Pourquoi la droite ne séduit plus

Ce qu’il manque à la droite en France, cette droite poussiéreuse et timorée.

Voilà ce qu’il manque à la droite, un idéal qui ne soit pas seulement constitué de quelques paillettes poétiques au parfum 《France éternelle》sur un ensemble bien trop rébarbatif et convenu (sécurité, méritocratie, travail…). Ce manque d’audace me révulse.

Rêver, ce mot qui hérisse l’épiderme de tout bon conservateur, sauf bien entendu si ce rêve se contente d’être un songe nostalgique, encadré et polishé. Une douce idéalisation d’un passé révolu, voilà tout ce qu’accepte le conservateur. Son esprit ne veut – ou ne peut – concevoir un idéal nouveau qui fuirait les chaînes du passé pour embrasser l’incertitude de l’avenir. Que l’on ne s’y méprenne pas, l’idéal réactionnaire (au sens noble du terme), celui du retour à une France d’antan, est un rêve compréhensible – et même à certains égards séduisant-, mais plus encore que l’utopie révolutionnaire, celui-ci ne peut aboutir. Le conservateur veut contraindre le temps. Il veut rebrousser chemin sans se douter que le pont de l’histoire ne peut être franchi qu’une seule fois. Le conservateur, comme le révolutionnaire, est un nihiliste. Le premier veut remonter le temps, le second voudrait l’accélérer et le modeler, tous deux refusent d’observer l’époque telle qu’elle se contente d’être.

Ils pensent à ce qui n’est pas et devrait advenir, ces grands juges des époques et des hommes !

L’idéal conservateur est pourtant d’une infinie puissance, car, contrairement à l’utopie révolutionnaire, son projet fut. Il en conserve traces et vestiges. Et lui pense que ce qui fut peut renaître. Voilà toute la mystique de cet homme. Dégoûté de son époque, du temps qui court, il s’accroche aux piliers de la France éternelle comme l’enfant suspendu à la jambe de sa mère. Mais, pris par l’intensité de cette étreinte passionnelle, il ne voit plus. Il refuse de comprendre que son étreinte, aussi douce soit-elle, le fait passer à côté du temps et de l’époque.

Je vous parle d’emporter les foules par une vision d’une société meilleure, vous me renvoyez à gauche. Quel aveu d’impuissance.

Voilà ce qu’il manque à la droite, un idéal qui ne soit pas seulement constitué de quelques paillettes poétiques au parfum 《France éternelle》sur un ensemble bien trop rébarbatif et convenu (sécurité, méritocratie, travail…). Ce manque d’audace me révulse. Je vous parle d’un rêve, vous me répondez au mieux, par feinte et frilosité, « innovation, technologie, économie… ». Je vous parle d’emporter les foules par une vision d’une société meilleure, vous me renvoyez à gauche. Quel aveu d’impuissance. La droite serait donc incapable de proposer un idéal qui s’éloigne des digues convenues du conservatisme sans pour autant prendre peur de tomber dans le ravin du nihilisme égalitariste de gauche ? 《Le rêve c’est la gauche, nous on fait pas dans l’utopie! », voilà tout ce que l’on trouve à me répondre. Hérésie, tragique aveu de faiblesse ! La droite entend vouloir mener un combat culturel, métapolitique me souffle-t-on à l’oreille, mais joue les petits bras au moment même où s’ouvrent les grilles de l’arène intellectuelle. Préférant rebrousser chemin vers une France convenue que de combattre pour un idéal digne de ce nom. La vérité nous la connaissons, la droite française ne pense plus depuis le 20ème siècle, elle se contente de réagir et de s’opposer tout en répétant les mêmes poncifs quasi millénaires.

La droite doit choquer, car c’est son essence même.

J’entends certains me répondre《 La droite est conservatrice par essence ! , douce folie ! Historiquement c’est certain la droite est conservatrice, encore aujourd’hui elle sait conserver, mais la réduire à ce trait de caractère c’est signer son arrêt de mort. Trop souvent le conservateur se camoufle derrière ses illusions pour ne pas passer pour ce qu’il est en réalité, un être tristement passéiste, dénué de toute imagination et profondément timoré. Bien trop souvent la droite se réfugie derrière son conservatisme pour ne pas avoir à proposer un idéal politique autre que son grand bond en arrière et son langage technocratique. Radicale, voilà un trait politique qui correspond nettement mieux à ce qu’est l’essence philosophique de la droite Française. Cette radicalité, c’est celle des idées sans concession, c’est l’audace du verbe, la plume combattante, quoi qu’il en coûte, par-delà la morale sociétale, bousculant sans hésiter la « bienséance », mettant toujours en doute la modernité et ses discours séduisants en les faisant passer par l’épreuve du réel. La droite doit choquer, car c’est son essence même. De Baudelaire à Aron, toujours cette même radicalité, ce refus des évidences, cette poésie succulemment humaine et affranchie, voilà sa constance. La droite moderne est asservie, domptée par une aristocratie bien assise le derrière dans la soie, cette droite ne pourra jamais retrouver son essence, elle se contentera d’être « conservatrice », soumise qu’elle-est à la socio-culture ambiante.

La droite devrait refuser le nihilisme, car elle exècre ceux qui préfère parler de ce qui devrait être plutôt que ce qui est, elle doit être libérale, car follement amoureuse de l’homme libre jusque dans ses dérives, elle doit aussi rester politique, avec l’ensemble des thèmes classiques (et poussiéreux) que cela suppose : travail, ordre, mérite, grandeur…Mais elle doit par-dessus tout se mettre à la recherche d’un idéal civilisationnel et humain, elle doit réapprendre à se perdre dans les méandres de l’esprit, oser aller sur les terres intellectuelles de la gauche et combattre l’adversaire sur son propre terrain sans répéter les mêmes poncifs importés directement de l’alt-right américaine. J’entends souvent, dans les cercles intellectuels de droite, ce fameux argument d’une gauche qui « n’accepterait pas le débat ! », mais rien d’étonnant à la lueur de la qualité de l’argumentation invoquée, un condensé de sophismes et de raccourcis idéologiques sur fond d’importation idéologique américain. La droite qui ose est combattante, elle écrit, elle pense et compose. Elle se refuse à n’être qu’une force politique passéiste, se cachant derrière des formules vides telles qu’une supposée « politique de proximité », le fameux « attachement républicain », ou le triptyque « égalité, liberté, fraternité », autant de formules d’un humanisme de bon aloi, écope du Titanic, qui ne dérange rien et dont chacun fait, au fond, bien ce qu’il veut.

Riez de leur malheur car quiconque a côtoyé la jeunesse de droite saisit aisément qu’il n’existe manifestement et malheureusement pas d’esprits plus convenus et désespérément plats.

On dit que s’en prendre à ceux qu’on aime, c’est garder l’espoir de les rendre meilleurs. J’aime la droite dans la constance qu’elle incarne, dans sa mystique campagnarde et historique, dans sa droiture morale, mais le temps n’est plus à l’autofélicitation. Le temps est à l’action lucide, au renouveau. Aussi, regardez-les lorgner sur la moindre petite goutte de fraîcheur et d’idéal qu’ils pensent voir s’incarner dans la jeunesse. Observez-les tenter péniblement d’amasser de jeunes militants dans leurs réunions d’antiquaires. Riez de leur malheur car quiconque a côtoyé la jeunesse de droite saisit aisément qu’il n’existe manifestement et malheureusement pas d’esprits plus convenus et désespérément plats. Le mimétisme culturel et idéologique, voilà tout ce qui les gouverne, aucune étincelle ne jaillit de ces esprits interchangeables et avides de situations. La droite rêve de la jeunesse subversive qui lui donnerait l’impulsion d’idéal qu’elle implore, mais la jeunesse de droite rêve de constance et d’ordre établi ; quelle boucle tragique ! Je rêve de ces esprits dont Péguy faisait partie, résolument conservateurs, mais que la vie aurait doté d’une puissance créative et de la capacité de divagation intellectuelle, formule de base de l’idéal, perce-neige au milieu de la banquise.  

Une fois l’adversaire défait, l’absence d’idéal politique et d’audace civilisationnelle sera tragiquement visible.

La droite française est une immense comédie. Elle sait pertinemment que ce manque d’audace, d’incarnation, pour faire court de rayonnement captivant, lui nuit. Elle se débat dans cet océan de convenance, plat et sans saveur, elle recycle et ne fait que cela. Elle ne réfléchit plus, et quand elle s’essaye péniblement à la confection d’idées, elle ne parvient pas à sortir du prisme de son conservatisme. Pire, elle s’accommode volontiers de cette odeur de ranci. Tellement avide du combat culturel qu’elle a elle-même déserté avant même de croiser le fer, elle s’érige, seule et de son plein gré, en victime de l’ordre établi dans une immense comédie victimaire. Cherchant par tous les moyens cette adrénaline, la droite la plus conformiste et poussiéreuse du monde cherche à se refaire une virginité à grands coups de «réinformation », « politiquement correct », « résistance », «idéologie dominante », «monopole idéologique»…Autant de sophismes pour camoufler son classicisme et son absence d’idéal. Don Quichotte réactionnaire avec la gauche pour moulin.

À défaut d’un véritable idéal politique, la droite française se contente de s’ériger en adversaire du « progressisme ». Soit. Mais se définir contre ne suffira pas. Une fois l’adversaire défait, l’absence d’idéal politique et d’audace civilisationnelle sera tragiquement visible. La politique doit toucher le cœur et faire vibrer les âmes, elle doit être passionnelle et brûlante.

Je reproche à cette droite « tiède » de ne pas être capable de mettre sur pied un idéal sociétal par peur d’entrer en concurrence directe avec le projet utopiste de la gauche postmoderne. Comme si « idéal », « nouveau paradigme », « subversivité » étaient des termes exclusivement assignés au projet révolutionnaire, comme s’il était impossible de faire rêver tout en gardant les sous-bassement philosophiques d’une droite forte que sont la pérennité culturelle et la stabilité sociale. « Une autre société » n’est pas synonyme de collectivisme égalitaire. Voilà la pierre angulaire de la conquête idéologique de la gauche en France sur le 20ème siècle, avoir castré la capacité d’abstraction philosophique de la droite en privatisant « l’idéal ». Cette dernière s’étant alors résolue à ronger l’os du passé, feignant la satisfaction, jusqu’à sa mort.

La gauche est puissante dans les esprits, car malgré ses nombreux défauts, elle n’a pas déserté le terrain des idées.

La gauche n’a pas le monopole de l’idéal. Aujourd’hui, nombre de mes camarades s’étonnent de « l’influence des idées de gauche en France ». Crédules créatures, découvrant la plus puissante des propagandes, le philtre d’amour politique par excellence, l’alpha et l’oméga de la grande mascarade politique : le rêve. La gauche est puissante dans les esprits, car malgré ses nombreux défauts, elle n’a pas déserté le terrain des idées. Pire, elle y règne en maître depuis la débâcle de la droite au 20ème siècle. Par pitié, ne m’opposez pas le si classique « la droite aussi produit des idées !», vous savez aussi bien que moi que non. La droite ne produit plus d’idées, au pire elle repeint de vieux poncifs technocratiques, au mieux elle importe directement les discours des Républicains d’outre-atlantique. « Libéraliser l’économie », « reformer le tissu social », « renforcer le socle républicain », bien que chargés de bonnes intentions, assumez que ces poncifs ne font plus rêver personne depuis trois générations. 

La droite doit rester ce qu’elle est, garder son lien intime avec le réel et sa méfiance vis-à-vis des utopies, mais elle doit aussi apprendre à viser les cœurs au point de les faire battre en proposant plus que sa boucle « sécurité, mérite, ordre, identité ». Cette droite timorée face à l’avenir, ayant oublié sa tradition philosophique radicale et n’invoquant les esprits du passé que pour cacher son absence d’audace prospective, court le risque de sa propre disparition.

L’auteur

Etienne Le Reun

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Le cannabis et l’impasse conservatrice [1]- la dépénalisation

1ère partie : la dépénalisation

Le texte suivant est la première partie d’un article en deux volets portant sur la dépénalisation et la légalisation du cannabis en France, rédigés par Maxime Feyssac et Domitille Viel.

« La marijuana est probablement la drogue la plus dangereuse aux Etats-Unis aujourd’hui » nous disait ce cher Ronald Reagan dans les années 80. Lui, ainsi que son épouse Nancy Reagan, sont devenus au fil des années les figures emblématiques du mouvement anti-drogue conservateur américain. Ils ont notamment grandement influencé la position conservatrice française concernant le cannabis. Si bien qu’aujourd’hui il est difficile de trouver une personnalité française de droite favorable à une dépénalisation, ou pire, à une légalisation. Même Valérie Pécresse, incarnant pour beaucoup cette droite molle proche du centre, avait pris la tête d’une large campagne anti-cannabis à l’occasion de sa campagne pour les élections régionales. Elle avait par exemple l’intention, suite à son arrivée au poste de Présidente de la région Ile-de-France,  de mettre en place des tests salivaires de dépistage de consommation de cannabis dans les lycées d’Ile-de-France. Depuis, et après l’arrestation de son propre fils pour possession de cannabis, elle semble cependant s’orienter vers une sorte de dépénalisation « soft », tout en restant favorable à une amende forfaitaire. Qu’en est-il des autres personnalités plus à droite ? Voici un petit échantillon de politiques « conservateurs » se déclarant ouvertement contre la dépénalisation : Jean-François Copé, François Fillon, Alain Juppé, Bruno Le Maire, Nicolas Sarkozy, Henry Guaino, Jean-Frédéric Poisson, ou encore Marine Le Pen.

Sauf que là où la droite française est restée bloquée dans les années Reagan, la droite américaine, elle, a opté pour un nouvel angle d’attaque. En effet, en adoptant une attitude libertarienne qui place la propriété privée et la liberté individuelle comme valeurs quasi-sacrées, de nombreuses personnalités conservatrices américaines se sont déclarées en faveur d’une dépénalisation du cannabis. 45% des républicains américains se disent ainsi aujourd’hui en faveur de la légalisation de la marijuana. C’est par exemple le cas de Ben Shapiro, juif orthodoxe placé à l’extrême droite du paysage politique étatsunien et éditeur en chef du média ultra-conservateur The Daily Wire. Dans l’une de ses nombreuses conférences disponibles sur YouTube, il déclarait « Je suis libertarien quand il s’agit d’herbe […] Je suis pour la dépénalisation du cannabis, même si je trouve que les gens qui fument de l’herbe sont des loosers … ».

Si on peut, d’une part, expliquer cette prise de position étonnante par la tradition anti-fédéraliste américaine qui se montre méfiante envers toute politique implémentée de force au niveau fédéral (qui ne laisse pas le choix aux Etats, donc), on peut néanmoins observer un véritable changement des mentalités conservatrices américaines concernant la légitimité d’une loi qui empêcherait les individus de consommer du cannabis. Mais alors, comment se fait-il qu’en France nous ayons tant de retard sur le sujet ? Tâchons d’examiner les différents types d’arguments qui s’opposent à la dépénalisation du cannabis. Nous n’aborderons ici même pas la question de la légalisation, qui apporte tout un tas d’autres questions, notamment concernant le commerce de la marijuana. Il sera ici uniquement question de culture, possession et consommation de cannabis.

L’argument de la santé : une herbe toxique ?

Il est littéralement impossible de faire une overdose de cannabis.

L’argument le plus souvent entendu est bien-sûr celui de l’impact du cannabis, et plus particulièrement du THC, sur la santé des consommateurs. Mais quel est donc cet impact en question ? Outre le fait qu’il est littéralement impossible de faire une overdose de cannabis (il faudrait consommer approximativement 680kg de cannabis en 15 minutes [bon courage]), les soi-disant « effets néfastes » avancés sont bien souvent des exagérations, quand ils ne sont pas tout simplement des mensonges.

Afin d’être le plus objectif possible, appuyons nous sur le rapport de 440 pages rédigé par The National Academies of Sciences, Engineering and Medecine, et publié en janvier 2020, qui regroupe plus de 10 700 études publiées depuis 1999 sur les effets du cannabis sur la santé. Le risque principal est lié à la conduite suite à une prise de dose de THC (même si le risque d’accident reste 10 fois moins élevé que sous l’emprise de l’alcool). En revanche le rapport indique qu’il n’existe pas de lien de cause à effet entre la consommation de cannabis et l’apparition de cancer (sauf ceux du poumon, au même titre que le tabac), d’accidents cardiaques, et de déficience immunitaire. Si des pertes de mémoire à court terme peuvent être observées, la consommation de cannabis n’affecte pas la mémoire sur le long terme tant que la consommation en question reste relativement raisonnée (dans le cas d’une consommation excessive, des pertes de mémoires sont observées, mais c’est aussi le cas avec l’alcool).  Le rapport ajoute que si la prise de cannabis peut révéler la présence de troubles de l’ordre mental chez le consommateur, la prise en question n’est pas à l’origine de ce trouble. Dans le cas de la schizophrénie par exemple, le nombre de personnes atteintes par la maladie à l’échelle nationale reste relativement stable, tandis que le nombre de consommateurs de cannabis a considérablement augmenté. Le rapport indique par ailleurs que le cannabis thérapeutique se révèle clairement efficace contre les douleurs chroniques chez l’adulte, contre l’épilepsie, contre les effets secondaires de la chimiothérapie, et contre la sclérose en plaque.

L’alcool, le tabac et même le café sont à l’origine de beaucoup plus de morts et d’accidents chaque année.

Dès lors, on peut raisonnablement avancer que l’argument de la santé n’est pas un argument valable contre la dépénalisation du cannabis ; ou alors nous devrions employer le même argument pour interdire l’alcool, le tabac et même le café, qui sont à l’origine de beaucoup plus de morts et d’accidents chaque année.

La responsabilité de la culture du cannabis dans les troubles à l’ordre public.

Un excellent motif semble (à première vue) être le trouble à l’ordre public. Après tout, si quelque chose porte atteinte à la sécurité, à la salubrité et à la tranquillité des Français, il convient en effet de l’interdire. Mais voilà le hic : la consommation de cannabis ne porte pas atteinte à l’ordre public, ou du moins pas plus qu’une autre drogue. L’effet direct du cannabis sur le comportement ne pousse en effet pas à la violence ou au coma, comme c’est le cas de l’alcool. Au contraire, vous m’accorderez que le fumeur lambda de cannabis tient plus du légume que du criminel surexcité.

Cependant il est vrai que le trafic de cannabis, lui, est vecteur de nombreux troubles à l’ordre public : marché noir, violence, racket, subvention de groupes armés, du terrorisme, corruption, etc. Mais ces effets ne sont pas le résultat de la prise de cannabis en soi, mais de la prohibition de ce dernier. Sans aller jusqu’à parler de légalisation, on peut raisonnablement penser qu’autoriser la culture et la possession de cannabis endiguerait ce trafic, puisqu’un bon nombre de consommateurs n’auraient plus besoin de financer une ribambelle d’individus peu recommandables.

La croyance populaire infondée d’une « drogue étrangère ».

Un autre argument que l’on entend souvent est celui de la culture : car le cannabis serait une drogue étrangère au patrimoine français, elle n’aurait pas sa place sur le territoire. C’est un argument qui se défend déjà plus que les deux précédents. Mais ce n’est toujours pas un argument implacable.

Pour commencer, quelque chose qui m’a toujours étonné est la tendance qu’ont certains Français à appeler « drogues » seulement les substances qui sont illégales ou étrangères : le cannabis, la cocaïne seraient des drogues, tandis que l’alcool et le tabac seraient des produits du terroir. Mais qu’on soit très clair : l’alcool et le tabac sont des drogues, au même titre que le cannabis. La légalité ne définit pas une drogue ; une drogue est un produit qui, d’une part, modifie le comportement, et d’autre part, provoque l’accoutumance.

Les Français sont donc bel et bien les premiers consommateurs d’Europe.

De plus, il serait une erreur de penser que la culture du cannabis est étrangère à notre patrimoine et à notre histoire. On pourrait tout d’abord faire remarquer que la consommation de cannabis des Français prouve que cette drogue est aujourd’hui bien ancrée dans notre culture. En France, la consommation de cannabis représente 80% de la consommation de drogue en général, soit 3,9 millions de consommateurs (dont 1,2 million de consommateurs réguliers). A l’âge de 16 ans, les Français sont donc bel et bien les premiers consommateurs d’Europe.

Mais tout bon conservateur qui se respecte me rétorquera que la tradition prime sur le progrès, et qu’il ne s’agit pas là d’un réel argument ; par exemple si demain tous les Français se mettent à consommer de la kétamine (un anesthésiant pour chevaux), ce n’est pas pour autant qu’il faudra légaliser la kétamine.

La première Bible imprimée par Gutenberg le fut ainsi sur du papier de chanvre.

Soit ; sauf que le cannabis, et plus particulièrement le chanvre, pousse depuis longtemps sur notre belle terre de France. Le chanvre fut cultivé par les Hommes dès le néolithique, et constitua une part importante de la production agricole française, notamment au 17ème siècle ; en 1661, Colbert fit construire la Corderie royale de Rochefort pour pouvoir fabriquer en France les cordages des navires. Le chanvre faisait partie de la culture populaire, allant jusqu’à être représenté dans les Fables de la Fontaine (« L’hirondelle et les petits oiseaux »). François Rabelais, dans son Tiers Livre décrit par exemple une plante  « merveilleuse » qui ressemble à s’y méprendre au chanvre : le Pantagruélion. La première Bible imprimée par Gutenberg le fut ainsi sur du papier de chanvre. Le chanvre connu son apogée au milieu du XIXe siècle (176 000 ha cultivés en France) ; à la même époque le cannabis était déjà utilisé en Occident pour ses vertus médicinales, sous forme de teinture (un extrait alcoolique). En 1844, Théophile Gautier et le docteur Jacques-Joseph Moreau fondèrent le club des Hashischins, destiné à l’étude du cannabis ; il sera fréquenté par de nombreux artistes français. Le chanvre a toutefois été fortement réglementé et même interdit au cours du XXe siècle, en raison de ses propriétés psychotropes. La culture du chanvre agricole connut cependant un rebond dans les années 70, lié à l’augmentation du prix du pétrole. Cet héritage est encore présent dans de nombreuses régions de France, notamment dans les Pays de la Loire, où se tient chaque année le festival De fibres en musique. Il s’agit d’une manifestation culturelle angevine qui a lieu chaque année au mois d’août à Montjean-sur-Loire, en Maine-et-Loire, avec au programme la découverte des gestes traditionnels d’anciens métiers du chanvre.

Etant moi-même Angevin, je me rappelle distinctement avoir observé dès mon plus jeune âge des champs de chanvre au cours de balades dominicales en Anjou, mais également dans le Saumurois.

Propriété et liberté bafouées : le non-sens de la posture conservatrice.

Enfin je souhaiterais aborder ce qui s’apparente pour moi à une incohérence dans la pensée de nombreux conservateurs et libéraux : le non-respect de la propriété privée et de la liberté individuelle. Si on peut établir que le cannabis n’est pas si dangereux pour la santé qu’on voudrait nous faire croire, s’il apparait que sa culture et sa consommation n’ont pas de réelles incidences sur l’ordre public, si on peut également retracer sa présence dans la culture occidentale et française, dès lors, pourquoi vouloir interdire aux particuliers de faire pousser et consommer x plantes sur leur propriété privée ? Tant que cette culture vise un usage personnel et non commercial, quel serait le danger pour la société ?

L’ignorer serait condamner la droite française à être éternellement ignorée par une partie de l’électorat qui ne supporte plus ce paternalisme excessif.

Au-delà de cette approche pragmatique, tentons un peu de philosophie : quelle est la légitimité de l’Etat, la res publica, d’interdire à un citoyen majeur de faire pousser sur sa propriété une plante plutôt qu’une autre, ou d’ingérer une fumée plutôt qu’une autre ? Il y a là pour moi un véritable débat à avoir, et l’ignorer serait condamner la droite française à être éternellement ignorée par une partie de l’électorat qui ne supporte plus ce paternalisme excessif. Et si vous pensez qu’il ne s’agit là que d’une longue liste d’excuses trouvée aux junkies, rappelez-vous que la « logique » de cette prohibition est la même qui vous interdit de fabriquer, de posséder et d’utiliser un alambic sans autorisation préalable.

Il serait intéressant d’avoir l’avis des personnalités politiques françaises qui semblent s’inspirer des positions libéralo-libertariennes américaines, tels Marion Maréchal, François-Xavier Bellamy, Laurent Wauquiez, etc.

L’auteur :

Maxime Feyssac