Le cannabis et l’impasse du conservatisme [2] : la légalisation

2e partie : la légalisation

Le texte suivant est la deuxième partie d’un article en deux volets portant sur la dépénalisation et la légalisation du cannabis en France, rédigés par Maxime Feyssac et Domitille Viel.

« Légaliser le cannabis ? Mais enfin, c’est une drogue dangereuse, on peut y être addict ! » En effet, et ça n’a rien à voir avec notre débat. La question n’est pas de savoir si vous êtes pour ou contre le cannabis. Refaites le monde, débattez-en passionnément, argumentez, incendiez vos adversaires, le résultat sera nul. Parmi tous ceux que j’ai écoutés parler de la légalisation du cannabis, beaucoup se trompaient de débat : ils se positionnaient pour ou contre le cannabis et non pas pour ou contre sa légalisation. Or les deux sont bien différents : on peut, comme moi, ne pas inciter à consommer mais militer pour la légalisation. Ça vous paraît paradoxal ? Rien ne vous paraîtra plus logique à la fin de votre lecture. Ainsi, il nous importera dans cette tribune de défendre la légalisation du cannabis dans notre pays, et non pas de défendre la consommation du cannabis.

Le cannabis cause aujourd’hui d’importants problèmes, nous sommes majoritairement d’accord sur ce point. Mais là où la doctrine conservatrice répond « répression », je réponds « légalisation ». Non pas que je veuille embaumer les rues d’une singulière odeur fleurie, mais la répression ne fonctionne pas. La politique conservatrice du cannabis est une impasse. C’est cette impasse qui m’appelle à prendre la parole. Prendre la parole pour dire « légalisons. » Pas « roulez jeunesse », mais « légalisons ». Et « légalisons » suppose avant tout « réglementons ».

Légaliser, c’est meilleur pour la santé ?

Paradoxalement, le premier argument que je traiterai ici est celui de la santé publique. Non pas que le cannabis soit la nouvelle potion magique de l’homéopathie, quoiqu’il puisse être thérapeutique, nous y reviendrons. La consommation de cannabis, pourtant, n’est pas un problème central de santé publique en France : il est impossible de mourir d’une overdose du cannabis, et on peine bien à trouver une seule mort dont il serait directement coupable. Pourtant, celui-ci complique le bon développement du cerveau, et sa consommation peut avoir des effets néfastes sur les poumons. Et ce qui cause le plus de soucis, c’est que les fumeurs ne savent pas ce qu’ils fument. La forme, puissance, et qualité du produit fumé varient largement d’un produit à l’autre. La teneur en THC dépend par exemple de la variété de marijuana utilisée, et peut être multipliée par 10 selon les modes de production, sur lesquels ni les consommateurs ni l’Etat français ne peuvent avoir de contrôle. On criminalise les producteurs, mais on leur offre un pouvoir sans bornes.

Sous ses apparences de politique de contrôle, son inefficacité permet au trafic de fleurir comme les champs de chanvre en automne.

Ceux que l’Etat doit le plus protéger en légalisant (et réglementant) le cannabis, ce sont nos jeunes. Combien de collégiens, curieux et excités de goûter à la fameuse substance, se sont vu acheter (souvent trop cher) un malheureux pochon marronnasse contenant un résidu poisseux et odorant, sans connaître sa véritable composition? La vérité leur aurait coupé l’excitation : le « bon shit » contenait-il de la semelle, du goudron, du cirage ? Les substances toxiques se déposeront au cœur de leurs poumons sans qu’ils n’en sachent rien, et sans qu’aucune autorité n’y fasse quoi que ce soit.

Ce laisser-faire, cet abandon, c’est le fait de l’actuelle politique de répression conservatrice. Sous ses apparences de politique de contrôle, son inefficacité permet au trafic de fleurir comme les champs de chanvre en automne. Mener une politique répressive aujourd’hui en France, c’est être plus lâche qu’efficace. C’est laisser les consommateurs et dealers faire exactement ce qu’ils veulent dans une ambiance générale de rien-à-foutre mêlée d’un léger sentiment de crainte face à une répression qui tombe arbitrairement comme un couperet, sans couper court aux réseaux de circulation du produit. Légaliser, au contraire, c’est appliquer une réglementation claire, cohérente et applicable au marché du cannabis, en soumettant ses producteurs à des règles afin d’informer et de protéger ses consommateurs. Voilà pourquoi légaliser permettrait le contrôle sur ce qui rentre sur le territoire français, puis dans les poumons des Français.

Avant d’aller accuser les rappeurs populaires de donner une bonne image de cette drogue, il serait peut-être temps de la nuancer en informant les jeunes sur ses effets, non ?

Informer et protéger les Français, cela implique aussi de mettre en place une réelle prévention. (lire à ce sujet la note passionnante de GL think tank) Les 80 élus républicains opposés à la légalisation exigent dans leur tribune : « Il faut expliquer aux jeunes les dégâts provoqués par les drogues en arrêtant de présenter le cannabis comme une expérience sympathique voire ludique. » Je suis d’accord avec eux. Cependant, la politique conservatrice est une impasse en matière de prévention. C’est pour cette raison que le pneumologue Bertrand Dautzenberg, président de l’Office français de la lutte anti-tabac, s’est déclaré favorable à une légalisation du cannabis. Un pneumologue, favorable à la légalisation d’un des pires ennemis de nos poumons ? Oui, parce que cette légalisation permettrait une meilleure réglementation et prévention, essentielles et pourtant négligées par la politique répressive actuelle. Si la prévention n’implique pas la légalisation, pourquoi n’a-t-elle pas déjà été largement mise en place ? Le tabou posé sur le cannabis pour ne surtout pas le banaliser n’a pas aidé à informer la jeunesse sur ses effets néfastes. Les conséquences de la drogue-dont-il-ne-faut-pas-prononcer-le-nom ne sont quasiment pas expliquées au collège, ni au lycée. C’est pourtant à cette période que les consommateurs y sont le plus vulnérables, puisque, sans vouloir les offenser, leurs cerveaux ne sont pas parfaitement développés avant leurs 15 ans. C’est également à cette période que l’on est le plus influençable par les stars de la musique qui font du cannabis un accessoire cool, un moyen d’impressionner Clémentine de la 4è B avec son allure de rebelle en soirée. Avant d’aller accuser les rappeurs populaires de donner une bonne image de cette drogue, il serait peut-être temps de la nuancer en informant les jeunes sur ses effets, non ?

La conduite en état d’ivresse est encore plus dangereuse que la conduite sous stupéfiants.

Je parle des plus jeunes car je considère, et j’espère, que les adultes sont plus raisonnables. Cependant, comme le soulignent les 80 élus LR, « En 2017, 23% des personnes décédées sur les routes ont été tuées dans un accident impliquant un conducteur sous l’emprise de stupéfiants. ». Ce chiffre révèle bien l’inefficacité de la politique répressive soi-disant sécuritaire. Il est donc également nécessaire de faire davantage de prévention auprès des conducteurs, et de mieux les contrôler. Les sanctions prévues pour les conducteurs contrôlés positifs au cannabis sont pourtant lourdes : jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 4500€ d’amende, et je ne vous parle des peines dans le cas où la consommation a été facteur d’un accident mortel. Malgré cela, la politique répressive ne fait pas ses preuves. Pourquoi ? Premièrement, les policiers et gendarmes ne peuvent complètement tester les conducteurs que depuis le 13 décembre 2016. Avant, le contrôle nécessitait une étude par du personnel médical, une prise de sang ou une analyse d’urine. Il était donc plus long, plus compliqué, donc moins souvent effectué. Ce test reste peu effectué par rapport aux contrôles d’alcoolémie, mais il menace les conducteurs d’une sanction bien plus lourde : en plus de la peine de prison et de l’amende précédemment évoquées, le conducteur positif au cannabis perd son permis pour trois jours, le temps que le préfet de son département décide de s’il suspend son permis pour quelques mois ou pas. Pourtant, la conduite en état d’ivresse est encore plus dangereuse que la conduite sous stupéfiants : le risque d’être responsable d’un accident mortel est multiplié par 1.8 lorsqu’on conduit sous cannabis ; par 17.8 lorsqu’on conduit alcoolisé.

Vous voulez encore une incohérence ? Même si le conducteur n’est pas sous l’effet du cannabis, il perd son permis et risque les lourdes sanctions. Pour l’alcool, la sanction ne s’applique que si l’alcoolémie est supérieure à un certain taux, car une très faible quantité d’alcool n’a pas d’effet sur la conduite. Pour le cannabis, pas de mesure : lorsque le test est positif, on ne sait pas si le cannabis est présent en quantité suffisante pour altérer la conduite. Pourtant, cette information est essentielle : les effets du cannabis durent environ une à deux heures après l’avoir fumé, mais reste détectable quatre à six heures après. Encore un problème sur lequel on ne se penche pas, alors qu’un processus de légalisation nous obligerait à prendre des mesures réellement efficaces pour protéger les Français.

Oui, cette « merde » comme le dit si bien notre ministre de l’intérieur, pourrait être utilisée pour guérir des maladies ou en atténuer les symptômes.

En plus de mieux protéger les Français, légaliser le cannabis pourrait nous permettre de les soigner. Oui, cette « merde » comme le dit si bien notre ministre de l’intérieur, pourrait être utilisée pour guérir des maladies ou en atténuer les symptômes. Mais même lorsqu’il s’agit de soigner, la France a beaucoup de mal avec l’usage du cannabis. Bonne nouvelle, il y a du nouveau : depuis le décret du 7 octobre 2020, « L’usage médical du cannabis est autorisé, dans le strict cadre de l’expérimentation, pour certaines indications thérapeutiques ou situations cliniques réfractaires aux traitements indiqués et accessibles ». L’usage du cannabis thérapeutique est encore très réglementé : l’expérimentation doit durer deux ans et se limiter à 3000 patients maximum. Un seul médicament peut actuellement être prescrit aux malades :  le Marinol (dronabinol), qui peut être utilisé dans le traitement des douleurs chroniques et cancéreuses, ainsi que le traitement de la perte de l’appétit.

Pourtant, le cannabis a de nombreuses vertus : il préviendrait les crises d’épilepsies, stimulerait l’appétit, serait utile pour lutter contre les douleurs chroniques, les tremblements de la maladie de parkinson, les douleurs de la sclérose en plaques, la progression de la maladie d’Alzheimer, le glaucome, ainsi que la dépression. Le cannabis pourrait même aider à lutter contre le cancer : il réduirait les effets secondaires de la chimiothérapie et aurait des propriétés anticancer. Sa légalisation pourrait alors paraître évidente, mais nombreux sont ceux qui s’en méfient encore. Rassurez-vous, ceux qui pourraient l’être pour de bonnes raisons, à savoir les scientifiques, sont en grande partie favorable à son expérimentation. C’est d’ailleurs le comité créé par l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament) qui a réclamé son expérimentation en France. Espérons que si l’expérience se révèle concluante, l’Etat saura admettre la réalité et s’appliquer à mettre en place des mesures qui y sont adaptées.

Légaliser, c’est mieux pour l’économie ?

Est-ce que vous avez idée de la fortune que représente la politique (inefficace) de répression ?

Prenez un trou béant dans les moyens de la sécurité intérieure. Ajoutez-y quelques belles cuillérées de policiers qui relèvent les infractions liées au cannabis ; vous savez, ceux qui manquent pour protéger les victimes d’agression, ou ceux qui manquent pour mieux lutter contre le terrorisme. Entre 2014 et 2015, 56% des infractions révélées par les forces de l’ordre étaient liées aux stupéfiants, dont 85% pour usage simple. Versez un grand bol de frais de détention : un prisonnier coûte environ 100€ par jour à l’Etat, et les infractions liées aux stupéfiants concernent près de 15% des détenus. Détenus qui, pour 60% d’entre eux, sont condamnés pour usage simple. (Observatoire international des prisons). Ce sont donc des fumeurs de beuh qui viennent aggraver la désastreuse surpopulation carcérale. Il ne faut pas vider les prisons, me répondrez-vous, il faut en construire d’autres ! Très bien, ajoutez donc à votre mixture environ 106 smic par place de prison que vous voulez construire. Rajoutez une poignée de procédures judiciaires et une grosse pincée de procédures pénales, pour bien encombrer les tribunaux et surcharger la justice. Mélangez bien, votre pâte gluante coûte 500 millions d’euros par an. Passez le tout au four, thermostat 8, pendant 50 bonnes années, et ressortissez-en un échec cuisant.

Mélangez bien, votre pâte gluante coûte 500 millions d’euros par an.

Pour cacher le cramé, recouvrez-le d’un glaçage au chocolat et de quelques amandes effilées pour arranger la misère. C’est ce que fait Gérald Darmanin. Ses amendes, elles, sont forfaitaires, et tout à fait inefficaces. Plusieurs personnalités, addictologues et associations ont élevé la voix contre cette mesure, comme Médecins du monde et la Ligue des droits de l’homme (LDH), qui ont déploré dans un Livre blanc l’« impasse » d’une mesure qui privilégie une réponse répressive plutôt que sanitaire. Elles dénoncent notamment un coût exorbitant pour les dépenses publiques, une dégradation de l’accès à la santé et à la prévention, des libertés bafouées, le non-respect des droits et la persistance des pratiques discriminatoires. 

Cette nouvelle mesure ne serait donc pas à la hauteur face à la quantité astronomique de Français qui consomment du cannabis : Selon une enquête de OFDT, on compterait dans la population âgée de 11 à 64 ans presque 17 millions de Français ayant expérimenté le cannabis. Parmi eux, 5 millions en consomment une fois dans l’année, et 700 000 tous les jours.

Ces chiffres font de la France le plus gros marché de cannabis en Europe. Qu’est-ce qu’on fait de ce marché ? On le laisse aux trafiquants ?

Ces chiffres font de la France le plus gros marché de cannabis en Europe. Qu’est-ce qu’on fait de ce marché ? On le laisse aux trafiquants ? C’est ce que l’Etat s’entête à faire depuis 1970. Sans vouloir déranger les trafiquants et criminels, je me permets de m’interroger sur la raison pour laquelle les entreprises légales, ou l’Etat, ne pourraient pas supplanter ce réseau dangereux, et ainsi faire tourner l’économie française qui en aurait bien besoin. J’ai entendu, déconcertée et déconcertée de ne pas en être surprise, qu’il était inacceptable de créer un marché du cannabis en France, parce que le cannabis, c’est pas bien. Premièrement, nous égarer dans des déblatérations sur le bien-fondé de l’existence de la plante sur terre et sa consommation par nombre de nos concitoyens ne mènera à rien. Deuxièmement, Il ne s’agit pas de mettre en place un marché du cannabis. Il s’agit de reprendre le contrôle sur celui qui existe déjà.  Je connais pourtant 80 députés Républicains qui ne sont pas du tout convaincus par ce plan. «Il faut vraiment être naïf pour croire que les réseaux criminels vont se laisser si facilement enlever les gains immenses du trafic de cannabis. », déclarent-ils. En effet, supplanter le trafic de drogue, enraciné depuis des années, en particulier dans ce qu’on appelle « les cités sensibles », est une tâche longue et difficile, mais elle en vaut le coup. Si le coût du cannabis légal est plus bas que celui des dealers, les usagers s’orienteront, par pure mécanique économique, vers le cannabis légal. Or, selon une étude de Terra Nova, un monopole légal en France rapporterait à l’Etat environ 1.8 milliards d’euros, soit environ le budget Français pour l’immigration, l’asile et l’intégration en 2020.

Mais Marlène Schiappa ne veut pas vendre de cannabis, parce que « la consommation de cannabis ça finance la traite d’êtres humains, ça finance les trafics de drogues plus dures et ça finance aussi partiellement le terrorisme ». Les choses illégales financent d’autres choses illégales, bravo. C’est pour cette raison que nombreux sont les consommateurs qui n’attendent que la légalisation, car engraisser le trafic illégal et potentiellement dangereux ne fait pas leur joie. La preuve : depuis qu’il est possible pour les Néerlandais d’acheter du cannabis légalement, près de 90% d’entre eux le font. Une seule solution pour couper les vivres aux réseaux de trafiquants, donc : ne plus obliger les consommateurs français à les financer. C’est bien pour cette raison que la plupart des dealers, apparemment plus lucides que certains politiques, sont contre la légalisation du cannabis. Perdre le marché français du cannabis ferait couler leur commerce et n’attirerait plus de nouvelles recrues dans leur Titanic. Pourtant, le Titanic fait aujourd’hui belle figure, et attire de nombreux jeunes qui ont plus intérêt à faire « de l’argent facile » que d’étudier. C’est en partie ce trafic qui provoque l’insécurité des quartiers, contre laquelle prétend lutter la nouvelle mesure d’amendes forfaitaires peu convaincante. Légaliser, au contraire, c’est avoir la lucidité de regarder la situation dans les yeux, et de prendre les mesures qui répondent à ce qu’est la réalité et non pas à ce qu’on voudrait qu’elle soit. Légaliser, c’est reprendre le contrôle sur ce vaste marché (à peine) sous-terrain qui étend ses griffes là où on les attend le moins et gangrène les cités.

Légaliser pour mieux lutter contre les drogues dures ?

Nos mêmes élus LR s’insurgent : « L’expression d’’usage récréatif’ est scandaleuse quand on parle de drogue, surtout quand on sait que pratiquement 100% des consommateurs d’héroïne ou de cocaïne ont commencé par le cannabis. » En effet, 96% de ceux qui consomment ces drogues ont déjà consommé du cannabis. Mais l’inverse n’est pas vrai pour autant. 100% des fumeurs de cannabis ne passent pas aux drogues dures.  La logique est biaisée : de la même manière, 100% des gagnants au loto y ont joué. Et pourtant, je ne vous promets pas les millions si vous y jouez demain. De la même manière, 97% de ceux qui ont consommé de la marijuana ont déjà consommé de l’alcool. Et pourtant, il vous est peu donné de voir vos grands-parents se rouler un joint après leur verre de vin.

Donc à ceux qui prétendent que « Le cannabis conduit à la coke !», félicitations, vous avancez un argument en faveur de la légalisation.

En fait, le cannabis est souvent une passerelle entre la consommation d’alcool et la consommation de drogues dures. C’est souvent la consommation d’alcool qui initie les consommateurs au cannabis, puis aux autres drogues. Mais si le cannabis ne crée pas le besoin de consommer des drogues dures, pourquoi 60% de ceux qui consomment du cannabis vont vers les drogues dures ? Parce que ce sont les drogues dures qui viennent à eux. Pourquoi ? Parce que les dealers auxquels ils achètent leur cannabis leur proposent d’autres drogues, ce qui n’arriverait pas s’ils achetaient leur cannabis dans des magasins réglementés.  Donc à ceux qui prétendent que « Le cannabis conduit à la coke !», félicitations, vous avancez un argument en faveur de la légalisation.

Marlène Schiappa me répondrait, comme sur le plateau de Bourdin direct, que les drogues dures avanceront leurs griffes menaçantes vers nos jeunes, car les dealers qui aujourd’hui vendent du cannabis vendront demain de l’héroïne. Dommage, c’est très peu probable. Petit cours d’économie : c’est la demande qui fait l’offre, rarement l’inverse. C’est parce qu’il y a une demande en cannabis que les dealers vendent du cannabis. Il y a beaucoup moins de demande de drogues dures, donc il y a beaucoup moins d’offre, de trafic, de dealers. Et non, les jeunes ne se tourneront probablement pas vers les drogues dures par goût de l’interdit. L’interdit attire lorsqu’il est déjà banalisé. Ce n’est pas le cas des drogues dures, qui évoquent largement plus l’image du junkie dans le caniveau que celle du mec badass. Si l’interdit attirait tant, la grande mode serait aux braquages et aux meurtres. Pas si courant dans la cour de récré, si ? S’il y avait une possibilité de créer un marché de drogues dures conséquent, croyez-moi, il existerait déjà.

L’auteur

Domitille Viel

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Le cannabis et l’impasse conservatrice [1]- la dépénalisation

1ère partie : la dépénalisation

Le texte suivant est la première partie d’un article en deux volets portant sur la dépénalisation et la légalisation du cannabis en France, rédigés par Maxime Feyssac et Domitille Viel.

« La marijuana est probablement la drogue la plus dangereuse aux Etats-Unis aujourd’hui » nous disait ce cher Ronald Reagan dans les années 80. Lui, ainsi que son épouse Nancy Reagan, sont devenus au fil des années les figures emblématiques du mouvement anti-drogue conservateur américain. Ils ont notamment grandement influencé la position conservatrice française concernant le cannabis. Si bien qu’aujourd’hui il est difficile de trouver une personnalité française de droite favorable à une dépénalisation, ou pire, à une légalisation. Même Valérie Pécresse, incarnant pour beaucoup cette droite molle proche du centre, avait pris la tête d’une large campagne anti-cannabis à l’occasion de sa campagne pour les élections régionales. Elle avait par exemple l’intention, suite à son arrivée au poste de Présidente de la région Ile-de-France,  de mettre en place des tests salivaires de dépistage de consommation de cannabis dans les lycées d’Ile-de-France. Depuis, et après l’arrestation de son propre fils pour possession de cannabis, elle semble cependant s’orienter vers une sorte de dépénalisation « soft », tout en restant favorable à une amende forfaitaire. Qu’en est-il des autres personnalités plus à droite ? Voici un petit échantillon de politiques « conservateurs » se déclarant ouvertement contre la dépénalisation : Jean-François Copé, François Fillon, Alain Juppé, Bruno Le Maire, Nicolas Sarkozy, Henry Guaino, Jean-Frédéric Poisson, ou encore Marine Le Pen.

Sauf que là où la droite française est restée bloquée dans les années Reagan, la droite américaine, elle, a opté pour un nouvel angle d’attaque. En effet, en adoptant une attitude libertarienne qui place la propriété privée et la liberté individuelle comme valeurs quasi-sacrées, de nombreuses personnalités conservatrices américaines se sont déclarées en faveur d’une dépénalisation du cannabis. 45% des républicains américains se disent ainsi aujourd’hui en faveur de la légalisation de la marijuana. C’est par exemple le cas de Ben Shapiro, juif orthodoxe placé à l’extrême droite du paysage politique étatsunien et éditeur en chef du média ultra-conservateur The Daily Wire. Dans l’une de ses nombreuses conférences disponibles sur YouTube, il déclarait « Je suis libertarien quand il s’agit d’herbe […] Je suis pour la dépénalisation du cannabis, même si je trouve que les gens qui fument de l’herbe sont des loosers … ».

Si on peut, d’une part, expliquer cette prise de position étonnante par la tradition anti-fédéraliste américaine qui se montre méfiante envers toute politique implémentée de force au niveau fédéral (qui ne laisse pas le choix aux Etats, donc), on peut néanmoins observer un véritable changement des mentalités conservatrices américaines concernant la légitimité d’une loi qui empêcherait les individus de consommer du cannabis. Mais alors, comment se fait-il qu’en France nous ayons tant de retard sur le sujet ? Tâchons d’examiner les différents types d’arguments qui s’opposent à la dépénalisation du cannabis. Nous n’aborderons ici même pas la question de la légalisation, qui apporte tout un tas d’autres questions, notamment concernant le commerce de la marijuana. Il sera ici uniquement question de culture, possession et consommation de cannabis.

L’argument de la santé : une herbe toxique ?

Il est littéralement impossible de faire une overdose de cannabis.

L’argument le plus souvent entendu est bien-sûr celui de l’impact du cannabis, et plus particulièrement du THC, sur la santé des consommateurs. Mais quel est donc cet impact en question ? Outre le fait qu’il est littéralement impossible de faire une overdose de cannabis (il faudrait consommer approximativement 680kg de cannabis en 15 minutes [bon courage]), les soi-disant « effets néfastes » avancés sont bien souvent des exagérations, quand ils ne sont pas tout simplement des mensonges.

Afin d’être le plus objectif possible, appuyons nous sur le rapport de 440 pages rédigé par The National Academies of Sciences, Engineering and Medecine, et publié en janvier 2020, qui regroupe plus de 10 700 études publiées depuis 1999 sur les effets du cannabis sur la santé. Le risque principal est lié à la conduite suite à une prise de dose de THC (même si le risque d’accident reste 10 fois moins élevé que sous l’emprise de l’alcool). En revanche le rapport indique qu’il n’existe pas de lien de cause à effet entre la consommation de cannabis et l’apparition de cancer (sauf ceux du poumon, au même titre que le tabac), d’accidents cardiaques, et de déficience immunitaire. Si des pertes de mémoire à court terme peuvent être observées, la consommation de cannabis n’affecte pas la mémoire sur le long terme tant que la consommation en question reste relativement raisonnée (dans le cas d’une consommation excessive, des pertes de mémoires sont observées, mais c’est aussi le cas avec l’alcool).  Le rapport ajoute que si la prise de cannabis peut révéler la présence de troubles de l’ordre mental chez le consommateur, la prise en question n’est pas à l’origine de ce trouble. Dans le cas de la schizophrénie par exemple, le nombre de personnes atteintes par la maladie à l’échelle nationale reste relativement stable, tandis que le nombre de consommateurs de cannabis a considérablement augmenté. Le rapport indique par ailleurs que le cannabis thérapeutique se révèle clairement efficace contre les douleurs chroniques chez l’adulte, contre l’épilepsie, contre les effets secondaires de la chimiothérapie, et contre la sclérose en plaque.

L’alcool, le tabac et même le café sont à l’origine de beaucoup plus de morts et d’accidents chaque année.

Dès lors, on peut raisonnablement avancer que l’argument de la santé n’est pas un argument valable contre la dépénalisation du cannabis ; ou alors nous devrions employer le même argument pour interdire l’alcool, le tabac et même le café, qui sont à l’origine de beaucoup plus de morts et d’accidents chaque année.

La responsabilité de la culture du cannabis dans les troubles à l’ordre public.

Un excellent motif semble (à première vue) être le trouble à l’ordre public. Après tout, si quelque chose porte atteinte à la sécurité, à la salubrité et à la tranquillité des Français, il convient en effet de l’interdire. Mais voilà le hic : la consommation de cannabis ne porte pas atteinte à l’ordre public, ou du moins pas plus qu’une autre drogue. L’effet direct du cannabis sur le comportement ne pousse en effet pas à la violence ou au coma, comme c’est le cas de l’alcool. Au contraire, vous m’accorderez que le fumeur lambda de cannabis tient plus du légume que du criminel surexcité.

Cependant il est vrai que le trafic de cannabis, lui, est vecteur de nombreux troubles à l’ordre public : marché noir, violence, racket, subvention de groupes armés, du terrorisme, corruption, etc. Mais ces effets ne sont pas le résultat de la prise de cannabis en soi, mais de la prohibition de ce dernier. Sans aller jusqu’à parler de légalisation, on peut raisonnablement penser qu’autoriser la culture et la possession de cannabis endiguerait ce trafic, puisqu’un bon nombre de consommateurs n’auraient plus besoin de financer une ribambelle d’individus peu recommandables.

La croyance populaire infondée d’une « drogue étrangère ».

Un autre argument que l’on entend souvent est celui de la culture : car le cannabis serait une drogue étrangère au patrimoine français, elle n’aurait pas sa place sur le territoire. C’est un argument qui se défend déjà plus que les deux précédents. Mais ce n’est toujours pas un argument implacable.

Pour commencer, quelque chose qui m’a toujours étonné est la tendance qu’ont certains Français à appeler « drogues » seulement les substances qui sont illégales ou étrangères : le cannabis, la cocaïne seraient des drogues, tandis que l’alcool et le tabac seraient des produits du terroir. Mais qu’on soit très clair : l’alcool et le tabac sont des drogues, au même titre que le cannabis. La légalité ne définit pas une drogue ; une drogue est un produit qui, d’une part, modifie le comportement, et d’autre part, provoque l’accoutumance.

Les Français sont donc bel et bien les premiers consommateurs d’Europe.

De plus, il serait une erreur de penser que la culture du cannabis est étrangère à notre patrimoine et à notre histoire. On pourrait tout d’abord faire remarquer que la consommation de cannabis des Français prouve que cette drogue est aujourd’hui bien ancrée dans notre culture. En France, la consommation de cannabis représente 80% de la consommation de drogue en général, soit 3,9 millions de consommateurs (dont 1,2 million de consommateurs réguliers). A l’âge de 16 ans, les Français sont donc bel et bien les premiers consommateurs d’Europe.

Mais tout bon conservateur qui se respecte me rétorquera que la tradition prime sur le progrès, et qu’il ne s’agit pas là d’un réel argument ; par exemple si demain tous les Français se mettent à consommer de la kétamine (un anesthésiant pour chevaux), ce n’est pas pour autant qu’il faudra légaliser la kétamine.

La première Bible imprimée par Gutenberg le fut ainsi sur du papier de chanvre.

Soit ; sauf que le cannabis, et plus particulièrement le chanvre, pousse depuis longtemps sur notre belle terre de France. Le chanvre fut cultivé par les Hommes dès le néolithique, et constitua une part importante de la production agricole française, notamment au 17ème siècle ; en 1661, Colbert fit construire la Corderie royale de Rochefort pour pouvoir fabriquer en France les cordages des navires. Le chanvre faisait partie de la culture populaire, allant jusqu’à être représenté dans les Fables de la Fontaine (« L’hirondelle et les petits oiseaux »). François Rabelais, dans son Tiers Livre décrit par exemple une plante  « merveilleuse » qui ressemble à s’y méprendre au chanvre : le Pantagruélion. La première Bible imprimée par Gutenberg le fut ainsi sur du papier de chanvre. Le chanvre connu son apogée au milieu du XIXe siècle (176 000 ha cultivés en France) ; à la même époque le cannabis était déjà utilisé en Occident pour ses vertus médicinales, sous forme de teinture (un extrait alcoolique). En 1844, Théophile Gautier et le docteur Jacques-Joseph Moreau fondèrent le club des Hashischins, destiné à l’étude du cannabis ; il sera fréquenté par de nombreux artistes français. Le chanvre a toutefois été fortement réglementé et même interdit au cours du XXe siècle, en raison de ses propriétés psychotropes. La culture du chanvre agricole connut cependant un rebond dans les années 70, lié à l’augmentation du prix du pétrole. Cet héritage est encore présent dans de nombreuses régions de France, notamment dans les Pays de la Loire, où se tient chaque année le festival De fibres en musique. Il s’agit d’une manifestation culturelle angevine qui a lieu chaque année au mois d’août à Montjean-sur-Loire, en Maine-et-Loire, avec au programme la découverte des gestes traditionnels d’anciens métiers du chanvre.

Etant moi-même Angevin, je me rappelle distinctement avoir observé dès mon plus jeune âge des champs de chanvre au cours de balades dominicales en Anjou, mais également dans le Saumurois.

Propriété et liberté bafouées : le non-sens de la posture conservatrice.

Enfin je souhaiterais aborder ce qui s’apparente pour moi à une incohérence dans la pensée de nombreux conservateurs et libéraux : le non-respect de la propriété privée et de la liberté individuelle. Si on peut établir que le cannabis n’est pas si dangereux pour la santé qu’on voudrait nous faire croire, s’il apparait que sa culture et sa consommation n’ont pas de réelles incidences sur l’ordre public, si on peut également retracer sa présence dans la culture occidentale et française, dès lors, pourquoi vouloir interdire aux particuliers de faire pousser et consommer x plantes sur leur propriété privée ? Tant que cette culture vise un usage personnel et non commercial, quel serait le danger pour la société ?

L’ignorer serait condamner la droite française à être éternellement ignorée par une partie de l’électorat qui ne supporte plus ce paternalisme excessif.

Au-delà de cette approche pragmatique, tentons un peu de philosophie : quelle est la légitimité de l’Etat, la res publica, d’interdire à un citoyen majeur de faire pousser sur sa propriété une plante plutôt qu’une autre, ou d’ingérer une fumée plutôt qu’une autre ? Il y a là pour moi un véritable débat à avoir, et l’ignorer serait condamner la droite française à être éternellement ignorée par une partie de l’électorat qui ne supporte plus ce paternalisme excessif. Et si vous pensez qu’il ne s’agit là que d’une longue liste d’excuses trouvée aux junkies, rappelez-vous que la « logique » de cette prohibition est la même qui vous interdit de fabriquer, de posséder et d’utiliser un alambic sans autorisation préalable.

Il serait intéressant d’avoir l’avis des personnalités politiques françaises qui semblent s’inspirer des positions libéralo-libertariennes américaines, tels Marion Maréchal, François-Xavier Bellamy, Laurent Wauquiez, etc.

L’auteur :

Maxime Feyssac