Réaffirmons l’universalisme républicain

Face à l’exacerbation des identités communautaires, réaffirmons l’universalisme républicain ! 

A l’heure où notre communauté nationale ne célèbre plus son unité qu’à quelques rares occasions, à l’heure où la République perd de son emprise sur de nombreuses sphères de la société française, à l’heure où l’indivisibilité républicaine tend à être effacée par des formes de multiculturalisme d’inspiration anglo-saxonne, il est temps de réagir et d’agir si l’ambition de notre nation reste la célébration de ses principes universels et fraternels.

L’universalisme républicain en théorie : un Homme émancipé de ses déterminismes 

L’universalisme est une notion de philosophie politique prenant sa source chez les théoriciens de l’école moderne du droit naturel (principalement Hugo Grotius et Samuel von Pufendorf), qui sont les premiers à se baser sur la Raison pour chercher des droits communs à tous les Hommes1. Par la suite, la philosophie des Lumières se montrera particulièrement réceptive à ces postulats juridiques, notamment John Locke, pour qui la vie, la liberté et la propriété sont des droits fondamentaux que l’État doit absolument préserver. 

L’universalisme républicain est en pratique né en France avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789) et demeure un pilier fondamental de toutes les Républiques françaises. Il va en fait bien plus loin que Grotius ou Locke puisqu’il renvoie avant tout à une unité du genre humain, une égalité de nature au-delà de toutes les différences. Cela s’explique par le fait que dans un régime de démocratie libérale, l’identité ethnique ou religieuse d’une personne n’est pas son identité première. La République considère ses citoyens comme étant fondamentalement égaux en termes de dignité et de raison. Elle est aveugle aux particularités biologiques, religieuses ou culturelles puisqu’elle ne s’adresse pas à des communautés, préférant traiter tous les individus de manière indifférenciée en leur accordant par principe les mêmes droits et devoirs. 

Cet idéal républicain égalitaire se donne pour finalité d’unifier et d’ancrer tous les citoyens au sein de la nation française.

L’universalisme n’est cependant pas à confondre avec un individualisme qui ne s’adresserait qu’à des personnes uniques et déracinées. Au contraire, cet idéal républicain égalitaire se donne pour finalité d’unifier et d’ancrer tous les citoyens au sein de la nation française. En cela, la Révolution française s’inscrit dans un long processus de rationalisation et d’unification de la France, de son peuple et de son territoire et contribue à faire émerger une nation “une et indivisible”. 

En comprenant ce qu’est l’universalisme républicain, l’on appréhende mieux la perception française de la nation. Contrairement à la définition allemande basée sur la langue, la religion, la culture et l’histoire2, la nation à la française est selon la formule d’Ernest Renan un “consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis3. Ainsi, chacun peut a priori s’intégrer à la nation française, à condition qu’il en fasse le choix, décide de s’y agréger et en partage l’héritage. A la fin de son discours, Renan rappelle à quel point l’universalisme et la nation sont intrinsèquement liés : “L’Homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagne. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation”. 

1 A la différence de l’école classique du droit naturel (Aristote, Saint Thomas d’Aquin), qui partageait la même finalité mais se reposait sur des arguments théologiques.

2 C’est à Johann Gottlieb Fichte qu’on doit la définition allemande de la nation, dans les Discours à la nation allemande (1807)

3 Qu’est-ce qu’une nation ?, conférence donnée à la Sorbonne en 1882, puis publiée en 1887

L’universalisme républicain en pratique : une France laïque et terre d’accueil des immigrés 

Ainsi, on le comprend aisément grâce à ces explications, la notion d’universalisme renferme en elle une dimension profondément théorique et nécessite sans cesse d’être réalisée dans les faits. Elle est une forme de “rêve” français, de projet utopique que tous les républicains appellent de leurs vœux et qu’il serait inacceptable de trahir dans la pratique. Pour autant, comme le souligne très justement l’historienne chargée de recherche au CNRS Clyde Marlo-Plumauzille : l’universalisme républicain “constitue un idéal jamais atteint (mais) toujours à réaliser”4. En effet, bien plus qu’un projet philosophique porteur de grands principes abstraits, l’universalisme doit s’accomplir en tant que projet politique. C’est le fruit d’une aventure républicaine ambitieuse qui débute à la fin du XVIIIe siècle en France et qui ne doit jamais être abandonnée, au risque de voir apparaître une citoyenneté “à deux vitesses” à cause d’une mise à l’écart ou d’une prise de distance de minorités exclues du pacte républicain. Il est primordial de se souvenir que “l’universalisme […] n’est (pas) une notion performative qui saurait se suffire à elle-même du simple fait de son énoncé.5 selon les termes de l’historien des idées politiques Thomas Branthôme ; il a besoin de réalisations concrètes et de politiques courageuses pour devenir un projet mené à bien, et l’histoire ne manque pas d’exemples pour illustrer ce propos… Afin de poursuivre la célébration de l’universalisme républicain, revenons à ses accomplissements et ses réussites historiques. Dès la naissance de la République, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 est révolutionnaire dans son désir d’universalité en affirmant que tous les individus sont libres et égaux en droits mais aussi que “nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.” (article 10). Ici, c’est l’un des piliers essentiels de l’universalisme qui germe : la laïcité française. C’est ce principe hautement symbolique qui fait naître la neutralité religieuse de la loi de la République et qui garantit la liberté de culte sans entrave. Ainsi, tant que le fait religieux se cantonne dans la sphère privée et ne vient pas influencer l’exercice du pouvoir politique, l’Etat français assure à chacun de ses citoyens une liberté d’opinion religieuse. Puisque l’idéal universaliste ne saurait se réaliser sans ce corollaire fondamental, la laïcité s’intègre aussi à l’enseignement public dès les années 1880. 

L’universalisme républicain “constitue un idéal jamais atteint (mais) toujours à réaliser”.

En effet, c’est particulièrement durant la Troisième République, au moment où la France devient peu à peu une terre d’immigration, que l’idéal universel a le plus oeuvré. Au-delà du dynamisme économique de l’époque, c’est bien la politique d’éducation qui permettait aux immigrés de s’intégrer facilement à la communauté nationale. Les lois Ferry de 1881 et 1882 donnent en effet la possibilité à chacun et chacune d’accéder facilement à l’éducation et d’apprendre la langue française, tout en abandonnant l’enseignement de la morale religieuse ; le tout sous le contrôle des “hussards noirs de la République”, qui transmettaient leur ferveur patriotique par l’apprentissage de l’histoire et de la géographie. Ce long processus d’affranchissement du politique vis-à-vis du religieux aboutit finalement à la fameuse loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat qui assure une nouvelle fois un libre exercice des cultes religieux à tous les citoyens français. Ainsi, l’Etat français fait de la République l’héritage commun à tous afin d’unifier son peuple sur des principes laïcs en promettant de ne discriminer aucune croyance ou au contraire de ne privilégier aucun clergé. 

Enfin, comment traiter l’universalisme républicain sans évoquer le sujet de l’accueil des étrangers en France puisque notre pays est devenu une véritable terre d’immigration depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Ces grandes vagues d’immigration, notamment celles d’après-guerres au XXe siècle, ont façonné pour longtemps le visage de notre communauté nationale. Selon le démographe François Héran, « près d’un Français sur quatre a au moins un grand-parent immigré et l’on arriverait sans peine à un Français sur trois avec une génération de plus« 6. Ainsi, des étrangers venus de partout viendront s’agréger au fil du temps à la communauté française : d’abord des Italiens, des Belges, des Allemands ou des Espagnols à la fin du XIXe siècle ; ensuite des Polonais ou des Russes viendront s’ajouter à ces derniers dans l’entre-deux-guerres ; enfin, des Maghrébins (Algériens, Marocains) ou des Portugais trouveront une terre d’accueil et de prospérité lors des Trente Glorieuses. Pendant toute cette période, le modèle d’intégration assimilationniste portait largement ses fruits et était le signe de la réussite de l’universalisme de la République française. 

4 Clyde Marlo-Plumauzille, Libération, “Quelque chose de pourri au royaume de l’universalisme républicain”, 24 juin 2020

5 Thomas Branthôme, AOC, “Minuit à l’heure de l’universalisme”, 16 juin 2020

6 Anne Chemin, Le Monde, “Le nouveau visage de la France, terre d’immigration”, 3 décembre 2009.

Racialisme et communautarisme : un idéal d’universel attaqué dans ses fondements 

Néanmoins, aujourd’hui, il est certain que l’universalisme républicain est mis à mal. Parmi tous ses détracteurs, l’on peut citer en premier lieu les mouvements antiracistes et communautaristes7, qui formulent deux critiques principales. La première est décrite ainsi par le philosophe canadien Charles Taylor : “le reproche est que l’ensemble prétendument neutre de principes de dignité politique aveugles aux différences est, en fait, le reflet d’une culture hégémonique”8. En effet, la démocratie libérale, la laïcité, et le cadre de nos institutions en général sont par essence le reflet de la culture occidentale. Peu importe si la société se veut universaliste, elle s’impose de fait aux minorités comme une culture dominante, comme un particularisme occidental déguisé en universel. Dès lors, ce système est perçu comme une discrimination subtile, inconsciente et permanente à laquelle les communautés minoritaires doivent répondre en réaffirmant leur identité. La seconde critique, que l’on pourrait qualifier de “multiculturelle”, s’oppose au modèle universaliste puisqu’en niant les spécificités ethniques, culturelles ou religieuses des individus, il leur retire leur identité propre. Ce modèle serait d’autant plus opprimant qu’il les “force” à abandonner une partie de leur culture d’origine pour s’assimiler à la communauté nationale. Face à cet universalisme assimilateur, les communautaristes y préfèrent le modèle multiculturel anglo-saxon ; d’autant plus que la jeunesse est très réceptive à ces arguments puisque les mouvements sociaux américains sont relayés en masse par Netflix, les réseaux sociaux et le monde de la culture9. Même si le multiculturalisme s’adapte tant bien que mal aux sociétés anglo- saxonnes, il faut ici rappeler que tenter de l’imposer en France serait faire fi de notre histoire et notre construction nationale. Finalement, alors que la société française s’est construite en émancipant les individus de leurs déterminismes, ce sont bien les mouvements antiracistes qui ramènent les Hommes à ce à quoi ils ne peuvent rien : leur ethnie. Le racisme systémique n’existe pas en France ; le combattre c’est ne pas connaître ou ne pas comprendre l’universalisme républicain. 

Peu importe si la société se veut universaliste, elle s’impose de fait aux minorités comme une culture dominante, comme un particularisme occidental déguisé en universel.

Par ailleurs, un autre communautarisme, cette fois religieux, met à mal la laïcité. Il s’agit surtout d’un fondamentalisme musulman qui, dans certains quartiers, tente de s’affranchir des lois de la République. Or, nous l’avons vu, aucune dérogation n’est possible dans l’application des lois. Les catholiques et les juifs ont eux aussi dû, dans le passé, ranger les lois de Dieu dans le domaine privé et ceci ne s’est pas toujours fait sans violences. Parfois même, ce sont nos politiques qui, dans leurs rapports avec les représentants des cultes, déstabilisent la laïcité. Il ne s’agit pas d’aller rencontrer le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), le CFCM (Conseil français du culte musulman) ou la CEF (Conférence des évêques de France) pour les rassurer un à un quant à la place qu’ils occupent dans la France laïque, mais plutôt de conserver les limites instaurées pour que chacun reste à sa place et ne rompe pas le pacte républicain. 

Les groupes identitaires, qui adoptent pour la France la définition allemande de la nation, peuvent percevoir l’universalisme comme un danger pour une identité française appuyée sur la race blanche et le catholicisme. A cela, l’on peut répondre qu’être français, ce n’est pas appartenir à une ethnie ou à une religion – ce n’est pas non plus avoir une nationalité sur un papier. Etre français, c’est plutôt accepter un faisceau de valeurs fondamentales (liberté, égalité, fraternité, laïcité…), parler la langue nationale, intégrer un héritage historique (qu’il soit glorieux ou déshonorant), avoir la volonté de construire un avenir en commun, adopter une “façon d’être et de penser” à la française…

7 Entendu comme le fait que “l’individu n’existe pas indépendamment de ses appartenances, soient elles culturelles, ethniques, religieuses ou sociales”, Catherine Halpern, Sciences Humaines, avril 2004.

8 Charles Taylor, Multiculturalisme, différence et démocratie, Champs Essais, 2019, page 85 

L’urgence de remettre la République à sa juste place 

Face aux critiques parfois virulentes d’un modèle universaliste vu comme sur le déclin, ne cédons rien à la promotion d’un modèle anglo-saxon de traitement des populations étrangères inadapté à l’histoire et à la culture de notre pays. La politique d’intégration multiculturelle (présente historiquement aux Etats-Unis, au Canada ou encore au Royaume-Uni) ne mène pas in fine à une pleine intégration des étrangers dans une nation commune mais crée des communautés particulières qui vivent chacune selon leurs coutumes et leurs moeurs, sans aucune référence commune. Elles se croisent tous les jours sans pour autant se côtoyer, et parfois ce modèle de société peut mener à des conflits ou des ressentiments violents (marqués par des enjeux raciaux), comme l’histoire contemporaine américaine l’illustre. 

Face aux accusations d’un prétendu “néo-colonialisme” de l’universalisme républicain, réaffirmons notre modèle comme étant la voie de l’émancipation et de la liberté de tous les citoyens français. Le colonialisme “consiste à vouloir communiquer, au besoin par la force, un ensemble de valeurs et de règles socio-politiques à des peuples considérés comme étant moins avancés que nous- mêmes, hors de nos frontières nationales10, selon la définition de l’analyste Georges Kuzmanovic. Au contraire, notre modèle républicain se caractérise par la “volonté de donner à tous nos concitoyens la liberté de vivre sous l’empire commun de la République, sans se voir obligés de pratiquer un culte, de porter un vêtement ou de suivre un code de conduite particulier.”. 

Ces pratiques intolérantes, au lieu de lutter contre les discriminations qu’elles entendent effacer, ne font que porter atteinte à la cohésion nationale.

Face aux nouvelles formes de militantisme antiraciste qui fleurissent (telles que les réunions en “non-mixité raciale” dans les facultés), directement importées des pratiques militantes présentes aux Etats-Unis, favorisons la mixité sociale qui a toujours été encouragée par notre modèle républicain. Ces pratiques intolérantes, au lieu de lutter contre les discriminations qu’elles entendent effacer, ne font que porter atteinte à la cohésion nationale et peuvent installer à terme un climat de tension entre différentes communautés, ce qui signerait l’échec définitif de la République française à cause d’un retour de “catégories raciales”. Notre modèle universel, dans son idéal mais aussi dans sa pratique, doit être aveugle à la couleur de peau, à la confession ou aux origines sociales de ses citoyens. 

Si l’on souhaite éviter une forme de repli identitaire et de fracture nationale, si l’on ambitionne de retrouver un modèle d’intégration efficace et une communauté française apaisée, ayons le désir de parvenir à un universalisme concret qui réalise une absolue égalité de traitement et répondons au besoin de justice des mouvements antiracistes. La République est la solution, pas le problème. 

Voici l’immense défi politique de notre époque : lutter contre toutes les discriminations et prouver à l’ensemble des citoyens français que l’universalisme républicain est à la hauteur de ses promesses.

Bien entendu, comme cela a déjà été souligné plus tôt, l’universalisme ne peut en aucun cas se suffire à lui-même. Ce n’est pas simplement un étendard qu’il s’agit de brandir fièrement sans chercher à accroître ses résultats effectifs. Quiconque se réclame de l’universalisme ne doit jamais ménager ses efforts afin de faire disparaître les discriminations, les exclusions, les inégalités au sein de la communauté nationale… Le projet républicain se doit d’entendre les appels à plus de justice sociale, les témoignages de toute une frange de la population victime de rejet ou de racisme, il est continuellement la réponse aux grands enjeux de la société. S’il reste sourd à ces revendications, il met en péril le maintien de la cohésion nationale et le respect des droits fondamentaux. Comme le Défenseur des droits le rappelait récemment dans un rapport de juin 2020, il existe une véritable différence de traitement en France liée à l’origine des citoyens : “les personnes d’origine étrangère ou perçues comme telles sont désavantagées dans l’accès à l’emploi ou au logement et plus exposées au chômage, à la précarité, au mal logement, aux contrôles policiers, à un état de santé dégradé et aux inégalités scolaires.11. Voici l’immense défi politique de notre époque : lutter contre toutes les discriminations et prouver à l’ensemble des citoyens français que l’universalisme républicain est à la hauteur de ses promesses. 

9 Anthony Cortes, Marianne, “Blanchité, privilèges, alliés… Pourquoi les jeunes adhèrent-ils tant à l’”antiracisme” racialiste ?“, 11 juin 2020

10 Georges Kuzmanovic, Marianne, “Cessons de caricaturer l’universalisme républicain”, 23 janvier 2019 

11 Défenseur des droits, “Le Défenseur des droits demande la mise en place urgente d’une politique ambitieuse de lutte contre les discriminations liées à l’origine”, 22 juin 2020

Les auteurs :

Emilien Pouchin

Lucas Da Silva

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Et si on aimait le populisme ?

La place du populisme au sein du régime des partis

Le populisme est aujourd’hui sur toutes les lèvres. Les médias utilisent ce terme le plus souvent péjorativement, pour qualifier une variété de régimes, de personnalités politiques, de mouvements ou de partis présentant, apparemment, des similitudes. Face à cette masse d’entités affublées d’un même adjectif, il apparaît de plus en plus compliqué de comprendre ce qu’est le populisme, ce à quoi il tend et quelle est sa place (si tant est qu’il en ait une) au cœur du régime des partis.

“Nos régimes sont dits démocratiques parce qu’ils sont consacrés par les urnes (…) mais nous ne sommes pas gouvernés démocratiquement”. Dans son ouvrage Le Siècle du populisme : histoire, théorie, critique, paru le 9 janvier 2020, l’historien et sociologue, professeur au Collège de France Pierre Rosanvallon prend ce constat comme point de départ pour comprendre le populisme qui selon ses propres mots, « révolutionne la politique du XXIe siècle ».

Une telle approche permet de s’éloigner, avant toute analyse, des idées reçues, pour appréhender un phénomène amalgamé et très critiqué.

Une telle approche permet de s’éloigner, avant toute analyse, des idées reçues, pour appréhender un phénomène amalgamé et très critiqué qui présente pourtant de nombreux aspects déterminants vis-à-vis des crises traversées par les démocraties représentatives libérales contemporaines du système des partis politiques.

    Le terme populisme, est issu du latin populus, « peuple, ensemble des citoyens ».  Il est défini par la 9ème édition du dictionnaire de l’Académie Française comme une attitude, un comportement d’un homme ou d’un parti politique qui, contre les élites dirigeantes, se pose en défenseur du peuple et en porte-parole de ses aspirations.

Ce terme est généralement utilisé péjorativement par les médias et par ses opposants. Les classes dirigeantes mettent en lumière le populisme comme un ensemble de tous les « archaïsmes » et freins au développement de leur politique. A travers les médias, le populisme semble aussi dénoncer la mobilisation du peuple par des promesses électoralistes, flattant le peuple par le biais du nationalisme, de la xénophobie, du racisme et exacerbant les enjeux sécuritaires.

Une telle variété d’utilisation et d’interprétation d’un terme à la racine pourtant claire amène à la constitution d’un flou lexicographique. Cependant, si ce terme est cohérent avec son histoire (populus) on peut le limiter à sa définition académique. Il est donc important de noter que le populisme ne sera pas, ici, traité en synonyme de démagogie, d’électoralisme ou d’opportunisme ni associé systématiquement à des mouvements d’extrême droite xénophobes, ou à des démagogues de tous bords idéologiques qui sont avant tout nationalistes ou postfascistes, pour les uns ; et démagogues tout court pour les autres.

    Selon une enquête menée par l’ESS (European Social Survey) entre 2012 et 2016, 55% des citoyens interrogés aussi bien en Europe qu’aux États-Unis considèrent que la démocratie fonctionne “assez mal” ou “très mal”. La défiance à l’égard des partis politiques est aussi largement répandue en Europe et semble être un des facteurs du résultat précédent: 68% en Allemagne, 75% au Royaume-Uni et en Autriche avec des records en France (89%), en Espagne (90%) et en Italie (91%). On constate aujourd’hui dans ces régions une proportion croissante au vote et à l’adhésion aux mouvements dits “populistes”.

On peut identifier le populisme comme capable de renouveler un système des partis politiques en proie aux crises de défiance.

    Une telle mise en contexte traduit tout l’intérêt du sujet alliant partis politiques et populisme. A l’heure où la majorité des démocraties libérales basées sur le système des partis politiques sont sujettes à des crises de la représentation, la résurgence populiste apparaît comme un point commun non négligeable des différentes régions concernées.

Ainsi, le populisme est-il un simple effet temporaire des crises comme il a pu l’être auparavant ou doit-on considérer cette résurgence comme tournant dans l’histoire du fonctionnement de nos démocraties et des partis politiques?

La caractérisation du populisme contemporain comme détenteur d’une double fonction de  signal d’alarme de la défiance face aux dysfonctionnements du système des partis et de rappel des fondements démocratiques du système s’appuyant sur une durabilité inédite et une intégration au système des partis politiques permet d’identifier ce mouvement comme capable de renouveler un système des partis politiques en proie aux crises de défiance.

La double fonction populiste

Le populisme contemporain dans sa globalité est caractérisé par une contestation généralisée des partis politiques constitutifs du paysage démocratique classique et des détenteurs du pouvoir qui en sont directement issus. Cette contestation peut prendre une valeur d’opportunité pour ces partis politiques sujets à des crises de confiance, de représentativité se traduisant en défiance de la part des citoyens. En effet, l’opportunité de renouvellement des partis politiques par le populisme, réside dans sa double fonction de dénonciateur des déviances, comme véritable sonnette d’alarme et comme rappel permanent des fondements démocratiques du système.

    Le populisme, face aux partis politiques et au système qui les regroupe, fonctionne comme véritable « signal d’alarme » des citoyens.

Le populisme agit comme nouveau porte-parole direct de citoyens ne croyant plus aux partis politiques en place sur le paysage politique.

Il se manifeste systématiquement comme ensemble de dénonciation des défauts des démocraties représentatives libérales. Le populisme agit comme nouveau porte-parole direct de citoyens ne croyant plus aux partis politiques en place sur le paysage politique et n’ayant pas été capables de répondre à leurs attentes. Dans les faits, ils naissent en réponse à des crises sociales dans des contextes nationaux singuliers mais sont en réalité des réponses directes, de la part de l’électorat, au dysfonctionnement des partis politiques dans leur rôle d’agent de généralisation comme l’explique Laurent Bouvet dans L’agonie du système politique français (Slate, 22 juillet 2014) .

Les partis politiques aux accents populistes ne se restreignent aujourd’hui plus au cadre de la crise qui les a vus naître mais leur naissance permet malgré tout la mise en valeur de l’insatisfaction citoyenne vis à vis du système en place.

En effet, bien que les nombreuses similitudes entre les différents partis au discours populiste portent à qualifier un mouvement commun, il ne faut pas oublier qu’il existe des variations d’un pays à l’autre quant à leur irruption et à leur installation. Les naissances et mise en place des organisations politiques de la mouvance populiste restent très directement indexées aux dates respectives de crises politiques propres à chaque pays.

De plus, dans l’histoire, ce sont bien des problèmes socio-économiques et des crises liées à la corruption du régime qui sont à l’origine des mobilisations populistes (le poujadisme par exemple).

Le populisme n’est pas ici un danger, mais un témoin, une alerte statuant du dysfonctionnement du système des partis politiques vis à vis du peuple aujourd’hui.

Le populisme, dont l’intégration et l’utilisation des systèmes politiques et partisans sont toujours identiques par toutes les mobilisations populistes, atteste ainsi bien de l’existence d’un modèle d’action commun mais naissant de crises variées qui l’identifient comme sonnette d’alarme prévenant des dysfonctionnements du système.

Enfin, l’importance et le poids croissant du populisme au sein du paysage démocratique peut être identifié comme un déséquilibre du système lié à un isolement, un écart trop important entre les élites gouvernantes et le peuple censé être souverain. Le populisme n’est pas ici un danger, mais un témoin, une alerte statuant du dysfonctionnement du système des partis politiques vis à vis du peuple aujourd’hui.

Laurent Bouvet explique ces dysfonctionnements par le rejet des partis dû à une place ambiguë au sein des institutions. La place centrale du président de la République dans les institutions présente un paradoxe: les partis sont indispensables au soutien nécéssaire pour parvenir au poste tandis qu’ils deviennent gênants une fois le poste atteint puisque le chef de l’État doit s’en détacher. De plus, la mise en place du quinquennat renforce ces difficultés structurelles en maintenant le président de la République comme chef de parti. A cause de cela, les partis ne remplissent pas leur rôle constitutionnel et prennent la forme de “lieux totalement dépourvus d’influence et d’intérêt en dehors de l’organisation centrale et déterminante de la désignation du candidat à la présidentielle”. Ils perdent ainsi toute légitimité aux yeux des citoyens en étant réduits à cette seule fonction.

En outre, Laurent Bouvet parle de “la reformulation de nombre de débats politiques ces dernières années autour de l’enjeu européen” comme contrainte pesant sur les partis et constituant une cause explicative de leur rejet. Les positions variées au sein des grands partis traditionnels constituant le paysage politique (ex: UMP, PS…) conduisent à une illisibilité du paysage politique pour le citoyen qui développe une défiance à leur encontre. Ils sont vus comme des entreprises politiques tournées vers elle-mêmes.

Les partis prennent la forme de “lieux totalement dépourvus d’influence et d’intérêt”

La domination des postes de pouvoir par une classe dirigeante non renouvelée et homogène conduit à une déconnexion par rapport à la sociétés et ses problématiques. Ce fait est aussi, selon Laurent Bouvet, une cause du rejet des partis politiques. En effet, un éloignement s’opère entre les électeurs et ces élites qui se traduit en défiance envers une catégorie de personnes privilégiées non représentative de la majorité des citoyens.

En dernier lieu, Laurent Bouvet désigne le “délitement du rôle d’agent de généralisation” des partis politiques comme cause de leur rejet. Les partis politiques ont perdu leur fonction de coordinateur des demandes politiques disparates en projets politiques. Aujourd’hui ils se caractérisent par une succession de coalitions sans lien cohérent et constituent un regroupement de multiples revendications pouvant être antagonistes.

Cette fonction de lanceur d’alerte constitue une première étape du rôle du populisme dans son processus de renouvellement du système des partis politiques en difficulté. A cela s’ajoute une seconde fonction: celle de rappel des fondements démocratiques du système pour éviter de les perdre de vue.

Le mouvement populiste, souvent dénoncé comme mettant en danger la démocratie soutient, par définition, l’idée de souveraineté du peuple et de la décision majoritaire.

Il est inséparable du peuple et donc de l’idée même de démocratie. Loin d’être son pendant négatif ou mauvais, le populisme est le produit même de la démocratie représentative.

Comme l’explique Laurent Bouvet « cette démocratie partout célébrée et désirée est aussi la forme civilisée d’un populisme partout craint et abhorré » (Le sens du peuple, p 229). « Il est donc non seulement vain mais néfaste de ne voir dans le populisme que la face obscure de la démocratie et de ne le considérer que comme l’étape préalable d’une inévitable dérive fasciste » (p 230).

Le populisme est donc fondamentalement lié à la notion même de démocratie et joue alors rôle de garde fou. Il rappelle par sa présence au sein de partis politiques, et donc au sein du système des démocraties modernes, les fondements essentiels à leur bon fonctionnement.

A travers les discours de leaders politiques et de figures charismatiques de ces mouvements comme Beppe Grillo, à la tête du parti Cinq étoiles en Italie ou Trump par exemple, on critique souvent le populisme d’apporter des solutions simplistes et idéalistes à une réalité présentant des problématiques complexes.

« cette démocratie partout célébrée et désirée est aussi la forme civilisée d’un populisme partout craint et abhorré »

Ces critiques paraissent fondées mais n’entachent pas la fonction de rappel des fondements du système démocratique duquel font partie les différents partis politiques.

Ainsi, une double fonction de sonnette d’alarme et de rappel permanent des fondements démocratiques dans lesquels sont censés évoluer les partis, permettent de constituer la base d’un populisme peut-être acteur du renouvellement des partis politiques au sein des démocraties modernes.

Une solution plus qu’un problème

La double fonction du populisme ne peut être effective dans un renouvellement sans deux autres facteurs essentiels. En effet, l’intégration due à ce mouvement et son adaptation aux différents systèmes démocratiques ainsi que son caractère durable inédit en leur sein, caractérise la possibilité d’un renouvellement plutôt que d’une mise en danger du système des partis politiques.

Une des deux caractéristiques majeures qui caractérisent le populisme comme mouvement intégré au système démocratique des partis politiques est son rôle de pilier de la démocratie.

Cette notion est expliquée par Federico Tarragoni, sociologue italien, Maître de conférences HDR et Directeur du Centre de recherches interdisciplinaires sur le politique (CRIPOLIS) à l’Université Paris Diderot, dans son ouvrage, Il faut faire le peuple ! Sociologie d’un populisme « par le bas » mais aussi par Margaret Canovan, théoricienne politique anglaise, dans Populism. Les deux auteurs confirment la théorie du politologue français Jean Leca qui décrit deux piliers de la démocratie.

    Le premier pilier est le constitutionnalisme défini comme “l’Etat de droit protégeant des sphères de droits spécifiques contre le pouvoir arbitraire de l’Etat”. C’est l’insistance du gouvernement sur l’ensemble des procédures et techniques nécessaires au fonctionnement du système démocratique. Cependant, ce pilier agrandit la séparation entre le peuple et les représentants.

    Le second pilier est donc le populisme, que Federico Tarragoni décrit comme “phénomène social lié à l’accès des masses à la politique” où “le populiste se retranche sur la dimension éminemment utopique de la démocratie et donne une voix au peuple comme entité concrète, visible, tangible” (Il faut faire le peuple!).

Cet équilibre permettant un régime démocratique sain repose sur ces deux piliers. La fonction du populisme est donc parfaitement intégrée au sein même du système démocratique, puisqu’elle en est  même à sa base : elle est une de ses deux faces. Son importance croissante marque donc, comme nous le verrons ensuite, des dysfonctionnements majeurs du système démocratique de nos jours.

    La seconde caractéristique du populisme l’empêche d’être raisonnablement qualifié de marginalisé au regard du système ou de mouvements anti-système, mais, au contraire en fait une notion intégrant le système démocratique et surtout le système des partis politiques : c’est son hybridation.

L’organisation systématique des mouvements avec des logiques populistes sur le modèle partisan classique du système politique des partis des démocraties libérales prouve son intégration. Cela peut être observé en Europe avec des partis ayant des discours comprenant, entre autre, une logique populiste comme le Rassemblement National (France), le mouvement 5 étoiles (Italie), le PVV (Parti de la liberté, Pays-Bas)…

Ainsi, les partis intégrant des discours populistes agissent aujourd’hui dans les systèmes politiques contemporains comme les autres partis politiques avec lesquels ils sont en concurrence. Ils semblent s’être parfaitement intégrés au système partisan partout en Europe occidentale.

L’hybridation du populisme, rappelle donc le primat du peuple contre les élites en place tout en s’affichant comme seule organisation « authentiquement » représentative au sein des différents systèmes démocratiques des partis politiques. C’est cette particularité qui fonde la possibilité de considérer le populisme comme acteur d’un renouvellement de l’intérieur nécéssaire au système des partis politiques.

En plus d’être intégré au sein des partis, le populisme que nous observons de nos jours est marqué par une durabilité inédite.

Toutefois, un tel renouvellement ne peut s’effectuer sans une durabilité du populisme au coeur du système des partis. Plusieurs systèmes, dont la France avec le poujadisme, ont pu l’observer au cours du XXème siècle.

En plus d’être intégré au sein des partis, le populisme que nous observons de nos jours est marqué par une durabilité inédite.

    La longévité des partis adoptant une ligne populiste, comme force pleine et entière du système politique concerné peut être remise en cause par la structuration de ces mouvements typée par l’organisation autour d’un leader prédominant, souvent charismatique. Le mouvement populiste n’est alors plus un mouvement mais un homme.

Cependant la personnalisation politique semble avant tout liée au système politique démocratique libéral, au système des partis. En France, la Vème République qui a tendance à développer ce culte du chef dans tous les partis politiques du système, l’illustre clairement.

Le mouvement populiste n’est alors plus un mouvement mais un homme.

Là encore, les formations populistes ne paraissent pas si étrangères à leurs concurrentes. Guy Hermet, sociologue politologue et historien français, affirme d’ailleurs que la présence d’un leader, charismatique ou l’appel au peuple ne peuvent permettre de définir le populisme.

Ainsi, peu à peu, dans le système politique français contemporain, les formations populistes ne paraissent pas différentes des autres. Elles acquièrent par ce biais, une garantie de durabilité au sein des partis politiques permettant le renouvellement d’un système de partis délaissé, en proie aux crises de représentativité.

    Cette durabilité inédite interroge sur une définition trop souvent admise du populisme comme un phénomène polarisé et éphémère le plus souvent, resurgissant dans certains moments de crise, mais sous des formes à chaque fois différentes et dans des contextes particuliers.

Cette définition ne semble plus s’appliquer à un populisme contemporain dont la durabilité peut être démontrée tant par son organisation en tout point identique aux partis du système en place depuis des décennies que par sa non polarisation. Le populisme n’est pas rattaché à un extrême du paysage politique.

Il ne se circonscrit pas à un bord politique pouvant, un jour faiblir, mais est intégré dans l’ensemble du paysage des partis politiques.

En effet, depuis l’expansion en Europe de ces nouveaux partis perturbateurs des ordres établis, le populisme contemporain ou des modernes a transformé la topographie sociale protestataire. En se penchant sur l’exemple français on constate qu’il a traduit le délaissement, l’humiliation ressentie par des classes sociales pas nécessairement appauvries face aux concessions à leurs yeux imméritées que leurs gouvernements faisaient aux indigents. Le populisme a, en fait, achevé son parcours de gauche à droite sur le paysage politique. On trouve des partis populistes de gauche  (ex: le Parti du socialisme démocratique ayant fusionné avec Die Linke en Allemagne) comme de droite (ex: Solution grecque, en Grèce).

En conclusion,  le populisme n’est pas de droite et de gauche, mais sa tradition idéologique et historique est celle d’une critique plébéienne et radicalement démocratique, mais ni socialiste ni communiste, des gouvernements.

Cette ultime mutation du populisme renforce sa durabilité car il ne se circonscrit pas à un bord politique pouvant, un jour faiblir, mais est intégré dans l’ensemble du paysage des partis politiques.

L’épuisement de l’État-providence et de la social-démocratie, lié aux dysfonctionnements du système des partis, l’ont transformé en ce qui risque de constituer une composante de longue durée du processus politique européen.

Le populisme ne détruira donc pas le système des partis. Au contraire, il semble capable d’oeuvrer au sein de l’entièreté du paysage des partis politiques pour son renouvellement en faveur du retour au peuple, de la suppression de l’écart et de l’incompréhension grandissante entre gouvernant et gouvernés.

L’auteur

Lucas Perriat