le président Trump en est l’archétype parfait puisqu’il passe son temps à répondre sur Twitter à des rapports scientifiques sur le réchauffement climatique, le coronavirus, les énergies fossiles, les expéditions spatiales, etc. Des rapports assurément non lus, qu’il entend contester en invoquant son instinct et sa propre expertise (qu’il n’a pas). A contrario, la science est parfois érigée comme une vérité unique et objective. Greta Thunberg en est l’exemple idoine car elle instrumentalise des rapports du GIEC (dont elle ne tire que les informations qui lui servent) et invoque l’autorité incontestable de la science pour servir son combat. A cet égard, les querelles entre Trump et Thunberg étaient sidérantes tant ils utilisaient la science, soit en la négligeant, soit en l’instrumentalisant ; en tout cas sans comprendre réellement les rapports dont ils parlaient.
A cet égard, les querelles entre Trump et Thunberg étaient sidérantes tant ils utilisaient la science, soit en la négligeant, soit en l’instrumentalisant.
Par ailleurs, la crise du coronavirus nous a révélé que le rapport au temps est une autre source d’incompréhension. Le temps de la recherche n’est pas le même que le temps politique, encore moins que celui des médias, qui exige de l’immédiateté. En période de crise, la population exige de sa classe politique une réponse claire et tranchée, une direction à suivre. Mais ces derniers n’étaient pas capables de prendre des décisions sans s’appuyer sur une expertise scientifique, dont les travaux de recherche sont par essence faits de suppositions, de débats et d’hésitations (voire de contradictions) et exigent du temps long.
Faut-il être pessimiste ? Saurons-nous retrouver le chemin de la vérité ? Dans son tract, Etienne Klein met en garde à travers un texte de Nietzsche (Humain, trop humain, 1875) sur le fait que « La science donne à celui qui y consacre son travail et ses recherches beaucoup de satisfaction, à celui qui en apprend les résultats, fort peu. Mais comme peu à peu toutes les vérités importantes de la science deviennent ordinaires et communes, même ce peu de satisfaction cesse d’exister […] ». Puisqu’elle n’est plus capable d’apporter du bonheur au commun de la population, elle sera remplacée par d’autres systèmes de pensée qui y parviendront mieux ; il en identifie trois : la religion, la métaphysique et l’art. Or, Nietzsche prévoit que « l’intérêt pris à la vérité cessera à mesure qu’elle garantira moins de plaisir ; l’illusion, l’erreur, la fantaisie, reconquerront pas à pas parce qu’il s’y attache du plaisir ». Ce texte, encore d’actualité après un siècle et demi, prévient que l’affaiblissement de l’amour pour la vérité est un véritable danger pour la démocratie, à tel point que « la rechute dans la barbarie est la conséquence prochaine ; de nouveau l’humanité devra recommencer à tisser sa toile après l’avoir, comme Pénélope, détruite pendant la nuit. Mais qui est garant qu’elle en retrouvera toujours la force ? ».
L’affaiblissement de l’amour pour la vérité est un véritable danger pour la démocratie.
Lors d’une conférence (La science dit-elle le vrai ?, 05/02/19), Etienne Klein propose toutefois un remède qui permettrait de redonner ses lettres de noblesse à la vérité scientifique. Il faut, dit-il, que l’on enseigne la connaissance de nos connaissances. Autrement dit, il s’agit d’apprendre comment a-t-on découvert telle ou telle vérité ? Si personne n’est capable d’expliquer, par exemple, comment l’on a trouvé, puis prouvé, la rotondité de la Terre, alors ceci est une croyance au même niveau que ceux qui prétendent qu’elle est plate. On y croit sans pouvoir justifier pourquoi, en faisant seulement confiance à la majorité où à la personne qui nous l’a révélé. Si l’on comprend en revanche comment Pythagore, Aristote et Eratosthène, puis Magellan, Galilée et bien d’autres ont prouvé sa forme sphérique, alors on sait que ce dont on parle n’est pas une croyance mais bien une vérité. Ainsi, il est nécessaire de trouver des moyens de réhabiliter le vrai et la science au sein de notre société. Souvenez-vous des discussions autour du Brexit, regardez les débats politiques américains et vous comprendrez que nous nous engageons dans une voie dangereuse où toutes les paroles et les croyances se valent, peu importe leur proximité avec la réalité. Qu’est-ce que la politique si elle est détachée du vrai et que l’émotion y règne en maître ? L’ère de la post-vérité engendre nécessairement l’ère de la post-politique. S’il est vrai que nos sociétés occidentales sont bien engagées sur ce chemin, il n’est jamais trop tard pour redonner à la vérité sa juste place.
Face à la menace commune, l’affirmation d’une solidarité européenne inébranlable ?
Le 16 octobre dernier, un professeur de la République française était sauvagement assassiné par un islamiste ; le 29 octobre dernier, des catholiques ont péri face à la barbarie islamiste à Nice ; le 2 novembre dernier, des juifs et des Viennois ont été pris pour cible par un terroriste islamiste… Dans l’actualité récente, la liste est affreusement longue, et c’est l’Europe qui est attaquée et meurtrie en son sein. Ce n’est pas la division convoitée par les djihadistes qui est obtenue à la suite de ces attentats, au contraire, c’est l’illustration la plus tragique du destin commun de la civilisation européenne.
La terreur islamiste condamne l’Europe à la guerre
En Europe, l’on peut surtout dater les débuts de l’horreur du terrorisme islamiste en 2004 avec les attentats de Madrid qui ont fait près de 200 morts et près de 1900 blessés. S’ensuit une escalade de la cruauté djihadiste sur notre territoire européen, l’on peut citer entre autres : les attentats de Londres en 2005 (56 morts et près de 800 blessés), les attentats de janvier 2015 en France (17 morts et 21 blessés) et du 13 novembre (130 morts et 352 blessés), les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles (32 morts et 340 blessés), les attentats par camion-bélier à Nice en juillet 2016 (86 morts et 434 blessés), à Berlin en décembre suivant (12 morts et 56 blessés) ou encore à Stockholm en avril 2017 (4 morts et 15 blessés), enfin l’attentat d’hier à Vienne (4 morts et 22 blessés)…
Elle fait régner à dessein un climat de peur sur notre Europe et elle nous impose des scènes de guerre sur un continent qui a fait le choix de la paix depuis 70 ans.
L’énumération est à la fois interminable et nécessaire, elle est effroyable, elle ne contient pourtant qu’une poignée des attaques d’origine islamiste ayant eu lieu lors des dernières années sur le sol européen. La terreur djihadiste frappe indistinctement l’Espagne, le Royaume-Uni, la France, la Belgique, l’Allemagne, la Suède, l’Autriche… Elle nous a dramatiquement habitué à cohabiter avec l’inhumanité, avec l’atrocité, avec les morts et les traumatismes. Elle fait régner à dessein un climat de peur sur notre Europe et elle nous impose des scènes de guerre sur un continent qui a fait le choix de la paix depuis 70 ans.
Plus que de simples chiffres, ce sont des vies effacées sans une once de pitié, ce sont des familles sans cesse endeuillées, ce sont des images que nous ne voulons plus voir au sein de notre civilisation, ce sont des victimes brutalisées… Plus que les attentats déjà (trop) nombreux et qui prennent l’Europe comme principale cible – rien que de 2014 à 2017, ce ne sont pas moins de 32 attaques terroristes qui ont déferlé sur notre continent1 -, la menace est permanente. En effet, les assauts des terroristes font bien entendu grand bruit, mais le nombre inestimable d’attentats déjoués chaque année est tout aussi préoccupant. Les efforts de lutte antiterroriste à l’échelle européenne portent heureusement leurs fruits, l’on peut relever notamment : l’arrestation en septembre 2018 de sept partisans de l’État islamique aux Pays-Bas qui complotaient pour attaquer un événement public avec des fusils d’assaut et des grenades2 ou les chiffres du ministère de l’intérieur français qui affirmait en 2019 avoir déjoué 59 attentats en six ans3.
Rien que de 2014 à 2017, ce ne sont pas moins de 32 attaques terroristes qui ont déferlé sur notre continent.
Autre fait inquiétant, révélant que la guerre islamiste déclarée à l’Europe est loin d’être terminée, c’est le « réservoir » de potentiels djihadistes présents en son sol. Un récente étude parlementaire allemande datant de novembre 2018 fixait le nombre d’extrémistes islamistes à plus de 25 000 sur le territoire allemand. De même, en France, plus de 20 000 personnes figurent sur une liste de surveillance de radicaux potentiellement violents (pas seulement en lien avec l’islamisme néanmoins), dont 4 000 considérés comme dangereux et surveillés de près. C’est donc un ennemi à la fois invisible et omniprésent, aussi imprévisible que redoutable.
1- Lorenzo Vidino, Francesco Marone, Eva Entenmann, « Fear thy neighbor : radicalization and jihadist attacks in the West », 2017
2- Jean-Pierre Stroobants, Le Monde, « Pays-Bas : un attentat contre un grand évènement déjoué », 28 septembre 2018
3- Léa Salamé, Nicolas Demorand, France Inter, « Attaque à la préfecture de police : Christophe Castaner souhaite un signalement automatique pour toute alerte », 7 octobre 2019
L’identification nécessaire de l’ennemi de l’Europe
Par ces actes terroristes innommables, l’objectif de l’idéologie islamiste est clair : attaquer les valeurs qui nous unissent et nous divisent sur le long-terme. Mais au lieu de faire le choix du repli et de la réponse uniquement nationale, les pays d’Europe se doivent de rester unis face à un ennemi partagé qui ébranle leur civilisation et leur héritage commun. Ici, reprenons la théorie des relations internationales fondée par Carl Schmitt et Julien Freund reposant sur la dialectique ami/ennemi. Bien qu’assez controversée, en ce sens qu’elle impose une certaine perpétualité à la guerre (bien loin des utopies pacifistes), cette thèse défendue par les deux philosophes allemands nous est utile pour appréhender la guerre déclarée par les djihadistes et surtout pour avoir le courage de riposter. En effet, dans cette vision, l’identification de l’ennemi fonde l’essence du politique. Julien Freund prend appui sur la dialectique ami/ennemi pour affirmer que les conflits sont absolument inhérents au politique et donc inévitables pour l’homme. En plus d’identifier clairement l’ennemi islamiste, cette vision peut donner l’opportunité à l’Europe de retrouver du sens politique !
L’objectif de l’idéologie islamiste est clair : attaquer les valeurs qui nous unissent et nous divisent sur le long-terme.
Par ailleurs, dans sa théorie, Freund dresse également une distinction entre l’ennemi privé (intérieur) et l’ennemi public (politique). Ainsi, si une opposition tend vers la distinction ami/ennemi, elle devient politique car « il ne saurait y avoir de politique sans un ennemi réel ou virtuel »4. Ce dernier point est intéressant puisqu’il met en évidence une rupture contemporaine : notre ennemi (ici, islamiste) n’est plus extérieur, ce n’est plus un Etat, il est extrêmement diffus et s’implante à l’intérieur même de nos frontières. Ce qui produit naturellement une grande complexité pour le combattre, voire pour le vaincre à terme…
Cette difficulté ne doit jamais nous pousser à relâcher nos efforts, ou pire à renoncer lâchement face à cette guerre menée sans trêve à l’intérieur de notre continent. Elle doit au contraire mobiliser toutes nos forces pour reprendre en main la sécurité des citoyens européens et pour assurer la paix qui nous est si chère. L’ennemi est clairement identifié, il est à nos portes, il est à la fois à l’intérieur de notre Europe mais il envoie aussi des soldats martyrs de Syrie ou d’Irak prêts à tout pour porter leur cause barbare.
4- Julien Freund, L’essence du politique, 1965
Les islamistes recherchent la désunion, ils auront l’indivisibilité
Face à cette menace toujours grandissante, il n’y plus de temps pour la naïveté. L’Europe doit défendre son peuple, ses valeurs, prouver qu’elle est à la hauteur des défis de notre temps. Les discours ont changé de nature, après les attentats récents de Nice ou de Vienne, les pays européens ont su réagir de la manière la plus ferme possible dans la condamnation de ces horreurs : le Président Macron reprenant justement la dialectique ami/ennemi dans un tweet en réaction à l’attentat touchant la capitale autrichienne (« c’est un pays ami qui est attaqué. C’est notre Europe. Nos ennemis doivent savoir à qui ils ont affaire. ») ou la chancelière Merkel déclarant que « le terrorisme islamiste est notre ennemi commun ».
L’Europe doit défendre son peuple, ses valeurs, prouver qu’elle est à la hauteur des défis de notre temps.
A côté des paroles, des actes sont nécessaires, comme les opérations extérieures menées au Sahel pour lutter contre le terrorisme islamiste (les Français étaient d’abord seuls mais ont été rejoints sur le terrain par plusieurs pays européens : Belgique, Danemark, Pays-Bas, Estonie, Portugal) ; ces efforts doivent être foncièrement poursuivis. Autre forme symbolique de solidarité européenne dans ce destin tragique commun : des hommages ont été rendus à Samuel Paty dans les écoles allemandes, grecques, néerlandaises, autrichiennes… Aussi, en parallèle des récentes polémiques liées à la liberté d’expression en France, il y eut notamment le président turc Erdogan qui appela au boycott des produits français en remettant en cause la « santé mentale » de Macron, la solidarité européenne fut sans équivoque : la très grande majorité des Etats membres de l’Union européenne ont apporté leur soutien fort à la France.
Ainsi, dans ce contexte inédit, c’est aujourd’hui qu’une véritable stratégie européenne doit être définie contre ceux qui souhaitent mettre à mal l’unité européenne, c’est aujourd’hui qu’une véritable vision géopolitique doit être mise en œuvre, c’est aujourd’hui que la (vieille) ambition d’une défense et d’une armée européennes doit être achevée.