De l’impuissance des anti-modernes

Pour un anti-modernisme réinventé ?

« La droite ne parvient pas à déposer un diagnostic cohérent sur la société moderne car elle refuse le fait générateur duquel ruisselle l’ensemble des maux qu’elle dénonce : le marché et son mode de fonctionnement capitaliste, basé sur l’exploitation et la spoliation des forces productives par la bourgeoisie. », nous dit la gauche.

Etienne Le Reun

Voilà donc où nous en sommes, tout le monde critique, au fond, la modernité. Mais la gauche (celle qui demeure de gauche) s’octroie le monopole du réel en ce qu’elle ose nommer ce qu’elle tient, bec et ongles, comme l’origine de tous nos maux. La droite, celle qui pense et pousse l’analyse plus loin que quelques justifications d’une xénophobie mal digérée, ne ferait au fond que camoufler son irrémédiable soumission au marché derrière un bestiaire lexicologique confus allant de “l’illibéralisme” à « l’anti-consumérisme », autant de cache-sexes pour ne pas dire le mot, tout en tentant péniblement de proposer une critique de la société moderne. 

Le capitalisme castrerait la droite, contrainte à toutes sortes de contorsions idéologiques pour accoupler deux antagonismes fondamentaux : sa soumission, en acte, à la matrice libérale et capitaliste lorsqu’elle arrive au pouvoir et la nécessité vitale, qu’elle saisit justement, de mettre en forme une critique métapolitique forte et combative de l’idée moderne. Alors le camp réactionnaire joue les prolongations, déambule dans un espace idéologique dont la gauche a, très habillement, circonscrit l’espace utilisable.

Le ressassement incessant de la droite autour de thèmes parfaitement contingents et structurellement (en tant qu’objets sociaux) vides, […] sont les symptômes évidents d’un désoeuvrement théorique.

Nos conservateurs se rabattent minablement sur des sujets creux, sur les quelques miettes périphériques dont ils peuvent, moyennant encore une fois quelques amputations de précaution, proposer une critique suffisamment convaincante sans s’approcher de trop du coeur du brasier (ou ce qu’ils prennent pour son coeur) : l’idée, le mot, capitaliste. J’émets l’hypothèse que le ressassement incessant de la droite autour de thèmes parfaitement contingents et structurellement (en tant qu’objets sociaux) vides, tels que l’épouvantail « woke » et sa déclinaison ontologique, le « déconstructivisme », sont les symptômes évidents d’un désoeuvrement théorique.

De manière amusante, probablement involontairement, la gauche (de gauche) a contraint la droite au ressassement, ce même ressassement qu’elle lui reproche aujourd’hui (à raison). Ces thèmes ont effectivement l’heureuse capacité pour la droite de pouvoir recevoir une critique sociale suffisamment conséquente pour dissimuler la véritable raison de leur (sur)traitement dans la métapolitique conservatrice : leur éloignement (apparent ou réel, là n’est pas la question) avec la focale de la gauche qu’est le système économique comme « fait générateur ».

La droite est fainéante, castrée et contrainte à la discussion de périphérie intellectuelle autour de la centralité idéologique et de l’hégémonie théorique de la gauche. Alors qu’elle me semble avoir,  au moins en partie, rattrapé son retard médiatique, il semblerait que la droite ne parvienne pas à s’extraire d’un sentiment diffus mais profond, proche du complexe d’infériorité permanent. Interrogeons-nous : comment se fait-il qu’une force politique largement majoritaire sur le plan électoral et idéologique (si l’on en croit le travail plus ou moins sérieux des instituts de sondages) et ayant plus que rattrapé son retard de représentativité médiatique, continue de se prélasser dans une marginalisation victimaire ? Disons le autrement : pourquoi la droite la moins minoritaire et marginalisée s’attache-t-elle abusivement à cet artefact pseudo-résistant ?

Il semblerait que la droite ne parvienne pas à s’extraire d’un sentiment diffus mais profond, proche du complexe d’infériorité permanent.

La réponse est toute trouvée : les médias, l’opinion majoritaire et électorale, pourquoi pas même l’accession aux responsabilités politiques, ne pourront jamais suffire à épancher la douleur d’amour-propre des anti-modernes provoquée par la privatisation idéologique de la critique sociale à travers la focale du mode de production.

Comment critiquer la modernité si toute critique doit nécessairement finir son échafaudage théorique dans la grande conclusion de l’influence des rapports de production sur le monde social ?

Comprenez-moi, au fond, les honneurs politiques et électoraux ne valent rien ; ils sont parfaitement accessoires, face à la nécessité de renouer avec une critique de la modernité pour le camp conservateur. Les antimodernes sont donc en tenaille : se faire plus anticapitalistes que les anticapitalistes et mourir d’incohérence ; ou continuer de recycler quelques idées et penseurs des siècles passés, arrangeant quelques arguments vus et revus pour leur donner un petit côté sulfureux et adaptés à une nouvelle critique de la modernité, qui n’est ni nouvelle ni une critique à proprement parler ?

Tant que les anti-modernes ne reviendront pas à la genèse de leur impuissance théorique, la situation continuera de se scléroser. Si, comme je le crois profondément, la raison d’être des mouvements réactionnaires est de proposer une analyse et un diagnostic en constant perfectionnement sur la modernité et son influence sur la santé de nos sociétés, alors il est temps que les théoriciens anti-modernes se ressaisissent.

En posant comme fait générateur de la modernité l’indiscutable influence des rapports de production, en ramenant toutes les pathologies sociales, fût-ce après moultes pirouettes théoriques, à cet unique leitmotiv génésiaque, la gauche a réussi à forcer les anti-modernes à l’ablation théorique. Plutôt que de s’attacher à surmonter l’immense difficulté théorique que représente la critique du marché comme unique fait générateur de l’époque, les intellectuels réactionnaires se sont laissés parquer dans cet enclos idéologique, acceptant tacitement de réduire l’ampleur de leur travail à quelques ratiocinations identitaires, couplées à une obsession pour la décadence (constatée, mais jamais analysée socialement en dehors d’une ou deux analogies historiques ayant trait à la Rome antique).

Et pourtant, l’axiome que nous citions dans les prémices de ce papier, celui-qui établit le capitalisme marchand comme indétrônable facteur explicatif du moderne, n’est puissant théoriquement que de son immunité aux foudres de la critique castrée des réactionnaires.

Les intellectuels réactionnaires se sont laissés parquer dans cet enclos idéologique, acceptant tacitement de réduire l’ampleur de leur travail à quelques ratiocinations identitaires, couplées à une obsession pour la décadence.

Je l’écris ici, tout en comprenant bien que l’explicitation et le développement théorique de cette unique affirmation nécessiteraient au moins un autre papier, si ce n’est un essai dédié : la modernité n’est pas produite par son mode de fonctionnement économique et productif. Elle le produit, subit son influence postérieure, sans aucun doute. Mais la modernité n’est pas le produit unique et pur d’un mode de production. Si l’on sort de cette impasse idéologique qu’est le fait générateur unique, il devient alors possible de proposer une analyse critique de la société moderne d’une toute autre puissance que celle de nos intellectuels réactionnaires, contraints à tourner en rond autour du totem capitaliste sans s’en approcher de trop tout de même, sous peine de dissonance cognitive.

Dans la lignée de certains travaux de l’école de Francfort, il revient alors à ces nouveaux critiques de proposer une analyse de l’idée moderne, non pas comme “produit” mais comme “générateur” et ses relations avec des thèmes aussi larges que la réification sociale, l’insécurité identitaire, les relations interindividuelles sous la modernité, le ressentiment social, le culte narcissique, les nouveaux récits politiques…

Pour l’heure, concluons sur cette idée : le marché ne saurait expliquer la modernité, la modernité explique le marché, tout comme elle explique de nombreuses pathologies sociales. L’idée selon laquelle toute critique sociale devrait d’abord, à la racine, s’appuyer sur une critique du système capitaliste, en plus de bloquer toute élaboration théorique d’ordre supérieur, ne permet pas de rendre compte de la complexité du moderne dans le monde social.

L’anti-moderne ne sera jamais un anti-capitaliste, non pas qu’il adule le marché, qu’il refuse les rapports de classes, de domination, mais sa critique doit sortir des sillons stériles pour une nouvelle théorie plus puissante. Si la modernité est aussi rapide, riche d’incohérences, bouillonnante de malaise qu’elle semble l’être, alors pourquoi nos réactionnaires s’étendent-ils en longueur sur des objets vides, historiquement datés ou socialement anecdotiques ? Ce qu’ils ne voient pas, c’est que le moderne est un grand voile et c’est pourtant ici que tout débute. Le rôle de l’anti-moderne est de tenter de saisir les modalités, l’incarnation, la forme de ce nouveau paradigme, qui ne saurait se résumer à la manière dont les hommes s’échangent et/ou se confisquent les ressources.

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Une Armée sans moyens – Partie II

Un modèle d’Armée fortement dégradé par les coupes budgétaires 

Dans la partie précédente, nous avons vu que les dépenses pour l’Armée ont servi, pendant plus de vingt ans, de réserve de fonds pour financer d’autres politiques publiques. En dépit d’une montée de la conflictualité, les dépenses militaires étaient sans cesse revues à la baisse. Dans cette seconde partie, nous allons observer les effets concrets de ce renoncement sur nos capacités militaires et comment le désintérêt pour cette mission régalienne de défense a transformé notre modèle d’Armée.

Emilien Pouchin

Les coupes budgétaires, quelle réalité ?

En raison des baisses drastiques de budgets, nos capacités d’engagement lourd, à la fois humain et matériel, ont considérablement décru depuis la fin de la Guerre froide. Afin d’illustrer ceci, regardons les estimations des Livres blancs quant à la mobilisation de nos forces, dans l’hypothèse d’un conflit régional de haute intensité. Le Livre blanc de 1994 estimait que nous étions à l’époque en mesure d’engager environ 50000 hommes et une centaine d’avions de combat pour répondre à une telle menace. Celui de 2008 ne pouvait déjà plus en dire autant. Le volume des forces mobilisables dans un tel scénario était réduit à 30000 hommes et environ 70 avions. En 2013, l’estimation frôle le ridicule pour une puissance telle que la France : 15000 hommes et 45 avions. En pratique, ces chiffres n’auraient sans doute jamais pu être atteints puisque les Armées sont en permanence engagées dans des opérations (extérieures et intérieures) qui requièrent une grande mobilisation. En revanche, ils permettent de se rendre compte à quel point et à quelle vitesse les capacités d’engagement de masse se sont détériorées.

La fondation iFRAP (Fondation pour la Recherche sur les Administrations et les Politiques publiques) a par ailleurs dressé un tableau comparatif du volume des forces aéroterrestres lourdes dont notre Armée disposait entre 1989 et 2017. Le nombre de régiments est passé de 129 à 68 ; le nombre de chars de bataille de 1340 à 200 ; le nombre de pièces d’artillerie de 941 à 274 ; le nombre d’hélicoptères de 651 à 286 et le nombre d’avions de combat de 535 à 232. Le constat est plus qu’alarmant. Il l’est d’autant plus quand l’on sait qu’environ la moitié des avions, des chars et des hélicoptères sont immobilisés pour des raisons de maintenance. Trop vieux, trop utilisés, pas assez de pièces de rechange…

A cela, il pourrait être rétorqué que cette fonte des armements est due à une forte technologisation des équipements, qui les rend par conséquent plus onéreux (et qui est d’ailleurs nécessaire pour limiter au maximum les pertes humaines). Ainsi, selon ce raisonnement, la baisse quantitative serait compensée par un bond qualitatif. Cette théorie n’est pas entièrement fausse, mais deux éléments pourraient y être opposés. Premièrement, si les armements sont de plus en plus chers, pourquoi baisser ainsi les dépenses allouées à la défense ? Le cumul d’une baisse des moyens et d’une hausse des coûts n’est pas tenable. Deuxièmement, il n’est pas vrai dans toutes les circonstances que la qualité peut remplacer la quantité. Le combat urbain par exemple, nécessite que l’assaillant mobilise un effet de masse considérable, à la fois humain et matériel. A titre d’illustration, la bataille de Mossoul (2016-2017) a nécessité entre 80000 et 100000 assaillants pour venir à bout de moins de 10000 soldats de Daesh. Il existe donc des situations où il est nécessaire de mobiliser une masse conséquente et où il est préférable d’avoir une bonne quantité d’armements rustiques plutôt que peu d’armements technologiques.

Ainsi, si la qualité tactique et technologique de notre Armée est remarquable (l’opération Barkhane peut en attester), elle sera confrontée à de réelles limites si elle doit s’engager dans une guerre longue et fortement mobilisatrice.

Quid de la dissuasion nucléaire ?

Afin que notre Armée soit efficace et à même de répondre à tous les défis qu’elle aura à relever, elle doit être capable d’agir sur tout le spectre de la conflictualité : opérations de stabilisation, contre-guérilla, engagement massif en haute intensité, arme nucléaire, etc. L’Armée française a un véritable savoir-faire, depuis les conflits de décolonisation, en guerre de contre-guérilla et contre-terrorisme. Elle possède également un arsenal nucléaire conséquent et dissuasif. Or, au vu du constat exposé précédemment, elle pourrait avoir de grosses lacunes si elle était amenée à entrer dans une guerre de haute intensité requérant une mobilisation en grand nombre et un effort poursuivi sur le long terme.

Pour masquer cette déficience inquiétante, tout en continuant de demander des baisses de budgets, le personnel politique a sacralisé l’arme nucléaire ; comme si le fait de la posséder dissuaderait n’importe quel ennemi de s’en prendre à nous. Il a toutefois été oublié que la conflictualité est en perpétuelle évolution et que les guerres clausewitziennes ne sont plus la seule réalité. Il existe ainsi pléthore de menaces infra-étatiques et diffuses contre lesquelles l’arme atomique n’est ni dissuasive, ni efficace. On pourrait également dénombrer un certain nombre de dangers qui pourraient s’avérer très sérieux et exiger une réponse conséquente, mais qui se situeraient tout de même sous le seuil de déclenchement du feu nucléaire. Ainsi, la dissuasion nucléaire se révèle parfois être un leurre politicien pour dissimuler l’étendue des dégâts que les coupes budgétaires ont fait subir à l’Armée française.

A l’inverse, d’aucuns pensent que la contre-guérilla et la guerre asymétrique – opposant un Etat à un adversaire infra-étatique sortant des canaux conventionnels de la guerre – sont désormais les nouvelles formes de la conflictualité. L’arme atomique est, dans une telle situation, d’aucun recours. A ce titre, il ne serait d’aucun intérêt d’entretenir une dissuasion nucléaire, coûtant par ailleurs la bagatelle de trois milliards d’euros par an. Ce raisonnement est cependant trompeur puisque s’il est vrai que ces nouvelles guerres se multiplient, les conflits interétatiques et symétriques ne sont pour autant pas terminés. Ils pourraient être amenés à se multiplier. Peut-être sous une forme renouvelée.

Ainsi, l’arme atomique est nécessaire pour garantir l’indépendance stratégique de la France et permettre à son Armée d’être opérationnelle au plus haut niveau de la conflictualité. Pour autant, elle n’est pas une fin et elle n’est pas suffisante. Elle se doit d’être accompagnée d’une Armée complète et entraînée, capable de répondre à tous types de menaces.

Une Armée surexploitée

Aujourd’hui, l’Armée française est l’une des armées occidentales les plus mobilisées. En permanence, nos soldats sont déployés dans des opérations extérieures (Barkhane, Chammal, Atalante, etc.) ou intérieures (Sentinelle ou Harpie, qui lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane). Au total, pas moins de 30000 militaires sont déployés en continu, soit la plus forte mobilisation depuis la fin de la guerre d’Algérie.

Il va sans dire qu’un tel dispositif requiert un grand nombre de moyens humains pour pouvoir assurer les rotations nécessaires au repos et à l’entraînement des troupes. Nicolas Sarkozy, visionnaire, avait pourtant, au cours de son mandat, supprimé 54000 postes sur les 320000 employés par le ministère. Son successeur, habité par la même envie de se servir du ministère de la Défense pour rééquilibrer les comptes publics, avait prévu d’en supprimer environ 34000. Il avait d’ailleurs largement débuté avant que les attentats de 2015 le forcent à repenser cette question. S’il avait été au bout de sa volonté, sans doute aurait-il été compliqué, voire impossible, de déclencher l’opération Sentinelle, dont l’effectif était en novembre 2015 de 13000 militaires. Cette opération est d’ailleurs toujours en cours 6 ans après et pèse énormément sur la gestion du personnel militaire.

Le résultat de cette dichotomie entre d’un côté, une Armée à qui on en demande toujours davantage (avec l’opération Résilience et son soutien pour la vaccination, elle a également apporté son aide dans la lutte contre le virus du Covid) et de l’autre, des moyens et des effectifs sans cesses réduits, entraîne une surexploitation des soldats. Ainsi, ils ne peuvent plus avoir suffisamment de repos, ne voient plus assez leur famille, n’ont pas assez d’entraînement – les pilotes d’hélicoptère et d’avion n’ont pas toujours le nombre d’heures de préparation requis avant d’aller en OPEX ! – et se retrouvent sur le terrain dans des conditions assez dégradées. Par exemple, en opération, beaucoup de véhicules sont en maintenance car ils sont trop vieux, trop utilisés et tombent souvent en panne. Le véhicule d’infanterie VAB, l’avion Transall ou l’hélicoptère Gazelle sont de bons exemples de véhicules en service depuis les années 60-70 et qui se révèlent être désormais assez limités. Certes nos soldats ont la qualité d’être rustiques, de se contenter de peu, mais peut-être que certains efforts pourraient être faits pour améliorer leurs conditions opérationnelles.

« Une Armée, ça se prépare dans le long terme et ça se détruit dans le court terme », dit le Général Desportes. Voilà une phrase qui semble bien conclure ces deux articles sur les effets délétères des coupes budgétaires dans l’Armée. Et encore, nous aurions pu aborder les retards industriels dans les secteurs industriels stratégiques des drones ou de l’IA, les stocks de munitions et de pièces détachées trop peu conséquents, ou quantité d’autres questions. 

La France est, dans l’Histoire, la nation qui a remporté le plus de victoires militaires. Nous sommes depuis toujours une puissance militaire. Ne sortons pas de l’Histoire pour de petites économies ou pour une gestion budgétaire en flux tendus. Assumons notre volonté de puissance et d’indépendance stratégique, notre capacité à influer sur les événements et mettons les moyens nécessaires pour la réaliser. 

Oui, la France est une terrible dictature

(la preuve : je peux l’écrire sur Internet)

Depuis quelques temps, les discours accablant le régime politique français font rage au sein de notre pays. Il suffisait d’une généralisation du désormais fameux « Passe sanitaire » pour entendre un déchaînement d’accusations politiques plus virulentes les unes que les autres. Celles-ci n’avaient jamais autant fleuri depuis de nombreuses décennies, et à en croire les plus radicales : la France se serait muée en ennemie des libertés publiques, voire en dictature, voire même en régime totalitaire ou pis encore, elle serait devenue la sœur de l’Allemagne nazie ! Tentons d’y voir plus clair dans ce flot de condamnations impitoyables.

Lucas Da Silva

En guise d’avant-propos, il apparaît toujours étonnant de constater que des citoyens français, ou même certaines personnalités politiques (qui trouvent ici une occasion d’exister), se plaisent à crier à la dictature à la moindre occasion. Absolument toute décision politique, toute parole gouvernementale, tout propos présidentiel deviennent un prétexte pour cela. On pourrait presque croire que ces mêmes personnes regrettent de ne pas vivre effectivement au sein d’un régime vraiment autoritaire ou dictatorial. Ces individus se rêvent en résistants des temps modernes, ils se révèlent pourtant comme des ennemis de la raison et de la paix civile. Vous les connaissez, ils sont sans cesse à l’affût du moindre délire complotiste ou de la moindre information qui irait dans leur sens pour ainsi rencontrer de l’écho chez les personnes les plus vulnérables. C’est de cette manière que les Philippot, les Dupont-Aignan et les Lalanne connaissent le succès médiatique dont ils n’auraient jamais bénéficié par leur simple talent. Ils le savent, ils exploitent les peurs et les faiblesses de chacun, mais peu importe les moyens dont ils usent, leur seule fin est de voir leur visage diffusé dans les grands médias ou réseaux sociaux (dont ils connaissent parfaitement les codes). Si le prix à payer se compte en vies humaines – en encourageant les citoyens peu informés à ne pas se faire vacciner -, ils semblent aveugles face à ces conséquences dramatiques, leur unique objectif étant de pouvoir haranguer les foules perméables à leur discours ; et ils y parviennent…

Ces individus se rêvent en résistants des temps modernes, ils se révèlent pourtant comme des ennemis de la raison et de la paix civile

Nous ne discuterons pas ici des raisons qui poussent des milliers de manifestants à se rassembler partout en France depuis deux samedis consécutifs, nous ne débattrons pas non plus de la légitimité du « Passe sanitaire », nous ne parlerons même pas de santé publique qui est pourtant le véritable enjeu qui sous-tend cette crise politique importante. Non, nous nous concentrerons uniquement sur les accusations et les mots, sur leur utilisation florissante ainsi que sur les raccourcis sémantiques et historiques que l’on voit de plus en plus apparaître au sein de notre Nation, et ce n’est déjà pas mince à faire.

Sommes-nous dans un régime autoritaire et/ou dans une dictature ?

Quand on use d’un mot au quotidien, d’autant plus lorsque cela se fait à tort et à travers, la règle d’or est de maîtriser la définition de celui-ci. Alors, tâchons d’éclaircir la signification des termes que l’on retrouve le plus souvent dans la bouche et sous la plume des grands dissidents politiques français de notre temps : l’autoritarisme et la dictature. Ceux-ci désignent peu ou prou le même régime, c’est-à-dire un système politique arbitraire dans lequel le pouvoir est absolument accaparé et détenu par une personne ou par un groupe de personnes qui l’exercent sans contrôle et de façon autoritaire. Dans ce régime, le pouvoir n’est aucunement limité, ni partagé (absence d’une séparation des pouvoirs), ni contrôlé (absence d’élections libres et régulières, et de constitution).

Maintenant que nous avons une définition claire et précise du phénomène que l’on étudie, il est également intéressant de citer des exemples auxquels nous pouvons nous référer afin d’observer comment la théorie se pratique dans le réel. Il y en a pléthore, en voici quelques-uns (historiques ou contemporains) : l’Espagne franquiste, la Biélorussie de Loukachenko, la République populaire de Chine, l’Italie de Mussolini, la République islamique d’Iran, le Chili de Pinochet, le royaume d’Arabie Saoudite, la République démocratique du Congo, la Syrie de Bachar el-Assad…etc. 

Est-ce sérieusement une accusation que l’on peut faire à Emmanuel Macron? Peut-on raisonnablement le mettre dans la même catégorie de dirigeants que Franco, XI Jinping ou l’ayatollah Khamenei?

Sans aller dans le détail de chaque régime politique mentionné précédemment, vous remarquerez aisément que la particularité commune de tous ces exemples est l’existence d’un terrible dictateur répressif et meurtrier, bien aidé par un pouvoir militaire et une justice à ses bottes. Est-ce sérieusement une accusation que l’on peut faire à Emmanuel Macron ? Peut-on raisonnablement le mettre dans la même catégorie de dirigeants que Franco, Xi Jinping ou l’ayatollah Khamenei ? 

Peu importe les désaccords d’ordres philosophique, éthique ou politique sur le sujet du « Passe sanitaire », ressentez-vous honnêtement le sentiment de vivre sous une affreuse dictature ? Ne voyez-vous donc pas les débats qui durent des heures et des heures au sein du Parlement ? Ne vous intéressez-vous pas aux réserves juridiques émises par le Conseil d’Etat sur certaines dispositions de ce même « Passe sanitaire » ? Ignorez-vous qu’il existe de véritables garde-fous pour nos libertés, avec le Conseil Constitutionnel en premier lieu, qui veillent au bon respect de nos droits et de notre Constitution ? Avez-vous l’impression d’être sévèrement réprimés et détenus arbitrairement lorsque vous allez manifester tous les samedis dans les rues ? Risquez-vous la torture ou même la peine de mort pour votre “courageuse” résistance politique ?

Alors non, que ce soit bien clair, la France n’est pas une dictature. Notre liberté d’expression ou de rassemblement est (bien) loin d’être menacée et bafouée, comme en Arabie Saoudite ou en Biélorussie. Nous ne pouvons être victimes d’une peine de mort ou d’une exécution arbitraire par le simple fait d’avoir résisté au pouvoir politique, comme en Egypte ou en Iran. Nous ne sommes jamais torturés par la puissance publique, comme au Nigéria ou en Ouzbékistan. Nous ne subissons pas non plus de graves discriminations publiques et nous ne sommes pas privés de droits fondamentaux en raison de notre identité : nous ne risquons pas la peine de mort si nous sommes homosexuels, comme au Soudan ou au Yémen ; nous ne sommes pas contraintes à porter un vêtement qui nous sépare du reste de la population (le voile) ou à subir des mariages forcés si nous sommes des femmes, comme en Iran. Nos opposants politiques ne sont jamais arrêtés et détenus arbitrairement par l’Etat, comme en Turquie ou en Chine.

Ainsi, par simple respect envers toutes ces populations à travers le monde qui subissent et souffrent de la réalité d’une véritable dictature, et pour tous les hommes qui ont péri au sein d’une dictature dans l’histoire, ayons la dignité de ne pas utiliser ce terme pour qualifier la France d’aujourd’hui. 

Sommes-nous dans un régime totalitaire ?

Si nous ne nous trouvons effectivement pas au sein d’un régime autoritaire et/ou d’une dictature, il semble encore plus difficile d’imaginer l’avènement d’un régime totalitaire en France. Pour autant, certains manifestants ne reculent devant rien et ont été les auteurs de parallèles historiques extrêmement douteux. Prenons une nouvelle fois le temps de la définition du terme étudié. Plus que la dictature, le totalitarisme renvoie à un système politique dans lequel l’Etat – gouverné par un parti unique – s’appuie une puissante idéologie (la seule tolérée au sein du régime) et cherche à exercer une mainmise sur tous les aspects de la vie et toutes les activités humaines. Par essence, le régime totalitaire n’admet strictement aucune opposition politique (passible des pires sanctions), dirige et planifie l’économie, détient tous les moyens de communication et de propagande, et veut prendre le contrôle à la fois de la vie publique et privée des individus du pays. 

Certains manifestants ne reculent devant rien et ont été les auteurs de parallèles historiques extrêmement douteux.

Reprenons le même schéma que précédemment : après la définition, penchons-nous sur les exemples concrets. Puisque le totalitarisme représente la forme la plus extrême de la dictature, nous disposons (heureusement) de relativement peu de cas historiques. Ils sont essentiellement apparus au XXe siècle, l’on cite traditionnellement l’Italie fasciste, l’URSS sous Lénine puis Staline, l’Allemagne nazie, la Chine sous Mao Zedong, la Corée du Nord, le Cambodge des Khmers rouges, Cuba sous Castro ou encore l’Iran sous Khomeini…

En plus du dictateur charismatique tout-puissant qui use du « culte du chef », ces régimes sont tristement connus pour être extrêmement meurtriers. Il s’avère donc, une nouvelle fois, impossible de faire ce procès à la République française. A titre d’exemples, l’on estime que l’URSS serait responsable de 15 à 20 millions de morts, que la Chine de Mao compterait entre 45 et 72 millions de morts et que les Khmers rouges du Cambodge auraient éliminé entre 1,3 et 2,3 millions de personnes sur une population de 7,5 millions à l’époque

Ces terribles faits historiques n’empêchent pas nos “résistants” politiques français à établir les analogies les plus ignobles. Pour certains, on l’a vu, le « Passe sanitaire » est assimilable à l’Apartheid, ou pire encore, à la Shoah. Nous recherchons encore aujourd’hui la décence de ces manifestants français qui n’ont eu aucune honte pour cracher sur la mémoire des millions de juifs victimes de l’Holocauste. En arborant une étoile jaune pour comparer le signe distinctif des juifs victimes de l’Allemagne nazie à un simple document qui atteste que la personne est vaccinée ou négative à un virus, ces manifestants sont allés toujours plus loin dans l’infamie et ont littéralement sali la mémoire d’un génocide. Une entreprise d’extermination qui a conduit, rappelons-le, au meurtre de 5 à 6 millions de juifs, soit les deux tiers des juifs d’Europe. 

Mais cessons de nous concentrer sur ces actes immondes et déviants, cette définition et ces éléments historiques présentés plus haut suffisent à comprendre pourquoi la France contemporaine est à des années lumières d’un régime totalitaire. 

Alors oui, fort heureusement, nous vivons bel et bien dans un régime démocratique et nous pouvons débattre respectueusement, correctement et raisonnablement des décisions politiques prises pour le présent et l’avenir de notre pays. C’est l’essence même et la raison d’être de notre République de discuter ensemble des affaires publiques et de trouver des compromis politiques. Il est même sain de faire usage de notre esprit critique et de s’inquiéter notamment (toujours de la façon la plus rationnelle qui soit) des états d’urgence à répétition qui entravent l’exercice de certaines de nos libertés, du rôle toujours plus secondaire du Parlement français face à la prééminence du pouvoir exécutif ou encore de certaines mesures sanitaires dans le contexte d’une pandémie qui limitent significativement la jouissance de nos droits fondamentaux. Pour autant, ne nous laissons pas tenter par la démesure et ce terrible manque de nuance, ne nous prenons pas pour le nombril du monde et ne perdons jamais de vue la tragique réalité des régimes autoritaires et dictatoriaux qui subsistent partout dans le monde. Ne perdons pas le sens des mots, par honnêteté intellectuelle mais aussi et surtout par décence.

Une Armée sans moyens – Partie I

Vers une sortie de l’Histoire ?

La France possède désormais, au sein de l’UE, la seule Armée crédible, puissante et largement engagée. Les partenaires européens ne semblent pas se préoccuper du développement de leur appareil militaire et se dirigent vers une sortie de l’Histoire ; ils ne pèseront plus dans la géopolitique mondiale. La France résiste et doit s’y opposer mais cela requiert une volonté politique forte et claire pour investir massivement dans les forces armées.

Emilien Pouchin

Rapide contexte géopolitique

En premier lieu, il convient de rappeler que les Livres blancs de la défense et de la sécurité nationale ont pour but de définir la stratégie et les priorités de la politique de défense pour faire face aux menaces actuelles et futures. Les deux derniers à avoir été publiés datent de 2008 et de 2013. Déjà, ils décrivaient un emballement de l’ordre international, un changement des menaces, une montée de l’incertitude et un certain durcissement des opérations. En 2017, la Revue stratégique commandée par Emmanuel Macron a permis d’actualiser le constat. Qu’en est-il ? Le monde s’est-il calmé ou davantage déstabilisé ? Dans sa préface, le nouveau Président estime que « sur la scène internationale, la menace d’une déflagration majeure redevient possible. Les affirmations de puissance et les régimes autoritaires émergent ou reviennent, tandis que le multilatéralisme semble s’effacer devant la loi du plus fort ». Ces propos sont aussitôt confirmés par Florence Parly, qui ajoute que « les cadres internationaux sont remis en cause et affaiblis, tandis que des armements avancés se diffusent de plus en plus largement, au profit des Etats comme des groupes non étatiques. ». Ainsi, la Revue stratégique de 2017 confirme et accentue la tendance déjà exposée par les Livres blancs précédents. Du point de vue des relations internationales, la coopération par le multilatéralisme semble s’essouffler au profit du retour des Etats-puissances ; d’un point de vue plus militaire, les menaces se diversifient, se multiplient et se durcissent. Faites un tour de l’environnement stratégique européen, de l’Ukraine au Sahel, en passant par le Caucase et le Proche-Orient, et vous verrez que la dernière décennie a accentué le chaos plutôt que l’inverse.

Face à ce constat lucide, il semble logique, si l’on veut continuer à se faire entendre et défendre nos intérêts, d’augmenter le budget alloué aux forces de défense et de sécurité. Il serait alors possible de rétorquer que telle est la volonté du Président et qu’elle se manifeste au travers de la Loi de Programmation Militaire 2019-2025. Cette loi prévoit en effet une augmentation annuelle du budget de la défense d’environ 24 à 29,5 milliards d’euros, soit un effort total d’environ 280 milliards sur la période 2019-2025. Or, nous verrons que cet effort, au lieu de réellement augmenter les capacités et les effectifs des forces armées, sera tout juste utile à combler les trous et les économies faites sur le dos des militaires depuis environ 30 ans.

Le mythe de la Fin de l’Histoire

A la fin de la Guerre froide, les Européens ont été bercés par le mythe de la fin de l’Histoire défendu par Francis Fukuyama, selon lequel le monde sera inexorablement pacifié grâce à la propagation de la démocratie et de l’économie libérale. Les guerres entre Etats seraient dès lors révolues et les armées ne serviraient que comme des petits corps expéditionnaires utilisés pour des missions d’interposition ou de stabilisation, dans des régions du monde où les conflits mettraient un peu plus longtemps à s’éteindre. Il n’est alors plus nécessaire d’entretenir une armée massive, d’autant plus que la technologisation des équipements est de plus en plus coûteuse. Dans les années 1990, l’idée, notamment soutenue par Laurent Fabius, est donc « d’engranger les dividendes de la paix ». Autrement dit, étant donné que l’Armée française coûte cher et qu’elle sera de moins en moins utile, il est souhaitable de réduire son budget pour le réallouer à d’autres programmes de dépenses publiques.

En réalité, cette volonté d’engranger les dividendes de la paix a mené notre défense vers le mur. Les militaires n’ayant (heureusement) pas le droit d’être syndiqués et étant soumis à un devoir de réserve, il leur était assez difficile de s’exprimer publiquement et de se faire entendre sur le délitement qu’ils vivaient de l’intérieur. C’est ainsi que l’Armée a servi pendant 25 ans de variable d’ajustement pour d’autres politiques publiques, sans se soucier de l’inadéquation entre le mythe de la fin de la guerre et les apparentes évolutions internationales.

Plus précisément, le budget de la défense était, hors pensions de retraites, de 3% du PIB en 1982. Il a chuté à 1,7% en 2011 et jusqu’à 1,44% en 2015. Entre 1982 et 2014, le PIB a certes crû d’environ 1,8% par an mais la baisse de l’effort de défense est manifeste. D’autant plus qu’entre-temps, les équipements se sont technologisés et leur coût a été démultiplié. Il s’agit d’un arbitrage politique au détriment de l’Armée, au préjudice d’un pouvoir régalien et aux dépens de la possibilité de la France de protéger ses intérêts et d’agir sur le cours du monde. Si cette volonté était peut-être compréhensible au début des années 1990, elle n’en n’est pas moins très rapidement devenue anachronique.

2015 : un brutal retour au réel

François Hollande est parfois présenté comme le Président qui a inversé la tendance. Ceci n’est en réalité vrai qu’à partir de 2015. Auparavant, il avait poursuivi la politique de coupes budgétaires drastiques et de rationalisation des dépenses de ses prédécesseurs. Pourquoi l’année 2015 est-elle le tournant ? Les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan ont été un retour brutal à la réalité ; un rappel que les guerres ne sont pas terminées et qu’elles peuvent nous toucher directement, sur notre territoire, même si elles paraissent lointaines.

L’OTAN a peut-être une responsabilité dans l’aveuglement des Européens. En se reposant sur la pacification du continent européen, nous avons cru que les guerres en Afrique et au Levant étaient loin de nous, alors qu’elles peuvent désormais nous toucher directement. En comptant sur la meilleure Armée du monde pour nous protéger, nous nous sommes pensés hors de portée de toute menace. Or, pouvons-nous réellement compter sur la défense américaine ? Le centre du monde est désormais l’Asie, les intérêts économiques sont moindres et les liens du sang avec les Américains se distendent. Finalement, l’OTAN apparaît comme une bonne excuse pour les Européens préférant faire des économies plutôt que de participer à l’effort collectif de défense. Et malgré tout, la France fait partie des bons élèves…

Quoi qu’il en soit, 2015 a été une année où le pouvoir politique s’est rendu compte des dégâts profonds causés par plus de deux décennies de coupes. Le Chef d’État-major, le Général de Villiers, estimait déjà que toutes les pistes d’optimisation avaient été explorées et qu’aucune marge de manœuvre n’était désormais possible. Il faut croire qu’il n’a pas été écouté puisqu’en juillet 2017, Gérald Darmanin, alors ministre des Finances, a réclamé des économies supplémentaires. C’est là le point de départ de désaccords qui opposeront Emmanuel Macron et le Général de Villiers, ce dernier plaidant que la différence entre les objectifs assignés aux Armées et les budgets alloués pour les réaliser n’était plus tenable. Ne s’estimant plus capable de défendre le modèle d’Armée auquel il croit, il finira par donner sa démission.

Préparation à la guerre de haute intensité

Nous avons « besoin d’une Armée de terre durcie pour faire face à des chocs plus durs », signale le Général Burkhard, Chef d’Etat-major de l’Armée de terre (et futur Chef d’Etat-major des Armées). Le constat de l’emballement du monde semble aujourd’hui majoritairement repris. Selon le SIPRI Yearbook 2020 (Stockolm International Peace Research Institute), l’année 2019 était une année record en termes de dépenses militaires mondiales et vient chapeauter quasiment une décennie de hausse continuelle. Face à ce réarmement généralisé, deux postures sont possibles. La première est de croire que le désarmement va conduire à la paix et que la France doit montrer l’exemple en initiant un mouvement d’ampleur mondiale. Or, si les pays de l’Union européenne se feront une joie de la suivre, il est peu probable que la Turquie, la Russie ou l’Inde en fassent de même. La deuxième est de renforcer l’appareil militaire afin de demeurer crédible, dissuasif et capable de défendre ses intérêts. 

Depuis quelques années, toute la réflexion doctrinale des Armées est tournée vers la préparation à la guerre de haute intensité. Pour simplifier, il faut que nos forces militaires soient à nouveau capables de s’engager dans une guerre longue, dure, létale et contre un adversaire technologisé, qu’il soit étatique ou non. Le général Vincent Desportes estime que pour que notre Armée soit capable de répondre à ce genre de défi, tout en restant interventionniste et en entretenant son arsenal nucléaire, il faudrait monter l’effort de défense à au moins 3% du PIB. Et vu à quel point il paraît difficile d’atteindre le seuil de 2%, nous en sommes encore loin…

Or, nous verrons dans la seconde partie de cet article que la réduction drastique des moyens alloués à la défense entre 1990 et 2015 ont transformé l’Armée française d’une armée de masse en une force échantillonaire et expéditionnaire. Elle est certes extrêmement performante et impressionnante sur les plans tactiques et techniques, mais incapable de s’engager dans un combat de haute intensité, qui requiert la mobilisation d’une masse critique (tant humaine que matérielle) sur le temps long.

Vive l’Empereur, Vive la France !

Tribune pour la commémoration de Napoléon. 

À l’heure du bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte, et à l’heure où certains veulent déconstruire son histoire (notre histoire) par la caricature et la simplification, cette tribune vient défendre celui qui à travers ses réussites et parfois égarements, a conduit la France vers la gloire. 

Pierre Vitali

Napoléon « a atteint aux cimes de la grandeur et en a comblé la France, au point que depuis, notre peuple ne s’est jamais résigné à la médiocrité et a toujours répondu à l’appel de l’honneur ». C’est ainsi que le Président Georges Pompidou rendait hommage au bicentenaire de la naissance de l’Empereur le 15 août 1969 lors d’un discours à Ajaccio. 

Aujourd’hui, 5 mai 2021, nous célébrons le bicentenaire de sa mort, mais la France semble incapable de commémorer convenablement celui qui a contribué à son prestige. Alors si le personnel politique et médiatique français semble grignoté par la honte, il est de notre devoir de dire « Vive l’Empereur », car c’est finalement dire « Vive la France ». 

            Napoléon Bonaparte est le dernier de nos grands hommes à avoir fait l’histoire de France et celle de l’humanité, affirmait l’historien Jules Michelet (1798-1874). C’est le Français le plus illustre de cette planète, plus de livres ont été écrits sur lui que de jours se sont écoulés depuis sa mort. Chateaubriand dans Mémoires d’outre-tombe disait même que « Vivant, il a manqué le monde ; mort, il le possède », car c’est bien la légende Napoléon qui reste vive dans tous les esprits. Lui qui disait n’être ni « bonnet rouge », c’est-à-dire jacobin, ni « talon rouge », c’est-à-dire aristocrate, a réussi à unir la France d’avant et d’après la Révolution, pour la porter au sommet de l’Europe et du monde.

            Sans faire preuve d’angélisme sur la période ou de négationnisme sur le bilan de Napoléon, il serait cependant absurde, comme certains le veulent, de réduire Napoléon à ses fautes telles que le rétablissement de l’esclavage, car son empreinte reste plus vaste : Code Civil (1804), Code Pénal (1810), Conseil d’État (1800), Banque de France (1800 et 1806), Cour des Comptes (1807), baccalauréat (1808), Légion d’honneur (1802), Palmes Académiques (1808), rectorats et académies (1808), organisation des études de médecines (1803), de pharmacies (1803) et vétérinaires (1813), numérotage et classement des routes (1811)… 

L’héritage napoléonien n’est alors pas honteux, il est même doublement puissant et universel. C’est celui de la grandeur de la France et de la force de la volonté créatrice. 

« La France avant tout. » écrivait-t-il en 1810 dans une lettre à Eugène De Beauharnais. Effectivement, l’héritage de Napoléon est surtout et aux yeux du monde entier, celui d’une France rayonnante et conquérante, que rien n’arrête et dont la liberté a guidé ses pas à travers l’Europe. Celle d’une époque révolue, d’un passé grandiose, qui nous impose de transmettre. Sans cette capacité à être fiers de notre passé, rien n’est possible pour une société qui deviendrait honteuse d’elle-même. 

La force de la volonté créatrice, c’est celle d’un jeune Corse, fraîchement français qui dans une époque encore cloisonnée, arrive à se hisser à la tête de l’armée, puis de l’État et tiendra tête à toute l’aristocratie européenne. Grâce à un génie militaire, un goût pour la science et l’art, il impulse aux autres son énergie de créer, d’innover et de faire. Napoléon montra à toute l’Europe que la maîtrise par l’individu de son propre destin est possible. Il incarne une épopée humaine hors du temps qui fait de l’homme une légende, que désormais tout homme peut écrire par et pour lui-même.

Ainsi, célébrer et commémorer Napoléon en ce 21ème siècle est un devoir. Ce n’est pas se souvenir avec nostalgie d’un passé révolu. C’est au contraire regarder l’avenir avec passion, en ayant la certitude qu’un passé glorieux rend demain possible.

Alors, Vive l’Empereur car Vive la France ! 

La folie du système monétaire international

Mépriser l’économie, ou comment finir encore plus exploité et asservi

Si les gens comprenaient les grands mécanismes monétaires à l’échelle internationale, nos « problèmes » culturels, politiques et électoraux seraient rapidement relégués à autant de discussions de seconde zone. En France, tout particulièrement, notre inculture économique généralisée, provoquée par le dégoût historique des intellectuels pour tout ce qui touche un tant soit peu à la matière monétaire, fait de nous des cibles d’une docilité et d’une servilité monétaire évidente – et ce, malgré notre réputation de peuple « à la révolte facile ».

Le dernier siècle et ses combats idéologiques ont eu raison du rapport des Français au domaine économique. Aujourd’hui, un intellectuel s’y intéressant d’un peu trop près est encore regardé de travers par ses pairs. L’économie est recouverte d’un biais de suspicion, du voile du « profit », de l’« intérêt personnel ». Comme l’écrivait Hayek il y a de cela plus de 70 ans : « Nous avons inculqué dans l’esprit des jeunes que la stabilité économique était plus noble et plus souhaitable que la prise de risque que représentait l’entrepreneuriat. L’emploi fixe est montré comme plus « noble » et « désintéressé ». Employer une centaine d’hommes correspond à une exploitation immorale, en commander et dicter la vie de plusieurs centaines de milliers, voilà une tâche bien plus honorable.»

Au-delà des seules considérations « professionnelles » et « productives » de notre relation à l’économie, nos intellectuels se sont désintéressés des sciences économiques par refus de « s’abaisser à cette science qui n’est que l’instrument de domination d’une classe sur une autre. » Il faut ici remarquer un glissement idéologique entre les intellectuels marxistes français des années 1950-1960 et la gauche postmoderne actuelle. Les premiers considéraient le secteur économique comme la seule manière d’améliorer les conditions de vie des plus précaires mais s’opposaient à sa privatisation, les seconds aujourd’hui largement majoritaires considèrent la chose économique comme un problème « en soi » et non plus seulement la manière dont celle-ci fonctionne. Ce faisant, en plus d’une méconnaissance totale du fonctionnement basique du système monétaire les amenant à mettre sur pied des théories aussi farfelues que dangereuses telle que la décroissance ou l’anti-consumérisme (dont l’on notera que l’application finit toujours par être ornementée de divers moyen coercitifs et/ou autoritaires), nos intellectuels ne parlent que très peu et de manière bien hasardeuse du gigantesque mensonge économique sur lequel nous vivons. 

Il faut ici remarquer un glissement idéologique entre les intellectuels marxistes français des années 1950-1960 et la gauche postmoderne actuelle.

Pourtant, quiconque prend le temps de traiter l’économie comme elle se doit d’être traitée – c’est-à-dire comme le premier vecteur de liberté humaine sans lequel toute liberté politique n’est qu’un leurre que l’on agite pour se persuader d’une liberté que l’on nous a depuis longtemps retirée – trouvera sans mal des états de fait qui radicaliseront sa révolte en plus de la rendre bien plus opérante. Qu’il est cruel et paradoxal de constater que nos intellectuels ont tourné le dos à l’économie précisément au moment où celle-ci, à l’échelle internationale, aurait eu besoin d’être soumise à leurs critiques les plus affûtées. 

Les Français ont sans aucun doute la culture de la révolte politique, de l’insurrection sociale, mais certainement pas de la révolution économique. Pourtant, s’ils comprenaient la pyramide de papier sur laquelle nous sommes installés plutôt que refuser d’aborder cette matière par « élitisme intellectuel », il y a fort à parier qu’ils y trouveraient un moyen de se libérer à la fois de leurs chaînes politiques et économiques. Hayek parle d’ « écomophobie », bien que la psychiatrisation du débat public soit regrettable, il faut admettre que le comportement de rejet épidermique des thèmes allant de la production industrielle à la concurrence monétaire en passant par l’impression monétaire massive chez une grande partie des postmodernes de gauche (mais aussi de droite) tient d’une certaine manière de la psychose. Alors oui, il est très certainement plus aisé de maintenir sa posture d’intellectuel ou du moins de « penseur » en se gargarisant de l’étude des questions identitaires, culturelles ou sociales, mais dans un monde tertiarisé à l’économie essentiellement financière, il est naïf de penser pouvoir comprendre ou influer sur le déroulement des choses en mettant de côté le domaine économique. Et que l’on ne vienne pas me répondre que les chercheurs, les universitaires et les politiques parlent d’économie : tous ces gens se battent autour des solutions à apporter aux problèmes issus des politiques monétaires internationales, sans jamais remonter à la source de la chose. Que ce soit du côté de la dette ou du partage des richesses, d’un bord à l’autre du spectre politique, nous nous battons contre des conséquences sans jamais discuter réellement de la cause première des phénomènes économiques que nous subissons. 

Il est naïf de penser pouvoir comprendre ou influer sur le déroulement des choses en mettant de côté le domaine économique.

Il n’existera pas de véritable basculement politique sans basculement monétaire et économique. Or, toutes les institutions monétaires internationales œuvrent pour ne pas avoir à modifier leur fonctionnement, pour garder intactes leur idéologie corrompue, leur logique d’impression monétaire débridée et leurs modèles prédictifs de rendement. Ces gens rient bien des intellectuels occidentaux occupés à traiter de la couleur, du sexe et des privilèges des individus pendant que la FED et les différentes banques centrales occidentales multiplient la masse monétaire mondiale impunément en inondant les marchés financiers de milliards de dollars pour tenter de sauver un système économique à bout de souffle. 

D’ailleurs, est-il à « bout de souffle » ? Non, il est étranglé de force. Il est asphyxié et maintenu sous perfusion : asphyxié par le remplacement progressif d’une économie basée sur la production de richesse à une économie basée sur l’accroissement symbolique des valeurs. Autrement dit, nos politiques, par leur désintérêt et même parfois leur aversion pour l’économie, trop occupés à se battre sur la stratégie de répartition des parts d’un gâteau qui devenait de plus en plus ridiculement petit, ont oublié que la richesse, avant d’être répartie, doit être créée. Ce faisant, nous avons arrêté de produire de la richesse ; d’autres s’en chargeront, pensions-nous. Nous nous sommes donc concentrés sur la production de valeur tertiaire et très souvent technologique. L’économie internationale voyant qu’une bonne partie de l’Occident devenait de plus en plus incapable de créer de la richesse réelle et se rendant compte que son propre sort était pourtant entièrement lié au destin économique de ces mêmes pays, a décidé de placer ce qu’il restait de notre économie sous perfusion monétaire et de laisser nos intellectuels discuter du sexe des anges tout en nous administrant des «stimulus check » quand notre oxygénation sanguine devenait un peu basse.

Depuis 2010, la masse monétaire internationale en $ (ce qui correspond à l’ensemble des dollars en circulation dans le monde) a été multipliée par 5, ce qui fait une augmentation de 500%. Concernant l’€ sur la même période, c’est une augmentation de près de 150 %. Avec le COVID, l’impression monétaire a explosé en déjouant à la hausse toutes les prévisions. Nous n’avons jamais autant imprimé d’argent à partir de rien, dans le même temps l’Occident n’a jamais été aussi faible économiquement et politiquement. Mais ne vous y trompez pas, sauf quelques chèques à visées purement électorales, cette impression monétaire ne vise pas à soutenir les populations ou à relancer une véritable production de richesse en lançant un grand projet de réindustrialisation. Non, cet argent vise à déférer l’inflation sur les marchés financiers pour donner une illusion de bonne santé. Pourquoi ? Eh bien parce qu’à partir du moment où les marchés vont bien, tout va bien. Circulez il n’y a rien à voir. Voilà le grand mensonge : là où la richesse réelle que produisait par exemple notre industrie était relativement bien corrélée à la santé économique et politique de notre pays, le passage à une économie de valeur a permis aux instances internationales de décorer la valeur financière de la valeur économique de nos entreprises. Aujourd’hui la FED ou la BCE peuvent décider artificiellement d’augmenter à leur guise la valeur de tels ou tels secteurs économiques en quelques clics de souris.

L’inflation existe, ouvrez le cours de Tesla, d’Amazon, du SP500 et constatez par vous-même. Pour autant, nous ne devons pas nous tromper de cible. Nos intellectuels dans leur passéisme idéologique ont raison de parler de lutte des classes, mais aujourd’hui ils se battent avec des fantômes. Le patron d’industrie et l’ouvrier étaient très certainement une réalité anthropologique frappante dans l’Angleterre des années 1920. Amazon, Tesla, les grands groupes internationaux sont bénéficiaires mais pas nécessairement responsables de cet état de fait. Aujourd’hui la nouvelle lutte des classes est idéologique, c’est celle qui oppose les institutions préférant maintenir l’Occident en coma artificiel jusqu’à la mort clinique tout en transformant nos pays en musées grandeur nature, improductifs, déclassés et en dehors de la compétition économique internationale et les individus qui doivent prendre conscience des chaînes monétaires qui se referment progressivement sur eux. 

Aujourd’hui la FED ou la BCE peuvent décider artificiellement d’augmenter à leur guise la valeur de tels ou tels secteurs économiques en quelques clics de souris.

L’oppression économique est et restera la première des oppressions puisqu’elle est la condition sine qua non de toute liberté politique, sociale ou juridique. Si nous continuons à jouer avec les quelques cartes idéologiques qu’il nous reste, nous finirons par nous entretuer en étant persuadé que nos adversaires politiques sont responsables de notre misère galopante et de notre sortie de l’histoire alors qu’il faut regarder vers le haut.

Je ne pourrais malheureusement pas traiter l’ensemble des incohérences économiques mondiales sans réaliser un dossier d’analyse conséquent qui risquerait de m’amener sur des sujets qui sortiraient de mon champ d’expertise politique et économique. Cependant je ne peux que vous conseiller de vous saisir de ces sujets qui sous tendent la matrice idéologique actuelle et qui sont les seuls sur lesquels « on préférerait que vous vous taisiez. » L’affaire récente autour de GameStop et de la communauté de traders de la  Wallstreet Belts et les réactions violentes et immédiates des offices internationales de régulation, tout comme le discours critique autour de l’écosystème des cryptomonnaies par les banques centrales internationales sont autant d’indices qui devraient vous indiquer la direction vers laquelle creuser.

La bataille économique mondiale aura lieu, elle a déjà commencé. Nos intellectuels ont un siècle de retard sur cette nouvelle guerre idéologique, ils s’amusent avec les quelques jouets poussiéreux que l’on a bien voulu leur laisser : l’Occident se suicide économiquement en pratiquant une politique monétaire absurde qui devrait occuper 90 % du temps de nos chercheurs et de nos intellectuels tant celle-ci infuse tous les secteurs de la société et risque de nous exploser au visage. Nous aurons tous un rôle à jouer dans cette guerre monétaire. Voter, manifester, débattre de phénomènes sociaux, autant d’exemples qui ne dérangent plus rien, le système y est hermétique, mais qui vous donnent une illusion d’action. Votre argent, la manière dont vous le dépensez, le stockez et le protégez, voilà quelque chose sur lequel le système monétaire international fera tout pour vous persuader de l’absence d’alternative crédible. Car le premier pouvoir individuel est monétaire.

Tribune d’une progressiste contre la bien-pensance

Ou comment le progressisme s’auto-détruit par le politiquement correct

A l’heure où les marques les plus populaires chez les jeunes jugent rentable d’étaler des slogans progressistes partout, nous pouvons difficilement prétendre à une disruptivité du progressisme dans ma génération. Le libéralisme économique a ce mérite de faire des marchés le reflet le plus fidèle de la société. Moi-même féministe, je suis bien la dernière à condamner cette tendance générale. Pourtant, j’en condamne les effets : le progressisme est si répandu qu’il ne prend plus la peine (nécessaire) de défendre des arguments solides pour légitimer son existence. Au lieu de débattre avec ses détracteurs, il les censure. Cette tendance mène le progressisme à sa perte, le changeant en un colosse aux pieds d’argile ne sachant plus réfléchir et agir avec finesse, dont la mort intellectuelle en fait la caricature de lui-même.

Censurer ceux qui ne pensent pas comme nous, c’est progressiste ou facho ?

Ce qui me pousse à écrire, ce n’est pas tant la pensée progressiste, que je partage. C’est l’incapacité de ceux et celles qui sont censés le défendre à le faire. Si je le critique aussi durement, c’est parce que je veux qu’il reste vigoureux, car il est à mon sens nécessaire. Or, aujourd’hui, la paresse intellectuelle le gangrène.

Le progressisme ne débat plus, il combat. Il s’ancre dans les territoires conquis, et étouffe la parole de ses adversaires. Il est partout dans les sphères médiatique et universitaire, qui parlent plus fort que les autres. La logique progressiste recouvre alors tous les discours, jusqu’à ce que rien ne lui oppose contraste. C’est alors que les valeurs progressistes deviennent des valeurs par défaut ; des ennemis quasi invisibles, mais extrêmement dangereux. Ce que j’appelle les valeurs par défaut, ce sont les convictions que vous avez sans jamais vraiment les avoir questionnées. Comme le poisson rouge qui ne voit plus l’eau dans laquelle il nage, vous les prenez pour acquises, évidentes, logiques. Vous n’avez jamais sérieusement écouté les rares qui s’y opposent, ce sont des cons. Aujourd’hui, on ne débat plus pour défendre la reconnaissance de l’homosexualité, pour défendre la normalité des enfants hors mariage, pour défendre l’IVG.

Le progressisme a encore lieu d’être et de se battre, mais il ne se bat plus avec sérieux intellectuel et maîtrise de l’art du débat. 

Cette situation peut sembler idéale : si tout le monde est progressiste, alors les femmes et minorités ne subiraient plus de discriminations ? Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Le progressisme a encore lieu d’être et de se battre, mais il ne se bat plus avec sérieux intellectuel et maîtrise de l’art du débat. 

Le cœur du problème, c’est l’inaptitude à combattre dans l’arène intellectuelle. L’entre-soi idéologique fait fondre la capacité à défendre son avis. Si je tiens autant à la critique, c’est parce qu’une foule entraînée par un même mouvement ne répond plus qu’à elle-même ; et chaque élément englouti ne peut prendre de la hauteur pour juger les dérives de son propre torrent. Ainsi, l’honnêteté intellectuelle qui m’est si chère ne saurait se passer d’un examen attentif des critiques les plus piquantes. Le progressisme manque clairement de cet exercice. 

En lisant et regardant des débats opposant progressistes à conservateurs, le désarroi m’envahit. Comment prendre le progressisme au sérieux lorsqu’il est défendu par des faux arguments ? A chaque fois, les mêmes mots décrédibilisent et ridiculisent le discours progressiste. Je ne saurais citer un seul débat où aucun n’est revenu au moins une fois. Faites le test, le bilan est sans appel.

Pour apprendre en s’amusant, petit bingo ludique et inquiétant à faire la prochaine fois que vous regarderez un débat du type : 

Trêve de plaisanteries. Savoir reconnaître la justesse des critiques et savoir y répondre est essentiel. Seul un raisonnement fin peut s’introduire dans les failles du discours adverse. Connaître les critiques est indispensable pour affûter la lame des arguments. Sans cet exercice, elle s’émousse ; et celui qui la manie dans l’arène des idées doit s’agiter disgracieusement pour attaquer le discours de l’adversaire d’un coup mal exécuté. Le résultat grossier réduit son camp en ridicule. La bataille n’a été que la scène d’un géant fainéant, qui, ne comptant que sur le poids de son influence, n’a pas affûté ses arguments ; et sa lourdeur l’a précipité dans sa chute. 

Quelle protection le féminisme offre-t-il aux victimes de sexisme si son fer de lance est le mythe de l’inégalité salariale à poste égal ?

Par le lâche évitement du combat, le progressisme se complaît dans le confort de la mollesse des mots creux. Extensibles, compressibles, modelables à loisir, on les étire pour recouvrir ce qu’on ne veut pas voir. On les encastre dans tous les recoins de débats pour combler des vides. On les dresse devant soi pour parer l’attaque incisive. En les tordant et les triturant au gré de nos usages, on leur fait perdre leur essence, leur signification précise. Or, un mot qui n’a pas de sens n’a pas de valeur. Sexisme, mysogignie, racisme, islamophobie, grossophobie, transphobie, embyphobie, biphobie, homophobie, lesbophobie, sont autant de mots qui désignent une réalité concrète et palpable. Les phénomènes qu’ils désignent au sens pur existent. Pourtant, ils sont étirés pour englober tous les phénomènes qui s’en rapprochent de près ou de loin.. On pourrait me rétorquer que les apposer même à la plus subtile de leur expression permet de lutter plus activement contre tous les aspects de haine. Activement, certes ! Énergiquement ! Farouchement ! Mais les mots sont nos meilleures armes. Ils doivent être précis et justes pour être efficaces. Des mots usés à tort et à travers, devenus caricaturaux, moqués, dilués dans l’eau boueuse de l’exagération et le fanatisme, sont des mots qui ne valent pas mieux que des morceaux de pâte à modeler face aux épées soigneusement affûtées. Ce n’est pas aider les victimes de cette haine que d’affaiblir les armes qui leur sont vitales. Quelle protection le féminisme offre-t-il aux victimes de sexisme si son fer de lance est le mythe de l’inégalité salariale à poste égal ? Quelle protection le body-positivisme offre-t-il aux victimes de grossophobie si son fer de lance est d’affirmer que l’obésité est bonne pour la santé ? Usons justement des mots, au risque de les perdre.

La censure, ou la menace de lynchage, devient si fréquente qu’elle paraît devenir une méthode habituelle du camp du progrès. C’est ça le débat démocratique dans le camp du bien ? 

En plus de perdre leur noble rôle d’arme intellectuelle, ces mots revêtent désormais la méprisable fonction de menace. On les utilise à tort et à travers pour faire taire les conservateurs. Cette pratique lâche décrédibilise encore le progressisme. Une idée bien fondée n’a pas besoin de psychiatriser ou de criminaliser ses opposants.

Une idéologie qui insulte ou fait disparaître ceux qui n’en sont pas assez proches ressemble étrangement au fascisme ; et je refuse que mes convictions soient inséparables de ces méthodes détestables. Je suis défenseuse du féminisme et farouchement défenseuse de ceux qui veulent le critiquer ; car les masquer ne fait qu’enfermer le bouillonnement sous un couvercle fragile, auquel s’ajoute la colère de ceux qui ont été réduits au silence. La censure, ou la menace de lynchage, devient si fréquente qu’elle paraît devenir une méthode habituelle du camp du progrès. Quel terrible aveu de faiblesse que de devoir menacer ses adversaires pour prospérer ! Regardez ceux qui, pour un mot déplacé, ou une idée à contre-courant, se sont vus insultés, lynchés, bloqués. Leur compte a été signalé, banni, supprimé. On demande des comptes à leur entourage, on exige de leur employeur qu’il soit viré, on leur tourne le dos. C’est ça le débat démocratique dans le camp du bien ? 

Le camp du progrès a, dans cette lutte, souvent l’aval des GAFA, dont les algorithmes tendent à devenir les arbitres de l’arène intellectuelle. Ces dernières semaines, la purge sur Twitter ne fait pas de doute sur la cible visée : Donald Trump d’abord, puis ses soutiens, et tous ceux qui gravitent dans l’univers de la fachosphère. Et alors que les bannis se réfugiaient sur les terres vierges de réseaux alternatifs, la chasse à la sorcière les poursuit. Google et Apple bloquent l’installation de l’application Parler. Les explications sont fumeuses : y seraient publiés des discours de haine. Si la présence de haine déclenchait l’interdiction d’un réseau social, Twitter n’aurait pas existé longtemps. À quoi, au juste, nous mène la lutte contre la haine, quand tous les discours condamnant le progressisme sont diagnostiqués comme haineux ? Certains voudraient faire de l’espace de débat public un “safe space” pour les minorités oppressées. Mais qu’est-ce qu’un safe space ? Est-on en sécurité seulement là où personne n’entre en désaccord avec nous ? C’est pour moi la plus dangereuse des zones. 

Alors, amis progressistes, débattez, informez-vous, remettez-vous en question ! Lisez Marianne, Valeurs Actuelles, écoutez Alain Finkielkraut et Eric Zemmour ! Solidifiez votre argumentaire, fondez vos idées, affûtez la lame de vos arguments ! Mais ne vous vautrez pas dans la mollesse fainéante du confort idéologique, au prix de voir vos idéaux piétinés dans la boue par ceux que vous n’aurez pas eu la force de combattre.

L’auteur

Domitille Viel

L’éloge de l’impôt

Pour une vision juste et une (re)légitimation de l’impôt, contre les exilés fiscaux

Souvent décrié, parfois défendu, jugé à la fois comme trop lourd par certains ou comme trop faible (envers les très riches) par d’autres, l’impôt s’invite fréquemment dans le débat politique. Il représente même la « ligne de fracture » la plus symbolique qui sépare idéologiquement ceux qui se réclament de droite et ceux qui s’identifient de gauche. Pour ceux qui défient l’autorité politique, l’impôt constitue même une forme d’avatar de l’Etat auquel il convient de résister au quotidien. Dans ce cadre, le propos développé au fil de cet article sera de ceux, trop rares, qui aiment et défendent la fiscalité française. 

Rappels sur la définition de l’impôt et de la politique fiscale…

La fiscalité constitue l’une des principales prérogatives de la puissance publique. Si l’on s’oppose au principe de l’impôt, c’est le concept même de l’Etat qui ne peut être légitimé. Selon la définition reconnue du juriste français Gaston Jèze, l’impôt se caractérise comme un prélèvement pécuniaire qui se fait par voie d’autorité ; il est opéré sur des catégories déterminées de contribuables d’après leurs facultés contributives en vue de la couverture des dépenses publiques et de l’intervention économique et sociale des pouvoirs publics, sans comporter nécessairement de contrepartie apparente pour le contribuable. Ainsi, l’impôt bénéficie d’abord à l’Etat, aux collectivités territoriales, aux institutions européennes… Bien entendu, ce n’est pas de l’argent distribué afin d’enrichir les grandes entités de la puissance publique, il sert à financer le bon fonctionnement des services publics ainsi que des politiques à court ou moyen terme pour servir l’intérêt général.

Ce qui mène souvent à une vision négative de l’impôt, c’est qu’il ne permet pas nécessairement au citoyen un retour (financier ou matériel) direct. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il ne bénéficie pas des effets de l’impôt. D’abord, il faut souligner que de nombreux services rendus par les pouvoirs publics n’ont aucune valeur estimable d’un point de vue financier, notamment la sécurité assurée par les forces de l’ordre, la défense du territoire national par les armées, les évènements culturels permettant d’émanciper le citoyen, la justice rendue par les tribunaux, l’éducation de nos enfants… Puis, en définitive, l’action de l’Etat n’est aucunement liée à l’intérêt individuel de chacun ; l’impôt ne saurait être un retour financier direct vis-à-vis du contributeur. Il participe pleinement à la vie de la nation, et dans cette vie il y a inévitablement une dimension collective, des intérêts généraux et des fins communes à tous…

On le perçoit aisément et fréquemment, il faut légitimer l’impôt en permanence à cause d’une mauvaise perception qui consiste à dire qu’il représente un appauvrissement personnel mais pas un enrichissement global. Dans ce cadre, la fiscalité doit être introduite devant les citoyens comme juste pour qu’elle soit acceptée, c’est le principe du consentement à l’impôt qui nécessite avant tout une légitimation du pouvoir politique. La fiscalité est indispensable pour assurer le fonctionnement des institutions, l’approche première des impôts repose sur la présentation d’un instrument financier visant à remplir la caisse publique afin de financer les institutions régaliennes. Enfin, l’on évoque aussi le principe de neutralité fiscale en ce sens que la fiscalité est étrangère à la vie économique.

Deux grandes doctrines sur l’impôt qui s’affrontent

De prime abord, aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est la théorie libérale qui fut prépondérante dans la justification du concept de l’impôt. En effet, les penseurs libéraux classiques tels que Hobbes, Locke ou Smith, construisent l’idée d’un contrat fiscal qui sous-tend le raisonnement du contrat social. Ainsi, la doctrine libérale classique ne contredit jamais la nécessité de l’impôt mais pour autant, elle cherche à réduire son champ d’application : chaque membre de la communauté se verra protégé par des financements justes et nécessaires. Cela recoupe la théorie de l’Etat gendarme, c’est-à-dire une puissance publique qui limite son intervention à des fonctions strictement limitées (les fonctions régaliennes) afin de garantir avant tout la sécurité. Dans cette vision, même s’il est légitimé, l’effort fiscal doit donc être limité. Cette théorie s’impose très nettement jusqu’au XXe siècle. 

Par la suite, c’est la théorie solidariste qui prend le relais à partir de la fin du XIXe siècle. D’inspiration chrétienne, elle pose la question du devoir inhérent au consentement à l’impôt en ce sens qu’il permet de servir la solidarité sociale. Dans cette doctrine, la qualité de citoyen requiert une responsabilité et une forme active ; de ce fait, le citoyen doit nécessairement s’avouer favorable au prélèvement fiscal car il constitue un juste moyen de redistribution des richesses. In fine, l’impôt doit permettre d’éviter l’établissement d’une économie rentière qui serait une économie figée. Cette théorie attribue à l’impôt une sphère plus large que dans la doctrine libérale classique ; elle crée le principe de l’imposition variable selon les capacités contributives des citoyens. Enfin, il convient de souligner que cette théorie solidariste – tout en s’inspirant de la conception socialiste – emprunte une large part de ses principes à la théorie libérale (au « libéralisme social »). Cette vision solidariste s’est mise en œuvre tout au long du XXe siècle en France, dès 1914 avec la mise en place du très symbolique impôt sur le revenu (proportionnel aux gains de chacun), et a fait les beaux jours de l’Etat-providence au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. 

Les exilés fiscaux : la trahison de l’Etat et de la nation…

A la suite de ces prérequis théoriques et doctrinaux au sujet de l’impôt, son rôle essentiel pour la nation devient évident : vouloir y échapper reviendrait à rejeter le pays qui nous a vu naître et grandir et à renier sa propre communauté nationale. Pourtant, c’est le choix de nombreux exilés fiscaux qui placent au sommet de leurs priorités la conservation de leur fortune individuelle au détriment de la contribution à la richesse nationale. En effet, l’exil fiscal – terme faussé en ce sens que l’exil constitue une forme de bannissement, une expulsion hors de la patrie avec la défense d’y revenir (l’exil fiscal repose sur l’exact inverse puisque c’est le citoyen lui-même qui décide de renoncer à sa nation) – ou l’expatriation fiscale consiste pour un citoyen ou une entreprise à changer de résidence fiscale afin de bénéficier d’une situation fiscale plus bénéfique. 

Souverainement, individuellement, égoïstement, l’expatrié fiscal fait le choix de s’évader à l’étranger dans la seule fin de payer moins d’impôts que dans son pays natal. Ces citoyens (les célébrités en premier lieu, nous y reviendrons) doivent souvent tout ou partie de leur « succès », toute ou partie de leur « réussite », toute ou partie de leur fortune à : leur pays qui les a éduqués, leur nation qui les a formés, l’Etat qui leur a offert des infrastructures et des aides publiques, leurs concitoyens qui les ont soutenus et à qui ils doivent leur réussite sociale et financière… C’est le paroxysme du mythe du « self-made man », de l’« homme qui s’est fait lui-même », provenant de la culture individualiste anglo-américaine. Eh bien non, sans la France, sans le soutien des Français et l’achat de leurs disques, sans la couverture médiatique française, Johnny Hallyday et Florent Pagny seraient certainement des chanteurs de bistrot ayant du mal à boucler leurs fins de mois.

Sans même parler d’évasion fiscale (cf. dans les fameux paradis fiscaux), voire de fraude fiscale, qui sont des pratiques tout à fait illégales ; l’expatriation fiscale, même si elle est autorisée par la loi, coûte énormément à l’Etat chaque année … L’on compte notamment l’exil fiscal de près de 4 000 contribuables français déclarant plus de 100 000€ de revenus annuels rien qu’en 2016 et le départ de plus de 500 ménages déclarant plus de 300 000€ de revenus par an. Ce phénomène reste heureusement très minoritaire, preuve que la plupart des riches font encore le choix du patriotisme, mais il reste significatif et important pour les finances publiques. Notons par exemple que, si l’on fait les comptes sur 10 ans (jusqu’en 2016), en prenant en compte les départs et les retours, la France a perdu plus de 4 500 redevables de l’impôt sur la fortune (ISF) et donc in fine près de 24 milliards d’euros nets…

Si l’on prend maintenant en considération le phénomène plus grave de l’évasion fiscale, les chiffres se révèlent encore plus vertigineux. En effet, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) soulignait, dans un document portant sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), que nous sommes en mesures d’estimer 100 à 240 milliards de recettes fiscales annuelles perdues par les Etats à cause des méthodes d’optimisation fiscale (). En ce qui concerne notre France, des rapports et études chiffrent entre 30 et 50 milliards d’euros de pertes à cause de l’évasion fiscale et entre 60 et 80 milliards d’euros de pertes à cause de la fraude fiscale chaque année pour l’Etat français. A titre de comparaison, afin de se représenter ces chiffres astronomiques, donnons certains budgets clés annuels de l’Etat français en 2020 : 7,5 milliards d’euros pour la Justice, 37,5 milliards d’euros pour la Défense, 73,2 milliards d’euros pour l’Education nationale…

Aucun patriotisme sans impôt : les célébrités françaises, pas si françaises que cela…

Combien sont-elles ? Ces « stars » françaises, brandissant le drapeau français lors des grands évènements sportifs, chantant leur attachement à la France tout en lui mettant un coup de poignard dans le dos, mettant en scène un semblant de patriotisme, donnant de belles leçons de morales au peuple français tout en ne lui montrant aucune reconnaissance dans leurs actes… Ces célébrités françaises qui ne sont justement populaires qu’en France et qui ne rencontreraient sans doute aucun succès à l’extérieur de leur nation. Comment peut-on à ce point répudier la terre qui est à l’origine de sa « réussite » ? Comment peut-on honnêtement connaître la « gloire » grâce à un peuple tout en le désertant par avarice ? Vous l’aurez compris, il s’agit ici d’un virulent plaidoyer contre les célébrités idolâtrées par le peuple français : les grands pourfendeurs de l’impôt, de la solidarité sociale et de la cohésion nationale… 

Souvent présentés (à tort) comme la fierté de la France, comme les modèles à suivre vers la réussite, comme les porteurs idéaux du drapeau tricolore à travers le monde, de nombreuses célébrités françaises n’ont de français que leur carte d’identité, quand bien même elles ne cherchent pas à changer de nationalité ! Eh bien non, vous ne rêvez pas, certaines stars françaises cherchent à aller jusqu’au bout de leur logique antipatriotique en demandant de ne plus être Français, dans le but bien entendu de payer moins d’impôts. Ce fut le cas notamment de Johnny Hallyday (encore lui) qui fit la demande de nationalité belge en 2006 : il évoquait une volonté de « retour à une partie de ses racines » alors qu’il est né et vécut son enfance à Paris… La raison se trouvait sans doute autre part puisque par le plus grand des hasards, il n’existait pas d’ISF en Belgique ni de taxation sur les plus-values ; de plus, cette autre nationalité lui aurait permis de s’installer dans le paradis fiscal de Monaco. Du reste, Johnny passa l’ensemble de sa carrière à vouloir déserter la France, tout en y retournant pour faire ses concerts et vendre ses disques. Cela lui permit au moins de bien voyager tout en faisant de belles économies, en choisissant soigneusement ses destinations : la Belgique, les Etats-Unis, la Suisse (et même le Luxembourg pour les dividendes d’une société qui gérait les droits de ses chansons).

Les sportifs français ne sont pas en reste à ce sujet, pourtant présentés comme des modèles à nos enfants. La liste est notamment interminable chez nos tennismen ; Yannick Noah ayant montré l’exemple dans les années 1990, les exilés fiscaux ont fleuri en Suisse : Gilles Simon, Richard Gasquet, Jo-Wilfried Tsonga, Marion Bartoli, Gaël Monfils… Drôle de façon de remercier le pays et les supporteurs français qui les ont soutenus tout au long de leur carrière sportive. Même chose pour de grands acteurs français, trop nombreux pour être cités, s’imaginant peut-être réaliser le « rêve américain » en allant s’installer aux Etats-Unis tels que Dany Boon ou Omar Sy mais qui doivent toujours compter sur les Français pour rentabiliser leurs films et accroître leur richesse. 

Ils sont encore beaucoup, les Florent Pagny (bien qu’il l’assume), les Charles Aznavour, les Alain Delon, les Sébastien Loeb, les Gérard Depardieu, les Christian Clavier… Ceux qui sont mis en valeur, glorifiés, présentés comme les porte-étendards de la nation française, ne paraissent éprouver absolument aucun remord à l’idée de tourner le dos à leur pays dès que bon leur semble. Ils placent au sommet de leurs intérêts la sauvegarde de leur fortune, agissent égoïstement, s’effacent et disparaissent dès qu’il s’agit de participer à l’effort national mais reviennent et monopolisent le temps médiatique dès qu’il s’agit de contribuer à leur gloire personnelle. 

En conclusion, il est certain qu’il n’existe aucun véritable patriotisme, aucune défense de la nation, aucune participation à la richesse française, dès lors que la fiscalité est boudée et l’impôt évité. S’il faut l’illustrer par ses actes quotidiens, l’amour de son pays passe avant tout par la juste contribution à sa prospérité et à ses ressources financières. L’impôt est absolument essentiel, s’y soustraire est un acte de trahison par excellence, le payer sans rechigner est le meilleur acte de reconnaissance envers une nation à laquelle on doit tant…

Nota Bene : la fiscalité constitue sans doute le meilleur vecteur d’égalité, si chère à notre République française. En effet, les impôts et prestations sociales sont absolument essentiels en ce sens qu’ils permettent de réduire les inégalités de richesse entre les citoyens. Selon le Ministère des Solidarités et de la Santé, dans un rapport datant de 2017 , le taux de pauvreté en France s’établissait à 14,1% de la population et l’intensité de la pauvreté à 20,1% en 2014 ; ces deux indicateurs (déjà trop élevés) s’élèveraient respectivement à 22% et à 37,3% de la population sans les transferts sociaux et fiscaux. Sans cette redistribution, plus d’un Français sur cinq vivrait sous le seuil de pauvreté. Aussi, selon l’Observatoire des inégalités : “Avant impôts et prestations sociales, le revenu moyen des 20 % les plus aisés est de 4 566 euros par mois selon l’Insee (données 2015 pour une personne seule), huit fois le revenu des 20 % les plus modestes (553 euros par mois en moyenne). À l’extrémité de l’échelle, les 10 % les plus aisés (5 939 euros par mois) touchent 21 fois plus que les 10 % les plus modestes (281 euros). Une fois les impôts retirés de ces revenus et les prestations sociales versées, les écarts se réduisent très nettement : le rapport entre les niveaux de vie des 20 % les plus riches et des 20 % les plus modestes tombe à quatre. Entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres, il se réduit de 21 à six. Dans le premier cas, les inégalités de niveau de vie sont divisées par deux. Dans le second, par près de quatre.”. Enfin, pour mieux comprendre la provenance et les effets de la fiscalité française, ce site : est d’utilité publique, d’où viennent les ressources publiques et vers quoi sont-elles dépensées… Tout y est.

L’auteur

Lucas Da Silva

Le cannabis et l’impasse du conservatisme [2] : la légalisation

2e partie : la légalisation

Le texte suivant est la deuxième partie d’un article en deux volets portant sur la dépénalisation et la légalisation du cannabis en France, rédigés par Maxime Feyssac et Domitille Viel.

« Légaliser le cannabis ? Mais enfin, c’est une drogue dangereuse, on peut y être addict ! » En effet, et ça n’a rien à voir avec notre débat. La question n’est pas de savoir si vous êtes pour ou contre le cannabis. Refaites le monde, débattez-en passionnément, argumentez, incendiez vos adversaires, le résultat sera nul. Parmi tous ceux que j’ai écoutés parler de la légalisation du cannabis, beaucoup se trompaient de débat : ils se positionnaient pour ou contre le cannabis et non pas pour ou contre sa légalisation. Or les deux sont bien différents : on peut, comme moi, ne pas inciter à consommer mais militer pour la légalisation. Ça vous paraît paradoxal ? Rien ne vous paraîtra plus logique à la fin de votre lecture. Ainsi, il nous importera dans cette tribune de défendre la légalisation du cannabis dans notre pays, et non pas de défendre la consommation du cannabis.

Le cannabis cause aujourd’hui d’importants problèmes, nous sommes majoritairement d’accord sur ce point. Mais là où la doctrine conservatrice répond « répression », je réponds « légalisation ». Non pas que je veuille embaumer les rues d’une singulière odeur fleurie, mais la répression ne fonctionne pas. La politique conservatrice du cannabis est une impasse. C’est cette impasse qui m’appelle à prendre la parole. Prendre la parole pour dire « légalisons. » Pas « roulez jeunesse », mais « légalisons ». Et « légalisons » suppose avant tout « réglementons ».

Légaliser, c’est meilleur pour la santé ?

Paradoxalement, le premier argument que je traiterai ici est celui de la santé publique. Non pas que le cannabis soit la nouvelle potion magique de l’homéopathie, quoiqu’il puisse être thérapeutique, nous y reviendrons. La consommation de cannabis, pourtant, n’est pas un problème central de santé publique en France : il est impossible de mourir d’une overdose du cannabis, et on peine bien à trouver une seule mort dont il serait directement coupable. Pourtant, celui-ci complique le bon développement du cerveau, et sa consommation peut avoir des effets néfastes sur les poumons. Et ce qui cause le plus de soucis, c’est que les fumeurs ne savent pas ce qu’ils fument. La forme, puissance, et qualité du produit fumé varient largement d’un produit à l’autre. La teneur en THC dépend par exemple de la variété de marijuana utilisée, et peut être multipliée par 10 selon les modes de production, sur lesquels ni les consommateurs ni l’Etat français ne peuvent avoir de contrôle. On criminalise les producteurs, mais on leur offre un pouvoir sans bornes.

Sous ses apparences de politique de contrôle, son inefficacité permet au trafic de fleurir comme les champs de chanvre en automne.

Ceux que l’Etat doit le plus protéger en légalisant (et réglementant) le cannabis, ce sont nos jeunes. Combien de collégiens, curieux et excités de goûter à la fameuse substance, se sont vu acheter (souvent trop cher) un malheureux pochon marronnasse contenant un résidu poisseux et odorant, sans connaître sa véritable composition? La vérité leur aurait coupé l’excitation : le « bon shit » contenait-il de la semelle, du goudron, du cirage ? Les substances toxiques se déposeront au cœur de leurs poumons sans qu’ils n’en sachent rien, et sans qu’aucune autorité n’y fasse quoi que ce soit.

Ce laisser-faire, cet abandon, c’est le fait de l’actuelle politique de répression conservatrice. Sous ses apparences de politique de contrôle, son inefficacité permet au trafic de fleurir comme les champs de chanvre en automne. Mener une politique répressive aujourd’hui en France, c’est être plus lâche qu’efficace. C’est laisser les consommateurs et dealers faire exactement ce qu’ils veulent dans une ambiance générale de rien-à-foutre mêlée d’un léger sentiment de crainte face à une répression qui tombe arbitrairement comme un couperet, sans couper court aux réseaux de circulation du produit. Légaliser, au contraire, c’est appliquer une réglementation claire, cohérente et applicable au marché du cannabis, en soumettant ses producteurs à des règles afin d’informer et de protéger ses consommateurs. Voilà pourquoi légaliser permettrait le contrôle sur ce qui rentre sur le territoire français, puis dans les poumons des Français.

Avant d’aller accuser les rappeurs populaires de donner une bonne image de cette drogue, il serait peut-être temps de la nuancer en informant les jeunes sur ses effets, non ?

Informer et protéger les Français, cela implique aussi de mettre en place une réelle prévention. (lire à ce sujet la note passionnante de GL think tank) Les 80 élus républicains opposés à la légalisation exigent dans leur tribune : « Il faut expliquer aux jeunes les dégâts provoqués par les drogues en arrêtant de présenter le cannabis comme une expérience sympathique voire ludique. » Je suis d’accord avec eux. Cependant, la politique conservatrice est une impasse en matière de prévention. C’est pour cette raison que le pneumologue Bertrand Dautzenberg, président de l’Office français de la lutte anti-tabac, s’est déclaré favorable à une légalisation du cannabis. Un pneumologue, favorable à la légalisation d’un des pires ennemis de nos poumons ? Oui, parce que cette légalisation permettrait une meilleure réglementation et prévention, essentielles et pourtant négligées par la politique répressive actuelle. Si la prévention n’implique pas la légalisation, pourquoi n’a-t-elle pas déjà été largement mise en place ? Le tabou posé sur le cannabis pour ne surtout pas le banaliser n’a pas aidé à informer la jeunesse sur ses effets néfastes. Les conséquences de la drogue-dont-il-ne-faut-pas-prononcer-le-nom ne sont quasiment pas expliquées au collège, ni au lycée. C’est pourtant à cette période que les consommateurs y sont le plus vulnérables, puisque, sans vouloir les offenser, leurs cerveaux ne sont pas parfaitement développés avant leurs 15 ans. C’est également à cette période que l’on est le plus influençable par les stars de la musique qui font du cannabis un accessoire cool, un moyen d’impressionner Clémentine de la 4è B avec son allure de rebelle en soirée. Avant d’aller accuser les rappeurs populaires de donner une bonne image de cette drogue, il serait peut-être temps de la nuancer en informant les jeunes sur ses effets, non ?

La conduite en état d’ivresse est encore plus dangereuse que la conduite sous stupéfiants.

Je parle des plus jeunes car je considère, et j’espère, que les adultes sont plus raisonnables. Cependant, comme le soulignent les 80 élus LR, « En 2017, 23% des personnes décédées sur les routes ont été tuées dans un accident impliquant un conducteur sous l’emprise de stupéfiants. ». Ce chiffre révèle bien l’inefficacité de la politique répressive soi-disant sécuritaire. Il est donc également nécessaire de faire davantage de prévention auprès des conducteurs, et de mieux les contrôler. Les sanctions prévues pour les conducteurs contrôlés positifs au cannabis sont pourtant lourdes : jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 4500€ d’amende, et je ne vous parle des peines dans le cas où la consommation a été facteur d’un accident mortel. Malgré cela, la politique répressive ne fait pas ses preuves. Pourquoi ? Premièrement, les policiers et gendarmes ne peuvent complètement tester les conducteurs que depuis le 13 décembre 2016. Avant, le contrôle nécessitait une étude par du personnel médical, une prise de sang ou une analyse d’urine. Il était donc plus long, plus compliqué, donc moins souvent effectué. Ce test reste peu effectué par rapport aux contrôles d’alcoolémie, mais il menace les conducteurs d’une sanction bien plus lourde : en plus de la peine de prison et de l’amende précédemment évoquées, le conducteur positif au cannabis perd son permis pour trois jours, le temps que le préfet de son département décide de s’il suspend son permis pour quelques mois ou pas. Pourtant, la conduite en état d’ivresse est encore plus dangereuse que la conduite sous stupéfiants : le risque d’être responsable d’un accident mortel est multiplié par 1.8 lorsqu’on conduit sous cannabis ; par 17.8 lorsqu’on conduit alcoolisé.

Vous voulez encore une incohérence ? Même si le conducteur n’est pas sous l’effet du cannabis, il perd son permis et risque les lourdes sanctions. Pour l’alcool, la sanction ne s’applique que si l’alcoolémie est supérieure à un certain taux, car une très faible quantité d’alcool n’a pas d’effet sur la conduite. Pour le cannabis, pas de mesure : lorsque le test est positif, on ne sait pas si le cannabis est présent en quantité suffisante pour altérer la conduite. Pourtant, cette information est essentielle : les effets du cannabis durent environ une à deux heures après l’avoir fumé, mais reste détectable quatre à six heures après. Encore un problème sur lequel on ne se penche pas, alors qu’un processus de légalisation nous obligerait à prendre des mesures réellement efficaces pour protéger les Français.

Oui, cette « merde » comme le dit si bien notre ministre de l’intérieur, pourrait être utilisée pour guérir des maladies ou en atténuer les symptômes.

En plus de mieux protéger les Français, légaliser le cannabis pourrait nous permettre de les soigner. Oui, cette « merde » comme le dit si bien notre ministre de l’intérieur, pourrait être utilisée pour guérir des maladies ou en atténuer les symptômes. Mais même lorsqu’il s’agit de soigner, la France a beaucoup de mal avec l’usage du cannabis. Bonne nouvelle, il y a du nouveau : depuis le décret du 7 octobre 2020, « L’usage médical du cannabis est autorisé, dans le strict cadre de l’expérimentation, pour certaines indications thérapeutiques ou situations cliniques réfractaires aux traitements indiqués et accessibles ». L’usage du cannabis thérapeutique est encore très réglementé : l’expérimentation doit durer deux ans et se limiter à 3000 patients maximum. Un seul médicament peut actuellement être prescrit aux malades :  le Marinol (dronabinol), qui peut être utilisé dans le traitement des douleurs chroniques et cancéreuses, ainsi que le traitement de la perte de l’appétit.

Pourtant, le cannabis a de nombreuses vertus : il préviendrait les crises d’épilepsies, stimulerait l’appétit, serait utile pour lutter contre les douleurs chroniques, les tremblements de la maladie de parkinson, les douleurs de la sclérose en plaques, la progression de la maladie d’Alzheimer, le glaucome, ainsi que la dépression. Le cannabis pourrait même aider à lutter contre le cancer : il réduirait les effets secondaires de la chimiothérapie et aurait des propriétés anticancer. Sa légalisation pourrait alors paraître évidente, mais nombreux sont ceux qui s’en méfient encore. Rassurez-vous, ceux qui pourraient l’être pour de bonnes raisons, à savoir les scientifiques, sont en grande partie favorable à son expérimentation. C’est d’ailleurs le comité créé par l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament) qui a réclamé son expérimentation en France. Espérons que si l’expérience se révèle concluante, l’Etat saura admettre la réalité et s’appliquer à mettre en place des mesures qui y sont adaptées.

Légaliser, c’est mieux pour l’économie ?

Est-ce que vous avez idée de la fortune que représente la politique (inefficace) de répression ?

Prenez un trou béant dans les moyens de la sécurité intérieure. Ajoutez-y quelques belles cuillérées de policiers qui relèvent les infractions liées au cannabis ; vous savez, ceux qui manquent pour protéger les victimes d’agression, ou ceux qui manquent pour mieux lutter contre le terrorisme. Entre 2014 et 2015, 56% des infractions révélées par les forces de l’ordre étaient liées aux stupéfiants, dont 85% pour usage simple. Versez un grand bol de frais de détention : un prisonnier coûte environ 100€ par jour à l’Etat, et les infractions liées aux stupéfiants concernent près de 15% des détenus. Détenus qui, pour 60% d’entre eux, sont condamnés pour usage simple. (Observatoire international des prisons). Ce sont donc des fumeurs de beuh qui viennent aggraver la désastreuse surpopulation carcérale. Il ne faut pas vider les prisons, me répondrez-vous, il faut en construire d’autres ! Très bien, ajoutez donc à votre mixture environ 106 smic par place de prison que vous voulez construire. Rajoutez une poignée de procédures judiciaires et une grosse pincée de procédures pénales, pour bien encombrer les tribunaux et surcharger la justice. Mélangez bien, votre pâte gluante coûte 500 millions d’euros par an. Passez le tout au four, thermostat 8, pendant 50 bonnes années, et ressortissez-en un échec cuisant.

Mélangez bien, votre pâte gluante coûte 500 millions d’euros par an.

Pour cacher le cramé, recouvrez-le d’un glaçage au chocolat et de quelques amandes effilées pour arranger la misère. C’est ce que fait Gérald Darmanin. Ses amendes, elles, sont forfaitaires, et tout à fait inefficaces. Plusieurs personnalités, addictologues et associations ont élevé la voix contre cette mesure, comme Médecins du monde et la Ligue des droits de l’homme (LDH), qui ont déploré dans un Livre blanc l’« impasse » d’une mesure qui privilégie une réponse répressive plutôt que sanitaire. Elles dénoncent notamment un coût exorbitant pour les dépenses publiques, une dégradation de l’accès à la santé et à la prévention, des libertés bafouées, le non-respect des droits et la persistance des pratiques discriminatoires. 

Cette nouvelle mesure ne serait donc pas à la hauteur face à la quantité astronomique de Français qui consomment du cannabis : Selon une enquête de OFDT, on compterait dans la population âgée de 11 à 64 ans presque 17 millions de Français ayant expérimenté le cannabis. Parmi eux, 5 millions en consomment une fois dans l’année, et 700 000 tous les jours.

Ces chiffres font de la France le plus gros marché de cannabis en Europe. Qu’est-ce qu’on fait de ce marché ? On le laisse aux trafiquants ?

Ces chiffres font de la France le plus gros marché de cannabis en Europe. Qu’est-ce qu’on fait de ce marché ? On le laisse aux trafiquants ? C’est ce que l’Etat s’entête à faire depuis 1970. Sans vouloir déranger les trafiquants et criminels, je me permets de m’interroger sur la raison pour laquelle les entreprises légales, ou l’Etat, ne pourraient pas supplanter ce réseau dangereux, et ainsi faire tourner l’économie française qui en aurait bien besoin. J’ai entendu, déconcertée et déconcertée de ne pas en être surprise, qu’il était inacceptable de créer un marché du cannabis en France, parce que le cannabis, c’est pas bien. Premièrement, nous égarer dans des déblatérations sur le bien-fondé de l’existence de la plante sur terre et sa consommation par nombre de nos concitoyens ne mènera à rien. Deuxièmement, Il ne s’agit pas de mettre en place un marché du cannabis. Il s’agit de reprendre le contrôle sur celui qui existe déjà.  Je connais pourtant 80 députés Républicains qui ne sont pas du tout convaincus par ce plan. «Il faut vraiment être naïf pour croire que les réseaux criminels vont se laisser si facilement enlever les gains immenses du trafic de cannabis. », déclarent-ils. En effet, supplanter le trafic de drogue, enraciné depuis des années, en particulier dans ce qu’on appelle « les cités sensibles », est une tâche longue et difficile, mais elle en vaut le coup. Si le coût du cannabis légal est plus bas que celui des dealers, les usagers s’orienteront, par pure mécanique économique, vers le cannabis légal. Or, selon une étude de Terra Nova, un monopole légal en France rapporterait à l’Etat environ 1.8 milliards d’euros, soit environ le budget Français pour l’immigration, l’asile et l’intégration en 2020.

Mais Marlène Schiappa ne veut pas vendre de cannabis, parce que « la consommation de cannabis ça finance la traite d’êtres humains, ça finance les trafics de drogues plus dures et ça finance aussi partiellement le terrorisme ». Les choses illégales financent d’autres choses illégales, bravo. C’est pour cette raison que nombreux sont les consommateurs qui n’attendent que la légalisation, car engraisser le trafic illégal et potentiellement dangereux ne fait pas leur joie. La preuve : depuis qu’il est possible pour les Néerlandais d’acheter du cannabis légalement, près de 90% d’entre eux le font. Une seule solution pour couper les vivres aux réseaux de trafiquants, donc : ne plus obliger les consommateurs français à les financer. C’est bien pour cette raison que la plupart des dealers, apparemment plus lucides que certains politiques, sont contre la légalisation du cannabis. Perdre le marché français du cannabis ferait couler leur commerce et n’attirerait plus de nouvelles recrues dans leur Titanic. Pourtant, le Titanic fait aujourd’hui belle figure, et attire de nombreux jeunes qui ont plus intérêt à faire « de l’argent facile » que d’étudier. C’est en partie ce trafic qui provoque l’insécurité des quartiers, contre laquelle prétend lutter la nouvelle mesure d’amendes forfaitaires peu convaincante. Légaliser, au contraire, c’est avoir la lucidité de regarder la situation dans les yeux, et de prendre les mesures qui répondent à ce qu’est la réalité et non pas à ce qu’on voudrait qu’elle soit. Légaliser, c’est reprendre le contrôle sur ce vaste marché (à peine) sous-terrain qui étend ses griffes là où on les attend le moins et gangrène les cités.

Légaliser pour mieux lutter contre les drogues dures ?

Nos mêmes élus LR s’insurgent : « L’expression d’’usage récréatif’ est scandaleuse quand on parle de drogue, surtout quand on sait que pratiquement 100% des consommateurs d’héroïne ou de cocaïne ont commencé par le cannabis. » En effet, 96% de ceux qui consomment ces drogues ont déjà consommé du cannabis. Mais l’inverse n’est pas vrai pour autant. 100% des fumeurs de cannabis ne passent pas aux drogues dures.  La logique est biaisée : de la même manière, 100% des gagnants au loto y ont joué. Et pourtant, je ne vous promets pas les millions si vous y jouez demain. De la même manière, 97% de ceux qui ont consommé de la marijuana ont déjà consommé de l’alcool. Et pourtant, il vous est peu donné de voir vos grands-parents se rouler un joint après leur verre de vin.

Donc à ceux qui prétendent que « Le cannabis conduit à la coke !», félicitations, vous avancez un argument en faveur de la légalisation.

En fait, le cannabis est souvent une passerelle entre la consommation d’alcool et la consommation de drogues dures. C’est souvent la consommation d’alcool qui initie les consommateurs au cannabis, puis aux autres drogues. Mais si le cannabis ne crée pas le besoin de consommer des drogues dures, pourquoi 60% de ceux qui consomment du cannabis vont vers les drogues dures ? Parce que ce sont les drogues dures qui viennent à eux. Pourquoi ? Parce que les dealers auxquels ils achètent leur cannabis leur proposent d’autres drogues, ce qui n’arriverait pas s’ils achetaient leur cannabis dans des magasins réglementés.  Donc à ceux qui prétendent que « Le cannabis conduit à la coke !», félicitations, vous avancez un argument en faveur de la légalisation.

Marlène Schiappa me répondrait, comme sur le plateau de Bourdin direct, que les drogues dures avanceront leurs griffes menaçantes vers nos jeunes, car les dealers qui aujourd’hui vendent du cannabis vendront demain de l’héroïne. Dommage, c’est très peu probable. Petit cours d’économie : c’est la demande qui fait l’offre, rarement l’inverse. C’est parce qu’il y a une demande en cannabis que les dealers vendent du cannabis. Il y a beaucoup moins de demande de drogues dures, donc il y a beaucoup moins d’offre, de trafic, de dealers. Et non, les jeunes ne se tourneront probablement pas vers les drogues dures par goût de l’interdit. L’interdit attire lorsqu’il est déjà banalisé. Ce n’est pas le cas des drogues dures, qui évoquent largement plus l’image du junkie dans le caniveau que celle du mec badass. Si l’interdit attirait tant, la grande mode serait aux braquages et aux meurtres. Pas si courant dans la cour de récré, si ? S’il y avait une possibilité de créer un marché de drogues dures conséquent, croyez-moi, il existerait déjà.

L’auteur

Domitille Viel

Que passe le temps des bougies

Et si l’heure n’était plus aux marches blanches et aux bougies ? Plaidoyer pour l’action face à l’horreur.

« Pour que le mal triomphe seule suffit l’inaction des hommes de bien » E. BURKE

Comment avons-nous pu être aussi aveugles ? Aussi naïfs ? Comment avons-nous pu croire une seule seconde que nous allions arriver à abattre l’islamisme à travers l’inaction ? Ce texte ne sera pas de ceux qui appellent à l’espoir et à la réconciliation. Car nous avons porté des œillères trop longtemps ; trop longtemps pour croire que nous allions régler le problème à grands coups de vivre ensemble et de lois contre le séparatisme. Nous ne céderons rien. Jamais nous ne nous résoudrons à cohabiter avec la barbarie, jamais nous ne tolérerons les effusions de sang aux noms d’idées, quelles qu’elles soient. Laissons la pourriture sociétale hurler dans son caniveau relativiste « Il ne ne faut pas chercher la provocation !», «Pas d’amalgame », « Vous n’aurez pas notre haine », « Je condamne fermement ». Rangez vos bouquets de fleurs, vos bons sentiments et vos larmes virtuelles. Vous ne saisissez pas que vous passez complètement à côté de ce qui se joue juste devant vos yeux.  Ils n’auront pas votre haine ? On en est là ? Il faut quoi pour avoir votre haine alors ? Qu’on rassemble une foule de « mécréants » au Vel d’Hiv pour les déporter ? Nous ils ont notre haine, ils ont notre colère, et sans cette colère nous n’arriverons jamais à nous débarrasser d’eux.

Ce texte ne sera pas de ceux qui appellent à l’espoir et à la réconciliation.

 Le temps n’est plus aux marches blanches et aux bougies. On n’a pas chassé les nazis de France avec des hashtags et des discours plats. Car oui les islamistes sont comparables aux nazis : totalitaires, violents, obscurantistes, conquérants, etc. Quant à la division, la seule qui existe aujourd’hui, et qu’il est important d’établir clairement, est entre ceux qui veulent vivre en France selon nos lois, et ceux qui veulent voir mourir l’idée d’une France libre. Et ces derniers n’ont rien à faire en France ; rien.

Nos adolescences nous ont presque habitués à voir chaque année un nouvel attentat, et chaque année les mêmes réponses plates qui ne répondent en rien au problème. Combien d’autres enfants, femmes, hommes, journalistes, policiers, professeurs, prêtres, devront encore mourir à cause de notre couardise devant l’action ? La gesticulation et l’illusion d’action politique a fait son temps.

Les islamistes sont comparables aux nazis.

A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Car cela en est bien une, de situation exceptionnelle. Faisons un rapide résumé : parcequ’un professeur d’histoire au collège a donné un cours sur la liberté d’expression en utilisant des illustrations de Charlie hebdo, il a été la victime d’une cabale regroupant parents d’élèves musulmans, imams, associations musulmanes et fonctionnaires de l’éducation nationale. On a divulgué ses informations sur internet, sa hiérarchie a refusé de le soutenir, on l’a accusé d’islamophobie. Les mêmes qui étaient tués en 2015 pour avoir montré des caricatures le sont encore aujourd’hui. Nous n’avons rien réglé.

Alors maintenant l’heure est aux actes. La liberté est un combat, un combat féroce, où les forces idéologiques finiront de toute façon pour s’éclater les unes contre les autres dans un vacarme terrifiant, quoi que vous y fassiez. Ainsi vont les conflits, vous ne faites que retarder l’inévitable avec vos belles paroles larmoyantes. Plus nous attendons, plus nous prenons le risque que cet affrontement nécessaire ne dégénère en un grand charnier national. Mais je suis bon prince, je vous laisserai aller en première ligne pour tenter de négocier, il me tarde de voir la prise de conscience soudaine de vos beaux esprits « humanistes » avec un canon au fond de la trachée. Allez combattre avec vos crayons et votre « amour universel ». On ne combat pas le barbarisme le plus brutal avec des idées, des mots, encore moins des fleurs ou des grands plans sociaux et urbains. On le démembre, on le brise mentalement et physiquement. On fait bloc, et pas uniquement sur les plateaux télé en mimant un air sombre et sérieux.  

Il me tarde de voir la prise de conscience soudaine de vos beaux esprits « humanistes » avec un canon au fond de la trachée.

Il est impératif de réaffirmer le principe de la liberté d’expression dans l’éducation nationale à travers la diffusion de ces caricatures dans les salles de classes dès cette semaine prochaine. Tous les élèves et parents qui trouveraient cela « islamophobe » sont invités à aller trouver un pays qui pratique encore le délit de blasphème pour y élire résidence. L’éducation républicaine c’est aussi l’apprentissage de la transgression, historiquement si chère à la gauche, que celle-ci soit sociétale, littéraire, philosophique ou religieuse. Apprendre à remettre en question nos croyances et l’objet de nos cultes, de la religion jusqu’à l’objet républicain, voilà le premier des impératifs pour une société apaisée. Il est également impératif de rendre illégales toutes les associations musulmanes présentant, selon les renseignements français, des liens de près ou de loin avec l’islamisme et notamment les Frères Musulmans. Il est impératif de s’assurer de la mise en place pour les juges de lignes directrices sur la détermination des peines encourues par les terroristes et leurs complices (à défaut de la peine de mort, les terroristes islamistes doivent passer le reste de leurs jours en prison). Il est urgent de s’assurer que l’islam en France ne tombe pas sous la seule influence de mouvements radicaux ; il est donc impératif d’établir le CFCM comme le seul représentant légitime des musulmans en France.

Les islamistes ne peuvent, pour une grande partie, pas être sauvés. Notre incapacité à agir vient du fait qu’il existe une telle faille entre nos esprits occidentaux modernes et les leurs que nous ne sommes pas à même de saisir les ressorts de ressentiment qui motivent leurs actions brutales. La question n’est pas la caricature religieuse, elle est bien plus englobante. C’est tout notre mode de vie qui est à l’origine de cette frustration, s’incarnant dans l’égorgement brutal et moyenâgeux comme outils de désinhibition. Céder sur notre droit à moquer les religions et leur prophète c’est petit à petit grignoter nos libertés constitutives. Nous devons refuser de cohabiter avec un système religieux ayant 500 ans de retard, sur le corps, la science, l’amour et la compréhension de l’homme. Vos petites bougies, vos drapeaux aux balcons et vos envolées lyriques sur la réaffirmation du principe de laïcité ne sont d’aucune utilité face au froid glacial d’une lame tenue par un individu dont le sentiment tribal se résume à la pensée suivante : « Toute critique de mon système de valeur est intolérable, je me dois de défendre mes croyances et si je meurs c’est en martyr, avec l’âme en paix. » On ne résonne pas la barbarie, on ne discute pas avec la pulsion vengeresse. Tout comme aucun violeur multirécidiviste n’a jamais pris subitement conscience de son comportement devant un collage féministe, aucune manifestation, aucune bougie, ne retiendra la lame de l’islamisme de trancher la jugulaire républicaine. 

Les auteurs

Etienne Le Reun

Maxime Feyssac