Vive l’Empereur, Vive la France !

Tribune pour la commémoration de Napoléon. 

À l’heure du bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte, et à l’heure où certains veulent déconstruire son histoire (notre histoire) par la caricature et la simplification, cette tribune vient défendre celui qui à travers ses réussites et parfois égarements, a conduit la France vers la gloire. 

Pierre Vitali

Napoléon « a atteint aux cimes de la grandeur et en a comblé la France, au point que depuis, notre peuple ne s’est jamais résigné à la médiocrité et a toujours répondu à l’appel de l’honneur ». C’est ainsi que le Président Georges Pompidou rendait hommage au bicentenaire de la naissance de l’Empereur le 15 août 1969 lors d’un discours à Ajaccio. 

Aujourd’hui, 5 mai 2021, nous célébrons le bicentenaire de sa mort, mais la France semble incapable de commémorer convenablement celui qui a contribué à son prestige. Alors si le personnel politique et médiatique français semble grignoté par la honte, il est de notre devoir de dire « Vive l’Empereur », car c’est finalement dire « Vive la France ». 

            Napoléon Bonaparte est le dernier de nos grands hommes à avoir fait l’histoire de France et celle de l’humanité, affirmait l’historien Jules Michelet (1798-1874). C’est le Français le plus illustre de cette planète, plus de livres ont été écrits sur lui que de jours se sont écoulés depuis sa mort. Chateaubriand dans Mémoires d’outre-tombe disait même que « Vivant, il a manqué le monde ; mort, il le possède », car c’est bien la légende Napoléon qui reste vive dans tous les esprits. Lui qui disait n’être ni « bonnet rouge », c’est-à-dire jacobin, ni « talon rouge », c’est-à-dire aristocrate, a réussi à unir la France d’avant et d’après la Révolution, pour la porter au sommet de l’Europe et du monde.

            Sans faire preuve d’angélisme sur la période ou de négationnisme sur le bilan de Napoléon, il serait cependant absurde, comme certains le veulent, de réduire Napoléon à ses fautes telles que le rétablissement de l’esclavage, car son empreinte reste plus vaste : Code Civil (1804), Code Pénal (1810), Conseil d’État (1800), Banque de France (1800 et 1806), Cour des Comptes (1807), baccalauréat (1808), Légion d’honneur (1802), Palmes Académiques (1808), rectorats et académies (1808), organisation des études de médecines (1803), de pharmacies (1803) et vétérinaires (1813), numérotage et classement des routes (1811)… 

L’héritage napoléonien n’est alors pas honteux, il est même doublement puissant et universel. C’est celui de la grandeur de la France et de la force de la volonté créatrice. 

« La France avant tout. » écrivait-t-il en 1810 dans une lettre à Eugène De Beauharnais. Effectivement, l’héritage de Napoléon est surtout et aux yeux du monde entier, celui d’une France rayonnante et conquérante, que rien n’arrête et dont la liberté a guidé ses pas à travers l’Europe. Celle d’une époque révolue, d’un passé grandiose, qui nous impose de transmettre. Sans cette capacité à être fiers de notre passé, rien n’est possible pour une société qui deviendrait honteuse d’elle-même. 

La force de la volonté créatrice, c’est celle d’un jeune Corse, fraîchement français qui dans une époque encore cloisonnée, arrive à se hisser à la tête de l’armée, puis de l’État et tiendra tête à toute l’aristocratie européenne. Grâce à un génie militaire, un goût pour la science et l’art, il impulse aux autres son énergie de créer, d’innover et de faire. Napoléon montra à toute l’Europe que la maîtrise par l’individu de son propre destin est possible. Il incarne une épopée humaine hors du temps qui fait de l’homme une légende, que désormais tout homme peut écrire par et pour lui-même.

Ainsi, célébrer et commémorer Napoléon en ce 21ème siècle est un devoir. Ce n’est pas se souvenir avec nostalgie d’un passé révolu. C’est au contraire regarder l’avenir avec passion, en ayant la certitude qu’un passé glorieux rend demain possible.

Alors, Vive l’Empereur car Vive la France ! 

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Chroniques atomiques- Partie 1 : Pourquoi le nucléaire est le meilleur allié du climat

Maxime Feyssac

Introduction : quelques éléments de contexte

Avant de rentrer dans le vif du sujet, mieux vaut vous donner quelques infos sur le nucléaire, tant c’est un secteur d’activité qui fait l’objet de confusion, d’incompréhension et de manque d’informations. 

Derrière l’aéronautique et l’automobile, le nucléaire est la troisième filière industrielle française : elle fait aujourd’hui vivre 220 000 personnes en France, et près de 3 000 entreprises. D’après la dernière étude des think-tanks Agora Energiewende et Ember, en 2020 le nucléaire était à l’origine de 67 % de la production électrique française. Le parc nucléaire actuel, géré par EDF, compte 56 réacteurs répartis sur 18 sites. 

La totalité de l’uranium nécessaire au fonctionnement de ce parc est importée. EDF achète le combustible final auprès d’Orano (ex-Areva), qui exploite de l’uranium naturel en provenance du Niger, du Canada, de l’Australie et du Kazakhstan. En France, les recherches pour trouver de l’uranium sur le territoire national se concentrent dans les massifs Central et Armoricain, ainsi que dans le nord du Bassin d’Aquitaine

La stratégie française : le « en même temps » macronien

En décembre dernier, notre président Emmanuel Macron affirmait que notre avenir énergétique et écologique passait par le nucléaire ; pourtant, 6 mois plus tôt, c’est lui aussi qui décidait de fermer définitivement la centrale de Fessenheim. Peut-être en avez-vous entendu parler, d’une oreille discrète et distante ; mais savez-vous l’impact que cette fermeture a eu sur le mix énergétique français ? 

Après plus de 400 jours de fermeture, la centrale aurait pu produire 11,401,500 MWh en émettant 79,810 tonnes de CO₂. « C’est pas grave, me direz-vous, on a qu’à construire plus d’éoliennes et de panneaux solaires ! ». Bonne remarque, cher lecteur ; qu’aurait été le bilan carbone de 11,401,500 MWh produites à l’aide d’énergies « renouvelables » ? Sachez que la même énergie fournie par de l’éolien terrestre aurait émis 125,416 tonnes de CO₂ ; ou pire, 510,097 tonnes de CO₂ avec du solaire photovoltaïque. « Mais, et les éoliennes en haute mer ? » Ok, pourquoi pas : la même énergie fournie par de l’éolien offshore aurait émis 135,234 tonnes de CO₂. Et ne parlons même pas du gaz naturel qui aurait émis 5,570,565 tonnes de CO₂. 

(sources : Bot de calcul automatique de la quantité d’énergie électrique qui aurait été produite calculée à partir de la production de la centrale en 2019 (12TWh) divisée par 2 et par 365 pour avoir la production moyenne journalière par réacteur; les données d’émissions se basent sur le CO₂ émis durant l’ensemble du cycle de vie des moyens de production, le tout est rapporté sur la durée de fonctionnement de ces moyens de production et du facteur de charge des différentes sources d’énergie, en se basant sur les données issues des différents rapports du GIEC et Ministère des Affaires économiques et de l’Energie Allemand).

De là à parler du tout premier « écocide » pour qualifier la fermeture de cette centrale nucléaire, il n’y a qu’un pas. Alors, que recherche vraiment notre gouvernement en termes d’énergie ? Comme d’habitude, La République En Marche fait du « en même temps » : en voulant faire plaisir à tout le monde, elle ne satisfait personne. 

« Loi climat » : un texte à côté de la plaque

Pour ceux qui suivent l’actualité politique de plus près, vous me rétorquerez que l’objectif de la prochaine loi Climat et Résilience, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, est justement de lutter contre le dérèglement climatique. Il est vrai qu’officiellement, le but de cette loi est de « décarboner » l’économie française, en baissant de 40% nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, et en atteignant la neutralité carbone en 2050. Mais voilà le hic : il n’y a littéralement AUCUNE mention d’optimisation de la stratégie nucléaire dans ce texte de loi. Pire : le gouvernement envisage de réduire la consommation d’énergies fossiles de 40 % jusqu’en 2030, tout en diminuant la part du nucléaire dans la production électrique à 50 % d’ici à 2035.

Les partisans d’une écologie décroissante vous diront que c’est normal, que le nucléaire est l’ennemi numéro 1 de l’environnement. Pourtant, sans le nucléaire, toutes les prévisions de la loi climat seront impossibles à tenir. Avec la fermeture de centrales nucléaires comme celle de Fessenheim, la France se voit obligée d’acheter à l’Allemagne de l’électricité produite au charbon. « Le nucléaire est aujourd’hui le meilleur allié du climat » ; vous pensez qu’il n’y a que moi qui le dit ? Raté, c’est le rapport officiel du GIEC.

Mais alors, que font les politiques ? Il y a bien eu quelques initiatives timides. Le groupe Les Républicains du Sénat a par exemple voté en mars une proposition de résolution invitant le gouvernement à inclure dans sa transition écologique une stratégie liée au nucléaire.  En gros, une « proposition de résolution » c’est un texte qui n’a pas de valeur contraignante pour le gouvernement, mais qui exprime une préoccupation de la part des sénateurs et qui invite pressement le gouvernement à réfléchir à un problème.

Alors qu’il faudrait investir dans la recherche et dans le nucléaire, terminer le réacteur à eau pressurisée de Flamanville, et réfléchir à des solutions de traitement des déchets nucléaires, on ferme des centrales nucléaires.

Le nucléaire : instrument d’une souveraineté économique et énergétique

Or, réduire la part du nucléaire dans le mix énergétique français revient inévitablement à produire plus de CO². Par exemple, pour satisfaire la demande en énergie cet hiver, la centrale à charbon de Saint-Avold a été mise à contribution plus souvent que les années précédentes ; et comme je le disais plus haut, de l’électricité a aussi été importée d’Allemagne (issue à 40 % d’énergies fossiles).

Dès ses débuts, le but du nucléaire en France était pourtant de ne pas avoir à dépendre d’énergies étrangères. Le développement du nucléaire décolle réellement en France à partir de 1974, au lendemain du 1er choc pétrolier ; la France cherchait en effet une solution pour ne plus dépendre exclusivement des hydrocarbures. 

En septembre 2020, le gouvernement nous a présenté son fameux « plan de relance » de compétitivité industrielle à hauteur de 34 milliards d’euros, avec notamment 600 millions d’euros pour financer la relocalisation de l’industrie. Mais sans nucléaire, alimenter cette industrie en électricité va s’avérer très coûteux et polluant. La filière nucléaire est l’outil le plus adapté à une réindustrialisation des territoires, puisqu’elle permet une production massive d’électricité décarbonée, bon marché, favorisant ainsi l’attractivité internationale. En clair : sans nucléaire, l’industrie française ne sera jamais relancée ; sauf si l’on est prêt à brûler de l’argent (et du charbon) pour faire avancer la machine. Pour rappel, ce sont environ 650 sites industriels électro-intensifs qui sont aujourd’hui raccordés directement au réseau de transport d’électricité.

Dans le camp d’en face, on aime pointer du doigt le nucléaire comme une filière coûteuse en investissement ; elle n’en reste pas moins la plus rentable. Avec moins d’un milliard d’euros d’achat d’uranium, on peut économiser environ 25 milliards d’euros par an d’importation de gaz. De plus, le prix de l’uranium reste relativement stable, contrairement à la plupart des autres combustibles. Aujourd’hui, EDF dispose d’un stock d’uranium permettant 2 ans de production d’électricité (sans compter 8 ans de réserve en enrichissant le stock d’uranium appauvri d’Orano). En comparaison, nos réserves d’hydrocarbures représentent seulement 6 mois de la consommation annuelle française.

Pourquoi vouloir culpabiliser la France sur sa production énergétique et son bilan carbone, alors que l’électricité est 8 fois plus carbonée en Allemagne qu’en France (50 gCO2/kWh contre 400 gCO2/kWh). Contrairement aux idées reçues, la France n’est en rien une mauvaise élève du climat. C’est bien sa faible empreinte carbone qui permet d’attirer des investisseurs étrangers, comme par exemple le fabricant chinois de batteries Envision ; l’électricité nucléaire décarbonée française permet de produire une tonne d’aluminium pour 2 tonnes de CO2, contre 15 tonnes de CO2 en Chine. 

Qu’il est naïf de plébisciter la diminution des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle nationale, alors que celles issues des importations augmentent constamment. Ainsi, le déclin de l’industrie française a non seulement causé la disparition de 130.000 emplois entre 1995 et 2015, mais elle est également à l’origine d’une augmentation de 50% de l’empreinte carbone française par les importations.

Le nucléaire est une énergie qui fonctionne en continu, et qui est « pilotable », contrairement à l’énergie solaire ou éolienne qui nécessite vent et soleil pour fonctionner. Cet hiver, alors que le soleil ne brillait pas et que les éoliennes étaient à l’arrêt, la consommation d’énergie a augmenté, et c’est en partie pour cela qu’il a fallu acheter de l’énergie à notre cher voisin européen.

Bien sûr, le nucléaire n’est pas une énergie sans défauts : le risque d’accidents (même si extrêmement faible) constitue un facteur important à prendre en compte, et la question du traitement des déchets pose encore quelques problèmes (mais là encore, la dangerosité et l’impact des déchets nucléaires sur l’environnement sont largement exagérés ; ce sujet nécessite d’ailleurs un article à lui seul, qui fera suite à celui-ci.) Mais c’est là qu’intervient l’investissement dans la recherche et le développement. La Chine, décidément en avance sur bien des terrains, a investi massivement dans la recherche sur l’énergie nucléaire issue du Thorium, tout comme la Fondation de Bill Gates, ce qui permettrait d’augmenter la rentabilité de l’énergie tout en baissant la production de déchets nucléaires. Pendant ce temps là, la France repousse au-delà de 2050 son projet de réacteur 4ème génération ASTRID.

Par ailleurs, il ne s’agit pas non plus d’opposer bêtement énergies renouvelables et énergie nucléaire. La recherche doit se faire dans ces deux champs, afin d’arriver à une production d’énergie renouvelable plus stable et plus rentable. Mais il ne faut pas désinvestir dans le nucléaire.

Une étude de cas : les JO 2024 à Paris

Un bon exemple de dilemme environnemental et énergétique est celui des prochains Jeux Olympiques qui auront lieu à Paris en 2024. Selon le journal Les Échos du 19 novembre 2019, EDF s’engagerait à respecter un objectif « zéro carbone » émis et à « fournir 100 % » de ses sites en électricité renouvelable afin que les Jeux Olympiques Paris 2024 soient « les plus responsables de l’histoire ». Mais il y a une différence claire entre « électricité renouvelable » et « électricité zéro carbone » (qui inclut, elle, le nucléaire). Ainsi, ce n’est pas car des énergies renouvelables fourniront les JO que ces énergies ne produiront pas de CO².  

Concrètement, comment ça fonctionne ? La production d’électricité issue d’énergies renouvelables (EnR) est par nature intermittente, et n’est toujours pas stockable à grande échelle pour un coût acceptable par la collectivité (par exemple, le 20 octobre 2016, les éoliennes irlandaises ont absorbé de l’électricité du réseau en consommant davantage pour leur fonctionnement que pour leur production totale). Pour contourner cette difficulté et pouvoir prétendre être alimenté en permanence par des EnR, il suffit d’acheter des « garanties d’origine » (GO), une sorte de « certificat vert ». Ces GO, destinées à tracer l’origine de l’électricité produite, sont commercialisables par n’importe quel fournisseur d’électricité, indépendamment de l’électricité physique réellement produite. La conséquence : les GO peuvent conférer l’appellation « énergie renouvelable » à n’importe quelle source de production. Elles peuvent être achetées à l’étranger et sont transférables d’un compte à l’autre. N’importe qui peut donc vendre de « l’énergie verte » en achetant des garanties d’origine (GO) qui « verdissent » toutes les productions ; c’est notamment le cas d’ENGIE, Total, mais aussi EDF. Sans tomber dans le complot, il est intéressant de relever que le meilleur outil de décarbonation de notre économie qu’est l’énergie nucléaire se trouve être le concurrent direct du gaz de Total. Une piste de solution pourrait être de remplacer le terme « énergie renouvelable » par « énergie propre » comme l’ont déjà fait les États-Unis, la Russie, l’Inde ou encore la Chine.

La République française en perdition ?

La République est morte, vive la République !

Les « valeurs républicaines », tout le monde en parle sans jamais les définir, sans prendre le temps de les transmettre, comme si elles allaient de soi. Font-elles référence à la devise présente sur tous nos frontons de bâtiments publics : « Liberté, Egalité, Fraternité » ? Ou alors, seraient-ce les quatre piliers de la République française définis à l’article premier de notre Constitution : « indivisible, laïque, démocratique et sociale » ?  C’est sans doute un peu de tout cela. Mais la République étant l’héritage commun de tout citoyen français, chacun peut faire évoluer les « valeurs » qu’on lui reconnaît, et c’est pourquoi l’on peut ajouter à ces valeurs citées : la lutte contre les discriminations ou le féminisme

Lucas Da Silva

Un régime politique et démocratique en crise 

Aujourd’hui, l’on peut s’accorder sans mal sur le fait que la République ne fait plus consensus parmi la population française (l’a-t-elle déjà fait ?). Ce régime politique étant un combat de tous les jours depuis 1792, date d’avènement de la République en France, il nécessite une légitimation constante, un enseignement sans faille de ses valeurs, et aucune capitulation face à ceux qui cherchent à l’affaiblir. C’est pourtant un fait, la République ne séduit plus et se retrouve en proie à de sévères contestations. Pour preuve, des sondages se multiplient pour montrer que de plus en plus de citoyens seraient prêts à remettre en question l’élection démocratique – 59% des Français seraient d’accord pour confier la direction du pays à des technocrates non élus, selon un sondage Ifop d’octobre 2018 – et pire, une part non négligeable (41%) du peuple serait tentée par la mise en place d’un pouvoir politique autoritaire. 

En ces temps de crise pandémique, il peut paraître difficile d’affirmer que la République défend nos libertés publiques. En revanche, en dehors de ce contexte particulier, il ne faut pas oublier que c’est au sein de ce régime que le peuple français a arraché ses plus belles conquêtes sociales (pensons ici à l’emblématique Sécurité sociale), c’est grâce à ce régime que les droits et libertés fondamentaux ont été accrus, protégés et même gravés dans le marbre, c’est à l’intérieur de ce régime que les minorités sont le mieux défendues… Malgré la crise démocratique que nous traversons aujourd’hui, se traduisant notamment par une défiance croissante des citoyens envers leurs représentants élus au suffrage universel, le désir profond de politique et de participation active du peuple n’a pas disparu, bien au contraire. 

A insi, l’un des principaux défis auxquels doit répondre notre République, c’est la réinvention de notre démocratie afin de répondre aux aspirations de ses citoyens. L’erreur fondamentale de la classe politique française et des dirigeants, dans une logique centralisatrice et de tradition « monarchique », c’est de jouir du pouvoir sans le partager. Comme l’indique parfaitement l’intellectuel français Pierre Rosanvallon, la démocratie ne saurait se limiter à sa seule dimension électorale. (source) Autrement dit, les citoyens ont eux aussi besoin d’implication, de délibération, de participation à l’action politique, et le seul vote à intervalles réguliers ne suffit plus. Le peuple français ressent la nécessité de se réapproprier la souveraineté, qui provient de lui-même. De toute façon, il semble que le mouvement de protestation des Gilets jaunes (soutenu massivement par les Français lors des premiers mois) a été explicite sur ses aspirations : plus de visibilité et moins de mépris pour le peuple français, davantage de « démocratie directe » et même une volonté de redonner une dimension collective à la politique. La République étant née d’une révolution, elle ne pouvait espérer meilleure révolte populaire pour la perpétuer.

Une « valeur républicaine » de plus en plus défiée : la laïcité  

En préambule, il était question des principes républicains, toujours invoqués, mais difficilement qualifiables. On peut tout de même s’accorder sur certaines valeurs fondamentales qui se trouvent à la base de notre régime républicain, et il semblerait que la laïcité « à la française » soit la première d’entre elles. En effet, notre République est par nature laïque puisqu’elle s’adresse au citoyen dans une logique universelle. Afin de soutenir la dimension collective propre au régime républicain, elle fait appel à la conscience citoyenne de chacun et ne souhaite aucunement savoir si l’on est catholique, athée, musulman ou juif (tout en respectant les croyances et la liberté de conscience de chacun). Elle est fondamentalement aveugle aux différences et cherche seulement à ériger une identité commune dans la sphère publique. 

Beaucoup pensent que laïcité française est née avec la fameuse loi de 1905, dite de « séparation des Eglises et de l’Etat », et ce n’est pas tout à fait exact. Ses principes sont bien sûr affirmés grâce à la confirmation de la sécularisation de l’Etat français. Pourtant, historiquement, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 indiquait déjà que le gouvernement devait assurer l’égalité sans aucune discrimination portant sur les opinions religieuses. Mais c’est surtout l’exécution du roi Louis XVI qui constitue l’acte laïc par essence et qui entérine par là même l’avènement de la République. Le renversement définitif de la figure royale signait la fin de l’ordre théologico-politique qui existait en France depuis le baptême de Clovis. La mort de Louis XVI constitue donc la fin de la part sacrée et divine de l’Etat français qui devient désormais pleinement souverain et indépendant de toute forme d’influence religieuse. D’une certaine manière, la mise en scène de la décapitation du roi signifiait déjà la mort de Dieu dans notre société. 

On le voit, la laïcité consacre effectivement la naissance du régime républicain en France. Certes, elle s’est nettement imposée par la force – la loi de 1905 est à cet égard particulièrement dirigée contre l’influence de l’Eglise catholique – mais tout comme la République, elle est un combat de tous les jours et est aujourd’hui grandement contestée. Selon une enquête récente de l’institut Ifop, l’on constate en France une défense de la laïcité de plus en plus faible chez les jeunes et l’on observe par la même occasion une fracture générationnelle importante. En effet, sur un échantillon représentatif de lycéens, l’on apprend notamment qu’une majorité d’entre eux seraient favorables à l’autorisation du port de signes religieux ostentatoires à la fois dans les lycées (52%) et les collèges (50%) publics – le fossé générationnel est clair : l’on retrouve seulement la moitié (25%) de ces chiffres si l’on prend en compte la population française totale. L’interprétation de la laïcité française est également biaisée chez ces jeunes ; nous l’avons vu, ce principe s’avère par nature « en lutte » contre toute influence religieuse dans la sphère publique (tout en permettant à chaque pratiquant de vivre sa foi librement), pourtant une part très significative des lycéens interrogés (37%) estiment que les lois laïques de notre pays sont discriminatoires envers les musulmans et 43% jugent la laïcité discriminatoire envers au moins une religion (une proportion qui atteint d’ailleurs 89% chez les jeunes musulmans).

Trêve de chiffres, ces seules données révèlent une laïcité mise en danger sur notre propre territoire alors qu’elle constitue le pilier de la République française. Actuellement, celle-ci doit faire face au retour du religieux dans notre société : hier, le problème du pouvoir républicain était le catholicisme, aujourd’hui, l’enjeu est l’islam. Doit-on s’en inquiéter ? Pas nécessairement si une réaction se constitue pour réaffirmer les valeurs qui rassemblent le peuple français (et non pas qui le divisent). Comme tous nos principes fondateurs, la laïcité doit être transmise à nos enfants au quotidien, nous devons perpétuer l’enseignement de cette valeur qui représente un héritage commun et qui offre à chaque croyant l’assurance de pratiquer sa religion comme il le souhaite dans le respect de ses concitoyens. Il faut expliquer à nos jeunes que la laïcité, au lieu de rejeter les croyants, est un vecteur de réalisation de nos autres grandes valeurs : la fraternité, l’égalité et même la liberté. Au sein de la « res publica » (la « chose publique »), un tel n’est pas musulman, un autre n’est pas chrétien, nous avons toutes et tous une identité commune qui est l’appartenance à la nation française. Et nous avons besoin plus que jamais de ce lien qui nous unit – qu’on nomme « laïcité » – afin de générer un sens collectif, et non pas une logique de revendications particulières. 

Pour conclure cette tribune se voulant volontairement non exhaustif, nous sommes partis de deux « valeurs républicaines », ou communément acceptées comme telles : la démocratie et la laïcité, pour montrer que la République française était minée par de nombreux défis de taille. Ces enjeux ne sont pas à prendre à la légère puisque, comme cela a été expliqué tout au long du propos, ils se rapportent directement aux principaux fondements de notre régime politique. Bien entendu, nous aurions pu également évoquer la valeur de l’égalité, nous aurions pu aussi traiter du caractère « social » de la République française ou même de féminisme. Quoi qu’il en soit, la République peut sembler en perdition – comme souvent dans son histoire – mais elle n’est pas morte !

Médias digitaux: l’illusion de l’information #2

Les limites des nouveaux médias en plein essor

L’objectif de cet article est d’approfondir la réflexion introduite par le premier article du même nom, afin d’essayer d’imaginer le devenir du développement de ces nouveaux médias, en plein essor. 

Pierre Vitali

Lucas Perriat

La résistance des médias traditionnels face aux médias digitaux  

Les données contenues dans le “Baromètre du numérique” (2019) diffusé par le Conseil Général de l’économie, L’Arcep et l’Agence du Numérique font état d’une omniprésence des terminaux numériques dans nos vies : 95% de la population nationale âgée de plus de 12 ans est en possession d’un smartphone et 94% d’entre-eux l’utilisent quotidiennement.

Face à ces chiffres écrasants, les médias traditionnels devraient prendre peur. Cependant, il semble que la méfiance prédomine chez l’utilisateur. La qualité de l’information des nouveaux médias diffusée majoritairement sur les réseaux sociaux est globalement mise en doute par le public. Le “Baromètre du numérique” de 2019 nous apprend en ce sens que les médias traditionnels conservent une crédibilité solide face aux nouveaux venus : Internet et les réseaux sociaux ne bénéficient respectivement que de 25% et de 8% de taux de confiance là où la presse écrite et la radio atteignent des taux de 42% et de 37%.

Ce premier constat montre à quel point les médias digitaux ne sont pas prêts à remplacer les médias traditionnels. Solidement ancrés dans l’espace démocratique et ayant fait preuve de crédibilité et de rigueur, les médias traditionnels ne semblent même pas comparables aux nouveaux médias aux yeux des Français.

Tout n’est pas rose pour autant. Les médias traditionnels ont du souci à se faire face à la vague digitale. Alors qu’en 2015 “L’Express” réduisait drastiquement ses effectifs face à un déficit inquiétant, les médias digitaux “Huffington Post” et “Business Insider” étaient achetés aux sommes respectives de 315 millions de dollars et de 442 millions de dollars.

Alors, si l’invasion digitale n’est sûrement pas aussi agressive que ce que l’on pourrait croire, il est évident qu’elle menace l’information traditionnelle qui s’emploie, elle, à développer des moyens de lutte pour assurer sa pérennité. Les moyens de lutte sont extrêmement variés. Si l’on a pu observer des stratégies de diversification du contenu avec des nouvelles publications à l’image du journal “Les Echos” qui a sorti en 2015 un magazine orienté sur l’art de vivre, certains médias traditionnels sont même allés jusqu’à investir dans les produits dérivés ou initier des levées de fonds.

Mais, vous en conviendrez, la solution la plus évidente et la plus efficiente reste la transition au numérique. Les investissements massifs dans les réseaux sociaux ne se sont pas fait attendre pour contrer les nouveaux médias digitaux. Les médias traditionnels ont su innover pour s’adapter. “Le Monde” a fait son entrée sur Snapchat dès septembre 2016, ce fut aussi le cas du “Figaro” mais également du “Point” et de bien d’autres. Les médias traditionnels vont donc faire de la résistance sur le terrain des nouveaux médias. Cela n’est pourtant pas chose aisée, la présence des grands médias sur les réseaux sociaux n’est pas nécessairement avantageuse : la majorité des revenus publicitaires sont distribués aux plateformes sociales et l’utilisation importante des bloqueurs publicitaires réduit aussi les revenus perçus. Si les médias traditionnels se conforment au format des jeunes médias digitaux, cela peut-être considéré comme une capitulation mais c’est sans compter sur une stratégie essentielle : l’application mobile.

La presse papier ne s’avoue pas vaincue, l’exportation du contenu papier au sein de nouvelles applications mobiles alliant contenu gratuit et payant attire de nouveaux lecteurs tout en permettant une maîtrise totale du contenu publicitaire et des revenus engendrés. Le journal papier fait alors la promotion de l’application qui reprend les mêmes articles tout en ajoutant du contenu interactif : vidéos…etc.

Ces solutions sont un espoir de survie pour les médias traditionnels, gardiens du traitement de l’information face à des médias exclusivement digitaux tournés vers l’instantanéité au mépris de l’analyse et de la pertinence du contenu.

De la disparition de l’analyse, à la polarisation de l’information

Comme évoqué au sein du premier article consacré aux médias digitaux, les réseaux sociaux sont régis par des algorithmes qui dictent la forme et le fond de l’information qui y est diffusée. Ainsi, ces nouveaux médias cherchent à élargir leur public en optimisant leur contenu par rapport aux algorithmes. Le fond laisse donc place à la forme, le temps de lecture est drastiquement réduit car le temps d’attention disponible est extrêmement faible.

Les médias digitaux se contentent de reprendre les informations majeures qu’ils résument en général en une poignée de phrases dénuée de toute analyse ou pire, d’une analyse orpheline de tout argument solide. Une esthétique soignée, des titres accrocheurs couplés à des photos choquantes ou provocantes, voilà les ingrédients de la nouvelle recette de l’information digitale. Si tant est que l’on puisse appeler cela de l’information. 

Le développement du nombre de médias digitaux les transforment souvent en médias de niches, centrés sur certaines thématiques ou en médias de groupes, s’adressant à un public cible. Si au départ, il s’agissait de quelques grands médias digitaux généralistes et reconnus de tous comme “Brut”, beaucoup ont compris l’intérêt politique de ces derniers et on voit alors progresser leur nombre, pour essayer d’influencer le débat public. 

Cette nécessité du buzz et du clic rend les sujets clivants ou étonnants essentiels pour les médias digitaux qui sont les éléments accrocheurs, nécessaires pour leur développement. S’ajoutant à l’orientation des ces derniers et aux ciblages algorithmiques, l’information sur Internet tend à se polariser. L’internaute vivant alors dans son archipel médiatique, encore plus puissant qu’avec les médias traditionnels. Le choix de l’information étant en lui-même une façon de la traiter, les médias digitaux deviennent des lieux de politisation et d’influence. On n’est alors plus étonné de leur développement croissant, car ils permettent de faire passer des messages sans directement apparaître comme sérieux. 

L’Intelligence Artificielle : vers la fin du journalisme ? 

John McCarthy (1927-2011), l’un des pionniers de l’Intelligence Artificielle (IA), affirme que « toute activité intellectuelle peut être décrite avec suffisamment de précision pour être simulée par une machine ». C’est à partir des années 1950, que le développement de l’informatique laisse apercevoir l’ambition de créer des « machines à penser », ressemblant à l’esprit humain. L’Intelligence Artificielle vise donc à reproduire au mieux, à l’aide des outils technologiques, des activités mentales, pour la compréhension, la perception, ou la décision. Face à ce phénomène qui bouleverse et va continuer de bouleverser les activités économiques, le journalisme ne sera pas une exception. 

On constate déjà le développement de l’IA dans une partie du journalisme. Lorsqu’il s’agit de traiter un grand nombre de données, comme les résultats aux élections locales, l’IA vient aider à la conception d’articles simples, de description des résultats sans analyse. Francesco Marconi, qui a récemment publié Newsmakers, Artificial Intelligence and the Future of Journalism, estime que seulement 8 à 12 % des tâches actuelles des reporters seront assumés par l’IA dans les années à venir. Il y voit alors une opportunité d’un outil qui ne remplace pas le journaliste mais qui vient le recentrer vers le contenu à valeur ajoutée, comme les longs formats, grandes entrevues, analyses, journalisme de données, journalisme d’enquête… 

Même s’il est vraisemblable que les grands acteurs du journalisme resteront et ne seront pas remplacés par l’IA, les médias digitaux et leur modèle d’articles simples et ciblés seront eux en revanche bouleversés. Pour rédiger le top 10 des restaurants de tel quartier ou les nouveaux commerces dans telle ville, il est certain que l’IA prendra toute sa place. Pour marketer un article, cibler sa diffusion et récupérer des datas, l’IA prendra évidemment toute sa place. Elle sera alors un outil essentiel des médias digitaux. Plus largement, quel que soit le média, l’IA et ses algorithmes seront utilisés afin de trouver les sujets de reportage pertinents pour les lecteurs, auditeurs, téléspectateurs et internautes ciblés. 

Enfin, l’IA pourrait même être le salut du journalisme, dans la lutte contre les fakenews et les deep fakes notamment, pour perfectionner le fact-checking (vérification des faits), ou en venant apporter une grande capacité de traitement de données et donc de perfectionner le travail. Il ne faudra d’ailleurs jamais oublier que derrière tous les algorithmes se cache un humain, avec des biais éventuels et des objectifs certains. La vérification humaine restera mais devra éviter de tomber dans la confiance aveugle. 

La centralisation de la santé publique : un processus inéluctable ?

Un phénomène centralisateur exacerbé par la crise de la Covid-19

N.B : Il convient de préciser que cet article a été conjointement rédigé par Lucas Da Silva, co-fondateur de Skopeo, et par Baptiste Da Silva venant apporter son regard en tant qu’étudiant en santé publique.

Voici maintenant un an que nous traversons une grave crise sanitaire, politique, économique et sociale provoquée par l’irruption du coronavirus Covid-19. Une période suffisamment longue pour bénéficier du recul nécessaire nous permettant de mener une réflexion sur la centralisation de la santé publique et plus généralement de la prise de décision politique en temps de crise. Tout au long de ces interminables mois de pandémie, les mesures gouvernementales ont été prises verticalement et les restrictions aux libertés publiques n’ont cessé de fleurir. Comment justifier un tel phénomène politique ? La santé publique est-elle nécessairement centralisée ? Est-ce un danger pour notre démocratie ?

Lucas Da Silva

Collectivités territoriales et Santé publique : une ambiguïté juridique et politique 

Didier Raoult a été l’un des personnages emblématiques de cette crise sanitaire. Au-delà de toutes les considérations scientifiques qui émanent des controverses l’incombant, il a été pour beaucoup l’incarnation de cette « France périphérique » (pour reprendre l’expression du géographe Christophe Guilluy) face au pouvoir des élites concentrées « là-haut ». Une analogie similaire peut être faite à partir de la décision rendue par le Conseil d’Etat dans l’affaire Commune des Sceaux le 17 avril 2020. Philippe Laurent, en qualité de maire, a pris un arrêté rendant obligatoire le port du masque dans sa commune lançant à sa manière un appel à l’Etat pour une gestion sanitaire territorialement différenciée dans laquelle les collectivités auraient toute leur importance. La suspension de cet arrêté donnera le ton sur la relation de subordination auxquelles vont être confrontées les collectivités durant les mois suivants, et par la même occasion le coup d’envoi de débats passionnés sur la place de la décentralisation dans la gestion de cette crise.

La promulgation de l’état d’urgence sanitaire le 24 mars 2020 s’inscrit dans un « état d’exception », qui apparaît comme « un moment pendant lequel les règles de droit prévues pour des périodes de calme sont transgressées, suspendues ou écartées pour faire face à un péril. Pendant ce moment, on assiste à une concentration du pouvoir, en général au profit de l’exécutif et (…) à la réduction ou à la suspension des droits jugés fondamentaux pendant les périodes de calme. Il s’agit d’un moment par définition fugace, temporaire pour faire face à un péril donné ». Une réflexion sur le phénomène d’accoutumance aux régimes et mesures d’exceptions dans les Etats de droit sera proposée plus loin dans l’article ; pour l’heure, il nous importe de comprendre la manière dont cela a pu influencer les relations entre Etat et collectivités. Cette question a en réalité déjà été abordée il y a près de vingt ans, lorsqu’une police administrative spéciale en matière sanitaire a été créée en 2004. C’est ainsi qu’en vertu du code de la santé publique, le ministre chargé de la santé peut « prescrire (…) toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population » (source). Cela vient placer le maire dans une position inconfortable en matière d’action de santé publique puisque le code général des collectivités territoriales l’autorise à agir « pour prévenir (…) et faire cesser (…) les maladies épidémiques ou contagieuses » au titre de son pouvoir de police administrative générale (source). Ses marges de manœuvre sont ainsi considérablement réduites étant donné que la police spéciale a vocation à primer sur la police générale. On entrevoit ici une première superposition juridique qui rend les compétences du maire quelque peu ambiguës, et qui finalement semblent laissées à l’appréciation du juge. L’on peut ici émettre l’hypothèse que face aux incertitudes scientifiques liées à ce virus, notamment les premiers mois de l’épidémie, les juges n’ont pas voulu amplifier cette cacophonie en limitant les mesures prises par les communes qui entrent en contradiction avec celles de l’Etat. Ces décisions ont d’ailleurs souvent été l’occasion pour les élus locaux de faire entendre leur voix, notamment sur la vision jugée trop centralisée de l’Etat, jusqu’à évoquer un certain « jacobinisme sanitaire ». Cette défense de la décentralisation s’appuie sur un discours politique inchangé : « ils ne cessent d’exalter la valeur “irremplaçable” du terrain qui permet de “prendre le pouls de la population”, “d’écouter ses doléances”, de comprendre ses aspirations » (source). A travers cette légitimation de la proximité, et plus généralement l’interpellation des pouvoirs publics sur une gestion de crise jugée chaotique, les élus locaux endossent finalement un rôle éminemment politique : celui de contre-pouvoir (et cela dans un contexte où la démocratie semble avoir été mise à mal, nous y reviendrons plus tard). 

Il n’en demeure pas moins que malgré cette relégation des collectivités au second plan, la lutte contre l’épidémie a révélé les quelques compétences sanitaires dont elles disposent. Gérard Larcher, président du Sénat, soulignait l’été passé que « la crise sanitaire a montré la réactivité des collectivités territoriales face à un État défaillant devant l’urgence » (source). Concernant les communes, elles assurent principalement le service communal d’hygiène et de santé. Elles se sont à ce titre mobilisées dans le cadre de désinfections de certains lieux publics. Elles sont également enjointes à faire remonter toute information d’ordre épidémiologique à l’agence Santé Publique France dans le cadre de leur veille sanitaire, cela a largement facilité le repérage des foyers épidémiques dès les premiers jours de la pandémie. Enfin, les communes peuvent contribuer financièrement aux mesures d’aide à l’installation des professionnels de santé afin de lutter contre les déserts médicaux, elles ont ainsi pour beaucoup d’entre elles assumé la création de fonds d’équipement d’urgence pour ces professionnels dans le cadre de l’épidémie. En matière de santé publique, les départements sont d’une part en charge des vaccinations obligatoires, et d’autre part des services de protection maternelle et infantile (PMI). Ils disposent également de compétences partagées dans le cadre de la création d’établissements et services sociaux et médico-sociaux et dans la gestion de certains établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), ce qui explique leur implication dans les campagnes de dépistage et de vaccination dans ces mêmes établissements. La position des régions en matière sanitaire est quant à elle ambiguë, notamment du fait que les Agences régionales de santé (ARS) sont positionnées sur ce même échelon. Le code de la santé publique, très vague, reflète cette incertitude sur son rôle : « le conseil régional peut définir des objectifs particuliers à la région en matière de santé. Il élabore et met en œuvre les actions régionales correspondantes ». En pratique, les régions interviennent donc notamment dans le champ de la prévention (activité essentielle durant l’épidémie). Il est à noter qu’en matière de formation professionnelle, la région demeure relativement influente dans le champ de la santé. La région peut ainsi autoriser la création des instituts de formation des professionnels de santé, des aides-soignants, des auxiliaires de puériculture, des ambulanciers et des cadres de santé. Enfin, tout comme les communes, les régions peuvent favoriser financièrement la venue des professionnels de santé sur leur territoire, et ont participé à l’élaboration de fonds d’équipement d’urgence. 

C’est ainsi qu’en dépit de compétences marginales, les collectivités territoriales ont su démontrer qu’elles pouvaient répondre présentes lorsque l’action publique centralisée faisait défaut. Le débat reste prégnant sur la place à accorder à ces collectivités, notamment sur le transfert de prérogatives de santé aux échelons décentralisés. A ce jour, cette idée semble vouée à l’échec. La part consacrée aux dépenses de santé en France est importante et semble être sur le chemin d’une augmentation ces prochaines années. La centralisation de la santé permet quant à elle de réduire considérablement ces dépenses de fonctionnement grâce à des regroupements institutionnels (économies d’échelle). Toutefois, ne peignons pas un tableau trop négatif. L’idée d’une meilleure association des collectivités aux décisions prises sur leur territoire pourrait être envisagée, notamment en augmentant la part des élus dans des instances telles que le conseil de surveillance au sein de chaque ARS.

Les agences régionales de santé : « de belles voitures dans lesquelles on n’a pas mis d’essence »

Les « ARS ». Certains n’ont ces derniers mois que ce sigle à la bouche. Elles seraient tout ou partie responsables d’une gestion de crise chaotique et plus généralement de tous les maux affectant notre système de santé. En clair, elles endossent le rôle de bouc-émissaire. Ce climat de défiance vis-à-vis de ces agences n’est pas nouveau. Dès leur implantation dans le paysage institutionnel français en 2009, elles ont été confrontées à de vives critiques. Mais alors, pourquoi ces agences présentées à la fois comme innovantes, déliées de l’emprise du pouvoir central et au plus proche des territoires sont-elles autant contestées, voire détestées ? Ce rôle de « tampon » absorbant toutes les critiques sans avoir les moyens d’y répondre ne serait-il finalement pas l’un des objectifs recherchés ? Tâchons d’analyser la place qui leur est accordée au sein de notre système de santé.

Historiquement, c’est à partir des années 1960 qu’ont été créées successivement les directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales (DDASS / DRASS), alors toutes deux placées respectivement sous le contrôle du préfet de département et de région. Ces entités s’inscrivaient dans le schéma d’une déconcentration classique avec une administration centrale déployant ses services déconcentrés. Les ARS, par le statut juridique d’établissement public administratif (EPA), viennent rompre avec cette conception pour tendre vers une administration dotée d’une certaine autonomie, ce que le corps préfectoral digèrera mal. Elles permettent par la même la fusion de sept organismes (ARH, GRSP, MRS, URCAM, CRAM, DDASS, DRASS), ce qui leur confère mécaniquement des attributions très (trop) larges, et permet de nombreuses économies. Cette volonté s’insère dans un contexte politique et économique particulier : la consolidation budgétaire post-crise financière de 2008 caractérisée par une exigence forte de maîtrise des dépenses et de désendettement.

Mais ne nous méprenons pas, cette autonomie affichée n’est que de façade, elle apparaît en réalité « paradoxale et contrôlée » (Frédéric Pierru). Les ARS demeurent en effet très liées à leur tutelle, le Ministère de la santé, et plus généralement à l’ensemble des administrations centrales. Le nombre de directives qu’elles reçoivent quasiment quotidiennement atteste de cette situation, et ce, malgré un filtrage effectué par le Conseil national de pilotage (CNP) présidé par le Ministre de la santé, qui est souvent apparenté comme le « donneur d’ordre ». Il faut également relever que le Conseil de surveillance de chaque ARS, au-delà d’intégrer trois représentants de l’Etat parmi ses membres permanents, est présidé par le préfet de région. Les directeurs généraux des agences (DGARS) sont nommés et révocables en Conseil des ministres. Cette prégnance de l’Etat se caractérise de deux autres manières. D’abord, pour ne pas trahir cette autonomie de façade, les ARS et l’Etat sont liés par un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM). L’on pourrait ainsi penser que le choix d’un contrat plutôt que le recours à des actes administratifs unilatéraux favoriserait la discussion et le compromis entre les deux parties. Il n’en n’est rien : les ARS reçoivent une trame peu modulable préparée par l’administration centrale et dont les objectifs et indicateurs nationaux prennent le pas sur cette volonté d’adaptation aux territoires régionaux. D’autre part, les instruments de financement sont établis au niveau national : objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), tarifs de la tarification à l’activité (T2A). L’on peut déjà l’entrevoir, à travers ces exemples, que les marges de manœuvre sont quasiment inexistantes pour les ARS. Et lorsqu’on leur accorde une certaine souplesse financière, notamment grâce à un fonds d’intervention régional (FIR) en légère croissance, elle semble dérisoire : 3,7 milliards d’euros en 2019 pour un ONDAM fixé à 200,3 milliards. Et comme si cela ne suffisait pas, chaque année depuis leur création, les ARS doivent faire face à des suppressions de postes, encore 258 en 2018.

Alors, soyons clair : les objectifs prévus par le Ministère lors de la création de ces agences ont-ils été atteints ? Pour la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé, c’est raté, elles se sont creusées de manière générale, voire accentuées entre centres et périphéries. Mais ce constat d’échec peut être mis en parallèle de l’objectif des 5000 cas quotidiens proposé par Emmanuel Macron pour lever le confinement : l’échec, ici aussi, était pleinement prévisible. Une question demeure en suspens : comment peut-on espérer des résultats satisfaisants d’agences aux missions innombrables dépourvues de réels moyens financiers et humains ? Au ministère, on préfère en rigoler : ce sont « de belles voitures dans lesquelles on n’a pas mis d’essence » (propos recueillis par Christine Rolland et Frédéric Pierru). Il devient pourtant urgent de passer à la pompe. 

On l’a vu, les ARS sont prises en étau entre une administration centrale prégnante et une autonomie étriquée, tout cela sur fond d’une rhétorique faisant l’éloge du territoire et de la proximité. Cette position ambivalente a suscité la colère de nombreux élus locaux dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire. Il convient de souligner qu’à travers leur rôle de coordination, les ARS ont été essentielles. Comme mentionné précédemment, elles sont le fruit d’une fusion de sept organismes indépendants les uns des autres, et cet éclatement n’aurait manifestement pas facilité la gestion en période de crise. Sur la question des masques et des médicaments, on sort totalement du champ de compétence des ARS. Il n’existe aucun stock d’équipements ou de médicaments géré par ces dernières, ces attributions reviennent à Santé Publique France et à l’Agence nationale de sécurité du médicament. Pour autant, les ARS ont pu organiser la répartition de certains équipements provenant de dons ou de stocks d’entreprises ou d’administrations diverses. De manière générale, il semblerait que les élus locaux n’aient pas toujours bien compris le périmètre de leurs interventions. 

La centralisation accrue lors de la crise de la Covid-19 : une vie démocratique mise entre parenthèses 

Tandis que certains arguent que toute crise nécessite inévitablement un pouvoir politique fort incarné par un Etat centralisé salvateur, il semble important d’interroger la compatibilité entre un régime au sein duquel le pouvoir exécutif prime sur tous les autres et le régime que l’on nomme communément « démocratie ». Sur ce sujet, le secrétaire général de l’ONU lui-même, Antonio Guterres, a tiré la sonnette d’alarme tout récemment (le 22 février dernier) en déplorant que la pandémie de Covid-19 pouvait servir de prétexte pour certains Etats en vue de réprimer. Il convient ici de le citer avec ses propres termes : « Brandissant la pandémie comme prétexte, les autorités de certains pays ont pris des mesures de sécurité sévères et des mesures d’urgence pour réprimer les voix dissonantes, abolir les libertés les plus fondamentales, faire taire les médias indépendants et entraver le travail des organisations non gouvernementales ». Ainsi, dans le contexte que nous connaissons depuis désormais un an, il semblerait que la crise pandémique ait mis à mal la confiance envers les autorités publiques – phénomène qui existait déjà avant – et plus globalement notre système démocratique.

Bien entendu, ce sont les libertés fondamentales qui ont le plus souffert tout au long de la crise, ceci étant guidé par un devoir de protection de la vie des citoyens. Pour les gouvernants, il fallait donc trouver un juste équilibre, un arbitrage délicat, pour qu’ainsi les atteintes aux libertés puissent être qualifiées de « proportionnelles ». Dans ce cadre, la pente peut vite devenir glissante : l’exigence de proportionnalité n’étant pas respectée, c’est toute la démocratie libérale qui en sort affaiblie… Surtout, si la suspension de libertés publiques peut se légitimer en période de crise, celle-ci doit nécessairement rimer avec un rétablissement des normes démocratiques lorsque nous aurons vaincu la pandémie. Autrement dit, les mesures exceptionnelles (pensons ici à l’état d’urgence faisant suite aux attentats islamistes en France) ne sauraient entrer durablement dans le droit commun.

Ainsi, concentrons-nous sur la France et constatons la pratique du pouvoir politique propre à notre système institutionnel. Pour endiguer et combattre le virus, la Ve République – que certains juristes qualifient de « monarchie présidentielle » – a confirmé (si cela était encore utile) la prise de décision extrêmement verticale et centralisée dans notre pays. En effet, au cours de la crise, toute la population française se retrouve fréquemment suspendue à une allocution présidentielle ou à une déclaration ministérielle. Ce ne sont d’ailleurs pas des annonces anodines ou sans conséquence puisqu’elles sont susceptibles de suspendre des libertés quotidiennes qui constituent souvent la base d’une démocratie libérale comme celle d’aller et venir (ou de circulation), celle de réunion, celle de manifester ou même celle de travailler… Par ailleurs, on le sait, l’une des grandes tendances de la Ve République est d’attribuer au Parlement un rôle secondaire, voire marginal. Sur ce point, l’on peut observer que cette caractéristique regrettable pour un régime démocratique s’est largement amplifiée tout au long de la crise de la Covid-19.

En outre, le 29 février 2020, il y a tout juste un an, une pratique inédite du pouvoir était introduite par le Président Macron avec la convocation d’un Conseil de défense exceptionnel. Aujourd’hui, après douze mois de crise sanitaire, cette information ne semble plus du tout « exceptionnelle » aux yeux des Français tant les Conseils de défense sont devenus un élément presque quotidien. Originellement, il est intéressant de souligner que ce Conseil de Défense et de Sécurité nationale, comme son appellation l’indique parfaitement, a été conçu pour gérer la force armée, les questions de stratégie militaire ou les opérations extérieures, notamment lors des crises majeures nécessitant une réaction urgente vis-à-vis de la sécurité de la Nation. 

Nombre d’observateurs s’étonnent de l’usage rituel qui est fait de cet organe dans un contexte de crise sanitaire et qu’il soit devenu le principal outil du pouvoir exécutif pour prendre ses décisions. Le juriste français et spécialiste du droit constitutionnel Jean-Philippe Derosier s’est dit interpellé « par l’usage qui est fait du Conseil de défense dans le cadre d’une épidémie, ce qui n’a rien à voir avec un engagement militaire » (source) et s’inquiète pour le manque de transparence évident de ces réunions en petit comité, sans parler de l’absence de consultation dans un tel cadre du Parlement, des élus locaux ou des partenaires sociaux. De la même façon, la politologue Chloé Morin, ancienne conseillère auprès du Premier ministre, se soucie de l’absence de véritables contre-pouvoirs et de réel débat parlementaire tout au long de cette crise (a contrario, ce dernier, par le biais du fait majoritaire, ne sert finalement qu’à entériner les choix du Président) ; tout en dénonçant la conception « monarchiste » et «  absolutiste » (source) du pouvoir que nous avons conservée en France.

« L’Europe de la santé » : le point sur le véritable rôle joué par l’Union dans la crise 

Ah l’Europe ! En voici une qui n’a pas été épargnée non plus lors de cette crise sanitaire, loin s’en faut. Dès les premiers moments de la pandémie, l’on entendait l’accusation suivante : si les pays européens avaient échoué à endiguer la Covid-19, c’était à cause de l’Union européenne (UE) qui souffrirait d’un déficit de solidarité, alors même que la santé publique ne relève pas de ses compétences ! En effet, il est important de le rappeler, la santé publique ne fait aucunement partie des prérogatives de l’Union, elle n’entre pas dans ses compétences partagées, et encore moins dans ses compétences exclusives. L’UE n’a pas la capacité de prendre des décisions sanitaires, elle ne peut adopter des actes législatifs contraignants (comme elle le fait pour l’union douanière ou pour la politique commerciale par exemple) et elle ne peut non plus légiférer dans ce domaine en collaboration avec les Etats membres (comme elle le fait pour l’agriculture ou pour l’environnement par exemple). En revanche, ce qu’elle peut seulement entreprendre dans le champ de la santé, dans une logique de « compétence d’appui », c’est un soutien ou une impulsion de coordination des actions des pays membres de l’Union. Par ailleurs, il faut ici souligner que toutes les compétences communautaires sont soumises au principe de subsidiarité, ce qui signifie que l’UE intervient seulement si une action publique peut être menée de façon plus judicieuse à l’échelle européenne. Tous ces éléments viennent nous aider à appréhender le rôle tout à fait secondaire de l’Union lors de cette période de crise sanitaire. 

Sortons maintenant des considérations de responsabilité (souvent fantasmées) de l’UE dans la mauvaise gestion de la crise sanitaire et concentrons-nous désormais sur le rôle effectivement assumé par l’Union pour appuyer l’action des Etats membres. Pour revenir quelque peu en arrière, c’est à l’occasion du traité de Maastricht en 1993 que la politique de santé publique a été officiellement mentionnée pour la première fois dans un traité européen afin d’encourager les États membres à coopérer au niveau de la protection de la santé humaine. Aussi, ce qui nous intéresse particulièrement ici, c’est cette base juridique qui a mené à la création de l’Agence européenne des médicaments en 1995. Il s’agit de cette même agence qui est chargée d’établir des rapports de sécurité afin d’évaluer scientifiquement la qualité des vaccins contre la Covid-19 et de s’assurer qu’ils ne présentent aucun risque ou effet indésirable chez les futurs patients.

Toujours sur le sujet des vaccins, un autre rôle important de l’Union européenne – parfois décrié – s’est trouvé dans la négociation des contrats d’achat avec les producteurs de vaccin par la Commission européenne. Ainsi, de leur côté, les Etats membres ne sont pas responsables de l’achat des fameuses doses mais ont opté pour une délégation de ces négociations à l’Union afin de privilégier une action commune. D’un point de vue sanitaire, cette stratégie de coordination semble judicieuse. En effet, dans un espace géographique aussi ouvert que le marché intérieur européen, il aurait été absurde que des Etats membres puissent vacciner leur population en tirant profit de leur puissance financière tandis que leurs propres voisins et plus proches partenaires n’auraient pas eu les moyens d’accéder si facilement aux vaccins. Sans un accès équitable à la vaccination, on peut imaginer sans difficulté une Allemagne (première puissance économique européenne) bien dotée de cette précieuse protection immunologique face à une Autriche et à une Tchéquie (respectivement neuvième et treizième puissances économiques européennes) beaucoup moins bien loties que leur voisine germanique. Ainsi, la distribution proportionnellement équitable des vaccins aux pays membres de l’Union permet d’entrevoir – à terme – une immunité collective à l’échelle de l’espace européen. 

Enfin, sur le thème de plus en plus évoqué de « l’Europe de la santé », que nous réserve l’avenir ? Historiquement, tout au long de la construction européenne, les compétences de l’Union se sont élargies afin de mieux répondre aux enjeux contemporains et aux grands défis mondiaux. Il est clair que la pandémie de Covid-19 restera longtemps dans les mémoires comme l’une des plus graves crises internationales des dernières décennies. Quand nous aurons vaincu le virus, il sera de bon ton de clamer : « Plus jamais ça ! ». Ainsi, les périodes de crise mondiale mènent à de profondes réflexions sur notre modèle de société (et parfois même à des refontes). Il apparaît évident que les dirigeants, pour mieux préparer l’avenir et pour éviter qu’une grave pandémie réapparaisse, chercheront davantage à prévenir plutôt qu’à guérir. 

Pour ce faire, peut-être décideront-ils d’augmenter les moyens communautaires et d’accroître le rôle de l’Union européenne dans le domaine de la santé publique. Il n’est pas question ici d’émettre des spéculations rétroactives sur la gestion de la crise sanitaire, mais l’on peut tout de même imaginer qu’une meilleure coordination européenne dès l’apparition de la Covid-19 aurait pu faciliter une prise de décision efficace. On peut ici penser à un meilleur accès aux soins de santé transfrontaliers, au financement de la recherche, à l’espace Schengen et à la question tendancieuse des frontières, à la prise en charge partagée des malades (comme cela fut déjà observé avec les transferts de patients entre pays européens), à la mise en oeuvre de mesures communes pour les territoires transfrontaliers, à la production de nos propres médicaments pour ne plus dépendre de la Chine ou de l’Inde…etc. Tous ces éléments nous permettent d’envisager une meilleure coopération européenne en matière de santé publique, alors que la crise que nous traversons nous en a montré l’utilité potentielle. 

Pour conclure ce dossier portant sur la gestion de la crise liée à la Covid-19, parfois jugée chaotique, nous avons illustré à quel point les politiques et l’administration ont usé à outrance de la centralisation de la santé publique, en laissant une place excessivement marginale aux collectivités territoriales. Originellement, l’on peut justifier cette concentration de la santé publique dans les mains du pouvoir central par une volonté de réduction des inégalités territoriales et par une application homogène des directives sanitaires, d’autant plus en temps de crise. Aujourd’hui, nous constatons que ce schéma ne satisfait plus véritablement, notamment en raison de l’appel des collectivités à plus d’implication dans la gouvernance sanitaire et parallèlement aux doléances des citoyens à plus de démocratie et de libertés. Ainsi, à la sortie de la crise de la Covid-19, nos dirigeants politiques en tireront-ils les leçons nécessaires ?

Top 10 des meilleurs films politiques

  • 1 : Vice

🇺🇸 USA, 2018, Adam McKay, 132 minutes, 4 prix, 22 nominations

Découvrez l’incroyable vie de Dick Cheney, 46ème Vice-Président des USA, de 2001 à 2009, dans ce film biographique. Comment un jeune du Wyoming devient l’un des hommes les plus puissants et influents des États-Unis, occupant des bureaux dans tous les lieux stratégiques de pouvoirs : Chambre des Représentants, Sénat, Pentagone, CIA et dans le bâtiment du bureau exécutif Eisenhower. Entre humour et tragédie, c’est une plongée dans le monde politique américain, un mélange de jeux de pouvoir et d’intérêts privés.  

« un grand film sur la manipulation politique. Machiavélique. » Le Dauphiné Libéré

La bande-annonce du film :

  • 2 :  L’exercice de l’État

🇫🇷🇧🇪France/Belgique, 2011, Pierre Schoeller, 115 minutes, 8 prix et 39 nominations

Ce film propose une immersion dans l’exercice de l’État, dans ce qu’il a d’intense, d’immédiat et de profond. Le ministre des Transports Bertrand Saint-Jean doit faire face à une actualité pleine de rebondissements et à la volonté du gouvernement de privatiser les gares ferroviaires. Entre politique et administration, ce sont des hommes au cœur de la machine étatique, où tout s’enchaîne dans une société complexe. 

« L’Exercice de l’État est un film en tension constante, et c’est sa grande réussite. (…) Ce film-là manquait. Il nous comble. » Telerama

  • 3. El Reino 

🇪🇸Espagne, 2018, Rodrigo Sorogoyen, 132 minutes, 8 prix, 5 nominations

El Reino nous plonge dans un engrenage infernal, celui d’une situation de crise dans un scandale médiatique de corruption. Manuel López Vidal est un homme politique espagnol prometteur, qui se retrouve au cœur d’un scandale de corruption impactant sa famille et ses amis. Dans une atmosphère paranoïaque, où plusieurs vérités cohabitent, le film questionne plutôt qu’il ne condamne. 

« Maîtrisant une assez réussie logique comportementaliste, El Reino plonge le spectateur au cœur d’une machine entropique. » Le Monde

  • 4. La Cravate

🇫🇷France, 2020, Mathias Théry et Étienne Chaillou, 97 minutes, 1 nomination

Ce film documentaire raconte l’histoire de Bastien, un jeune militant RN du Nord de la France, en suivant son parcours de vie politique en pleine campagne présidentielle. Dans une forme originale, où se percutent les images documentaires, l’analyse de l’auteur et l’avis commenté de Bastien, ce film touchant est sincère de vérité. Symbole de nombreux Français, ce film documentaire est un véritable marqueur de notre époque politique. 

« Ce documentaire offre un éclairage sur les rivalités du parti et le décalage entre ses cadres et la base. Mais sa plus grande réussite tient au choix d’explorer l’intime pour raconter la politique. » Le JDD

  • 5. Pentagon Papers 

🇺🇸USA, 2018, Steven Spielberg, 116 minutes, 9 nominations

Inspiré des faits réels de la publication des Pentagon Papers par le New York Times et le  Washington Post au début des années 1970, ce film nous transporte dans les milieux politiques, médiatiques et financiers au cœur de révélations et de mensonges. Quand les intérêts de l’État et la liberté du journalisme se percutent, ce film présente le courage des femmes et des hommes qui surmontent les épreuves pour révéler la vérité.

« Un film essentiel, politique et féministe qui, sous couvert de raconter hier, en dit long sur les Etats-Unis aujourd’hui. » LCI 

  • 6. La Dame de Fer 

🇬🇧🇫🇷Royaume-Uni/France, 2012, Phyllida Lloyd, 105 minutes, 8 prix, 4 nominations

Dans ce film biographique de Margaret Thatcher, Meryl Streep incarne avec force la dame de fer, pour retracer une vie marquante de la politique des années 1980. Alors malade de l’Alzheimer, elle est rattrapée par ses souvenirs alors qu’elle est âgée de plus de 80 ans. Entre son présent et son passé, le film revient sur les difficultés rencontrées par cette femme de courage dans sa carrière politique et dans ces onze années à la tête du Royaume-Uni. 

« Meryl Streep incarne une Margaret Thatcher plus vraie que nature. » Le Parisien

  • 7. Alice et le Maire 

🇫🇷France, 2019, Nicolas Pariser, 103 minutes, 2 prix, 7 nominations

Fabrice Luchini incarne avec brio, le maire de Lyon, Paul Théraneau, plein de lassitude après plus de 30 ans de carrière politique. Alice Heimann, jouée par Anaïs Demoustier, est alors une jeune philosophe, embauchée par la mairie, afin de stimuler intellectuellement le maire. De cette relation particulière, bousculant les certitudes, naît une réflexion sur la confrontation entre la pensée et l’action, qui permettra de reconnecter le maire à la réflexion, mais peut-être moins à la politique.

 « Une fête des maires qui fait des étincelles. » Le Figaro

  • 8. Adults in the room

🇬🇷🇫🇷Grèce/France, 2019, Costa-Gavras, 124 minutes, 1 prix, 2 nominations

Adapté du livre du sulfureux Yánis Varoufákis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, ce film présente les difficiles négociations avec l’Europe, le FMI et le nouveau gouvernement grec après la victoire du parti Syriza en 2015. Dans un pays en crise économique depuis 7 ans, confronté à l’austérité et aux attentes de son peuple, il présente les jeux d’influences et les difficiles choix des dirigeants grecs, dans une tragédie moderne. 

« Une leçon d’histoire contemporaine passionnante. » Ouest France 

  • 9. Quai d’Orsay

🇫🇷France, 2013, Bertrand Tavernier, 113 minutes, 4 prix, 4 nominations

Plongez dans le monde du Ministère des Affaires Étrangères en suivant les aventures d’Arthur, fraîchement arrivé dans le cabinet du ministre joué par Thierry Lhermitte. Rendant hommage au discours historique de Dominique de Villepin prononcé à l’ONU en 2003, le film suit le fonctionnement du Ministère au fil des crises internationales. Si le ton du film oscille entre humour et jeu politique, reste qu’il s’agit d’un quasi-documentaire s’inspirant de témoignages de personnes ayant travaillé au véritable Quai d’Orsay.

« Tavernier adapte avec brio la bande-dessinée de Blain et Lanzac sur Dominique de Villepin en ministre des Affaires étrangères survolté ». Le Figaro

  • 10. La Conquête

🇫🇷France, 2011, Xavier Durringer, 105 minutes, 3 nominations

Ce film biographique, sur la conquête du pouvoir par Nicolas Sarkozy en 2007, propose une plongée dans les coulisses de cette élection marquante. Dans une campagne folle, au cœur de pressions politiques et médiatiques, on voit apparaître une véritable bête politique, mais aussi un un homme blessé, qui dans cette hypermédiatisation, gagne le pouvoir mais perd sa femme. 

« A la fin, on félicite sincèrement les acteurs, leur travail remarquable, la façon dont ils ont réussi à s’approcher au plus près de leurs personnages sans sombrer jamais dans l’imitation ou la caricature. » Marianne 

La folie du système monétaire international

Mépriser l’économie, ou comment finir encore plus exploité et asservi

Si les gens comprenaient les grands mécanismes monétaires à l’échelle internationale, nos « problèmes » culturels, politiques et électoraux seraient rapidement relégués à autant de discussions de seconde zone. En France, tout particulièrement, notre inculture économique généralisée, provoquée par le dégoût historique des intellectuels pour tout ce qui touche un tant soit peu à la matière monétaire, fait de nous des cibles d’une docilité et d’une servilité monétaire évidente – et ce, malgré notre réputation de peuple « à la révolte facile ».

Le dernier siècle et ses combats idéologiques ont eu raison du rapport des Français au domaine économique. Aujourd’hui, un intellectuel s’y intéressant d’un peu trop près est encore regardé de travers par ses pairs. L’économie est recouverte d’un biais de suspicion, du voile du « profit », de l’« intérêt personnel ». Comme l’écrivait Hayek il y a de cela plus de 70 ans : « Nous avons inculqué dans l’esprit des jeunes que la stabilité économique était plus noble et plus souhaitable que la prise de risque que représentait l’entrepreneuriat. L’emploi fixe est montré comme plus « noble » et « désintéressé ». Employer une centaine d’hommes correspond à une exploitation immorale, en commander et dicter la vie de plusieurs centaines de milliers, voilà une tâche bien plus honorable.»

Au-delà des seules considérations « professionnelles » et « productives » de notre relation à l’économie, nos intellectuels se sont désintéressés des sciences économiques par refus de « s’abaisser à cette science qui n’est que l’instrument de domination d’une classe sur une autre. » Il faut ici remarquer un glissement idéologique entre les intellectuels marxistes français des années 1950-1960 et la gauche postmoderne actuelle. Les premiers considéraient le secteur économique comme la seule manière d’améliorer les conditions de vie des plus précaires mais s’opposaient à sa privatisation, les seconds aujourd’hui largement majoritaires considèrent la chose économique comme un problème « en soi » et non plus seulement la manière dont celle-ci fonctionne. Ce faisant, en plus d’une méconnaissance totale du fonctionnement basique du système monétaire les amenant à mettre sur pied des théories aussi farfelues que dangereuses telle que la décroissance ou l’anti-consumérisme (dont l’on notera que l’application finit toujours par être ornementée de divers moyen coercitifs et/ou autoritaires), nos intellectuels ne parlent que très peu et de manière bien hasardeuse du gigantesque mensonge économique sur lequel nous vivons. 

Il faut ici remarquer un glissement idéologique entre les intellectuels marxistes français des années 1950-1960 et la gauche postmoderne actuelle.

Pourtant, quiconque prend le temps de traiter l’économie comme elle se doit d’être traitée – c’est-à-dire comme le premier vecteur de liberté humaine sans lequel toute liberté politique n’est qu’un leurre que l’on agite pour se persuader d’une liberté que l’on nous a depuis longtemps retirée – trouvera sans mal des états de fait qui radicaliseront sa révolte en plus de la rendre bien plus opérante. Qu’il est cruel et paradoxal de constater que nos intellectuels ont tourné le dos à l’économie précisément au moment où celle-ci, à l’échelle internationale, aurait eu besoin d’être soumise à leurs critiques les plus affûtées. 

Les Français ont sans aucun doute la culture de la révolte politique, de l’insurrection sociale, mais certainement pas de la révolution économique. Pourtant, s’ils comprenaient la pyramide de papier sur laquelle nous sommes installés plutôt que refuser d’aborder cette matière par « élitisme intellectuel », il y a fort à parier qu’ils y trouveraient un moyen de se libérer à la fois de leurs chaînes politiques et économiques. Hayek parle d’ « écomophobie », bien que la psychiatrisation du débat public soit regrettable, il faut admettre que le comportement de rejet épidermique des thèmes allant de la production industrielle à la concurrence monétaire en passant par l’impression monétaire massive chez une grande partie des postmodernes de gauche (mais aussi de droite) tient d’une certaine manière de la psychose. Alors oui, il est très certainement plus aisé de maintenir sa posture d’intellectuel ou du moins de « penseur » en se gargarisant de l’étude des questions identitaires, culturelles ou sociales, mais dans un monde tertiarisé à l’économie essentiellement financière, il est naïf de penser pouvoir comprendre ou influer sur le déroulement des choses en mettant de côté le domaine économique. Et que l’on ne vienne pas me répondre que les chercheurs, les universitaires et les politiques parlent d’économie : tous ces gens se battent autour des solutions à apporter aux problèmes issus des politiques monétaires internationales, sans jamais remonter à la source de la chose. Que ce soit du côté de la dette ou du partage des richesses, d’un bord à l’autre du spectre politique, nous nous battons contre des conséquences sans jamais discuter réellement de la cause première des phénomènes économiques que nous subissons. 

Il est naïf de penser pouvoir comprendre ou influer sur le déroulement des choses en mettant de côté le domaine économique.

Il n’existera pas de véritable basculement politique sans basculement monétaire et économique. Or, toutes les institutions monétaires internationales œuvrent pour ne pas avoir à modifier leur fonctionnement, pour garder intactes leur idéologie corrompue, leur logique d’impression monétaire débridée et leurs modèles prédictifs de rendement. Ces gens rient bien des intellectuels occidentaux occupés à traiter de la couleur, du sexe et des privilèges des individus pendant que la FED et les différentes banques centrales occidentales multiplient la masse monétaire mondiale impunément en inondant les marchés financiers de milliards de dollars pour tenter de sauver un système économique à bout de souffle. 

D’ailleurs, est-il à « bout de souffle » ? Non, il est étranglé de force. Il est asphyxié et maintenu sous perfusion : asphyxié par le remplacement progressif d’une économie basée sur la production de richesse à une économie basée sur l’accroissement symbolique des valeurs. Autrement dit, nos politiques, par leur désintérêt et même parfois leur aversion pour l’économie, trop occupés à se battre sur la stratégie de répartition des parts d’un gâteau qui devenait de plus en plus ridiculement petit, ont oublié que la richesse, avant d’être répartie, doit être créée. Ce faisant, nous avons arrêté de produire de la richesse ; d’autres s’en chargeront, pensions-nous. Nous nous sommes donc concentrés sur la production de valeur tertiaire et très souvent technologique. L’économie internationale voyant qu’une bonne partie de l’Occident devenait de plus en plus incapable de créer de la richesse réelle et se rendant compte que son propre sort était pourtant entièrement lié au destin économique de ces mêmes pays, a décidé de placer ce qu’il restait de notre économie sous perfusion monétaire et de laisser nos intellectuels discuter du sexe des anges tout en nous administrant des «stimulus check » quand notre oxygénation sanguine devenait un peu basse.

Depuis 2010, la masse monétaire internationale en $ (ce qui correspond à l’ensemble des dollars en circulation dans le monde) a été multipliée par 5, ce qui fait une augmentation de 500%. Concernant l’€ sur la même période, c’est une augmentation de près de 150 %. Avec le COVID, l’impression monétaire a explosé en déjouant à la hausse toutes les prévisions. Nous n’avons jamais autant imprimé d’argent à partir de rien, dans le même temps l’Occident n’a jamais été aussi faible économiquement et politiquement. Mais ne vous y trompez pas, sauf quelques chèques à visées purement électorales, cette impression monétaire ne vise pas à soutenir les populations ou à relancer une véritable production de richesse en lançant un grand projet de réindustrialisation. Non, cet argent vise à déférer l’inflation sur les marchés financiers pour donner une illusion de bonne santé. Pourquoi ? Eh bien parce qu’à partir du moment où les marchés vont bien, tout va bien. Circulez il n’y a rien à voir. Voilà le grand mensonge : là où la richesse réelle que produisait par exemple notre industrie était relativement bien corrélée à la santé économique et politique de notre pays, le passage à une économie de valeur a permis aux instances internationales de décorer la valeur financière de la valeur économique de nos entreprises. Aujourd’hui la FED ou la BCE peuvent décider artificiellement d’augmenter à leur guise la valeur de tels ou tels secteurs économiques en quelques clics de souris.

L’inflation existe, ouvrez le cours de Tesla, d’Amazon, du SP500 et constatez par vous-même. Pour autant, nous ne devons pas nous tromper de cible. Nos intellectuels dans leur passéisme idéologique ont raison de parler de lutte des classes, mais aujourd’hui ils se battent avec des fantômes. Le patron d’industrie et l’ouvrier étaient très certainement une réalité anthropologique frappante dans l’Angleterre des années 1920. Amazon, Tesla, les grands groupes internationaux sont bénéficiaires mais pas nécessairement responsables de cet état de fait. Aujourd’hui la nouvelle lutte des classes est idéologique, c’est celle qui oppose les institutions préférant maintenir l’Occident en coma artificiel jusqu’à la mort clinique tout en transformant nos pays en musées grandeur nature, improductifs, déclassés et en dehors de la compétition économique internationale et les individus qui doivent prendre conscience des chaînes monétaires qui se referment progressivement sur eux. 

Aujourd’hui la FED ou la BCE peuvent décider artificiellement d’augmenter à leur guise la valeur de tels ou tels secteurs économiques en quelques clics de souris.

L’oppression économique est et restera la première des oppressions puisqu’elle est la condition sine qua non de toute liberté politique, sociale ou juridique. Si nous continuons à jouer avec les quelques cartes idéologiques qu’il nous reste, nous finirons par nous entretuer en étant persuadé que nos adversaires politiques sont responsables de notre misère galopante et de notre sortie de l’histoire alors qu’il faut regarder vers le haut.

Je ne pourrais malheureusement pas traiter l’ensemble des incohérences économiques mondiales sans réaliser un dossier d’analyse conséquent qui risquerait de m’amener sur des sujets qui sortiraient de mon champ d’expertise politique et économique. Cependant je ne peux que vous conseiller de vous saisir de ces sujets qui sous tendent la matrice idéologique actuelle et qui sont les seuls sur lesquels « on préférerait que vous vous taisiez. » L’affaire récente autour de GameStop et de la communauté de traders de la  Wallstreet Belts et les réactions violentes et immédiates des offices internationales de régulation, tout comme le discours critique autour de l’écosystème des cryptomonnaies par les banques centrales internationales sont autant d’indices qui devraient vous indiquer la direction vers laquelle creuser.

La bataille économique mondiale aura lieu, elle a déjà commencé. Nos intellectuels ont un siècle de retard sur cette nouvelle guerre idéologique, ils s’amusent avec les quelques jouets poussiéreux que l’on a bien voulu leur laisser : l’Occident se suicide économiquement en pratiquant une politique monétaire absurde qui devrait occuper 90 % du temps de nos chercheurs et de nos intellectuels tant celle-ci infuse tous les secteurs de la société et risque de nous exploser au visage. Nous aurons tous un rôle à jouer dans cette guerre monétaire. Voter, manifester, débattre de phénomènes sociaux, autant d’exemples qui ne dérangent plus rien, le système y est hermétique, mais qui vous donnent une illusion d’action. Votre argent, la manière dont vous le dépensez, le stockez et le protégez, voilà quelque chose sur lequel le système monétaire international fera tout pour vous persuader de l’absence d’alternative crédible. Car le premier pouvoir individuel est monétaire.

Elections Régionales : J-100

A 100 jours des élections, état des lieux des enjeux et perspectives

Les 13 et 20 juin prochains, nous serons appelés aux urnes pour les élections territoriales, qui réuniront pour la première fois deux élections pour le prix d’une : les départementales et les régionales. Pas la peine de nous mentir, on sait que la plupart d’entre vous n’en ont pas grand- chose à faire ; les élections régionales, comme les élections européennes, sont souvent boudées par les Français en termes de participation. Pourtant, vous auriez tort de survoler le sujet : les élections régionales de cette année vont être annonciatrices des stratégies mises en place pour les élections présidentielles de 2022. De toute manière, à Skopeo, on vous a mâché le travail : vous trouverez dans cet article une synthèse des enjeux et de toutes les informations importantes à retenir en vue des élections à venir. Et pour rendre le tout digeste, on ne parlera que des régionales en France métropolitaine. Nous n’aborderons donc pas la question des conseils départementaux, et des membres des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique qui ont la particularité d’être des collectivités uniques.

Maxime Feyssac

Pierre Vitali

à Skopeo on est sympathiques, on vous propose une annexe téléchargeable gratuitement et regroupant une liste exhaustive des candidats dans chaque région :

Les modalités pratiques et le calendrier de l’élection

D’ordinaire, les élections régionales ont lieu tous les six ans, en mars ; mais crise sanitaire oblige, les élections de 2021 ont été reportées au 13 et 20 juin prochains (ces dates peuvent encore évoluer) par un vote du Parlement. Par ailleurs, il est prévu qu’au plus tard le 1er avril, le gouvernement remette au Parlement un rapport, sur la base « d’une analyse de comité de scientifiques, sur l’état de l’épidémie de Covid-19, sur les risques sanitaires à prendre en compte et sur les adaptations nécessaires ».

Vous l’aurez peut-être compris, il s’agit d’un mode de scrutin qui encourage à nouer des alliances.

Les élections régionales se déroulent selon un scrutin de liste proportionnel à deux tours, avec prime majoritaire. Malgré ce titre alambiqué, le principe est en réalité assez simple : la liste obtenant la majorité absolue au premier tour, ou le plus de voix au second tour, obtient une prime de 25 % du nombre des sièges. Les autres sièges sont répartis à la proportionnelle entre toutes les listes (y compris celle gagnante). Cela assure au vainqueur une majorité claire dans l’assemblée régionale. Seules les listes ayant obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés peuvent participer au second tour. Par ailleurs, les listes obtenant plus de 5 % des suffrages exprimés au premier tour peuvent fusionner avec les listes accédant au second tour. Vous l’aurez peut-être compris, il s’agit d’un mode de scrutin qui encourage à nouer des alliances.

Mais comme nous le disions plus haut, les élections régionales connaissent une faible participation, et l’épidémie pourrait faire augmenter l’abstention, comme pour le second tour des municipales (taux d’abstention de 60 %). Peut-être que vous n’étiez même pas au courant que vous alliez devoir voter en juin prochain. Alors, exceptionnellement, les électeurs disposent de deux procurations, contre une seule habituellement. La mission d’information du Sénat a toutefois écarté tout recours à un vote par correspondance ou par internet. La loi prévoit aussi un allongement de la durée de la campagne officielle (19 jours au lieu de 12), ainsi qu’un numéro d’appel gratuit pour permettre aux électeurs de se renseigner sur les programmes.

Quels sont les enjeux pour la gauche et la droite ?

Au premier tour des régionales de 2015, le FN (Front National) et LR (Les Républicains) arrivèrent en tête avec plus de 27% chacun, devant le PS alors au pouvoir. Le PS s’était retiré dans l’entre-deux-tours dans les Hauts-de-France, face à Marine Le Pen, et en PACA, face à Marion Maréchal, afin de leur faire barrage. Au second tour, la gauche a tout de même conservé cinq des nouvelles régions : Occitanie, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire, Bretagne et Nouvelle-Aquitaine. La droite détient donc aujourd’hui sept régions : Ile-de-France, PACA, Grand Est, Pays de Loire, Auvergne-Rhône-Alpes, Hauts-de-France et Normandie, et elle espère bien décrocher la Bourgogne-Franche-Comté et le Centre-Val de Loire. Le principal enjeu de 2021 est donc pour les exécutifs régionaux de défendre leurs bilans pour espérer se maintenir dans un paysage politique qui a été bouleversé depuis 2015. En effet, cette élection fera office de test grandeur nature pour de nombreuses formations politiques en vue de 2022. Droite et gauche vont-elles se maintenir au niveau local et conforter leurs forces ? RN (Rassemblement National) et EELV (Europe Ecologie Les Verts) vont-ils réussir à s’imposer pour pouvoir appliquer leur programme à un niveau plus important ? LREM (La République En Marche) va-t-elle enfin pouvoir s’implanter dans les collectivités locales ?

Pour la droite, ces régionales feront pour le moment office de primaire de fortune en vue des présidentielles.

Pour la droite, ces régionales feront pour le moment office de primaire de fortune en vue des présidentielles. Entre les candidats Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse et Xavier Bertrand, la compétition pour s’imposer comme le plus fort dans sa région, et son parti, est lancée. Même si les échecs d’alliances LR/LREM aux municipales ont refroidi toutes alliances de premier tour aux régionales, ces dernières restent envisageables au second tour afin d’empêcher des basculements vers le RN ou la gauche. Ainsi, et même si Christian Jacob, président des Républicains, exclut toute alliance avec LREM, dans la région PACA c’est bien la peur d’une victoire de l’ex-LR et désormais RN Thierry Mariani qui inquiète le président de la région Renaud Muselier. Ce dernier a récemment jugé « intéressante » la proposition du maire de Nice Christian Estrosi d’une alliance avec Macron à la présidentielle de 2022. Sortant avec le plus de régions, LR a donc le plus à perdre dans ces élections, mais aussi le plus à gagner, si la droite arrive à se maintenir ou même à amplifier ses résultats.

Pour la gauche, ces régionales seront le test de l’unité et de possibles alliances. Les socialistes et écologistes attendent de ce scrutin qu’il confirme leurs bons résultats aux municipales (et aux européennes pour EELV). EELV, le PS (Parti Socialiste) et LFI (La France Insoumise) ont passé des accords avec d’autres formations de gauche et/ou écologistes (PCF [Parti Communiste Français], PRG [Parti Radical de Gauche], Génération.s, Génération Ecologie, Cap 21, etc.), mais sans jamais se croiser. La gauche veut réitérer la stratégie d’union qui s’était avérée gagnante aux municipales. Pour le second tour, il est probable que les listes de gauche se réunissent autour de la liste arrivée en tête, si l’une d’elles atteint plus de 10%. Mais pourront-elles réunir toutes les forces de gauche, de LFI au PS, en passant par EELV ? Cela sera d’autant plus difficile si EELV s’impose comme meilleure force politique et souhaite continuer en solitaire. Mais si ces dernières arrivent à conserver leurs coalitions, et leur permettent de bons scores, il s’agira ensuite de se réunir en vue de 2022.

Pour la gauche, ces régionales seront le test de l’unité et de possibles alliances.

Pour LREM, ces régionales s’annoncent compliquées et à oublier rapidement. Même si depuis les dernières régionales, LREM a fait irruption dans certains conseils régionaux, en subtilisant des adhérents du PS, et en s’alliant au Modem, qui fait pourtant actuellement partie des majorités de droite à l’échelle régionale. La majorité peine à trouver des têtes de listes fortes, mais aussi des appuis ; l’alliance avec LR ou le PS semble a priori impossible. L’équation pour Emmanuel Macron est alors compliquée, entre envoyer des ténors du gouvernement qui risquent des échecs cuisants et négocier quelques postes au second tour sans réellement s’imposer.

Pour le RN comme pour LFI, ni Marine Le Pen, ni Jean-Luc Mélenchon ne se présenteront en têtes de liste, voulant ainsi se préserver pour 2022. Ils souhaitent cependant réaliser de bons scores et faire émerger des personnalités comme Jordan Bardella (RN) et Clémentine Autain (LFI) en Île-de-France. Le RN envisage même de prendre des régions avec Sébastien Chenu (RN) dans les Hauts-de-France ou Thierry Mariani (RN) dans le Sud-PACA.  

Que prévoient les sondages en termes de résultats?

Le mois dernier, le journal « Les Echos » et Radio Classique ont lancé auprès d’OpinionWay l’indicateur RégioTrack, un baromètre mensuel pour suivre l’évolution des intentions de vote pour les régionales. Pour le moment, le rapport de force national est le suivant : LR et alliés (23%), RN et alliés (20%), LREM et alliés (17%), PS et alliés (13%), EELV et alliés (12%), LFI et alliés (7%). Même s’ils arrivent en tête des intentions de vote, ni LREM, ni le RN, ne sont assurés de décrocher une région. Ainsi, tous les présidents sortants (5 socialistes et 7 républicains/centristes) sont donnés favoris, surtout avec la crise sanitaire qui a tendance à geler les positions. De plus, le mode de scrutin favorise les alliances et handicape les cavaliers seuls. A l’heure actuelle, les seules régions qui semblent pouvoir basculer sont les régions Sud Provences-Alpes-Côte-d’Azur, Centre-Val-de-Loire et Pays-de-la-Loire. D’autres régions seront très scrutées car les enjeux sont importants, il s’agit des Hauts-de-France et de l’Ile-de-France. 

Les régions qui peuvent basculer :

Dans la région Sud-PACA, le président sortant Renaud Muselier (LR, UDI, Modem) doit faire face à l’ex-LR désormais eurodéputé RN Thierry Mariani, donné favori. En 2015 déjà, il avait fallu l’union de toutes les forces politiques pour empêcher Marion Marechal de prendre la région. L’attitude de la gauche au second tour déterminera le scrutin. 

Dans la région Centre-Val-de-Loire, le président sortant, François Bonneau (PS), semblait plutôt en bonne posture pour sa réélection, mais les récents sondages et la déclaration de Nicolas Forissier (LR), député et ancien secrétaire d’État chargé de l’Agriculture, est désormais pressenti pour lui succéder. 

Dans les Pays-de-la-Loire, l’alliance de second tour de toutes les gauches semblait pouvoir faire basculer la région, mais la présidente sortante Christelle Morançais (LR), succédant à  Bruno Retailleau semble pouvoir se maintenir. Lucie Etonno (EELV, G.s, UDB, GE) est alors bien placée (surtout si elle arrive à rallier toute la gauche autour d’elle), mais la candidature de Matthieu Orphelin pour prendre la tête de liste des écologistes pourrait changer la donne. Les autres candidats sont : Guillaume Garot (PS, PRG, PCF), François de Rugy (LREM) et Hervé Juvin (RN). 

Les régions à surveiller :  

Dans les Hauts de France, le favori reste Xavier Bertrand, ex-LR, soutenu par LR, l’UDI et le Modem, qui considère ce scrutin comme “sa primaire” pour 2022. Mais il devra faire face à Sébastien Chenu, porte-parole du RN et considéré comme le challenger de par les scores du RN dans la région. Tout dépendra, ici encore, de l’attitude au second tour des 4 listes LFI, PCF, PS et EELV. 

 En Île-de-France, la plus grande et riche région de France, la sortante Valérie Pécresse est donnée gagnante à 33% par le dernier sondage IFOP de mars 2021 commandé par la région, loin devant la liste LREM à 13%. Mais si les listes d’Audrey Pulvar (PS) et de Julien Bayou (EELV) s’allient, elles arriveraient cependant à 24%. Une autre liste a émergé à gauche avec la candidature de Clémentine Autain 10% (LFI); reste à savoir si elle se rapprochera également de la liste PS. Jordan Bardella (RN) vient également d’annoncer sa candidature ; les estimations le font plafonner à 15% pour le moment.

“Même si Valérie Pécresse est pour le moment largement en tête des intentions de vote au premier tour,  cette avance confortable pourrait forcer la gauche à se compromettre avec l’extrême gauche”,

“Même si Valérie Pécresse est pour le moment largement en tête des intentions de vote au premier tour,  cette avance confortable pourrait forcer la gauche à se compromettre avec l’extrême gauche”, estime Joévin Beillacou. Pour ce militant de la première heure du mouvement “Libres!” de Valérie Pécresse, tant que les listes PS, EELV et LFI ne se regroupent pas, la gauche ne pourrait pas présenter un danger réel pour la présidente de la région. “Il est probable qu’Audrey Pulvar s’allie avec Julien Bayou ; mais la question du rapprochement avec La France Insoumise est plus délicate, car elle impliquerait un dialogue entre le PS et LFI sur certains thèmes comme la laïcité. ». Si pour l’instant les questions idéologiques compliquent une union totale des gauches, la recherche d’un intérêt commun a de grandes chances de pousser ces 3 listes à s’unir. Une telle union au second tour pourrait présenter un vrai danger, surtout si les élus Modem suivaient les consignes de leur parti à l’échelle nationale et décidaient de se détacher de LR au profit de LREM. Dans ce scénario, la droite aussi pourrait bien être poussée à s’unir ; mais dans quelle direction ? Il reste que pour le moment, la crise sanitaire, et le fait que la tête de liste LREM soit relativement inconnue du grand public, donnent un clair avantage à la présidente actuelle de la région.

Un permis de voter, un projet utopique ?

La limitation du suffrage pour revitaliser la démocratie

Doit-on se contenter de la forme actuelle que prend notre démocratie ? Est-ce l’organisation politique définitive à laquelle il convient de se résoudre ou a-t-on encore la possibilité d’imaginer une alternative ? Comme tout régime politique, la démocratie est un objet en constante évolution, elle ne saurait être immuable. Dès lors, des propositions et des utopies sont à même de revigorer et de dessiner une nouvelle voie politique. C’est dans cette perspective que s’inscrit notre proposition d’un « permis de voter », qui devrait au moins avoir le mérite de pousser la réflexion et de stimuler le débat.

Emilien Pouchin

Lucas Da Silva

Un permis de vote pour remédier aux problèmes inhérents à notre démocratie

Nous évoluons dans un système dit démocratique puisqu’il donne la possibilité à tout citoyen âgé d’au moins 18 ans de prendre part, à travers son vote, aux décisions politiques de son pays. Pour beaucoup, ce mode de gouvernement est le meilleur en ce qu’il accorde à chaque citoyen une part égale de souveraineté. Or, nous verrons que ce système démocratique a de nombreux défauts qui lui sont intrinsèques ou conjoncturels. 

Avant tout développement, il faut rappeler que dans sa définition classique, le politique désigne l’art du bon gouvernement de la Cité et se donne pour finalité d’atteindre le Bien Commun. De là, l’exercice de cet art suppose certaines qualités, certaines compétences et certaines vertus. La prise de décision pour le futur de la nation ne peut en effet se faire sans un usage aiguisé de la raison et une éducation solide permettant de penser par soi-même et de s’extraire des préjugés.  Dès l’Antiquité, de nombreux philosophes pensaient que le peuple ne pouvait pas disposer des prérequis nécessaires à l’exercice du politique. Selon Platon par exemple, le meilleur régime politique est celui d’un gouvernement des philosophes-rois qui, par leur éducation, sont capables de penser sur le long terme, de s’extraire de leurs passions et de faire preuve de prudence. Au contraire, le peuple est vu comme une masse désordonnée d’individus gouvernés par leurs passions immédiates et ne cherchant que leur bonheur sur le court terme. Le permis de vote pourrait, dans cette optique, être un régime hybride entre un pouvoir accordé au peuple mais réservé uniquement à ceux ayant les compétences politiques requises. 

Dès l’Antiquité, de nombreux philosophes pensaient que le peuple ne pouvait pas disposer des prérequis nécessaires à l’exercice du politique.

En effet, il faut noter que le niveau éducatif en France est, depuis maintenant plusieurs décennies, en baisse continuelle. Les Français ont de plus en plus de difficultés à écrire et à comprendre leur propre langue, ils connaissent de moins en moins leur Histoire et leur esprit critique n’est plus aussi aiguisé. Si l’on ajoute à cela des médias de masse qui préfèrent promouvoir l’émotion et le divertissement à la place de l’information sérieuse, comment le peuple pourrait-il avoir tous les outils intellectuels pour participer à l’exercice de la décision politique ? 

Dans notre démocratie, il est admis d’emblée que l’avis de chaque citoyen en âge de voter a autant de valeur que celui de n’importe quel autre de ses concitoyens. Ne serait-ce pas là une injustice faite à ceux qui prennent le temps de développer leurs compétences afin d’être le plus apte à se prononcer lors des échéances électorales ou des référendums ? Comment une majorité de sots pourrait-elle s’imposer à une minorité de sages ? Ainsi que nous l’apprend Alexis de Tocqueville, la démocratie peut se transformer en une tyrannie de la majorité et celle-ci, bien qu’elle ait le pouvoir, n’est pas nécessairement juste et raisonnée. Cette « tyrannie démocratique » peut cependant être limitée en ne promouvant que la voix des citoyens éclairés. A moins d’être absolument relativiste et de penser que tous les avis se valent, il apparaît nécessaire d’accorder plus de crédit aux citoyens réfléchis et raisonnables qu’à ceux qui se désintéressent de la chose politique. 

Comment une majorité de sots pourrait-elle s’imposer à une minorité de sages ?

Ainsi, une démocratie saine et apaisée serait celle où le citoyen ferait de son vote l’objet d’un choix personnel et mûrement réfléchi. Or, on se rend compte au fil des élections que le vote peut être largement orienté par la communication politique, la pression sociale ou la couverture médiatique. Il faut alors faire preuve de discernement pour voter en conscience malgré ce puissant aiguillage des votes. Par exemple, un électeur non averti pourrait se laisser dissuader de voter pour un parti qualifié de « populiste » puisque ce mot est largement galvaudé dans le débat public. Pourquoi voter pour un parti associé à une « lèpre qui monte » ? A l’inverse, le candidat Macron a bénéficié lors de sa campagne d’une large couverture médiatique et il était présenté comme jeune, nouveau, dégagiste et anti-système. Il y a là de quoi convaincre nombre d’indécis et de citoyens dépolitisés… 

Par ailleurs, au-delà des élections à intervalles réguliers, le peuple n’est que très rarement consulté sur les décisions politiques les plus importantes. Le dernier référendum date de 2005 et le résultat n’a d’ailleurs pas été respecté. Or, il ne serait pas absurde de penser que pour une réforme politique de grande importance qui ne figurait pas dans le programme du candidat, le peuple devrait être légitime à se prononcer. Avec un permis de vote, les politiques seraient sans doute moins réticents de s’adresser au peuple puisque le référendum ne serait soumis qu’à la population ayant la formation politique requise. Ainsi, l’idée d’un permis de vote pourrait réhabiliter la consultation démocratique et revitaliser le rapport entre gouvernants et gouvernés.

La justification théorique et philosophique d’un permis de voter

D’abord, il faut avoir la lucidité de reconnaître que cette proposition d’instauration d’un permis de voter reste éminemment utopique. En effet, ce serait un projet très impopulaire à porter – nous reviendrons sur ses limites intrinsèques plus tard – d’autant que la tendance semble pencher vers l’extension du corps électoral (hypothèse du droit vote à 16 ans) plutôt qu’à sa restriction. L’on peut facilement deviner le tollé que la promotion de cette idée provoquerait, chez un peuple qui se sentirait lésé et qui aurait le sentiment qu’on lui confisque son droit le plus précieux. En démocratie, c’est le peuple qui est souverain, c’est l’élément premier et fondateur de sa raison d’être. Ainsi, dans son évolution historique, la démocratie n’a cessé de s’étendre pour accorder une voix à ceux qui ne l’avaient pas initialement. Au sein de notre République, le suffrage se présente comme universel, chaque citoyen et chaque citoyenne jouissent indistinctement du droit de vote. Dès lors, la décision de restreindre le suffrage sous certaines conditions apparaîtrait anachronique, comme une marche en arrière à éviter.

 Pour autant, dans l’idéal, le permis de voter permettrait de s’assurer que les citoyens aient les compétences essentielles (notamment des bases théoriques sur le fonctionnement de nos institutions, des connaissances en économie, une certaine compréhension des enjeux contemporains…) pour décider de l’avenir de leur pays en connaissance de cause. Ce projet utopique s’appuie pleinement sur le modèle du permis de conduire : aujourd’hui, personne n’oserait contester la nécessité de valider le Code de la Route et d’apprendre à conduire durant des dizaines d’heures avant d’avoir le droit de prendre le volant. La responsabilité d’un conducteur s’avère trop lourde pour ne pas s’assurer, en amont, qu’il ait bien conscience des dangers qui l’entourent sur la route et de sa capacité à ne pas compromettre la sécurité des autres. Ainsi, de la même façon que le permis de conduire permet de baisser significativement les risques d’accidents et de morts, le permis de voter constituerait une forme de “garde-fou” pour prévenir les conséquences potentiellement regrettables du vote non éclairé.

Le permis de voter permettrait de s’assurer que les citoyens aient les compétences essentielles pour décider de l’avenir de leur pays en connaissance de cause.

Si la démocratie a vocation à mieux se porter lorsque le pouvoir est réellement donné au peuple, alors il faut favoriser une parole et une clairvoyance citoyennes de qualité, grâce à la transmission de prérequis nécessaires. Dans notre quotidien, il faut avoir l’humilité de reconnaître que nous sommes incapables de nous exprimer sur tous les sujets imaginables, c’est simplement impossible : un historien ne s’aventurera pas à parler de biologie s’il n’a jamais étudié cette science, un sociologue ne pourra pas disposer des connaissances d’un plombier et inversement… Il est important de savoir reconnaître ses propres limites et ses lacunes individuelles. Ainsi, seule une petite minorité de citoyens prend effectivement le temps d’accroître ses connaissances en politique avant d’aller voter le cas échéant. C’est pourtant l’avenir du pays qui se joue et le quotidien du peuple. Il ne s’agit pas d’élire le délégué de sa classe au collège. La démocratie doit comporter des exigences, un droit aussi essentiel que celui de voter doit comporter des devoirs.

Une démocratie en bonne santé, qui navigue vers un horizon de justice, ne peut tolérer qu’un avis ignorant (voire imbécile) l’emporte sur un jugement éclairé et raisonnable. Autrement, reconnaissons que nous tendons vers une “idiocratie”. Aussi, la démocratie, lorsqu’elle n’est pas exigeante envers elle-même, peut courir à sa propre perte. Il semble dangereux – l’histoire peut en témoigner – de permettre à tout le monde de voter indistinctement sans s’être assuré au préalable de la capacité de chacun à émettre un avis pertinent et éclairé. Sinon, ce sont les passions qui gouvernent, ce sont les idéologies qui prennent le pas, ce sont les idées reçues et les opinions non fondées qui dominent les jugements raisonnables. 

La démocratie, lorsqu’elle n’est pas exigeante envers elle-même, peut courir à sa propre perte.

Par ailleurs, notons que le droit de vote se trouve en réalité déjà restreint. En effet, seules les personnes majeures peuvent se rendre à leur bureau de vote à l’occasion des différentes élections politiques. Il est donc admis, depuis toujours, qu’un citoyen n’ayant pas atteint l’âge adulte ne saurait être en mesure de se prononcer sur les affaires publiques et de participer au débat politique. Aujourd’hui, un jeune français de moins de 18 ans n’est pas reconnu comme disposant des connaissances et des prérequis nécessaires pour participer à la vie démocratique. Mais alors, pourquoi cette « aptitude », pleine d’exigence, apparaîtrait-elle chez le jeune adulte du jour au lendemain lorsqu’il atteint la majorité ? A l’inverse, on peut imaginer sans difficulté un adolescent de 15 ans doté d’une culture politique et de connaissances générales plus développées que chez un adulte de 30 ans qui ne s’est jamais intéressé à la vie politique. 

La mise en pratique d’une telle idée utopique

Les idées utopiques sont-elles pensées pour être mises en œuvre dans le réel ou doivent-elles être cantonnées à l’univers abstrait de l’intellect humain ? C’est une vaste question à laquelle il serait difficile d’apporter une réponse ferme et définitive. Ce n’est de toute façon pas le sujet fondamental de cet article. Nous partirons donc du principe que cette utopie du permis de voter a vocation à être appliquée dans la réalité. Dans ce cadre, comment pourrait-on imaginer la mise en pratique de ce permis de voter ?

L’instauration d’un tel système supposerait une profonde refonte de notre système de démocratie.

Nous pouvons imaginer l’exécution de ce projet en deux étapes : pour voter à chaque scrutin, il serait d’abord exigé l’obtention d’un « permis général », couplé d’une « accréditation » particulière à chaque nouvelle élection. Voici le schéma imaginable :

  • Un permis général, octroyant au citoyen le statut d’électeur, qui pourrait s’obtenir très tôt, dès l’adolescence (à 13 ou 14 ans par exemple) afin de pousser les jeunes à la politisation et de leur donner envie de participer à la vie démocratique. Des cours pourraient être donnés, sur le modèle de l’EMC (Enseignement Moral et Civique), en vue de l’obtention de ce permis : soit directement à l’école, soit dans des centres extérieurs prévus à cet effet (sur le modèle du Code de la Route). Une formation gratuite, accessible à toute étape de la vie après l’âge minimal décidé, débouchant sur un examen portant sur une vérification des connaissances politiques générales : institutions françaises et européennes, base juridique sur le fonctionnement de la Ve République, notions dans les domaines clés tels que l’économie, l’environnement, l’agriculture, la défense, les relations internationales…
  • Une accréditation particulière pour chaque nouvelle élection, pouvant prendre la forme d’un questionnaire portant sur le scrutin à venir. Ce test régulier permettrait simplement de vérifier que le citoyen – déjà détenteur du permis de voter – soit bien au fait des grands enjeux de la prochaine élection et des programmes des différents candidats ou partis politiques. Pour donner des exemples : si une élection européenne approche, un questionnaire serait envoyé au citoyen pour s’assurer qu’il connaisse bien les actualités européennes et les modalités particulières du scrutin ; si un référendum portant sur l’intégration d’une part de proportionnelle à l’Assemblée nationale doit se tenir, un test serait réalisé auprès des citoyens pour confirmer leurs connaissances sur cette proposition et ses enjeux…

Il est évident que l’instauration d’un tel système supposerait une profonde refonte de notre système de démocratie. Elle exigerait de repenser radicalement nos habitudes et nos mœurs politiques. Bien évidemment, elle demanderait un recrutement important de professionnels, qui pourraient éventuellement disposer du statut d’enseignant en ce sens qu’il leur sera demandé de transmettre une instruction et des savoirs les plus neutres possibles aux citoyens. Elle supposera également de tirer profit des atouts que le numérique nous offre : en proposant des cours en ligne, des lectures facilement accessibles ; de même, les tests pour délivrer les « accréditations » particulières à chaque nouvelle élection pourraient parfaitement avoir lieu sur une plateforme digitale…

Les limites du permis de vote 

Le permis de vote semble, depuis le début de notre présentation, répondre aux principales défaillances inhérentes à notre démocratie. Toutefois, il est nécessaire de nuancer cet idéal en présentant les défauts et les principales limites auxquelles il pourrait se heurter. 

Le premier et le plus grand danger est celui de l’idéologisation. Il faudrait éviter que le système de permis de vote et d’accréditation tombe entre les mains du pouvoir politique en place car ce dernier pourrait s’en servir comme d’un instrument pour promouvoir une « vérité absolue », qui ne serait en fait que la sienne. En prenant l’exemple de l’économie, il ne faudrait pas que le libéralisme soit présenté comme la seule doctrine viable. Il en va de même pour les questions internationales, où le débat tend à se cristalliser entre souverainistes et européistes, chacun pensant que sa solution est un remède miracle contre tous les maux de la société. Quelles que soient les questions, il serait possible d’influencer les électeurs afin de ne réserver le droit de voter qu’à ceux qui pensent en conformité avec le pouvoir. Or, ce serait là une perversion du permis de vote, dont la finalité est de tester les connaissances et compétences politiques de la manière la plus neutre possible.

Il faudrait éviter que le système de permis de vote et d’accréditation tombe entre les mains du pouvoir politique en place.

L’accroissement du taux d’abstention à chaque élection, même aux plus importantes, traduit un désintérêt de plus en plus manifeste de la part de la population pour la chose politique. L’instauration d’un permis de vote pourrait alors agir comme une accentuation de cette dynamique de dépolitisation généralisée. En effet, les citoyens déjà concernés et intéressés par les enjeux politiques prendraient le temps et fourniraient les efforts nécessaires à l’obtention du permis de vote. A l’inverse, toute la frange de la population déjà dépolitisée ou qui ne manifeste qu’un intérêt limité à l’action démocratique serait davantage découragée. Est-ce là une réelle limite ? Pas nécessairement si le nouvel horizon démocratique n’est plus celui d’un suffrage universel mais d’un suffrage à accès égal mais limité en fonction des compétences.

En revanche, afin que le régime demeure démocratique et ne mute pas en oligarchie, il faudrait pouvoir garantir un égal accès à ce permis ; il ne devrait pas être un nouvel élément de reproduction de la fracture éducationnelle et culturelle qui déchire notre pays. En effet, le permis de vote serait bien plus facile d’accès aux enfants des familles aisées, dont le capital culturel est supérieur aux enfants de familles plus démunies. L’École doit alors renouer avec son rôle intégrateur en donnant à tous les citoyens la possibilité de bénéficier d’une éducation de qualité et les clefs nécessaires pour appréhender le monde dans lequel ils évoluent. Ainsi, tout citoyen, quel que soit sa classe sociale, pourrait bénéficier au départ des mêmes chances d’accès au permis de vote.

Il ne devrait pas être un nouvel élément de reproduction de la fracture éducationnelle et culturelle.

Bien entendu, le permis de vote n’est qu’une idée au service d’une ambition plus grande de revigoration de notre démocratie. Elle doit s’inscrire dans un cadre plus large : repenser notre système politique, combattre les inégalités culturelles, faire de l’éducation et de l’information des priorités absolues. Sur ce dernier sujet, il est clair que l’instauration d’un permis de voter doit nécessairement s’accompagner d’un projet plus ambitieux d’éducation qualitative pour tous les citoyens. L’enjeu plus global, dans un idéal d’émancipation et de participation éclairée à l’action politique, c’est la démocratisation réelle de l’instruction et une meilleure transmission du savoir. 

L’impact du confinement sur les addictions des Français

Maxime Feyssac

Aujourd’hui, Skopeo est fier de vous présenter sa première enquête sociologique, sous la forme d’un sondage. Bien sûr, vous connaissez le refrain : « l’opinion publique n’existe pas » nous disait Pierre Bourdieu. Alors, avant de commencer, soyons clair : cette enquête, basée sur les témoignages de 426 personnes, n’a pas pour vocation d’établir un sondage exhaustif et exact de la situation actuelle. Son but n’est pas d’établir des vérités universelles. Cependant, il pourra nous aider à comprendre les grandes tendances traversant le public, et à mieux appréhender les phénomènes sociaux propres au confinement. 426 personnes, ce ne sont pas 67 millions de Français, mais elles permettent quand même de se faire une idée de la réalité. Par ailleurs, l’étude a été menée en adoptant la forme d’un questionnaire en ligne, posté sur Facebook et Instagram, sous le format Google Form. Il faut donc prendre en compte les biais inhérents à ces réseaux sociaux, surtout le fait que l’audience ayant répondu était plutôt jeune en moyenne (entre 16 et 30 ans pour la plupart). A vrai dire, cette enquête aurait presque pu s’appeler « l’impact du confinement sur les addictions des étudiants », tant ils représentent une majorité de témoignages. Dans un contexte de détresse étudiante, provoquée par les tergiversations du gouvernement en pleine crise sanitaire, nous pensons qu’il est important de partager cette étude avec vous. Mais sans plus d’introduction, commençons.

Pourquoi étudier les effets du confinement sur les addictions des Français ?

Tout d’abord, car les Français semblent être assez friands des drogues de manière générale. Rappelons que selon l’OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies), le terme de drogue « recouvre l’ensemble des produits psychoactifs dont la consommation perturbe le système nerveux central en modifiant les états de conscience. » Le degré de légalité d’une substance ne détermine donc pas son appartenance ou non à la catégorie « drogue ». L’alcool est une drogue, le tabac est une drogue, le café est une drogue, etc. Or, selon les derniers chiffres publiés dans le rapport 2019 de l’OFDT, l’alcool et le tabac demeurent les drogues les plus consommées par les Français. 27% des adultes fument tous les jours et 10% boivent quotidiennement de l’alcool. La France reste donc devant la plupart des pays européens dans ce domaine (33% de fumeurs quotidiens parmi les 15 ans et plus, 24% en moyenne au niveau européen, en 2017). Enfin, en termes de consommation de marijuana, la France est en tête des pays de l’UE : le cannabis est la drogue illicite la plus consommée en France puisqu’on observe 1,4 millions de consommateurs réguliers. Chez les 15-16 ans en France, 17% sont des consommateurs de cannabis, la moyenne étant de 7% en Europe. A l’âge de 16 ans, les jeunes Français sont donc les premiers consommateurs d’Europe. Or, on pourrait penser, comme c’est le cas de nombreuses personnes, qu’avec l’arrêt des événements festifs, qu’avec la fermeture des lieux de sociabilité comme les bars, boites et restaurants, cette consommation de tabac, alcool et cannabis aurait baissé.   

Mais c’est là qu’intervient notre deuxième constat : il n’a pas été prouvé que l’isolement réduit la consommation de drogues et les addictions. Au contraire, de nombreuses études prouvent l’inverse. Ainsi, dès 1978, le psychologue canadien Bruce K. Alexander a mené une expérience qui allait révolutionner la façon dont nous comprenons les addictions. Cette expérience nommée « Rat Park » a abouti à la principale percée de l’époque dans ce domaine : le lien sous-jacent entre l’environnement d’une personne et ses addictions. L’expérience Rat Park visait à prouver que la psychologie était la principale cause de l’addiction, et non la drogue elle-même. Avant l’expérience d’Alexander, les études de dépendance utilisant des rats de laboratoire ne modifiaient pas l’environnement du rat. Les scientifiques plaçaient les rats seuls dans de minuscules cages isolées, appelées « Skinner boxes » et les affamaient pendant des heures. Les rats pouvaient choisir de s’injecter diverses drogues en poussant un levier dans la cage. En général, les rats appuyaient sur le levier jusqu’à l’overdose. Les études ont donc conclu que les drogues provoquaient une dépendance irrésistible à cause de leurs propriétés spécifiques. Cependant, les rats sont, comme les humains, des créatures sociales par nature qui se développent au contact et en communication avec d’autres congénères. Mettre un rat en isolement produit le même effet que pour un humain. Si les prisonniers en isolement avaient la possibilité de prendre des narcotiques abrutissants, ils le feraient probablement.  Alexander a donc construit « un parc à rats » avec des jeux, beaucoup de nourriture et un espace pour s’accoupler, et 16 à 20 rats des deux sexes se mêlant les uns aux autres. Cependant, les rats avaient toujours la possibilité d’activer un levier pour recevoir de la drogue. Les scientifiques ont constaté que les rats de Rat Park ingéraient des doses de drogues 19 fois moins importantes que ceux des Skinner Boxes. Même les rats enfermés dans des Skinner Boxes pendant 57 jours se sont sevrés naturellement à Rat Park. Peu importe ce qu’ils ont essayé, Alexander et son équipe n’ont jamais produit ce qui ressemblerait à une dépendance chez les rats hébergés à Rat Park. Sur la base de l’étude, l’équipe a conclu que les drogues seules ne provoquent pas d’addiction. Au contraire, l’environnement d’une personne alimente une dépendance. Des sentiments d’isolement, de solitude, de désespoir et de manque de contrôle, fondés sur des conditions de vie insatisfaisantes, rendent une personne dépendante des substances. Dans des conditions de vie normales, les gens peuvent résister à l’addiction aux drogues et à l’alcool.  

Vous commencez à comprendre où nous voulons en venir : à l’image des sujets d’Alexander, les Français ont-ils vu leur environnement (l’isolement lié au confinement) avoir un impact négatif sur leurs addictions ? Ou plus simplement : dans quelle mesure la politique d’un confinement généralisé a-t-elle pu influer sur les addictions des Français ? L’étude se concentre d’abord sur les consommations d’alcool, de tabac et de cannabis des Français, et leur évolution, avant d’évoquer d’autres types d’addiction affectés par le confinement dont nous ont parlés les enquêtés.  

I – L’impact de l’arrêt des festivités sur les consommations d’alcool, de tabac et de cannabis

A- Une consommation d’alcool qui baisse de manière générale

Plus de la moitié des sondés admettent que leur consommation d’alcool baisse au moins légèrement (56,6% des enquêtés). Les personnes en question reconnaissent d’ailleurs cette baisse, et la justifient de la manière suivante (tous les commentaires sont retranscrits sans aucune modification ou corrections orthographiques, dans un souci d’authenticité) : 

« Passage d’une consommation abusive (soirée) à une consommation plus de plaisir (bière ou verre de vin en mangeant). » 

« J’ai tendance à moins boire puisque je ne change pas de lieu/ d’ambiance et d’entourage » 

« Une consommation plus ponctuelle avec des alcools et vins de qualité » 

« L’intensité des prises diminue (moins bourré) mais la fréquence augmente (apéro avec quelques bières tous les soirs) » 

 « Je buvais régulièrement même avant le confinement, et pendant celui-ci je consommais moins de quantité mais en consommais plus souvent. » 

« Il y a moins de d’excuse sociale pour boire un verre mais je suis chez mes parents et ils boivent du vin tout les jours alors je prend presque un verre par jour + apéro le week end » 

Plusieurs choses ressortent : tout d’abord, si les Français reconnaissent une baisse de leur consommation d’alcool, beaucoup indiquent que cette consommation n’a pas disparu pour autant, mais a pris une autre forme (la qualité et la régularité prenant le pas sur la quantité d’alcool consommée). Ainsi, si l’alcool reste la drogue la moins consommée du confinement, 12,9% indiquent que leur consommation n’a pas changé, tandis que 25,1% confessent que leur consommation a augmenté, au moins légèrement. Si la prise d’alcool en grande quantité a donc bien baissé, l’alcool semble trop ancré dans les habitudes, et peut-être dans la culture française pour disparaître (ce qui semble être confirmé par le fait que peu de gens indiquent qu’ils ne consomment jamais d’alcool : seulement 5,4% des sondés).

La consommation d’alcool pendant le confinement (en %)

B- Une consommation de tabac qui se transforme, et qui semble légèrement augmenter 

Si 26,3% des sondés indiquent que leur consommation a baissé, 27,8% confessent une augmentation au moins légère, tandis que 21,6% indiquent que leur consommation n’a pas changé. La consommation de tabac semble donc moins festive que celle de l’alcool. A noter que le nombre de non-consommateurs a augmenté ici : 23,8%. Il faut regarder les remarques additionnelles pour mieux comprendre ces statistiques : 

« Je ne fume pas dans l’appart, c’est plus social ou avec l’alcool » 

« + de cigarettes « d’ennui » » 

 « Je ne fumes pas plus de cigarettes en confinement, mais plus de joints (dans lesquels il y a du tabac) » 

« Fumeur occasionnel que je suis, je n’ai aucunement envie de fumer une clope, contrairement aux moments que je passe avec mes amis en temps normal » 

« L’ennui et le fait de rester à l’intérieur toute la journée me donnent beaucoup plus envie de fumer » 

« Je fume 2x plus de cigarettes si je ne suis pas actif » 

Ainsi, si les fumeurs occasionnels semblent moins fumer avec le confinement, grâce à l’arrêt des festivités, les fumeurs réguliers et intensifs ne semblent pas réussir à se défaire de leur addiction. Au contraire, l’inactivité et l’ennui semblent faire augmenter les prises. A noter aussi que de nombreuses personnes ont confessé ne consommer du tabac qu’avec du cannabis, ce qui pourrait expliquer le fait que pour de nombreuses personnes cette consommation ne change pas. 

La consommation de tabac pendant le confinement (en %)

C- Une consommation de cannabis qui augmente clairement

Il faut d’abord prendre en compte que le cannabis est la drogue la moins consommée de manière générale par les questionnés : 35,2% des interrogés ont déclaré ne jamais en consommer. En revanche, en se penchant sur les comportements des consommateurs, il semble que le fait d’être confiné renforce l’addiction au cannabis. Sur les 426 témoignages, un bon tiers fait état d’une augmentation au moins légère de sa consommation (34,2% des sondés). Près de 20% des personnes disent que leur consommation ne change pas, tandis que « seulement » 10% annoncent que leur consommation baisse au moins légèrement. A première vue, il apparaît assez clair que l’isolement favorise l’addiction au cannabis. Les commentaires permettent de mieux contextualiser cette observation :

 « De manière vicieuse, ça fait passer le temps mais ça rend inerte au final » 

 « Vaut mieux s’ennuyer fonceder qu’agen c’est plus divertissant et passe plus vite » 

« Le fait de ne pas avoir à prendre la voiture me permet de fumer plus souvent sans avoir peur de risque d’accident. » 

 « Sensation de pouvoir gérer en fumant et suivant les cours » 

« L’ennui est un facteur important dans l’augmentation de ma consommation » 

 « En rentrant du travail je n’ai pas de loisir ou d’activité, il est donc plus tentant de fumer plus de joint devant Netflix par exemple » 

Il apparaît clair que le fait d’être isolé, confiné et ennuyé renforce la consommation de cannabis. Parmi les trois drogues citées, le cannabis est celle semblant confirmer le plus la théorie du docteur Alexander. Cependant, il est intéressant de demander aux Français s’ils ont d’autres addictions qui auraient pu être affectées par le confinement. Nous ne prendrons ici que les exemples revenus le plus souvent, le but de cette étude n’étant pas d’analyser de façon exhaustive toutes les addictions.  

La consommation de drogues douces pendant le confinement (en %)

II – Une analyse complémentaire : d’autres comportements et de nouvelles addictions

A – Le numérique, le sexe et la nourriture en tête des autres comportements addictifs 

De nombreuses addictions supplémentaires ont été évoquées dans les réponses. Cependant, celles qui revenaient le plus souvent semblaient graviter autour des thèmes du numérique, du sexe et des troubles alimentaires, comme le rapportent les exemples ci-dessous : 

« Le temps passé sur écrans augmente considérablement (plus de 4h par jour). » 

« Obligé de faire attention pour ne pas finir « addict » aux écrans : entre les infos (dont la consultation peut devenir compulsive), les réseaux sociaux… c’est le problème de devoir rester des heures devant son ordinateur à travailler ou écouter des cours en ligne (où l’attention est très dure à soutenir)… j’ai été obligé de me reprendre en main et de me forcer à sortit marche » 

« toutes les pratiques addictives liées aux réseaux sociaux (tiktok, scrolling etc) concernent plus de la moitié de mes journées, alors que normalement c’est assez rare. Je ne peux plus lâcher mon téléphone, même pour dormir ou prendre une douche c’est difficile » 

« Addiction au Sucre, ma consommation à énormément augmenté pendant le confinement, aujourd’hui si je passe une journée sans vraiment manger de sucré je n’aurai aucune énergie ni motivation à faire quoi que se soit et je serai grave de mauvaise humeur. » 

« Troubles alimentaires revenus (boulimie) » 

« La nourriture : comme la drogue, je mange pour combler le manque. J’ai pris 5 kilos en un mois » 

« J’ai des compulsions alimentaires, c’est à dire que je grignote très souvent pour me « remplir », pour combler un sentiment de vide. Le confinement a tendance à les renforcer vu que ça peut émettre un climat anxiogène » 

« La consommation de cette crasse industrialo-machiste qu’est la pornographie a augmenté énormément » 

« le sex, on se sent seul donc on a encore plus besoin de sex » 

Sur les 133 réponses reçues, 48 font état d’une addiction aux écrans. Cela peut passer par l’ordinateur, le téléphone, la TV, et peut avoir pour objet les réseaux sociaux, les séries, le télétravail ou encore la pornographie. Cette dernière explication est à relier avec la mention de sexe, qui semble également faire partie des addictions mentionnées (13 commentaires). Il serait intéressant de savoir si, par “sexe”, les interrogés entendent seulement une pratique sexuelle avec un partenaire, ou si la masturbation entre dans cette case là ; auquel cas, le sexe pourrait arriver en tête des réponses pour cette question additionnelle, sans compter le fait que certaines personnes comptent déjà peut-être la pornographie dans la formulation « écrans ». Les nombreuses mentions aux habitudes alimentaires (26 mentions) permettent aussi de constater une dégradation des habitudes alimentaires (plus grande consommation de sucre, de café, de grignotage entre les repas, etc.).  

B- Les hommes plus consommateurs que les femmes ? Quelques pistes de réflexions  

Même si cette tendance tend à s’inverser récemment avec l’évolution des mœurs, il est généralement admis que les hommes consomment plus de drogues que les femmes (c’est d’ailleurs en partie pour cela que l’âge moyen de décès chez les hommes est moins élevé que chez les femmes). Le questionnaire semble confirmer cette tendance.


Concernant l’alcool d’abord, 29,8% des hommes ont vu leur consommation augmenter au moins légèrement, contre 20,8% pour les femmes. De plus, 60,4% des femmes ont vu leur consommation d’alcool baisser au moins légèrement, contre 52% chez les hommes. Au sujet du tabac, 30,8% des hommes déclarent avoir augmenté au moins légèrement leur consommation, contre 24,8% des femmes ; tandis que si « seulement » 19,2% des hommes ont diminué au moins légèrement leur consommation, c’est le cas chez 33% des femmes. A noter que la part des non-fumeurs est plus importante chez les femmes : 26,1% contre 19,7% chez les hommes. Enfin, pour ce qui est du cannabis, 37,8% des hommes ont vu leur consommation augmenter au moins légèrement, contre « seulement » 28,7% des femmes. La part de non-fumeurs de cannabis chez les femmes est aussi bien plus importante : 39,1% des femmes questionnées ne fument pas, là où ce pourcentage n’est que de 27,3% chez les hommes. Pour résumer, sur les trois types de drogues, les hommes consomment plus, voient leur consommation augmenter plus, et baisser moins durant le confinement. Expliquer et interpréter cette donnée ici n’est pas le but de l’enquête, mais la relever permet d’esquisser une piste de réflexion pour une enquête additionnelle. Un point de départ intéressant serait de déterminer dans quelle mesure la socialisation et la culture ont pu créer ou renforcer cette différence entre les sexes.

C- Pousser la comparaison : reproduire les conditions du Rat Park

A présent, afin de mieux vérifier l’hypothèse du docteur Alexander, nous allons nous intéresser aux personnes ayant passé le confinement seules, soit au summum de l’isolement. 70 personnes ont déclaré avoir passé le confinement seules. Parmi elles, 17 ont déclaré que leur consommation d’alcool augmentait au moins légèrement (soit près de 23,9%). Ce chiffre monte à 21 personnes si l’on compte les gens dont les habitudes en termes d’alcool sont restées les mêmes malgré l’arrêt des événements festifs. Par ailleurs, 24 personnes confinées seules ont déclaré que leur consommation de tabac augmentait au moins légèrement, soit 33,8% ; c’est supérieur aux 27,8% d’augmentation constatés plus tôt chez tous les consommateurs. Enfin, 28 personnes confinées seules ont déclaré voir leur consommation de cannabis augmenter au moins légèrement, soit 39,4% ; ce chiffre est supérieur aux 34,2% d’augmentation observés pour tous les consommateurs confondus. Si pour l’alcool, la proportion de consommation qui augmente reste relativement la même, les personnes confinées seules ont davantage tendance à voir leur consommation de tabac et de cannabis augmenter légèrement (près de 5% de différence). Si les données semblent indiquer que les « confinés seuls » voient leur consommation de cannabis et de tabac augmenter davantage, le peu de personnes concernées (moins de 70) et le peu d’augmentation constatée (environ 5%) ne permet pas d’avancer trop d’hypothèses sans mener plus d’études. Pour réellement vérifier l’hypothèse d’Alexander et en reproduire les conditions, il aurait fallu étudier la portion des questionnés confinés seuls et ne pratiquant aucune activité professionnelle. Cependant, la part de ces individus dans l’étude ne s’élève qu’à 10 personnes, et ne permet pas de tirer de réelles conclusions.


En conclusion, que retenir de ces résultats ? Il apparaît clair, à la lecture des statistiques, mais aussi des réponses au questionnaire, que les Français sont effectivement friands d’alcool, de tabac et de cannabis. Cependant, il convient de préciser que cette tendance est bien plus présente chez les plus jeunes ; comme le montrent les chiffres déjà disponibles sur le sujet. Pour ce qui est du confinement, on aurait tort de présupposer que l’arrêt des festivités a entraîné une baisse des addictions et des consommations de drogues chez les Français : mis à part l’alcool qui est la seule drogue dont la consommation ait baissé (et même pour cette dernière, les réponses prouvent que cette baisse n’est pas aussi significative qu’on pourrait le croire), la consommation de tabac et de cannabis a augmenté durant cette période d’isolement. Il est donc clair, comme le prouvait le docteur Alexander avec ses rongeurs, que les addictions humaines dépendent énormément de notre environnement et de nos interactions sociales. Toutefois, il convient de rappeler que le confinement n’a pas reproduit à l’identique l’environnement des Skinner Boxes : pour pousser la comparaison plus loin, il faudrait disposer de sujets humains complètements isolés de toutes interactions, dans des cellules ne permettant aucune activité récréative mise à part la prise de drogues. Néanmoins, on peut raisonnablement supposer qu’un tel isolement ne ferait que renforcer les tendances observées auprès des gens confinés seuls, puisque la catégorie « personnes confinées seules » semble indiquer une tendance légèrement plus forte à l’addiction. Au cours de cette étude, nous avons également pu confirmer que les hommes sont plus sujets aux addictions que les femmes ; pour expliquer pourquoi cela est le cas, il faudrait conduire une étude additionnelle combinant une analyse de la construction sociale du genre et du sexe ainsi que des recherches sur les différences entre les cerveaux masculins et féminins. Si l’étude présente ne permet pas d’expliquer les raisons de cette « dichotomie » des addictions entre l’homme et la femme, elle permet au moins de la constater. Par ailleurs, l’analyse des commentaires portant sur d’autres types d’addictions (en dehors de l’alcool, du tabac et du cannabis) a permis de découvrir une piste de nouvelles addictions également renforcées par le confinement : les addictions relatives au numérique, au sexe et à la nourriture. Parmi ces trois comportements, l’addiction au numérique semble revenir le plus, et il est clair que des sujets confinés et confrontés au télétravail, aux réseaux sociaux, aux vidéos pornographiques, et aux plateformes de streaming ont toutes les chances de voir leur temps passé sur les écrans augmenter de manière significative.

Il convient d’analyser ces données dans le contexte actuel de la détresse étudiante. Il y a fort à parier que les addictions des étudiants se sont renforcées depuis un an, malgré l’arrêt relatif des festivités. Au-delà d’un enjeu académique et économique, rouvrir les universités apparaît comme un enjeu de santé publique. Garder nos étudiants isolés revient à les enfermer dans leurs addictions.
Néanmoins, le tableau n’est pas « tout noir » non plus, et il convient de rappeler que plusieurs personnes se sont débarrassés de certaines addictions durant le confinement, qui a été l’élément déclencheur d’un phénomène qu’on pourrait qualifier de « prise de conscience ». Encore une fois, et cela sera notre dernier élément de conclusion, mieux vaut laisser la parole aux concernés :
« J’avais l’habitude de sortir tous les week end, vendredi et samedi soir avec tous mes amis. Prendre des substances et faire after jusqu’à l’après midi. Mes week end étaient rythmés par ma soirée le vendredi soir, mon after, mon commatage et rebelotte le samedi soir. Je passais mes journées au lit et vivait la nuit. Et puis il y a eu le confinement. J’ai commencé à prendre conscience du rythme de vie que j’avais. Je n’arrive plus à comprendre pourquoi je me droguais, pourquoi je faisais subir ça à mon corps. J’ai complètement perdu mon envie de sortir. Je suis plus motivée à faire des choses la journée. Le confinement m’a fait réalisé qu’il y a des choses que je faisais qui était devenue banale mais qui ne sont pas forcément normales… Et ça fait du bien de réaliser tout ça. » (Commentaire anonyme)